DISCOURS DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC
president de la republique
lors de l'inauguration
DE LA CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES DE NANTES
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nantes
JEUDI 6 AVRIL 2000
Messieurs les présidents du Conseil général et du Conseil régional,
Monsieur le maire,
Madame et messieurs les parlementaires,
Monsieur le président du Conseil d'administration,
Madame la présidente de la Caisse nationale d'allocations familiales,
Monsieur le président de l'Union nationale des associations familiales,
Mesdames, messieurs,
Je vous remercie de votre accueil chaleureux. Mme Prud'homme l'a souligné après M. L'Hôtellier, le réseau des caisses d'allocations familiales est soumis depuis une dizaine d'années à des sollicitations de plus en plus fortes, qui se sont encore accrues ces derniers temps. Il y fait face grâce à la mobilisation permanente de tous ses agents. La tâche est lourde, la responsabilité essentielle. Au coeur de la vie sociale, vous êtes présents sur tous les terrains de la solidarité : d'abord la famille, cela va de soi, mais aussi l'action sociale, l'aide à l'enfance, le logement, l'exclusion. Sachez bien que votre travail est connu et apprécié de tous les Français. Je suis venu vous en rendre témoignage.
J'ai été très favorablement impressionné par la visite que je viens de faire, heureux et intéressé par les quelques échanges que j'ai pu avoir avec un certain nombre d'entre vous. Vous faites à Nantes un travail remarquable. Plus de 200 000 foyers de la Loire-Atlantique bénéficient chaque mois de votre effort. Cette mission, vous la remplirez désormais dans des conditions plus favorables, et ce n'est que justice.
Permettez-moi d'abord de féliciter tous ceux qui ont concouru à la réalisation de votre nouveau siège, et en particulier les architectes, les entreprises et tous leurs collaborateurs. Je sais que vous attendiez cette belle construction depuis longtemps pour pouvoir disposer de locaux plus spacieux, offrir un meilleur accueil et poursuivre votre tâche au service des assurés sociaux dans de bonnes conditions. Je sais aussi que les uns et les autres, vous avez tous contribué à rendre possible cet investissement important par un travail qui place votre établissement au tout premier rang en France, tant pour la qualité de service que pour la maîtrise des coûts de gestion.
Ces performances ont joué leur rôle, nul ne l'ignore, dans la décision de la caisse nationale d'allocations familiales de financer cette opération d'une ampleur un peu exceptionnelle. Voilà un bel exemple pour la modernisation de nos services publics. Il s'en dégage des enseignements qui pourraient aisément être transposés à d'autres situations. Cela suppose de savoir organiser les administrations en centres de responsabilité et de gestion à taille humaine, dotés de leurs propres objectifs, forts d'une autonomie d'action suffisante et d'une véritable capacité de dialogue social.
Un meilleur service des usagers, une meilleure organisation du travail, des dépenses de fonctionnement maîtrisées permettent aussi de dégager de nouvelles ressources pour améliorer le cadre et les conditions du travail, enrichir les tâches, proposer de nouvelles formations au bénéfice de chaque agent.
Rien n'est jamais totalement simple, bien sûr. Il faut du temps. Il faut du dialogue. Des ajustements sont toujours nécessaires. Des attentes sont parfois déçues. Mais une certitude s'impose : on ne modernise pas contre ceux qui ont en charge le service de l'intérêt général, on modernise avec eux, par eux et aussi pour eux, sans oublier que les destinataires ultimes de la modernisation, ce sont les usagers eux-mêmes, nos concitoyens.
Le souci permanent de l'intérêt des usagers est plus fort encore dans le cas des organismes sociaux, car pour une large part de leur activité, c'est d'abord aux personnes démunies qu'ils s'adressent, à ceux qui dépendent le plus du service public, parce qu'ils sont tributaires de la solidarité.
Le développement d'une action sociale très diversifiée et l'augmentation du nombre de prestations sous condition de ressources a donné aux caisses d'allocations familiales des responsabilités particulières à l’égard des familles les plus défavorisées.
Tout naturellement, la gestion du RMI leur a été confiée dès sa création. C'est une mission dont personne n'avait prévu l'importance qu'elle allait prendre. Il est juste de dire que les moyens n'ont pas toujours suivi.
Le RMI, l'allocation de parent isolé, les prestations familiales que vous gérez, et notamment les allocations de logement, ne relèvent jamais du superflu. Pour le loyer, pour l'électricité, voire pour l'alimentation, un retard de quelques jours peut avoir des répercussions très graves pour la vie d'une famille. Je sais combien vous y êtes attentifs.
Plus que tout autre service public, vous devez être efficaces et rapides - et vous l'êtes malgré les difficultés et les contraintes d'une activité "à flux tendus" qui intègre chaque mois de très nombreux changements.
Mais l'efficacité n'est pas tout et au contact des personnes en détresse vous ajoutez à votre fonction technique une écoute, une attention aux difficultés, une préoccupation pour autrui qui distinguent vos missions de bien d'autres activités administratives.
On ne peut faire vos métiers avec indifférence. Il faut y mettre de la bienveillance, de l'humanité, de la chaleur. C'est bien ainsi que je conçois les solidarités modernes, qui doivent s'incarner, créer du lien entre les hommes, dépasser les relations de droit et d'argent.
L'aide matérielle peut beaucoup, mais rien ne remplace l'engagement d'hommes et de femmes au service d'autres hommes, d'autres femmes.
Le RMI a constitué un grand progrès pour beaucoup de personnes confrontées à l'accumulation des difficultés de la vie : emploi, logement, santé et souvent aussi problèmes familiaux.
Cependant, peu à peu, une partie des ambitions initiales a été perdue de vue. Le législateur souhaitait que le contrat d'insertion, qui est obligatoire et doit avoir un vrai contenu, permette de sortir rapidement de l'assistance. Tel n'a malheureusement pas été le cas et le nombre des allocataires continue à augmenter chaque année à un rythme élevé. Il approche aujourd'hui 1 200 000 personnes. Plus de la moitié sont au RMI depuis deux ans au moins. Nous ne pouvons ni l'ignorer, ni bien sûr nous en satisfaire.
Vous aurez beau assurer pleinement la part qui vous revient, la pauvreté ne sera bien combattue que le jour où le volet "insertion" du RMI rentrera complètement dans les faits.
La solidarité n'a pas pour ultime finalité de permettre aux gens de survivre dans l'exclusion mais de les aider à en sortir. Cela suppose de s'appuyer sur les communes, sur le réseau des associations, sur les services de l'emploi, en mettant en oeuvre une entraide fraternelle, une solidarité de personne à personne. Solidarité de proximité. Solidarité de la main tendue. Solidarité qui attend un retour de la part de celui qui reçoit, l'engagement de se mettre en mouvement, en fonction de sa situation personnelle, de ses possibilités et du soutien qui peut lui être apporté.
Trop de complaisance conduit aussi sûrement qu'une rigueur aveugle au découragement et au renoncement. Il serait absurde d'exiger des plus vulnérables ce qu'ils ne peuvent donner. Mais il n'est pas plus responsable de renoncer à demander aux bénéficiaires de l'assistance les gestes, les signes et les efforts qui leur ouvriront les voies de la réinsertion. Cette attente que la collectivité doit manifester à leur égard, tous peuvent la comprendre et l'accepter. Elle est aussi pour eux une démonstration de confiance dans leur capacité d'avancer et dans notre capacité de les aider.
Vous assumez également la plus lourde part de la politique familiale. C'est pour moi une priorité nationale et je souhaite vous en parler aussi.
Il est devenu tellement habituel de dire que la politique familiale ne se réduit pas à des prestations que l'on finirait presque par oublier l'importance de celles-ci. Elles constituent aujourd'hui un socle solide, encore élargi par la loi de 1994, dont la mise en oeuvre reste cependant inachevée.
La France s'est dotée très tôt d'une politique familiale ambitieuse, qu'elle a su faire évoluer au fil des années. C'est une politique globale qui prend aussi en compte le travail, la santé, le logement, l'éducation dès la maternelle et, bien sûr un régime fiscal fondé sur le quotient familial que je considère comme un acquis essentiel.
Cette ambition familiale nous situe parmi les pays les plus actifs dans ce domaine. Elle va, pour les couples, dans le sens d'une plus grande liberté de choix et de projets. Elle soutient notre dynamisme démographique qui, même insuffisant, reste une de nos forces et constitue un atout essentiel pour assurer la croissance durable de notre économie.
C'est la raison pour laquelle il est indispensable de garantir la progression des recettes de la branche "famille" et d'appliquer scrupuleusement ce principe fondamental de la sécurité sociale qui veut que les excédents de la caisse nationale d'allocations familiales ne puissent être dérivés pour le financement d'autres branches. Ce n'est évidemment pas en freinant l'évolution des moyens consacrés aux familles que l'on contribuerait à résoudre le problème des retraites, bien au contraire.
La France a su prendre des options essentielles qu'il faut préserver :
- l'universalité des allocations familiales, attribuées dès la naissance du deuxième enfant ;
- l'allocation parentale d'éducation, qui est aujourd'hui un acquis fondamental ;
- et enfin des prestations sous conditions de ressources pour aider les familles modestes.
Cette politique doit en permanence s'enrichir et s'adapter, en prenant soin toutefois de ne pas céder à la tentation d'une dispersion de notre effort financier, sans effet utile pour les familles. Sachons aussi aller aux devants des nouveaux besoins. Je pense à l'accueil des jeunes enfants. Je pense à la prise en compte des jeunes adultes restés à la charge de leurs parents. Je pense aux familles monoparentales. Je pense à l'amélioration de l'environnement général pour que les jeunes couples puissent s'engager plus facilement dans la vie familiale.
Il est primordial que la politique familiale soit neutre à l'égard des femmes et des options qu'elles prennent pour organiser leur vie. Elle n'a pas à peser sur des décisions aussi personnelles que l'activité professionnelle et le temps familial. Elle ne doit pas non plus enfermer les femmes dans des choix définitifs. Garder sa liberté, pouvoir changer, faire des aller-retour, c'est aujourd'hui essentiel.
Le travail féminin est désormais ancré dans la vie des familles – vous en témoignez d'ailleurs, Mesdames, qui êtes fortement majoritaires au sein de la caisse, et vous auriez certainement beaucoup à dire à ce propos. C'est une aspiration profonde et c'est souvent aussi une nécessité d'évidence. Mais ce n'est pas une norme, pas plus que le choix de s'occuper à plein temps de sa famille. Toute démarche de promotion d'un modèle unique et figé, quel qu'il soit, doit être récusée. Ce serait une approche périmée, réductrice, uniformisatrice, sans rapport avec les réalités mouvantes de la liberté contemporaine.
L'Etat n'a pas à s'immiscer dans des décisions parfaitement assumées au plan individuel et qui relèvent de la liberté de chaque femme, de chaque foyer. Il doit au contraire faciliter l'exercice de cette liberté, élargir le champ du possible, créer de la souplesse dans l'organisation sociale. Personne n'attend plus aujourd'hui qu'on lui dise ce qu'il doit faire, mais chacun aimerait en revanche pouvoir faire ce qu'il a décidé dans un cadre plus favorable à ses choix. Nous sommes encore loin du compte, et cela s'applique à bien d'autres domaines que la famille.
La question ne se résume pas au problème central de l'équilibre entre vie familiale et vie professionnelle. A cet égard, beaucoup reste à faire, notamment pour faciliter la garde des jeunes enfants. D’abord à domicile. Sur ce sujet important, aucune restriction n'est compréhensible. Nous devons nous montrer audacieux. Des mécanismes nouveaux et ambitieux de déduction fiscale, simples, transparents, favorables à l'essor de l'emploi familial, doivent être imaginés.
La création de crèches ensuite. Elle devrait pouvoir faire l'objet de conventions entre les caisses d'allocations familiales et les entreprises ou les groupements d'entreprises car la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle est aussi une responsabilité de la communauté de travail. Vous y avez pensé au moment de concevoir votre nouvel établissement. C'est un avantage appréciable pour les familles qui vivent à proximité.
Il est par ailleurs nécessaire d'étendre les possibilités de suspendre une activité professionnelle pour raisons familiales. La création d'un "congé de solidarité familiale", aujourd'hui très attendue par les familles, permettrait aux personnes qui le souhaitent d'être plus présentes auprès de parents âgés ou d'enfants adolescents.
La reprise d'emploi après des périodes d'interruption pose cependant de réels problèmes.
Le droit du travail permet en principe un retour dans l'entreprise pour les mères, ou plus rarement les pères, qui ont demandé le bénéfice du congé parental. La situation des femmes qui étaient sans emploi au moment de la naissance de leurs enfants demeure cependant très mal résolue. Personne ne le conteste. Mais priver les femmes de l'allocation parentale d'éducation pour les inciter à se remettre très vite au travail, ce serait leur imposer une véritable régression sociale et familiale au nom de la conception que l'Etat se ferait à leur place de leur intérêt bien compris. Ce ne serait ni raisonnable ni respectueux de la liberté de choix.
D'autres moyens, beaucoup plus efficaces, doivent être explorés. Ils passent par une forte implication des partenaires sociaux, qui pourraient en faire une priorité du dialogue social au moment où ils entreprennent de moderniser en profondeur leurs relations.
C'est un domaine dans lequel l'imagination sociale n'est pas en avance. La France a multiplié les instruments de la politique de l'emploi en direction de nombreux publics prioritaires, mais ni l'Etat ni les partenaires sociaux ne se sont vraiment préoccupés d'accompagner le parcours difficile des mères qui souhaitent reprendre un emploi après un temps plus ou moins long d'interruption. Pourquoi ne pas imaginer, quand s'achève la période d'allocation parentale d'éducation, d’encourager leur embauche par un "contrat parental de libre choix " aidé par l'Etat, la CNAF ou l'assurance-chômage, et assorti s'il y a lieu d'une période de formation ? Voilà un champ nouveau qui peut s'ouvrir à la discussion. C'est ainsi que l'on s'écartera des voeux pieux et des incantations pour faire avancer concrètement un libre choix qui ne soit pas à sens unique.
Enfin, s'agissant de la situation fiscale des couples, l'arrivée d'un deuxième salaire devrait pouvoir être prise en compte pour éviter de pénaliser la reprise d'activité des femmes en faisant franchir brutalement au ménage un pallier d'imposition. La même logique pourrait s’appliquer aux allocations de logement.
La modernisation du service public, le combat plus que jamais nécessaire de l'insertion, la politique familiale et les conditions d'une plus grande liberté de choix pour les femmes, autant de questions qui vous placent au centre des problématiques du XXIème siècle. Vous les vivez à titre personnel, vous les vivez aussi dans l'accomplissement des missions qui vous sont confiées au service de nos concitoyens.
Faites connaître votre action. Faites connaître vos réalisations. Elles témoignent de l'étendue de vos responsabilités. Elles révèlent toute l'actualité du service public. Elles montrent son aptitude au dialogue social et au changement dans l'intérêt de toute la collectivité.
Permettez-moi de vous le dire, au sein d'un organisme social comme le vôtre, vous prouvez qu'il est possible de mieux faire que dans beaucoup d'entreprises. La gestion paritaire de la sécurité sociale reste à mes yeux une richesse pour demain. En démontrant une forte capacité de réforme, de progrès et d'efficacité, vous donnez de nouveaux arguments à ceux qui voudront l'ancrer dans l'avenir de notre société et assurer son renouveau.
Je vous remercie. |