ALLOCUTION PRONONCÉE PAR
MONSIEUR JACQUES CHIRAC
PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
A L’OCCASION DU DINER D’ÉTAT
OFFERT EN SON HONNEUR AU KREMLIN PAR
SON EXCELLENCE MONSIEUR BORIS ELTSINE
PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE
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GRAND PALAIS DU KREMLIN - MOSCOU - RUSSIE
VENDREDI 26 SEPTEMBRE 1997
Monsieur le Président et cher Boris Nicolaïevitch,
Madame et chère Naïna Iossifovna,
Cet accueil extraordinaire que vous nous avez réservé, mon épouse, ma délégation et moi-même ne l’oublierons pas.
Cher Boris Nicolaïevitch, en cet instant, j’éprouve une réelle émotion.
L’émotion de retrouver la Russie. Cette Russie que j’aime, dont j’ai, dans ma jeunesse, appris la langue, découvert les grands auteurs, admiré le destin grandiose. Depuis, vous le savez, votre grand pays tient dans mon coeur et dans ma vie une place à part.
L’émotion aussi de retrouver un ami, avec lequel se sont nouées puis sans cesse renforcées cette confiance, cette chaleur qui caractérisent, cher Boris Nicolaïevitch, chacune de nos rencontres.
L’émotion enfin d’être le premier Président de la République française à venir en visite d’Etat en Russie depuis que votre pays a entrepris ses extraordinaires changements.
Aujourd’hui, nous pouvons renouer les fils du temps.
Trop longtemps, nos deux pays furent éloignés l’un de l’autre. Trop longtemps, nos deux peuples durent réfréner cet élan qui, depuis toujours, les porte l’un vers l’autre. Désormais, tournée la page de la guerre froide, Russes et Français se retrouvent.
Quelle relation que la nôtre ! Pleine de passion, d’enthousiasme, parfois aussi de déchirements. A l’image, au fond, de ce que sont l’âme française et l’âme russe, dont le poète Volochine écrivait qu’elle est une " flamme ardente et tourmentée ".
Nos échanges ont nourri le grand mouvement des idées depuis la protection accordée jadis par l’Impératrice Catherine II aux philosophes des Lumières : Voltaire, Diderot, d’Alembert.
La France s’est passionnée pour les oeuvres de vos romanciers, de vos poètes, de vos artistes. Quel petit Français n’a été bercé par les livres de la Comtesse de Ségur, fille du Gouverneur Rostopchine ? Quel adolescent français ne s’est ému ou enflammé à la lecture d’" Anna Karénine " ou des " Frères Karamazov " ? Quel mélomane français n’a ressenti toute la grandeur du génie russe à travers les oeuvres de Moussorgski, de Borodine, de Tchaïkovski, de Prokoviev ? Aujourd'hui, c'est aussi le renouveau de votre cinéma que les Français découvrent avec émotion.
Et l’émigration russe a pu s’épanouir en France, où certains de vos grands auteurs ont composé leurs plus belles pages. Cette émigration, pleine de talents, a enrichi la France dans tous les domaines : la littérature, la chorégraphie, le cinéma, le théâtre, les sciences. Et que dire des beaux arts avec Kandinski, Chagall, Poliakoff, Nicolas de Staël, Zadkine, et tant d’autres encore ?
Ces liens furent aussi ceux du sang versé. Deux fois dans notre siècle, Russes et Français durent affronter ensemble les terribles épreuves de la guerre.
Aujourd’hui, la paix et la liberté s’enracinent. Le monde change. Et la Russie elle-même change. Quel symbole plus éclatant de ces changements que Moscou ! Moscou qui vient de célébrer, avec faste, le 850e anniversaire de sa fondation. Moscou que je reconnais à peine tant elle s’est transformée en quelques années seulement. Elle offre désormais le visage d’une grande capitale européenne, dynamique, bruissante de vie et d’activité.
Grâce à vous, cher Boris Nicolaïevitch, qui en avez été le maître d’oeuvre, un grand vent de réformes bouleverse votre pays, dessinant une nouvelle Russie. Cette entreprise est difficile, je le sais. Une fois encore, le peuple russe se trouve confronté à la tâche immense de reconstruire son économie et sa société. Mais l’espoir est devant lui. Voici qu'apparaît une Russie démocratique, en paix avec tous ses voisins, et qui occupe toute sa place sur la scène internationale. Une Russie qui s’ouvre à l’économie de marché, veut s’insérer pleinement dans le commerce mondial et qui peu à peu retrouvera la prospérité. Une Russie avec laquelle tout redevient possible, avec laquelle les Français souhaitent construire l’avenir.
Russes et Français, nous entretenons une forte tradition de coopération.
Coopération culturelle bien sûr. Les échanges entre nos universités, nos centres de recherche, nos musées, ont résisté à notre éloignement. Ils connaissent aujourd’hui un développement remarquable et je m’en réjouis. C’est ce chemin, celui de l’esprit, de la culture, de la jeunesse, qu’emprunte d’abord l’amitié entre deux peuples.
Coopération scientifique aussi dont témoigne, avec éclat, dans le domaine spatial, la participation de la France à vos programmes de vols habités. Et je salue la présence parmi nous de Madame Claudie ANDRE-DESHAYE.
Coopération économique désormais. J’en ai longuement parlé lors de mon déjeuner avec nos communautés d’affaires. Ce doit être une forte priorité pour nos deux pays.
Au moment où la Russie se modernise et s’ouvre, et consent pour cela d’immenses efforts, la France se tient à vos côtés. Répondant à votre souhait, cher Boris Nicolaïevitch, la France va lancer rapidement un programme de formation de 1000 cadres russes.
Cet avenir que nous devons construire ensemble, c’est aussi celui de l’Europe.
La Russie doit être un partenaire privilégié de l’Union européenne. Un accord de partenariat et de coopération existe entre votre pays et l’Union. La France veillera à ce que sa mise en oeuvre soit exemplaire, toutes ses perspectives exploitées. Ainsi la Russie et l’Union européenne pourront-elles développer une véritable coopération, multiplier leurs échanges, partager succès et prospérité. Bref, nouer une solidarité pour, un jour, s’associer.
L’adhésion l’an passé de la Russie au Conseil de l’Europe consacre l’ancrage de la démocratie dans votre pays. Nous travaillons ensemble à la préparation du Sommet de Strasbourg. De la même manière, c’est sur notre impulsion commune que l’OSCE a décidé de se doter d’une charte sur la sécurité européenne.
Enfin, l'Acte fondateur, signé le 27 mai à Paris entre la Russie et l'Otan et qui fut pour vous, cher Boris Nicolaïevitch, un grand succès personnel, ne doit pas être perçu comme un aboutissement. Il doit être, et son nom l'indique, le point de départ d'une évolution continue, profonde et positive en Europe. Il doit être la pierre d'angle de la confiance, de la coopération et de la paix sur notre continent. Vous pouvez compter sur la France pour donner toute son ampleur à ce partenariat pour la sécurité.
Au-delà de l'Europe, c’est à l’échelle du monde que Russes et Français doivent agir ensemble. C’est ensemble qu’ils doivent répondre aux grandes questions de notre temps.
La paix bien sûr, toujours fragile, requiert notre vigilance de chaque instant et notre engagement conjoint. Nous travaillons main dans la main au Caucase, en Asie centrale, en Bosnie où nos soldats servent côte à côte, au Proche-Orient, et pour le désarmement.
C’est aussi en unissant nos efforts, notamment au sein du G8 et des Nations Unies, que nous pourrons mieux protéger l’environnement, que nous pourrons faire reculer ces terribles fléaux : la violence, le terrorisme, les trafics d’armes, de drogue, d’argent sale et d’êtres humains, tous ces maux qui sont la lèpre de nos sociétés. Ici-même, l’an dernier, le Président ELTSINE et moi-même avons co-présidé le premier sommet du G8 consacré à la sûreté nucléaire.
Ainsi, Monsieur le Président, à la faveur des immenses changements qui s’accomplissent chez vous, nos deux pays, qui sont deux grandes puissances, qui furent dans l’histoire deux grands alliés, qui se retrouvent aujourd’hui autour des mêmes valeurs, nos deux pays partagent désormais une même ambition : bâtir un grand partenariat franco-russe au service de la paix et de la prospérité, en Europe et dans le monde.
Je lève mon verre en l’honneur de son Excellence Boris Nicolaïevitch ELTSINE, Président de la Fédération de Russie, mon ami. Je le lève en l’honneur de Madame Naïna Iossifovna ELTSINA, à qui je présente mes très respectueux et très affectueux hommages.
Je le lève en l’honneur de la Russie éternelle, chère au coeur de la France. Je bois à votre grand peuple, ami et frère du peuple français. Je bois à notre amitié. |