Allocution prononcée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion des troisièmes Etats généraux des malades du cancer et de leurs proches.
Parc Floral de Prais - Jeudi 28 octobre 2004.
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président, cher Professeur PUJOL,
Monsieur le Président de l'Institut National du Cancer,
Cher Professeur KHAYAT,
Mesdames, Messieurs,
Il y a pour la santé publique et les droits des malades, de grandes dates, de grandes avancées. Des dates qui marquent une rupture, un nouvel horizon.
L'année 98, où vous avez organisé les premiers Etats généraux des personnes atteintes du cancer, compte parmi celles-ci. Pour la première fois, les personnes malades ont pris la parole pour que change le regard de la société sur le cancer. Pour la première fois, vous vous êtes unis pour briser le tabou. Pour en finir avec un fatalisme qui assimilait le cancer à une condamnation, ajoutant l'isolement et parfois l'exclusion à la souffrance et à la maladie. Pour dénoncer l'ostracisme dont tant de personnes malades étaient victimes.
La mobilisation nationale contre le cancer que la France a engagée doit beaucoup à votre action et au coeur que vous y avez mis. Aujourd'hui, je veux vous rendre hommage. Je veux saluer le rôle capital de la Ligue, animée, avec générosité et efficacité, par son président, le professeur Henri PUJOL, ainsi que celui de toutes les associations représentées ici.
Au mois de février, à Marseille, j'ai dressé un premier bilan du plan de mobilisation contre le cancer, notamment dans les domaines de la prévention, du dépistage, de la recherche. Grâce à la mobilisation de tous, nous sommes sur la bonne voie. Notre pays compte un million huit cent mille fumeurs de moins qu'en 1999. La généralisation du dépistage du cancer du sein, maintes fois, est une réalité. L'Institut national du cancer a été créé pour mobiliser tous les acteurs et tous les moyens de la lutte contre le cancer. Des cancéropoles ont été mis en place pour coordonner la recherche contre le cancer et pour lui donner une nouvelle impulsion. Ces efforts de prévention, d'organisation et d'équipement vont se poursuivre et s'amplifier, selon le calendrier prévu par le plan cancer.
Mais au coeur de ce plan, il y a une exigence tout aussi fondamentale : celle d'agir pour affirmer et défendre les droits des personnes malades. C'est de cela dont je veux aujourd'hui vous parler.
Donner un contenu concret aux droits des personnes malades, c'est une question de dignité. Mais c'est aussi crucial pour aider les malades à remporter leur combat contre la maladie. Je n'aime pas le mot "patient", empreint de passivité et de résignation. Il contredit une vérité : la personne malade et ses proches sont les principaux acteurs de la guérison.
Les personnes malades du cancer ont des droits essentiels. Le droit au respect. Le droit à l'égalité devant les soins. Le droit à la solidarité de la nation. Ces droits, il ne s'agit pas seulement de les reconnaître. Il faut agir avec vous et avec les professionnels de santé, à qui je tiens à rendre particulièrement hommage, pour que ces droits deviennent, enfin, des réalités.
Le premier droit des personnes atteintes du cancer, est le droit au respect de leur dignité.
Les paroles très fortes que vous avez prononcées lors de vos premiers Etats généraux restent gravées dans bien des consciences. Avec beaucoup de coeur et de force, vous avez dénoncé ces diagnostics assénés tels des verdicts sans appel, dans des couloirs bruyants et anonymes, sans une chaise pour s'asseoir, parfois sans un geste d'humanité. Vous avez regretté ces demi-silences et ces demi-mensonges. Vous avez témoigné de ces souffrances qui s'accumulent, de ces terribles fatigues occasionnées par les traitements, de ces angoisses qui ne passent ni la nuit ni le jour.
Vous avez aussi témoigné, de façon souvent bouleversante, de l'accompagnement médical et psychologique exemplaire que vous ont apporté les médecins et les équipes soignantes, les psychologues, les assistantes sociales, les associations. Vous avez parlé de la nouvelle vie après le cancer, une vie parfois plus lente, mais une vie plus consciente, rétablie autour de l'essentiel et où l'on goûte mieux les bonheurs du quotidien.
Le respect des personnes malades commence par l'écoute et par l'information sur les traitements, sur les options thérapeutiques qui sont ouvertes, sur les bénéfices attendus mais aussi sur les risques encourus quand on essaie un nouveau médicament. Car la personne malade doit pouvoir exprimer son consentement. Elle doit aussi pouvoir dire non.
En prenant le temps de l'information et de l'écoute, on se donne naturellement les meilleures chances d'affronter la maladie, de mieux supporter les traitements et leurs effets secondaires.
C'est pourquoi nous avons voulu expérimenter dès cette année, dans cinquante hôpitaux, un dispositif d'annonce élaboré avec le concours des personnes malades et, au premier chef, celui de la Ligue. D'ici la fin de l'année, environ quinze mille personnes malades auront été concernées. Elles seront appelées à donner leur avis, afin que des modifications puissent y être apportées, si cela apparaît nécessaire.
Ce dispositif d'annonce vise d'abord à respecter la dignité de la personne, en prenant le temps nécessaire pour la consultation. Il renforce aussi la fiabilité scientifique du diagnostic, en y faisant participer toutes les spécialités médicales concernées. Surtout, pour faire vivre l'espoir et donner le signal de la mobilisation contre la maladie, il fait coïncider l'annonce du diagnostic avec la proposition d'un programme personnalisé de soins. L'Institut national du cancer définira, en étroit partenariat avec la Ligue, les modalités de la généralisation de ce dispositif qui devra intervenir avant la fin 2005.
Respecter les personnes malades, c'est aussi être plus attentif à leurs besoins et à leurs attentes.
C'est d'abord prévoir un accompagnement psychologique pour le malade et pour ses proches, dès le diagnostic qui constitue toujours un choc très rude. Nous avons, dans ce domaine, un retard à rattraper. Cent postes de psycho-oncologues ont été créés cette année. Cet effort devra être poursuivi, de même que devra être encore améliorée la formation à la relation humaine dans l'enseignement médical et para-médical.
Être plus attentif aux besoins des malades, c'est ensuite mieux prendre en charge la douleur et accroître l'offre de soins palliatifs, qui est encore insuffisante et mal répartie, lorsque la guérison n'est malheureusement pas au bout du chemin.
C'est enfin permettre aux personnes malades de vivre aussi normalement que possible, pendant comme après les traitements.
Pouvoir acheter une perruque quand c'est nécessaire, avoir accès à des prothèses, ce n'est pas du luxe, ce n'est pas du confort. C'est une exigence de respect et d'humanité. Actuellement, les dispositifs esthétiques, souvent onéreux, sont mal remboursés par l'assurance maladie. Je demande au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour y remédier rapidement.
Garantir le droit au respect pour les personnes malades, c'est enfin leur permettre de faire entendre leur voix, dans tous les établissements de santé. Lors d'une visite à l'Institut Paoli Calmettes à Marseille, j'ai été très impressionné par les progrès accomplis au sein de l'établissement grâce aux recommandations du Comité des patients. J'ai demandé que de telles structures, indépendantes des médecins comme de l'administration hospitalière, soient généralisées. Le texte nécessaire vient d'être pris.
Aux côtés du droit au respect des personnes, il faut garantir le droit fondamental à l'égalité face aux traitements. Cette conviction est au coeur de votre engagement, vous qui avez à plusieurs reprises dénoncé la persistance d'inégalités d'accès aux meilleurs soins, la mauvaise répartition des équipements, la cruauté des délais d'attente et les pertes de chance qui en résultent parfois.
La France est sans conteste l'un des pays qui obtient en moyenne les meilleurs taux de guérison du cancer. Mais des progrès restent nécessaires. Nous ne saurions accepter, face à la maladie, que les plus favorisés ou les mieux informés soient mieux pris en charge.
Il faut donc garantir partout la qualité des soins, donner à tous le même accès à l'innovation et prendre en charge chaque cancer dans sa spécificité.
Garantir partout l'égale qualité des soins passe d'abord par une réorganisation des conditions de prise en charge.
Lors de la préparation du plan, nous avons refusé de réserver le traitement du cancer à quelques grands établissements spécialisés. Nous avons voulu que les personnes malades puissent être soignées près de leur domicile. C'est une grande exigence, car il faut s'assurer que les soins sont toujours de qualité. D'ici 2007, tous les établissements qui accueillent des personnes malades du cancer devront donc être agréés. Ils devront respecter des références de qualité précises en termes de coordination des soins, de soutien psychologique ou de justification d'un seuil minimal d'activité.
Cet agrément ne saurait suffire. Pour garantir la qualité des soins, il faut s'assurer que la personne malade est bien au centre d'un réseau de soins coordonnés. La généralisation de l'organisation des soins en réseaux interviendra d'ici 2007. L'Institut national du cancer en sera le pilote.
Le diagnostic et le traitement du cancer font chaque jour des progrès, apportant de meilleures chances de guérison ou une meilleure qualité de vie. Pour garantir l'égalité des soins, l'innovation diagnostique et thérapeutique doit être disponible partout et pour tous.
A cet égard, le renforcement de la recherche clinique en cancérologie est essentiel. Il faut, pour cela, disposer d'un plus grand nombre de cancérologues et de techniciens. Ce renforcement des moyens humains est en cours. Il faut aussi une information transparente et validée sur les conditions d'accès aux nouvelles molécules qui n'ont pas encore obtenu l'autorisation de mise sur le marché.
Pour faire progresser l'égalité devant les soins, il fallait également réformer les conditions de l'achat des médicaments innovants. Compte tenu de leur prix très élevé, ces nouveaux traitements, qui agissent de façon beaucoup plus ciblée sur les cellules, n'étaient pas disponibles partout. Depuis le 1er janvier, leur prescription peut se faire sans restriction, quelle que soit la situation financière de l'établissement de santé, quel que soit son statut public ou privé, lorsque ces traitements sont susceptibles d'améliorer l'espérance ou la qualité de vie de la personne malade.
L'égalité devant le diagnostic et les soins a également progressé à la faveur du remarquable effort d'équipement entrepris avec le plan cancer. Je pense notamment aux "pet-scans", qui permettent des détections plus précoces des tumeurs. Nous avons dans ce domaine rattrapé les autres pays européens. Dès la fin de l'année, toutes les régions françaises seront dotées d'un tel équipement.
Je pense aussi aux IRM, aux scanners, aux appareils de radiothérapie, qui sont en train d'être remplacés par de nouvelles machines qui protègent mieux les organes sains. Je suis bien conscient que l'attente est encore parfois trop longue avant un examen. Mais un effort en profondeur est engagé et les choses changent.
Pour garantir le droit à l'égale qualité des soins, il faut enfin que les spécificités de chaque cancer soient reconnues. Je pense notamment au cancer des enfants et à celui des personnes âgées.
Agir en faveur des enfants malades était une priorité. Pour s'assurer qu'ils sont bien soignés, partout, la cancérologie pédiatrique a fait l'objet, dès cette année, de la définition de règles d'organisation des soins et du renforcement des moyens médicaux et para-médicaux qui lui sont consacrés.
En matière de cancérologie gériatrique, nous manquons encore de connaissances médicales. Et, parce qu'elles sont souvent exclues des études cliniques, les personnes âgées sont privées du bénéfice immédiat des innovations qui en découlent. C'est pourquoi je souhaite que l'Institut national du cancer identifie très rapidement des établissements hospitaliers de référence. Ils auront pour mission d'adapter la prise en charge des personnes âgées et de contribuer à la formation des personnels soignants sur l'ensemble du territoire.
Le troisième droit essentiel, c'est le droit à la solidarité de la Nation.
Lors de vos premiers Etats généraux, vous avez témoigné des regards qui se détournent, de l'isolement qui guette les personnes malades et de l'exclusion qui les menace parfois. Vous avez dénoncé l'énergie gaspillée à surmonter des difficultés matérielles épuisantes, quand vaincre la maladie exigerait une mobilisation totale.
La solidarité nationale à laquelle vous avez droit doit s'exprimer par le refus de l'isolement et de l'exclusion, par des prestations sociales mieux adaptées mais aussi par la lutte contre les discriminations.
Rompre avec l'isolement passe par l'information de tous et par des gestes symboliques qui permettront de faire évoluer les mentalités. Des kiosques d'information, d'accueil, de soutien vont être créés au coeur des villes. De tels centres existent déjà depuis plusieurs années à Paris, un espace d'accueil vient d'être ouvert à Nice. Je souhaite qu'avec le concours de l'Institut national du cancer, ces initiatives soient étendues sur tout le territoire.
Rompre avec l'isolement, c'est bien sûr aussi faciliter l'action des associations. Pour apporter le soutien nécessaire aux malades et à leurs proches, pour informer, pour encourager la recherche, pour mobiliser la société tout entière, les associations ont été pionnières. Elles constituent le relais indispensable de toutes celles et de tous ceux qui luttent contre le cancer. Un texte vient d'être pris pour faciliter leur action en milieu hospitalier. J'ai également souhaité qu'elles aient toute leur place dans les instances de direction de l'Institut national du cancer.
L'isolement des malades sera d'autant mieux combattu que nos prestations sociales seront améliorées pour tenir compte de la situation particulière des personnes atteintes du cancer.
C'est très important pour l'accompagnement des enfants. La maladie d'un enfant est la plus poignante des injustices. Laisser un enfant malade seul sans ses parents, placer les parents dans la situation si cruelle de devoir justifier une absence par des raisons matérielles, c'est ajouter de l'inhumanité à cette situation terrible.
A cet égard, nous ne pouvons nous satisfaire du fonctionnement de l'allocation de présence parentale, mise en place il y a trois ans. Aux termes du bilan qui vient d'être établi par la ministre de la Famille, il apparaît que trois mille foyers seulement en bénéficient, alors que dix mille sont potentiellement concernés. Je souhaite que cette prestation soit revalorisée et réformée, en partenariat avec les associations. Je demande aussi au gouvernement d'organiser des procédures accélérées d'obtention de l'allocation adulte handicapé pour les jeunes malades.
Lorsque leur état de santé le permet, rester à domicile est naturellement le voeu le plus cher des personnes malades. Or, nos procédures d'aide, je pense à l'aide ménagère par exemple, sont encore trop rigides pour répondre à leurs besoins si spécifiques et si variables dans le temps. C'est toute l'importance du travail engagé par le ministère, la Ligue et l'association AIDES. Des structures légères proposent des aides ménagères, assistent les personnes malades dans l'accomplissement des formalités et fournissent en urgence un soutien temporaire lorsqu'il est nécessaire. Des expériences très prometteuses ont été menées en Corrèze et à Bordeaux. Je souhaite que, progressivement, elles soient élargies à tous les départements.
Vaincre le cancer, c'est enfin combattre les discriminations dont les malades sont encore trop souvent victimes. Je pense notamment au travail et à l'emploi : ce sera l'une des missions essentielles de la Haute autorité contre les discriminations. Je pense aussi à l'accès aux prêts et aux assurances. Le cancer, ce n'est pas la vie qui s'arrête, ce n'est pas renoncer à ses projets. Un groupe de travail est en train de revoir la convention Belorgey. J'attends des banques et des assurances qu'elles fassent de l'information des personnes malades et de l'amélioration de leurs droits une priorité. L'Etat sera très attentif à la façon dont les banques et les assurances exprimeront, à cette occasion, leur responsabilité sociale.
Mesdames, Messieurs,
Je suis venu aujourd'hui vous parler de vos droits et de la manière dont nous entendons les rendre effectifs pour tous. Affirmer devant vous la pleine citoyenneté des personnes atteintes du cancer. Mais je suis aussi venu vous dire que les pouvoirs publics ont besoin de vous.
Pour vaincre cette véritable épidémie qu'est le cancer, il faudra tout l'engagement et toute la constance des chercheurs. Il faudra la compétence, la ténacité et toute l'humanité des professionnels de santé. Mais, pour atteindre véritablement le but que nous nous sommes fixé, nous aurons besoin du concours décisif des personnes malades, des bénévoles et de leurs associations.
Pour élaborer et mettre en oeuvre le plan de mobilisation contre le cancer, les pouvoirs publics ont déjà pu compter sur l'engagement et la compétence des bénévoles et des responsables des associations de malades et de proches, au premier rang desquelles la Ligue contre le cancer. Vous n'avez ménagé ni votre temps, ni votre énergie pour faire valoir les attentes des personnes malades, pour surmonter les cloisonnements administratifs, pour donner à l'action encore plus d'ambition, encore plus d'efficacité. Je remercie toutes les associations ici présentes, entièrement rassemblées et mobilisées au service de notre combat commun.
Vous pouvez compter sur mon engagement indéfectible à vos côtés.
Je vous remercie.
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