Extraits de l'interview accordée par le Président de la République à TV5 et à Radio France Internationale

18 octobre 2002

QUESTION - Monsieur le Président, un dossier extrêmement important, il s'agit naturellement de l'Iraq. En visite en Egypte, voici quarante huit heures, vous avez réexprimé la position de la France de choisir la diplomatie, le rôle de l'ONU, etc.à Je voudrais que vous nous disiez comment comprendre, comment décrypter une phrase qui a beaucoup retenu l'attention de la presse internationale : "la France assumera ses responsabilités ". Est-ce que vous pouvez nous préciser si, en filigrane, il y a éventuellement utilisation du veto ?

LE PRESIDENT - Permettez-moi de vous interrompre. Est-ce que vous pouvez imaginer que la France n'assume pas ses responsabilités ? Non, naturellement. Bien. Il n'y avait rien, il n'y avait pas de sens caché dans mes propos.

Quelle est aujourd'hui la situation ? Nous avons un Iraq dont tout permet de penser qu'il dispose ou qu'il développe des armes de destruction massive et il y a là une situation potentielle très dangereuse pour la région et qui, par conséquent, doit être maîtrisée. Donc, et conformément aux résolutions antérieures des Nations Unies, il est indispensable que l'on puisse, premièrement, vérifier la situation en Iraq, c'est les inspecteurs, et, deuxièmement, le cas échéant, détruire les armements de destruction massive qui pourraient s'y trouver. Cela est capital. C'est l'objectif. Sur ce point, il y a, je dirai, un consensus international. Tout le monde est d'accord sur ce point : le danger et la nécessité de le maîtriser.

A partir de là, comment ? Le problème de l'Iraq est un problème qui est suivi depuis un certain temps par l'ONU, et à juste titre, et notamment bien entendu par le Conseil de Sécurité. C'est à lui et à lui seul, représentant la communauté internationale, de dire ce qui doit être fait. Dans un premier temps, on pouvait se poser la question : est-ce qu'il faut une nouvelle résolution alors que plusieurs résolutions existent, qui précisent les conditions de l'inspection, et alors que l'Iraq a accepté le retour des inspecteurs ? Comme il était naturel, les inspecteurs et les responsables des inspecteurs, notamment M. BLIX, ont été interrogés. Ils ont dit qu'il fallait actualiser les conditions de mise en oeuvre de l'inspection. Nous sommes naturellement d'accord. Et se déroulent actuellement des discussions entre les membres du Conseil de Sécurité pour élaborer une nouvelle résolution permettant d'actualiser les conditions d'inspection et les moyens dont les inspecteurs disposeront. Je crois que sur ce point personne ne peut contester cette position. Simplement, nous sommes tous attentifs à ce que cette résolution soit aussi réaliste et efficace que possible.

Alors, s'est posée immédiatement une deuxième question : est-ce que, dans l'hypothèse où l'on estimerait que les autorités iraquiennes ne donnent pas aux inspecteurs les moyens suffisants pour assumer leurs responsabilités, est-ce qu'il faudrait qu'il y ait automatiquement intervention militaire ? C'est là que la position de la France s'est exprimée de façon claire, en disant non, il ne peut pas y avoir intervention automatique. On ne peut pas exclure la nécessité d'une intervention. Mais, vous savez, la guerre et l'intervention militaire, c'est toujours forcément la fin ultime, la solution que l'on prend quand il n'y en a vraiment plus aucune autre. Et ce que je dis, c'est qu'il faut, le cas échéant, si les inspecteurs n'ont pas les moyens d'inspecter, qu'ils puissent faire rapport au Conseil de Sécurité, en disant voilà ce qui se passe, voilà les entorses au bon déroulement de notre mission. Et le Conseil de Sécurité prendra une décision. C'est sur ce deuxième point également que se déroulent actuellement, au Conseil de Sécurité, les discussions.

Je crois que l'on progresse. La décision finale n'est pas encore prise. L'accord final n'est pas encore intervenu. J'ai le sentiment que l'on progresse dans le bon sens et, en tous les cas, je le souhaite. Car c'est tout simplement le bon sens qui veut que le multilatéralisme soit respecté et que la communauté internationale soit engagée, je dirai, de façon responsable par ses propres instances.

QUESTION - Pour vous, Monsieur le Président, très clairement, la position de la France, c'est que les constats d'éventuelles violations par l'Iraq devraient être faits par les inspecteurs ?

LE PRESIDENT - Sur rapport des inspecteurs, les conclusions politiques à tirer des obstacles mis par les Iraquiens au bon déroulement de leur mission seront tirées au Conseil de Sécurité, mais sur le rapport des inspecteurs. Parce que, qu'est-ce que cela veut ...

QUESTION - Ça ne peut pas être un tiers ?

LE PRESIDENT - Non, cela doit être le rapport des inspecteurs et la délibération du Conseil de Sécurité. Parce que l'on peut imaginer toutes sortes d'oppositions, des oppositions de susceptibilité pour lesquelles des solutions peuvent intervenir ou, au contraire, une opposition politique majeure qui empêche les inspecteurs réellement de faire leur travail. Ce n'est pas la même chose. Donc il faut avoir un rapport des inspecteurs après qu'ils soient revenus sur place et qu'ils aient engagé leurs travaux et, à partir de là, une délibération du Conseil de Sécurité.

QUESTION - Je reviens très brièvement sur cette phrase qui a retenu l'attention, que vous avez prononcée : " la France prendra ses responsabilités "...

LE PRESIDENT - Evidemment

QUESTION - Evidemment, bien sûr, vous nous le dîtes ....

LE PRESIDENT - Ecoutez, n'essayez pas de me faire dire ce que je ne dirai pas, pour une raison simple : c'est que cela n'a pas de sens. La France examinera la situation comme les quatorze autres membres du Conseil de Sécurité et prendra bien entendu ses responsabilités.

Je voudrais bien qu'il n'y ait pas dans cette affaire la mise en exergue d'une opposition entre les uns ou les autres. Ce n'est pas le problème. Il n'y a pas eu une opposition entre la thèse française et la thèse américaine ou je ne sais quoi de cette nature. Il y a simplement l'affirmation par la France de ce qu'elle estime être le droit international et le bon sens et, par ailleurs, elle est tout à fait disposée à discuter, et c'est ce qu'elle fait. Et, en fin de compte, naturellement, en fonction des événements, en fonction notamment des rapports des inspecteurs, en fonction du comportement des autorités iraquiennes, la France, effectivement, prendra ses responsabilités.