Point de presse conjoint de M. Jacques CHIRAC, Président de la République et de M. Jean CHRETIEN, Premier ministre du Canada, au Parlement.
Ottawa - Canada
MERCREDI 1er septembre 1999
LE PREMIER MINISTRE JEAN CHRETIEN – Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux d'avoir le Président de la République française avec moi ici à Ottawa cet après-midi. Nous avons eu une rencontre très intéressante qui a duré une heure. Le Président est arrivé au Canada pour une courte visite ici. Il se rendra à Québec demain et nous serons ensemble vendredi, samedi, dimanche matin, pour la réunion et le Sommet de la francophonie. Et ensuite, le Président, qui s'intéresse depuis très longtemps aux Inuits et aux premiers citoyens du Canada, fera une visite avec moi dans les territoires du Nunavut. J'espère qu'il sera très heureux de son séjour au Canada et je suis très, très fier qu'il soit avec moi ici au Canada.
LE PRESIDENT: - Je dirais simplement que je suis très heureux d'être ici, très heureux, d'abord, parce que je le suis chaque fois que je rencontre Jean Chrétien avec qui j'entretiens des relations extrêmement chaleureuses et amicales et maintenant, il faut le dire, anciennes. Heureux d'être dans un pays qui, pour la France, est un partenaire essentiel, notamment dans les grandes organisations internationales et dans le G8, avec, notamment depuis la décision que nous avons prise de créer un partenariat renforcé, des liens qui sans cesse se développent. C'est vrai sur le plan économique. C'est vrai sur le plan politique, culturel et je disais tout à l'heure que, depuis ces toutes dernières années, jamais nous n'avons eu autant de rencontres bilatérales de hauts fonctionnaires, de responsables économiques ou politiques et qu'il apparaît très clairement que la relation entre le Canada et la France, la France et le Canada, est une relation qui se développe de façon très solide et très dynamique, je dirais très moderne.
Naturellement je suis très heureux que le Sommet de la francophonie ait lieu à Moncton et que nous y soyons ensemble. Nous avons appris juste avant de nous réunir que, pratiquement, un très large accord était intervenu sur l'ensemble des problèmes techniques qui étaient soumis au Sommet et ceci au niveau de la Conférence ministérielle qui a eu lieu aujourd'hui. Ce qui veut dire que la francophonie devient un élément dynamique. Il ne s'agit pas d'une organisation cherchant à défendre une langue, mais une organisation cherchant à mener un combat offensif pour une diversité culturelle à laquelle aussi bien le Canada que la France sont particulièrement attachés.
Et puis, merci de l'invitation de Jean Chrétien d'aller en terre Inuit ce dont je me réjouis beaucoup effectivement.
Voilà, alors, n'ayant pas le talent bilingue de Jean Chrétien je ne poursuivrai pas en anglais mais je sais que tout le monde ici parle le français et le comprend.
QUESTION: - Vos relations semblent plutôt cordiales, amicales. Vous y avez fait référence. Pourtant cela n'allait pas nécessairement de soi, on se souvient, Monsieur Chrétien, de votre déclaration quand vous aviez, disons, sous-estimé les chances de Monsieur Chirac de remporter la course à la Présidence....
LE PRESIDENT: - Il n'était pas le seul ! Je vais vous dire, c'était un avis très généralement partagé. C'est le contraire qui aurait été étonnant. Et cela m'aurait peut-être porté malheur !
QUESTION: - Ma question est la suivante. Est-ce que vos relations s'appuient, disons, sur des intérêts nationaux qui sont convergents ou sur des affinités personnelles réelles ?
LE PRESIDENT: – Je vais, si vous le permettez, répondre : les deux. Et c'est comme ça que fonctionne le monde. C'est cela la vie. S'il n'y avait pas des intérêts convergents entre le Canada et la France, je dirais d'ailleurs plus généralement entre l'Amérique du Nord et l'Europe, alors bien sûr les relations pourraient être amicales mais elles ne seraient pas réellement profondes, solides, concrètes.
Et puis, on pourrait avoir des relations convergentes et une incompatibilité d'humeur et cela gênerait les choses, cela n'empêcherait pas tout, mais cela gênerait les choses.
Et là, nous nous trouvons dans le troisième cas de figure, il y a une ancienne amitié entre Jean Chrétien et moi qui ne s'est jamais démentie, même quand nous n'avons pas été d'accord sur tel ou tel sujet.
Et puis il y a une convergence croissante des intérêts entre nos deux pays, on le voit bien notamment lorsque nous sommes ensemble au G8.
LE PREMIER MINISTRE JEAN CHRETIEN – Régulièrement, soit au G8 ou à l'OTAN ou aux Nations Unies, nous nous retrouvons très souvent du même côté dans des grands dossiers. Alors, le Président et moi-même, nous pouvons converser très directement au téléphone, on s'appelle de temps en temps. Et je pense aussi à la diversité culturelle, qui sera un des éléments débattus au Sommet de la francophonie, nous avons eu des intérêts communs depuis de nombreuses années et nous avançons dans ce dossier côte à côte parce que, ce qui est important pour la France est important aussi pour le Canada. C'était la même chose lorsqu'il y a eu des discussions concernant la présence de l'OTAN au Kosovo. Nous étions en accord très souvent et, dans certaines situations en Afrique, Monsieur le Président et moi-même nous nous sommes parlés au téléphone pour voir si on ne pouvait pas aider à régler des problèmes. Alors, les intérêts canadiens et français sont très souvent les mêmes et nous sommes deux jeunes politiciens, nous sommes en politique depuis quelques années, alors, dans la fraternité des politiciens, on s'entend très bien.
QUESTION: - Il semble bien que, depuis Hanoi, on veuille donner une dimension politique à l'Agence de la francophonie. La question c'est de savoir de quelle façon, précisément, notamment sur la question des Droits de l'homme. Tout le monde sait que plusieurs des pays présents au Sommet de la francophonie bafouent ouvertement les droits de la personne. Plusieurs de ces gouvernements seraient honnis dans nos propres pays. Est-ce que la dimension politique que pourrait prendre l'Agence de la francophonie pourrait aller jusqu'à exclure ces pays comme l'a fait le Commonwealth, avec succès, puisqu'on sait que cela a contribué à ce que l'apartheid soit éliminé un jour en Afrique ? Est-ce que vous envisagez des sanctions ou est-ce que vous envisagez d'exclure ces pays qui ne respectent pas les droits de la personne ?
LE PRESIDENT: – D'abord, juste un point. Je suis un très ancien militant de la lutte contre l'apartheid, je tiens à ce que les choses soient claires. Ce n'est pas le Commonwealth qui a pris des sanctions mais la communauté internationale et le Conseil de sécurité de l'ONU qui ont pris des sanctions contre l'Afrique du Sud et son inacceptable régime.
Je crois que nous avons sur ce point une approche identique, le Canada et la France. Nous ne pouvons pas accepter que les Droits de l'homme soient bafoués, et parfois de façon dramatique, allant à l'épuration ethnique voire le génocide. Et, d'ailleurs, tout le fondement de l'intervention militaire qu'ensemble nous avons conduite, les pays occidentaux, au Kosovo était fondé sur cette idée. C'était la forme extrême de la sanction, si vous voulez. Alors, s'agissant des Droits de l'homme dans certains pays qui appartiennent au Commonwealth ou qui appartiennent à l'Organisation de la francophonie, d'abord nous faisons, je le dis très clairement, des efforts considérables de pression politique, voire d'autre nature, pour essayer de conduire ces pays à une situation où les Droits de l'homme sont respectés. Cela s'est tout de même petit à petit amélioré. Quant à la suspension, que d'ailleurs a évoquée et proposé le Premier ministre du Canada, dans l'état actuel des choses, l'Organisation de la francophonie n'a pas le pouvoir de le faire. C'est le Conseil de sécurité de l'ONU qui a le pouvoir de le faire. Et si le débat intervient, nous prendrons chacun nos positions.
QUESTION: - Vous avez dit il y a quelques années que la France devrait reconnaître le Québec indépendant après le référendum. Je voudrais savoir si vous partagez encore cette opinion ?
LE PRESIDENT: -C'est une traduction libre de votre part, je n'ai pas dit que la France devait reconnaître, au lendemain de l'élection, une situation qui, par définition, n'était pas achevée puisqu'elle ouvrait une discussion entre l'Etat et le Québec, dans cette hypothèse. Mais, surtout, j'ai dit que je ne voulais pas faire de commentaires sur des situations hypothétiques. Je ne suis pas favorable aux polémiques et tant qu'une chose n'est pas arrivée, je considère qu'il n'y a pas lieu de spéculer sur cette situation.
LE PREMIER MINISTRE JEAN CHRETIEN – Très bien.
QUESTION: - – A quelque temps de ce qui va se passer à Seattle, c'est-à-dire les conversations sur l'Organisation mondiale du commerce, je voudrais savoir si la France et le Canada ont exactement la même position, sur le principe de l'exception culturelle. J'avais cru comprendre que, sur le fait de discuter ou non de cette question au sein de l'OMC, les deux pays n'étaient pas tout à fait d'accord. Vous en avez parlé, j'imagine. Qu'en est-il ?
LE PREMIER MINISTRE JEAN CHRETIEN – Nous sommes d'accord sur l'objectif. C'est important que nous ayons une discussion au niveau international sur ce problème. La diversité culturelle est un problème pour nous au Canada, comme c'est un problème pour la France et pour d'autres pays. La question est, quel est le meilleur mécanisme pour faire avancer le dossier ? Nous, nous pensons qu'il y aurait avantage à en discuter à l'Organisation mondiale du commerce, la France est d'avis qu'il serait mieux d'en discuter à l'UNESCO. C'est une question de mécanisme, à savoir est-ce qu'on doit en discuter à l'un ou à l'autre ou bien aux deux. En ce moment-ci, nous ne sommes pas d'accord sur le processus, mais nous sommes d'accord sur l'objectif.
QUESTION: - – La Russie connaît un certain nombre de difficultés. Le FMI, semble-t-il, est sur le point de s'apercevoir que, depuis des années, Moscou puise dans la caisse. Alors vous représentez deux pays très importants au sein du G7, est-ce qu'il faut convoquer d'urgence une réunion du G7 pour discuter de ces problèmes ?
LE PRESIDENT: – Il est d'abord naturel que la communauté internationale aide la Russie, comme d'ailleurs elle aide tous les pays en transition, afin qu'ils puissent conduire les efforts afin d'enraciner la démocratie. Alors, il appartient naturellement aux autorités russes de veiller au bon emploi, à un emploi irréprochable de l'aide qui leur est apportée, cela va de soi. Et la France, naturellement, et, je le sais, le Canada sont extrêmement attentifs, compte tenu des bruits qui ont couru, à ce que l'on sache exactement ce qui est advenu de l'aide qui a été apportée à la Russie. Si les investigations en cours confirment qu'il y a des malversations, ce qui n'est pas encore le cas, alors la France, en tous les cas, et, j'imagine, le Canada se concerteraient avec leurs partenaires, notamment au FMI et à l'Union européenne, pour savoir ce qu'il convient de faire. Mais, dans l'état actuel des choses, nous en sommes au niveau de l'enquête, et pas au niveau des preuves et des certitudes.
LE PREMIER MINISTRE JEAN CHRETIEN – Je suis d'accord avec M. le Président.
QUESTION: - Vous avez dit que la francophonie n'a pas le pouvoir de suspendre ses membres. Est-ce que vous souhaiteriez que l'Organisation ait ce pouvoir ?
LE PREMIER MINISTRE JEAN CHRETIEN – Pour moi, je ne suis pas sûr qu'on serait capable d'obtenir plus avant ce pouvoir du Commonwealth. La francophonie a pris une dimension politique à Hanoi, il y a deux ans, alors je ne pense pas qu'on puisse en ce moment-ci trouver un accord chez les membres pour pouvoir se donner ce pouvoir-là. Moi, je le souhaiterais, mais mes informations, c'est qu'en ce moment-ci l'ensemble des pays représentés ne serait pas d'accord. Alors, c'est une évolution. La francophonie n'était pas politique du tout autrefois. On discute des problèmes comme les droits de la personne, on discute de la démocratie, chose qui n'était pas à l'ordre du jour dans le passé. Mais avant d'arriver aux droits des membres, qu'on suspende des membres qui ont une situation inacceptable dans leur pays, je ne pense pas, à mon point de vue, qu'on pourrait y parvenir.
QUESTION: - Vous avez dit que vous préfériez que les discussions sur l'exception culturelle se fassent au sein de l'UNESCO plutôt qu'à l'OMC. Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi, et est-ce que c'est simplement une question de mécanisme ?
LE PRESIDENT: – D'abord, je voudrais redire, après le Premier ministre du Canada, que nous avons la même conception de ce que l'on appelle la diversité culturelle, de ce que nous avons appelé, nous, l'exception culturelle. Tout cela c'est la même chose. Nous avons le même objectif et la même conception des choses. Alors, chacun sait qu'il y a une forte pression de la part de certains membres de l'OMC pour faire en sorte que l'on traite les biens culturels comme des marchandises ordinaires et, par conséquent, qu'on les traite à l'OMC. Comme il y a un vrai problème, le Canada dit : il faut qu'on en discute, la France dit : naturellement. Le Canada propose qu'on en discute au sein d'un groupe de travail qui pourrait être à l'OMC. Pourquoi l'OMC ? Parce qu'il y a Seattle, que c'est le 29 novembre et que c'est une occasion de le faire.
La France, peut-être par excès de prudence, considère qu'à l'OMC on parle surtout de commerce, que les problèmes culturels sont plutôt traités à l'UNESCO, et elle dit : il voudrait mieux en parler à l'UNESCO.
Voilà, ce n'est pas une divergence très importante. Nous verrons comment trouver une solution à ce problème. Mais j'insiste sur le fait qu'il n'y a pas de divergences de vue de fond, il y a une divergence de vue sur la procédure. Je voudrais simplement dire, -alors là, je parle vraiment pour la France uniquement- la France n'acceptera pas de concessions sur le problème de l'exception culturelle. Elle n'en acceptera pas.
LE PREMIER MINISTRE JEAN CHRETIEN – Nous avons fait cette bataille-là ici même au Canada et nous continuerons de le faire à d'autres niveaux, et à l'un ou l'autre des forums, de façon à obtenir les objectifs que nous poursuivons tous les deux.
Nous devons nous quitter, merci d'être venus nous rencontrer.
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