ALLOCUTION
PRONONCEE PAR MONSIEUR JACQUES CHIRAC
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
LORS DE LA RECEPTION DE LA COMMUNAUTE FRANCAISE
ET DE LA REMISE DES INSIGNES
DE CHEVALIER DE LA LEGION D'HONNEUR
A MONSIEUR AUGUSTO ROA BASTOS
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ASSOMPTION PARAGUAY - DIMANCHE 16 MARS 1997
Mes chers compatriotes,
Chers invités du Paraguay,
Permettez-moi de vous dire ma joie de vous rencontrer ici et permettez-moi de saluer amicalement mon ami, Juan Carlos WASMOSY, le Président de la République du Paraguay.
Je dis mon ami pour deux raisons. D'abord, parce que nous nous sommes rencontrés plusieurs fois, et ensuite, parce que dès notre premier contact, j'ai éprouvé, pour lui, un sentiment intime et d'amitié réelle en raison de ce qu'il incarnait : un pays qui a retrouvé la démocratie et qu'il enracine un pays qui a décidé de développer de façon moderne son économie, sous son impulsion et qui réussit, et un Président, un homme avec lequel je me suis toujours trouvé en parfaite harmonie de pensée pour tout ce qui touche notre vision, à la fois de nos pays, du monde et surtout de l'homme, d'un certain humanisme.
Monsieur le Président, mon Cher Juan Carlos, merci de nous avoir fait l'honneur de venir à cette réception. Ce n'est pas l'usage habituel. C'est un geste d'ami. C'est ainsi que je le prends et que nous le prenons tous. C'est aussi le sentiment d'être chez des amis que j'ai depuis mon arrivée hier soir.
Les personnalités, les autorités que j'ai pu rencontrer, et aussi, les contacts que j'ai pu avoir, et notamment, simplement, le regard sur les hommes, sur les femmes, sur les enfants qui étaient présents, nombreux, au Panthéon lorsque je suis allé rendre hommage au père fondateur du pays, avaient quelque chose de spontané, quelque chose qui faisait plaisir, qui faisait sourire de bonheur. Je me suis dit que, probablement, après les années noires de la dictature et la croûte qu'elle pose sur une société, lorsque la croûte a explosé, alors le soleil, dans le coeur des hommes, brille d'autant plus fort. Et mon sentiment, celui avec lequel je repartirai ce soir, est que le soleil qui brille dans le coeur des habitants du Paraguay et un soleil fort qui permet d'envisager l'avenir avec optimisme.
Nous avons naturellement discuté de nos affaires. Nous avons envisagé les conséquences de l'intégration régionale qui marquent le monde d'aujourd'hui, depuis l'ALENA jusqu'au MERCOSUR, en passant par l'Union européenne ou l'ASEAN, c'est un phénomène mondial. Nous avons constaté que l'intérêt, à la fois du MERCOSUR et de l'Europe, était de renforcer considérablement notre partenariat. L'Europe est déjà le premier client, le premier fournisseur, le premier investisseur, le premier donneur d'aide au développement, et de loin, à l'Amérique latine. Et puis, surtout, nous avons des racines identiques, des racines latines et cela forme un socle solide sur lequel nous pouvons construire l'avenir. Nous avons évoqué nos relations bilatérales, insuffisantes, mais qui ne demandent qu'à se développer.
Je voudrais saluer tout particulièrement celles et ceux qui, Français, ont fait le choix du Paraguay et participent à son développement. Je voudrais saluer les hommes d'affaires français, chefs de petites, moyennes ou de grandes entreprises qui ont bien voulu m'accompagner pour leur dire, à leur tour, qu'ils seraient bien inspirés de faire et de faire faire par les entrepreneurs français le choix d'un Paraguay, d'un Paraguay moderne, dynamique, démocrate et qui aura toute sa place dans le MERCOSUR et le monde de demain.
C'est la même conclusion dans le rapport avec les parlementaires, que les parlementaires français, qui ont bien voulu m'accompagner aussi, c'est la même conclusion qu'ils ont tirée de leurs contacts. Je voulais dire, simplement ici, combien j'étais confiant dans l'avenir de nos relations et je suis content que cette impulsion nouvelle, - est-ce que je peux dire ces retrouvaille -, ait lieu au moment où le Président WASMOSY imprime sa marque sur ce pays.
Vous savez, Cher Juan Carlos, les Français sont depuis longtemps dans votre pays, et pourtant, ils n'ont jamais oublié leur pays. Un de mes compatriotes, M. Barral m'a remis récemment, à l'occasion de mon passage un fac-similé d'un télégramme adressé le 22 juin 1940 de la part de la Société de secours mutuel, la Société française de secours mutuel, au comité de la France libre à Londres, pour apporter l'appui des Français du Paraguay. Ils ont été les premiers au combat pour la France libre et au général de Gaulle.
C'est un témoignage mais c'est aussi un symbole d'une certaine façon. C'est tout de même un symbole fort qui marque entre le Paraguay et la France même si nous avons été longtemps éloignés du fait des circonstances, il y avait quelque chose de spontané et de naturel dans le domaine du lien affectif.
Quand le général de Gaulle a fait, ici, son voyage de 1964, un voyage historique, je ne me souviens plus à quel endroit il a dit, - lui qui ne parlait pas un mot d'espagnol -, il a voulu faire une phrase en espagnol, il a dit que nous devions Français et Sud-Américains, marcher "la mano en la mano". Eh bien c'était, comme tout ce qu'a toujours fait le général de Gaulle, quelque chose de visionnaire car nous arrivons aujourd'hui à l'époque où il est évident que l'Europe et l'Amérique latine doivent marcher la main dans la main.
Quand je vois aujourd'hui nos collègues, chefs d'Etat, je pense beaucoup au général de Gaulle, car on voit depuis 1989, ici, se lever une génération d'hommes politiques modernes, démocrates, tolérants, ouverts sur l'extérieur qui rejettent toutes les philosophies, toutes les réactions d'intolérance, qui conduisent toujours au pire les pays qui s'y donnent. Un peu partout, il reste ces ferments, les ferments de l'intolérance, en France comme ailleurs, qui donnent de l'homme une si mauvaise image et qui font courir au pays tant de dangers.
Je suis heureux de voir qu'ici, dans cette Amérique latine, porteuse du charme, de la musique, de la culture, c'est quelque chose qui semble s'effacer définitivement. Cher Juan Carlos, vous êtes le symbole de cette modernité, de cette compétence, de cette ouverture d'esprit, de cette modernité et c'est pour cela que j'ai toute confiance dans l'avenir du Paraguay et dans celui de nos relations.
Je vous remercie.
Je vais, avant de donner la parole au Président du Paraguay, faire quelque chose qui, pour moi, est très émouvant. Je vais remettre les insignes de chevalier de la Légion d'honneur à M. ROA BASTOS.
Je ne ferai pas l'injure à M. ROA BASTOS et à ceux qui nous écoutent, de rappeler ces titres et ces mérites. Je dirai simplement que c'est un homme qui a mis son coeur son intelligence, une grande sensibilité au service d'une certaine idée de l'homme, du Paraguay, de la France et qui a apporté beaucoup à notre culture nationale. J'ai, comme tout le monde en France, une infinie estime, un très grand respect pour ses qualités.
Je me suis trouvé confronté à un problème, c'est que M. Roa BASTOS est double national, ce qui veut dire qu'il est Français aussi, et étant Français, je ne peux pas lui remettre la Légion d'honneur au grade qu'il mériterait, je suis obligé de lui donner la croix de chevalier, alors qu'il mériterait, sans aucun doute, la plaque de grand-croix de la Légion d'honneur. Mais la loi ne me permet pas, je ne peux tout de même pas regretter qu'il soit Français, je sais qu'il est au-dessus de tout cela, et qu'au fond pour lui, c'est simplement un geste de reconnaissance, d'admiration et d'amitié, remise dans son pays, par son pays d'adoption.
Alors, Cher Maître, je vais vous remettre maintenant cette croix de chevalier. Juridiquement, je vous remets la croix de chevalier mais, par le coeur, je vous remets la plaque de grand-croix de la Légion d'honneur. |