DISCOURS DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC

PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

A L'OCCASION DE LA REMISE DU PRIX DE L'AUDACE CREATRICE

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Palais de l'Elysée - Vendredi 6 février 1998

Monsieur le Président,

Cher Monsieur SABATÉ,

Mesdames et Messieurs les chefs d'entreprise,

Je me joins naturellement à vous, Monsieur le Président, pour présenter toutes mes félicitations à l'entreprise SABATÉ, avec une pensée pour Monsieur Augustin SABATÉ, avec de l'estime pour son fils et ses frères. L'entreprise SABATÉ, lauréate du Prix 1998 de l'Audace Créatrice, est ainsi marquée comme étant un exemple de dynamisme et d'intelligence.

Je tiens également à dire toute mon estime et toutes mes amitiés à toutes les entreprises qui ont été sélectionnées pour ce Prix. Car pour elles aussi, même si elles n'ont pas finalement été retenues, c'est un encouragement à poursuivre dans la voie du développement et de la croissance.

Enfin, je remercie les membres du jury et tout particulièrement son Président, Monsieur Marc LADREIT de LACHARRIÈRE. Vos talents de financier et d'industriel, cher Ami, votre vocation d'entrepreneur vous ont permis de construire un groupe important, très important sur la place de Paris, groupe à la fois familial et international. Et ce Prix, imaginé à l'origine par notre Ami, Raymond BOURGINE, repris, relancé et articulé par vous-même, témoigne de votre rôle de mécène et de citoyen.

Vous venez de le souligner, le Prix de l'Audace Créatrice récompense une certaine conception de l'entreprise, un choix et une forme forte de courage.

Une conception : considérer l'entreprise comme une communauté d'énergies et de talents, tendue vers un projet commun. Un choix : ne pas privilégier les seules données comptables au détriment des hommes, tant il est vrai qu'" il n'est de richesses que d'hommes ". Et aussi du courage : celui de partir, chaque jour, dans une concurrence économique impitoyable, à la conquête de nouveaux marchés.

La réussite de l'entreprise SABATÉ, lauréate de ce Prix de l'Audace Créatrice, c'est d'avoir compris que l'alliance de la tradition et de la haute technologie, la qualité du dialogue social, la continuité et la solidité, vous l'évoquiez tout à l'heure, Monsieur le Président, du capitalisme familial sont devenus les principaux ressorts du développement des entreprises.

Le succès d'une entreprise, c'est d'abord celui de son créateur, de celui qui la dirige, qui croit à son projet, qui s'investit tout entier au service d'une idée, d'un produit, d'un concept et qui parvient à faire partager sa passion à ses collaborateurs et à ses clients.

Le concept, en l'occurrence, c'est celui d'un bouchon révolutionnaire, qui montre une fois de plus que tous les secteurs, même les plus traditionnels, peuvent faire preuve d'innovation.

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Pour réussir, et vous le savez bien, vous qui dirigez des entreprises de taille moyenne pour l'essentiel, l'entreprise doit innover. Dans un monde où tout change très vite, les techniques, les modes de vie, les habitudes de consommation, où, chaque jour, de nouvelles activités, de nouveaux produits, de nouveaux services apparaissent -voyez le succès du téléphone mobile et des ordinateurs multimédias-, l'entreprise doit être constamment à l'écoute des besoins des clients. Elle doit les anticiper. Elle doit sans cesse se tenir informée des progrès de la recherche. Elle doit sans cesse se doter des matériels les plus performants possibles.

Aux Etats-Unis, je lisais cela dans une revue sérieuse il y a peu de temps, la moitié de ce qui s'achète aujourd'hui existe depuis moins de cinq ans. C'est dire que l'entreprise ne doit jamais, jamais, s'arrêter dans son effort d'innovation.

Cette course à l'innovation, la France et ses entreprises peuvent et doivent la faire en tête. Il y a quinze jours, à Bombay, la capitale économique d'un pays qui sera, dans vingt ans, l'une des premières puissances économiques du monde, je soulignais la vitalité de la France et je rappelais ses atouts : sa recherche, qui est l'une des meilleures du monde, ses hommes et ses femmes qui sont parmi les mieux formés, ses savoir-faire qui sont unanimement reconnus.

Mais pour innover, il faut être audacieux. Et l'audace, c'est en réalité un état d'esprit. Et c'est d'abord un apprentissage.

Il est vrai que notre système éducatif, nos mentalités, le poids de l'Etat dans notre pays, cette idée, trop souvent partagée, que la réussite c'est d'abord une carrière administrative, tout cela ne concourt pas à diffuser l'esprit d'entreprise chez nos compatriotes. Tout cela ne les incite pas à se lancer dans l'aventure de l'entreprise, à créer leur outil de travail, à prendre des risques.

Et c'est aussi pourquoi tant de chefs d'entreprise, et notamment de dirigeants de petites et moyennes entreprises, se sentent souvent incompris, voire mal aimés, Marc de LACHARRIÈRE le disait tout à l'heure et il avait raison. C'est l'une des raisons de ce malentendu persistant entre une partie du corps social et politique et ceux qui créent la richesse dans notre pays. Le regard de la société française sur l'entreprise doit changer. Et d'ailleurs, il change mais pas assez vite.

Nous ne pouvons aborder le XXIème siècle avec de vieux réflexes. Aux Etats-Unis, encore eux, les élèves les plus brillants des meilleures universités n'ont qu'une ambition, lorsqu'ils sortent de l'école, c'est de créer leur propre entreprise.

Ce Prix de l'Audace Créatrice, cher Marc de LACHARRIÈRE, c'est le Prix, on peut le dire, de la passion. La passion, il faut en avoir aujourd'hui pour mener le vaisseau de l'entreprise, mobiliser l'équipage, trouver les courants, éviter les écueils, bref, gagner la course.

Voilà pourquoi nous devons encourager nos entreprises.

Cela passe par l'indispensable réforme de notre système fiscal, notamment en matière de participation, de transmission d'entreprise, de taxe professionnelle. Cela passe par la baisse des charges qui pèsent sur le travail, par la simplification et la codification systématiques des normes, par l'orientation privilégiée de l'épargne vers les fonds propres des entreprises au moyen de fonds de pension ou de structures de capital-développement. Cela passe par une négociation sociale plus libre au niveau de l'entreprise.

Nous devons également reconnaître tout ce que nous apporte d'essentiel l'entreprise qui gagne.

Car il est une autre idée, je crois, à l'origine de ce Prix, c'est l'idée selon laquelle la compétitivité et l'emploi, vous l'avez souligné tout à l'heure, ne sont pas antinomiques, mais sont en réalité profondément complémentaires, directement ou indirectement.

Le mérite du Prix de l'Audace Créatrice, c'est de mettre en avant la réussite d'entreprises qui, comme SABATÉ, conjuguent des résultats économiques et financiers brillants avec les critères, les chiffres ont été donnés tout à l'heure, la progression spectaculaire de leurs effectifs. La démonstration est ainsi faite que la croissance est la condition préalable de l'emploi.

Dans le monde d'aujourd'hui, rien ne nous sera donné. Ni les richesses, ni les emplois, ni la capacité d'influence. Ou plus exactement rien que nous n'ayons dû conquérir au prix de notre travail, de notre imagination et de notre volonté.

C'est ainsi que nous reconstituerons maille après maille notre tissu social, car il n'est pas de société équilibrée et prospère sans la reconnaissance de la valeur du travail. Le travail n'apporte pas qu'un revenu, en vérité il construit les identités sociales.

Mesdames et Messieurs, la croissance et le retour à des taux d'activité élevés restent, sont à notre portée.

Chacun d'entre nous, à la place où il se trouve, doit se mobiliser pour faire preuve, à votre image, d'audace et de création. Retrouvons le sens de l'action dans le monde tel qu'il est, et non tel que nous le voudrions. Trouvons en nous-mêmes, comme nous avons su le faire à d'autres époques de notre histoire, l'énergie et l'élan du redressement, la vitalité et les perspectives du développement.

Je vous félicite Monsieur SABATÉ, je vous remercie Monsieur de LACHARRIÈRE et, à toutes et à tous, je suis heureux de vous accueillir, dans cette maison, à l'occasion de la remise de ce Prix.