Extraits de la conférence de presse du Président de la République

Saint-Petersbourg - 11 avril 2003

Photo : 11.04.2003 - Conférence de presse du Président de la République (Saint-Petersbourg)

Cette rencontre nous a permis d'évoquer la situation internationale. Sur l'Iraq, il existe depuis le début de la crise, vous le savez, une étroite concertation entre nos trois pays. Avec la chute de la dictature de Saddam HUSSEIN, nous allons entrer dans une nouvelle phase. Notre objectif à tous, je crois, doit être de créer les conditions qui rendront au peuple iraquien sa dignité et la maîtrise de son destin. Dans l'immédiat, comme vient de le dire le Président POUTINE, la priorité de la communauté internationale doit être de venir en aide au peuple iraquien. C'est pourquoi il faut acheminer au plus vite l'aide humanitaire dont la population a besoin dans tous les domaines, à commencer bien entendu par les hôpitaux.

Dès que possible, et après la phase nécessaire de sécurisation, il faut engager la reconstruction politique, administrative, institutionnelle, sociale, économique de l'Iraq. Et c'est une tâche immense. Il appartiendra, selon nous, aux Nations Unies d'y jouer un rôle central. Seules les Nations Unies ont la légitimité nécessaire. Elles seront efficaces car elles ont l'expérience depuis longtemps de la gestion des sorties de crise. Elles seules, les Nations Unies, peuvent apporter au peuple iraquien la garantie que son intégrité, sa souveraineté, son identité seront pleinement reconnues et respectées. Elles seules peuvent donner toutes ses chances à la construction d'un ordre régional stable et pacifique.

En tous les cas, c'est aujourd'hui le combat de la France. Double combat, humanitaire dans l'immédiat et politique pour la gestion de la sortie de cette crise et la reconstruction de l'Iraq. En ce qui concerne la France, nous sommes naturellement, dans ce cadre, celui des Nations Unies, prêts à prendre toutes nos responsabilités. (...)

QUESTION - On a l'impression que les forces d'occupation en Iraq ont oublié leurs responsabilités dans le pays. Les pilleurs, la catastrophe humanitaire, l'anarchie. Comment voyez-vous cela ? Est-ce que l'action militaire a abouti en Iraq ?

LE PRESIDENT - (...) Pour donner mon sentiment sur la question précise qui, si j'ai bien compris, a été posée et qui concernait l'ordre public et l'ordre humain, je voudrais dire que, conformément, d'ailleurs le Président POUTINE l'a évoqué, aux lois de la guerre et au droit international, c'est aux forces américaines et anglaises en tant que puissances occupantes que revient cette responsabilité de maintenir l'ordre et de créer les conditions permettant -c'est ce que nous demandons- d'acheminer l'aide humanitaire. C'est, dans cette phase actuelle et avant la phase de reconstruction, la responsabilité des puissances occupantes.

QUESTION - En vous réunissant au sommet à trois, vous n'avez par l'impression de prolonger la fracture de la communauté internationale, de l'incarner ?

LE PRESIDENT - Nous sommes trois des pays qui, à l'origine de la crise, ont fait la même analyse et en ont tiré les mêmes conclusions, à savoir que le désarmement de l'Iraq était nécessaire mais qu'il pouvait être obtenu par des voies pacifiques. La situation est ce que vous savez et la guerre a eu lieu. Nous n'avons naturellement jamais douté de son issue. Et dans toute chose malheur est bon : nous nous sommes réjouis de la chute d'une dictature unanimement condamnée dans le monde.

A partir de là, quel était notre désir de concertation, sur quoi reposait-il ? Sur une inquiétude et sur une conviction. Sur une inquiétude, c'est la situation dramatique dans laquelle se trouvent aujourd'hui un très, très grand nombre d'Iraquiens, qui nécessite une aide humanitaire le plus rapidement possible. Ce qui implique naturellement des conditions matérielles permettant son acheminement. Et nous voulions ensemble nous concerter sur ce que nous pouvons faire ou demander à nos amis pour accélérer à la fois la mise en oeuvre et l'acheminement de l'aide humanitaire. Cela, c'est essentiel. Vous admettrez qu'à soi tout seul, cela justifie une concertation entre trois nations importantes, pour essayer de contribuer ensemble à apporter une solution à ce problème dramatique et humain. Il n'y aurait eu que cela, c'était amplement justifié de répondre à l'invitation du Président POUTINE.

Mais il y avait aussi une conviction, et l'affirmation d'une conviction : nous avons une vision commune du monde de demain, qui est une vision d'ailleurs très largement partagée par les peuples et par les pays du monde. Nous souhaitons que le monde de demain soit un monde multipolaire. Nous souhaitons que chacun de ces grands pôles, dont on voit bien que petit à petit ils s'organisent, ait des relations équilibrées pour garantir la paix et la démocratie. Cette vision du monde, cette conception qui est la nôtre exclut naturellement, l'unilatéralisme. C'est la raison pour laquelle nous sommes favorables à une Organisation des Nations Unies qui soit à la fois respectée, reconnue, efficace. S'il faut faire une réforme des Nations Unies, nous sommes tout à fait prêts, naturellement, à l'envisager. Mais ce qui est essentiel à nos yeux, c'est qu'il y ait une Organisation qui fasse respecter une loi internationale qui soit une loi de solidarité, de développement et de sécurité. Autrement dit une loi de paix et de démocratie. Et, donc, nous pensions qu'il n'était pas mauvais que trois pays qui ont eu une histoire mouvementée mais qui, aujourd'hui, ont appris à se respecter, à se connaître et à s'aimer, se réunissent, dans le cadre d'ailleurs d'une procédure traditionnelle. J'étais présent à la première réunion, en 1998 ou en 1999, à trois, dans la même formation. Et, à l'époque, nous avions pris la décision de poursuivre cette procédure informelle et transparente. C'est-à-dire que nous n'avons pas de secret. Nous disons, et tout à fait clairement et de façon transparente, ce que nous pensons. Nous avons pensé que c'était effectivement, aussi, l'un des moyens d'approfondir notre concertation sur notre vision du monde de demain. Voilà, je pense, des raisons qui justifient amplement le fait que trois chefs d'Etat ou de gouvernement se réunissent.

QUESTION - Vous avez dit tous les trois que le rôle central des Nations Unies devait exister quand il s'agira de reconstruire l'Iraq. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne parlent d'un rôle vital. Donc il s'agit de deux choses différentes. D'un côté, il s'agit de l'aide humanitaire et, de l'autre côté, il s'agit de la reconstruction du pays, la reconstruction économique, où des intérêts économiques particuliers jouent, surtout dans le domaine de l'énergie. Comment faut-il l'entendre ? Les Américains n'ont pas eu besoin des Nations Unies pour la guerre. Est-ce qu'il se peut que maintenant ils aient besoin des Nations Unies pour la paix, pour l'humanitaire, et qu'ils continuent à reconstruire économiquement le pays ?

LE PRESIDENT - Je suis tout à fait sur la même ligne que celle qui vient d'être présentée par le Président POUTINE et par le Chancelier SCHROEDER. Il y a la phase actuelle, elle relève de la responsabilité des troupes anglaises et américaines. Et puis, il y a la reconstruction, c'est vrai, politique, économique, administrative, sociale, de l'Iraq et donc la création d'une autorité de nature gouvernementale iraquienne. Cette autorité sera confrontée naturellement à un problème de légitimité et seules les Nations Unies, aujourd'hui, sont source de légitimité. C'est la loi internationale. Seules, elles ont l'autorité morale et l'expérience nécessaire pour donner une crédibilité à un processus de création ou de recréation d'un Etat. Les Nations Unies ont de surcroît une grande expérience, comme on l'a vu au Cambodge, au Timor, au Kosovo, en Sierra Léone, en Afghanistan. Et, donc, il y a tout lieu de leur faire confiance. Voilà pourquoi nous pensons qu'au-delà de la période de sécurisation, les Nations Unies doivent effectivement, en tant que seules porteuses de légitimité, avoir la charge de reconstruire l'Iraq.