Discours de M. Jacques CHIRAC Président de la République à l'occasion de la tenue à Paris de la Conférence de paix sur l'ex-Yougoslavie.
Palais de l'Elysée, le Jeudi 14 Décembre 1995
Messieurs les présidents,
Messieurs les chefs de gouvernement,
Messieurs les secrétaires généraux,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec émotion et avec gravité que j'accueille aujourd'hui, à Paris, la Conférence de paix qui scelle un règlement global du conflit yougoslave.
L'espérance qui se lève pour tous les peuples de l'ancienne Yougoslavie n'effacera certes pas les deux cent mille morts du conflit le plus meurtrier que l'Europe ait connu depuis la Seconde Guerre mondiale, avec son cortège de souffrances, ses millions de blessés et de réfugiés et ce déchaînement de l'horreur laissera une blessure profonde au coeur de l'Europe. Elle donne la mesure des efforts qu'il nous faut accomplir pour construire ensemble la paix.
Au moment où la France accueille la Conférence de l'espoir, je pense aux cinquante-six militaires français qui ont payé de leur vie leur engagement au service de la paix. Je pense à leurs familles et à leurs proches. Je pense aux casques bleus de toutes les nationalités tués ou blessés dans cette tragédie et je me dis nous devons, aujourd'hui, être dignes de leur mémoire et dignes de leurs souffrances.
Je rends hommage à tous ceux, militaires ou bénévoles humanitaires, qui ont risqué leur vie pour que la paix l'emporte sur la guerre. Pour que le respect de l'autre l'emporte sur la haine.
J'exprime aussi toute ma gratitude aux partenaires de la France qui se sont mobilisés à nos côtés pour obtenir la libération des deux pilotes français détenus pendant plus de cent jours en Bosnie.
Le traité de paix que nous allons signer est le résultat de l'accord intervenu entre les présidents des Etats issus de l'ancienne Yougoslavie. Ils ont choisi la voie de la réconciliation, cet accord est aussi le fruit de la détermination manifestée ces derniers mois par l'ensemble de la communauté internationale.
Cette détermination s'est traduite d'abord par la mise en place de la Force de réaction rapide. Ses moyens, conjugués à ceux de l'OTAN, ont modifié l'équilibre des forces sur le terrain, ont garanti le respect à nos soldats et ont ouvert ainsi la voie de la paix. L'harmonisation progressive des positions des pays européens, des Etats-Unis et de la Russie, dans le cadre du Groupe de contact mis en place à l'initiative de M. Alain Juppé, a créé les conditions du succès des négociations de Dayton, et je tiens à saluer la contribution déterminante de la diplomatie américaine dans ce succès.
Le rétablissement durable de la paix incombera d'abord aux Etats et aux communautés de la région et j'appelle les responsables à tourner définitivement la page de la guerre et de la haine. Je les invite à écrire ensemble, en hommes d'Etat et en hommes de paix, le chapitre de la réconciliation. Qu'ils s'inspirent de la grande leçon que nous ont donnée, en leur temps, le Chancelier Adenauer et le Général de Gaulle.
Messieurs les présidents, le soutien déterminé de la communauté internationale vous est indispensable sur ce chemin difficile. Permettez-moi de dire que celui de la France vous est acquis.
Par ses troupes déjà présentes au sol, elle fournira l'un des principaux contingents de la Force internationale, chargée de l'application militaire de l'accord. Aux côtés du "haut représentant", notre ami Carl Bildt, la France contribuera à la mise en place d'institutions démocratiques en Bosnie ; elle veillera au retour des réfugiés dans leurs foyers, elle soutiendra l'entreprise de reconstruction.
La France n'a ménagé aucun effort pour défendre l'identité d'une Bosnie-Herzégovine unie, pluriculturelle et démocratique. C'est dans ce même esprit qu'elle contribuera à la pleine mise en oeuvre de l'accord signé aujourd'hui.
Ce qui est en jeu, c'est notre sécurité. Ce sont nos valeurs. C'est aussi une certaine idée de l'Europe.
Notre engagement en Bosnie répond à un idéal. Il traduit notre refus des haines ethniques ou religieuses, de l'intolérance, de la violence.
Les peuples qui composent la Bosnie doivent réapprendre à vivre ensemble, dans le respect de leurs différences. Les croyances de chacun doivent pouvoir s'y exprimer librement dans le cadre d'institutions républicaines et démocratiques. Dans cet esprit, j'ai souhaité que les pays de l'Organisation de la conférence islamique soient étroitement associés au règlement de paix et je tiens aujourd'hui à rendre hommage à leur rôle et à leur action.
Tous les peuples de l'ancienne Yougoslavie ont leur place dans la famille européenne. La France, depuis le Général de Gaulle, a toujours refusé les barrières élevées au coeur de notre continent. L'amorce d'un processus de stabilité et de bon voisinage dans le Sud-Est de l'Europe, qui constitue l'un des acquis de la Conférence de Paris, s'inscrit dans cette vision.
Aujourd'hui, nous apportons aux peuples de l'ancienne Yougoslavie une promesse de paix. Mais la vraie paix reste à construire, dans les esprits et dans les coeurs, et avec elle la démocratie, la liberté des hommes et la réconciliation des peuples.
Sachons leur tendre une main fraternelle.|