Extrait de l'interview accordée par le Président de la République au quotidien l'Orient le Jour

16 octobre 2002

QUESTION - D'aucuns ont reproché dans le passé à la France de ménager Saddam Hussein pour des considérations commerciales. Croyez-vous à votre tour que la nouvelle guerre du Golfe pourrait-être largement motivée par des intérêts pétroliers ?

LE PRESIDENT - Nul n'ignore que le Moyen-Orient constitue une zone majeure de réserves et de production d'hydrocarbures. Il représente aujourd'hui 65 % des réserves mondiales, et cette proportion est en hausse du fait du tarissement prévisible des réserves hors Golfe. L'Iraq, pour sa part, détient aujourd'hui environ 10 % des réserves mondiales.

Pour autant, le problème aujourd'hui posé par l'Iraq à la communauté internationale n'est pas celui de ses capacités pétrolières. Il s'agit en effet de répondre à la menace potentielle que représente l'Iraq, avec le risque de prolifération des armes de destruction massive. Le régime de Bagdad a utilisé de telles armes par le passé. Aujourd'hui un certain nombre d'indices peuvent laisser penser que, depuis près de quatre ans, en l'absence des inspecteurs internationaux, ce pays a poursuivi des programmes d'armement. La prolifération des armes de destruction massive constitue une menace pour l'ensemble de la planète. Notre sécurité dépend de notre capacité à traiter collectivement ce risque majeur. Sur ce dossier, pas plus que sur les autres, notre politique n'est de ménager l'Iraq : nous avons toujours demandé la stricte application des résolutions des Nations Unies.

Je tiens à souligner que de nombreux pays commercent avec l'Iraq, y compris d'ailleurs les Etats-Unis. Le commerce franco-iraquien se déroule dans le cadre strict des résolutions du Conseil de sécurité, et nous sommes particulièrement vigilants quant au respect de ce dispositif juridique. L'Iraq n'occupe au demeurant qu'une place modeste dans notre commerce extérieur. En 2001, l'Iraq n'a été que le 53ème client et le 39ème fournisseur de la France, représentant 0,2 % de nos exportations et 0,3 % de nos importations.

QUESTION - Que suggéreriez-vous pour renforcer l'efficacité et donc la crédibilité des inspections onusiennes en Iraq?

LE PRESIDENT - L'accès immédiat des inspecteurs à l'ensemble des sites, sans condition et sans restriction, constitue la garantie indispensable de l'efficacité et de la crédibilité des inspections de l'ONU. Cette exigence figure d'ailleurs dans toutes les résolutions existantes. L'Iraq a dit accepter tous les droits des inspecteurs sans condition, et les arrangements pratiques de la reprise des inspections ont été clarifiés à Vienne. Si MM. Blix et El-Baradei estiment toutefois qu'un certain nombre de question doivent être encore précisées, que des garanties supplémentaires doivent être obtenues sur certains points, nous sommes tout à fait disposés à examiner leurs demandes et à prendre en compte leur avis, dans le cadre du Conseil de Sécurité, qui est le seul cadre légitime pour traiter du problème iraquien.

QUESTION - Quelles répercussions aurait selon vous, sur le monde arabe, et aussi sur l'évolution du conflit arabo-israélien, une guerre internationale contre l'Iraq ?

LE PRESIDENT - Notre responsabilité est de veiller à la stabilité au Moyen-Orient. Avec la crise iraquienne, c'est la région tout entière qui est menacée. Le Moyen-Orient est au coeur de l'arc de crise qui s'étend de la Méditerranée orientale à l'Asie du Sud-Ouest : zone dans laquelle les fractures politiques, économiques et sociales sont multiples. Nous avons tous en mémoire les multiples conflits, internes et internationaux, qui ont ébranlé cette région depuis plus de cinquante ans.

Au moment où l'impasse du conflit israélo-palestinien alimente les sentiments de frustration et d'injustice parmi les peuples de la région, et où nous sommes engagés dans une lutte de longue haleine contre le terrorisme, nous devons être vigilants et mettre tout en oeuvre pour que soit gagné le pari de la sécurité dans la paix.

QUESTION - Existe-t-il, selon vous, un lien direct entre l'affaire iraquienne et le dossier du terrorisme, c'est-à-dire la filière Ben Laden ?

LE PRESIDENT - A ma connaissance, aucune preuve n'a été trouvée, ou en tous les cas rendue officielle, d'un lien entre l'Iraq et Al Qaïda. Même si certains terroristes ont pu trouver refuge en Iraq, il ne faut pas mélanger les sujets. L'objectif prioritaire de l'action de la communauté internationale, s'agissant de l'Iraq, doit être le désarmement. En revanche, on ne peut exclure que des groupes terroristes n'utilisent l'affaire iraquienne comme prétexte à de nouvelles actions et comme argument de propagande.