CONFÉRENCE DE PRESSE

DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

À L'ISSUE DE SA VISITE EN TUNISIE

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AÉROPORT DE TUNIS - TUNISIE

SAMEDI 1er DÉCEMBRE 2001

LE PRÉSIDENT - Mesdames et Messieurs,

Je voudrais d'abord saluer et remercier les représentants de la presse tunisienne, de la presse française et de la presse étrangère. Je voudrais aussi remercier le Président BEN ALI pour l'accueil toujours aussi chaleureux qu'il veut bien me réserver. Je suis venu naturellement lui dire toute l'estime et l'amitié des autorités françaises et de la France, cela va de soi. Je tenais également à souligner, dans ce contexte en particulier, toute l'estime qui était la nôtre, et l'amitié aussi, pour la communauté tunisienne française qui apporte à notre pays beaucoup d'elle-même, le meilleur d'elle-même et à qui j'ai tenu à rendre un hommage particulier que chacun comprendra.

Naturellement, au cours de nos entretiens, nous avons d'abord évoqué la situation internationale pour constater que, s'agissant de notre jugement sur le terrorisme international, nous étions tout à fait sur la même ligne, ce qui d'ailleurs est normal pour deux pays amis qui se concertent beaucoup et qui, de surcroît, travaillent depuis près de deux ans la main dans la main au Conseil de sécurité de l'ONU. Je tenais à souligner, de ce point de vue, l'excellente coopération qui existe entre le représentant de la Tunisie et le représentant de la France au Conseil de sécurité de l'ONU.

Nous avons évoqué le problème des événements en Afghanistan pour souhaiter, bien sûr, l'éradication complète des réseaux d'Al Qaida et des réseaux de terrorisme international, se fondant sur l'idée simple que le terrorisme était un grand danger, un danger pour tout le monde, car il ne pouvait être en aucun cas considéré comme un moyen d'expression. C'est purement et simplement un crime, des associations de criminels qui doivent être traitées comme telles.

Nous avons naturellement évoqué, dans ce contexte, l'impérieuse nécessité d'une solution politique et de prendre en considération les problèmes humanitaires. Solution politique dont nous espérons qu'elle sortira, sous l'impulsion de M. Lakhdar BRAHIMI, des discussions actuelles de Bonn. Et l'humanitaire parce que, l'hiver s'affirmant en Afghanistan, nous risquons d'avoir une misère qui s'accroisse et il y a une vraie obligation morale et humaine d'apporter au peuple afghan le maximum de soutien par la voie humanitaire.

Nous avons sur ce plan de la lutte contre le terrorisme tenu une fois de plus, et chacun sait que c'est une conviction profonde chez le Président BEN ALI et en France, à condamner tous ceux qui veulent essayer de créer un amalgame entre le terrorisme et l'islam.

C'est un danger très grand et c'est une erreur très grave. L'islam, naturellement, est une religion de paix comme toutes les grandes religions et qu'on ne saurait en aucun cas, de près ou de loin, assimiler à des actions criminelles. Nous en avons néanmoins tiré la conclusion que, plus que jamais, le dialogue des civilisations et des cultures s'imposait. Vous savez que c'est l'un des thèmes chers au Président BEN ALI et c'est également un thème qui m'est cher. Nous souhaitons progresser le plus possible dans la voie ouverte par le dialogue des cultures et le dialogue des civilisations.

Nous avons évoqué les problèmes du Moyen-Orient. Le Président BEN ALI, qui est un homme de paix, reste très préoccupé, nous aussi. Nous avons dans ce domaine la même inquiétude et la même volonté, le même espoir, que le retour à la table de la négociation pourra se faire. Hélas, nous constatons que ce n'est pas le chemin que prennent les événements. Nous le regrettons. Et, comme l'exprimait le Secrétaire d'État américain dans son récent discours, comme l'ont dit ensemble, lors du dernier Conseil, les Européens, comme le disait ce matin le Président BEN ALI, il est vraiment urgent de faire comprendre aux deux parties en conflit, Palestiniens et Israéliens, que la violence ne conduit jamais à autre chose qu'à la mort ou au danger, à la peur. Il est temps de reprendre les discussions dans un esprit de paix, dans une volonté affirmée, clairement de part et d'autre, de paix.

Sur le plan bilatéral, nous n'avons pu que constater avec satisfaction l'excellence de nos relations économiques, culturelles, politiques, naturellement. Vous avez pu voir nombre d'échanges ministériels depuis ces derniers mois, de visites de ministres français en Tunisie et de ministres tunisiens en France.

Nous sommes en train de préparer de façon très active la Commission mixte tuniso-française qui aura lieu au mois de janvier et qui se prépare tout à fait bien. J'ai appelé l'attention du Président sur la nécessité de mettre un terme définitif à notre contentieux en matière immobilière. C'est tout à fait son avis. Et les dernières discussions sont en train de se faire, les dernières négociations sont en train de se faire. J'ai tout lieu de penser que ce petit contentieux sera complètement soldé à l'occasion de la prochaine réunion de la grande Commission mixte, en janvier prochain.

Voilà quelques commentaires que je voulais faire en exprimant à nouveau toute mon estime et ma reconnaissance au Président et aux autorités tunisiennes pour leur accueil et la qualité de nos relations.

QUESTION - Monsieur le Président, les opinions arabes sont préoccupées, s'agissant de la deuxième phase de la guerre contre le terrorisme. Avez-vous évoqué avec le Président BEN ALI l'éventualité que l'Irak soit une cible de cette deuxième phase ?

LE PRÉSIDENT - Je ne crois pas que l'on doit parler de deuxième phase. Il y a la guerre en Afghanistan, l'action militaire en Afghanistan, conduite par les Américains avec la solidarité et le soutien d'un certain nombre de pays chaque fois qu'ils ont été sollicités par les Américains. L'objectif étant, d'une part, de changer le régime taleban, car tout le monde considère que c'est un régime tout à fait archaïque et inadapté à un État moderne et à l'intérêt, sans aucun doute, des Afghans, et, deuxièmement, d'éradiquer l'organisation terroriste BEN LADEN.

C'est en train de se faire et on peut espérer que cette affaire soit conduite à son terme. Elle a été menée sous le contrôle de l'ONU, en accord avec l'ONU, puisque c'est en vertu de la résolution 1368 que l'action a été menée par les Américains dont l'ONU a dit qu'ils étaient en état de légitime de défense.

Dans l'état actuel des choses, je ne vois pas qu'il y aurait une extension du conflit. Sauf, naturellement, s'il apparaissait que des preuves formelles, indiscutables, sont données d'une collusion entre tel ou tel État et l'organisation terroriste internationale. Enfin, pour le moment, cela n'existe pas à ma connaissance et ce n'est pas à l'ordre du jour. Cela concerne, naturellement, tous les pays, en particulier l'Irak. Je crois que cette possibilité n'est pas d'actualité. Mais nous en avons parlé. Nous avons le même point de vue.

QUESTION - Deux questions, Monsieur le Président. La position de la Tunisie concernant le terrorisme a toujours été claire. Le Président BEN ALI, depuis les années 90, oeuvre pour lutter contre le terrorisme et convaincre la communauté internationale de faire de même. Comment jugez-vous cette position et quel rôle peut jouer la Tunisie au sein de la coalition internationale contre le terrorisme qui est en train d'être constituée, actuellement ?

Deuxième question, concernant l'avis de la France, partenaire privilégié de la Tunisie, sur les efforts fournis par la Tunisie, les efforts pour faire l'essor économique en Tunisie et surtout concilier le social et l'économique.

LE PRÉSIDENT - Sur le premier point, la position de la Tunisie dans la lutte contre le terrorisme est une position traditionnelle et bien connue, et que nous ne pouvons naturellement qu'appuyer, soutenir et respecter. Je dirai d'ailleurs que la position de la Tunisie de refus de l'intolérance et de l'intégrisme, notamment religieux, est également tout à fait exemplaire et mérite d'être soulignée. Cela va de soi que si chacun avait eu, dans tous les pays et quelles que soient les religions, la même attitude, il y aurait probablement eu beaucoup moins de problèmes et d'atteintes portées aux droits de l'Homme.

Alors, quel est le rôle de la Tunisie dans ce domaine ? Certainement de maintenir avec la fermeté nécessaire sa position en matière de lutte contre le terrorisme et de refus de l'intolérance et de l'intégrisme religieux et, peut-être, et surtout, d'être l'un des moteurs, ce qu'elle a vocation à être, du dialogue des cultures et des civilisations. Le Président BEN ALI en parle souvent, depuis longtemps. Il en a encore parlé récemment dans le discours qu'il a fait pour le 14e anniversaire, lorsqu'il a parlé de l'évolution, aussi, des institutions. Je crois que la Tunisie peut avoir un rôle important pour faire comprendre l'importance du dialogue des cultures et des civilisations. Sur ce point, nous sommes tout à fait sur la même ligne.

Alors, dans la deuxième question, il ne m'appartient pas de faire de l'ingérence dans les affaires tunisiennes. Je constate simplement que, depuis 14 ans, et sous l'impulsion du Président BEN ALI, la Tunisie connaît une évolution qui est marquée par un étonnant succès économique et social dont on trouve peu d'exemples parmi les pays émergents. C'est un pays qui a développé très largement sa classe moyenne, qui est toujours la base même d'une démocratie dynamique. C'est un des rares pays qui connaît une croissance économique régulière. Les experts européens, je cite ceux-là parce que j'ai vu récemment leur papier, considèrent que la Tunisie fera cette année probablement près de 5% de taux de croissance, malgré les effets négatifs des événements du 11 septembre, en particulier sur son tourisme et sur les activités de transport, notamment aéronautique. C'est un pays où les biens de consommation modernes, la petite voiture, l'ordinateur, la maison, sont de plus en plus accessibles à un nombre croissant et même maintenant très majoritaire de gens. Il y a peu de pays émergents qui peuvent se féliciter d'un tel bilan. Et donc, je crois que la Tunisie, sur le plan économique et social, est indiscutablement sur la bonne voie.

QUESTION - Comment évaluez-vous le niveau de la coopération bilatérale entre la France et la Libye en ce moment ?

LE PRÉSIDENT - La coopération entre la France et la Libye a beaucoup évolué depuis quelque temps et de façon très positive, tant sur le plan des rapports politiques, vous avez pu voir que, récemment, le ministre de la Coopération s'est rendu en Libye, que sur le plan économique. Et je souhaite, pour ma part, que ces relations continuent de s'améliorer.

QUESTION - Au point où nous en sommes des opérations militaires en Afghanistan, est-ce qu'il vous apparaît nécessaire, voire indispensable, d'approfondir la concertation diplomatique avec un certain nombre de pays, dont nous sommes amis et partenaires, donc des pays du Maghreb ? Parce que si ces opérations militaires en Afghanistan sont soutenues par beaucoup de pays, elles le sont parfois avec réticence ?

LE PRÉSIDENT - Je ne suis pas sûr qu'elles soient soutenues avec réticence, parfois peut-être avec réserve mais, dans l'ensemble, je crois que toute la communauté internationale a compris que les Américains étaient en état de légitime défense. Et aucun pays n'a réellement contesté, en tous les cas pas parmi les pays arabes et musulmans, en tout cas pas à ma connaissance, le bien-fondé de l'intervention militaire américaine. Il ne reste pas moins qu'il y a un problème et, quand il y a un problème, il vaut mieux essayer de le traiter. Et pour traiter un problème, il ne faut pas croire qu'on a la vérité révélée, il faut avoir un esprit de dialogue et de concertation et notamment entre les différentes parties. On nous a trop dit qu'il y avait possiblement un conflit de civilisations, ce à quoi je ne crois absolument pas. Et puisqu'on le dit, il vaut mieux essayer d'expliquer, ne serait-ce que pour la paix dans le monde, que tel n'est pas le cas, et faire en sorte qu'on se comprenne mieux.

Dans cet esprit, j'ai pensé qu'il était tout à fait légitime et naturel que je fasse un tour d'horizon avec des pays qui sont nos alliés privilégiés et nos amis, la Tunisie, l'Algérie, le Maroc. Parce que ce sont nos voisins, parce que beaucoup de choses nous lient, parce qu'ils appartiennent au monde arabe et musulman et parce qu'il est légitime que, dans notre réflexion, nous intégrions la leur et, je dirais, réciproquement. Alors, bien entendu, nous avons des relations permanentes au niveau des services, au niveau des ministres qui viennent très nombreux, notamment en Tunisie, nous avons aussi des contacts téléphoniques très fréquents entre les présidents tunisien, algérien et le roi du Maroc et moi, naturellement, mais rien ne vaut un bon entretien solide, en tête-à-tête, autour d'un bon café.

QUESTION - Monsieur le Président, vous faites une tournée dans les trois pays du Maghreb. C'est une première pour un chef d'État français de visiter en même temps les trois pays. Aujourd'hui, il y a un problème qui bloque, dans le Maghreb, c'est le problème du Sahara. Est-ce que vous comptez, lors de votre tournée, faire une médiation entre l'Algérie et le Maroc ?

LE PRÉSIDENT - Une médiation, certainement pas. Ce n'est pas mon rôle, ce n'est pas ma fonction et je n'ai pas l'intention de faire de l'ingérence dans les affaires intérieures du Maroc ou de l'Algérie, même si, naturellement, je souhaite la paix à tous égards.

Alors, vous dire pour autant que je n'en entendrai pas parler, cela m'étonnerait. Mais, enfin, je vous dis tout de suite que je n'ai aucune vocation. D'ailleurs il y a un médiateur, c'est M. James BAKER, et il fait le mieux possible son travail.

QUESTION - Monsieur le Président, est-ce que vous avez évoqué avec le Président BEN ALI le cas du Docteur MARZOUKI, comme les parlementaires européens vous avaient demandé de le faire, et aussi celui de Siham BENSEDRINE, la journaliste tunisienne qui a été primée cette semaine par Reporters sans frontières ? Il y a également ici un millier de prisonniers politiques, d'après Amnesty International. Est-ce que les relations politiques, économiques et culturelles entre la France et la Tunisie sont affectées par ces nombreux faits contre les droits de l'Homme ?

LE PRÉSIDENT - Parmi les sujets qui sont tout à fait naturellement évoqués entre un chef d'État européen et un chef d'État d'une autre partie du monde, il y a effectivement les problèmes de cette nature.

Je me suis pour ma part toujours efforcé de le faire sans pour autant alimenter les polémiques.

QUESTION - Monsieur le Président, les négociations piétinent à Bonn. Est-ce que vous estimez qu'une force internationale de paix, sous quelque forme qu'elle soit, en Afghanistan, est une condition à l'acheminement de l'aide humanitaire et à la reconstruction du pays ?

LE PRÉSIDENT - Certainement pas une condition à l'acheminement de l'aide humanitaire. Parce qu'il ne peut pas y avoir de conditions, et pas par ceux qui sont en charge d'apporter l'aide humanitaire, à l'apport de cette aide qui est indispensable. C'est un problème humain. Donc je suis contre toute conditionnalité. On peut en revanche parler de conditions, s'agissant de l'aide suivante, c'est-à-dire l'aide à la reconstruction de l'Afghanistan.

Alors, vous me demandez si je suis favorable à une force internationale. Là encore, je ne veux pas faire d'ingérence ou préjuger la solution. Elle ne peut se faire, cette force internationale, quelle qu'en soit la nature, qu'avec l'accord des autorités provisoires afghanes que, je l'espère, la conférence de Bonn permettra de mettre en place. Cela ne peut pas se faire contre elle.

QUESTION - Monsieur le Président, est-ce qu'avec le Président BEN ALI, vous avez évoqué les problèmes de l'Union du Maghreb, de l'UMA ?

LE PRÉSIDENT - Nous les avons évoqués. Nous avons regretté que l'UMA ne soit pas en situation de se réunir comme c'est dans sa vocation et je souhaite beaucoup que l'évolution des choses permette la réunion de l'UMA, qui est un processus me semble-t-il inéluctable à terme, et souhaitable pour l'ensemble des pays qui la composent. Je sais que c'est l'avis du Président BEN ALI et je partage complètement son avis.

Mesdames, Messieurs, je vous remercie.