ALLOCUTION PRONONCÉE PAR

MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

DEVANT LES PERSONNALITÉS MUSULMANES RÉUNIES À LA GRANDE MOSQUÉE DE PARIS

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PARIS

MARDI 9 AVRIL 2002

Monsieur le Recteur de la Grande mosquée de Paris, Messieurs les Recteurs des mosquées, Messieurs les responsables des communautés de fidèles, Mesdames, Messieurs, Mes Chers Amis,

Je voudrais tout d'abord vous remercier de tout coeur, Monsieur le Recteur, cher Dalil BOUBAKEUR, de m'avoir invité à revenir à la Grande mosquée de Paris pour y rencontrer, à travers les plus éminentes et les plus savantes autorités de l'islam en France, les Français musulmans et les musulmans installés sur notre sol.

Vous avez évoqué, Monsieur le Recteur, lors de notre récent entretien, la belle et puissante figure de LYAUTEY. C'est lui qui a proposé au gouvernement français l'édification de cette Grande mosquée qui fête, vous l'avez dit, cette année son 80e anniversaire. Esprit généreux et clairvoyant, LYAUTEY prônait dans ses commandements et dans ses mandats en terre d'islam la compréhension, le respect mutuel, l'ouverture au monde musulman. Le général de GAULLE y voyait, -je le cite- : "l'empreinte d'une oeuvre classique, valable en tout cas et en tout temps".

C'est la première fois depuis 1926, et son inauguration par le Président Gaston DOUMERGUE et le Sultan MOULAY YUSUF du Maroc, que la Grande mosquée reçoit le chef de l'État. Cet événement, vous avez voulu lui apporter cette chaleur qui me touche profondément et qui me rappelle ce merveilleux accueil que vous-même et les fidèles de la Grande mosquée m'aviez réservé, il y a dix ans, pour l'inauguration des travaux de restauration de ce superbe ensemble. Lieu prestigieux, cher au coeur des musulmans de France, haut lieu de la spiritualité et du culte musulmans. Mais aussi un lieu de notre mémoire nationale collective.

C'est à la France, à son histoire et à ses tragédies que l'on pense lorsqu'on est dans ces murs. La mosquée de Paris, c'est cette pierre blanche par laquelle la République a marqué, au lendemain de la Grande guerre, le sacrifice de ses combattants musulmans, notamment marocains, algériens, tunisiens et sénégalais, d'autres encore. Tombés par milliers, loin de chez eux, dans l'enfer des tranchées, ils ont acquis pour les leurs, au prix du malheur et au prix du sang, les moyens en France, dans la capitale, de leur pratique religieuse. C'est à tous ces soldats, dont la Grande mosquée conserve pieusement le souvenir, que je pense d'abord, et avec eux, à ceux de toutes les guerres dans lesquelles la France et son empire se trouvèrent engagés. * C'est tout cela, Monsieur BOUBAKEUR, qui fait de la Grande mosquée un lieu particulier, chargé d'émotion, chargé de symboles. Ici, le message millénaire de l'islam rejoint l'héritage et les valeurs de la République. Et voilà pourquoi j'ai tenu à m'adresser à nos concitoyens de culture musulmane et à ceux qui pratiquent et professent la foi musulmane. À un moment particulièrement difficile : moins de sept mois après les tragédies de New York et de Washington, tandis que les passions s'exacerbent jusque chez nous, alors que le Proche-Orient, hélas, s'embrase à nouveau de façon inacceptable.

Aujourd'hui, mon message est d'abord un message de confiance et d'estime. Je veux saluer l'engagement des représentants des musulmans de France qui ont unanimement condamné les attentats du 11 septembre et qui ont rappelé la valeur sacrée de la vie. Ils n'ont cessé, et tout particulièrement ces derniers jours, dans les drames auxquels on est confronté, d'en appeler au calme, à la raison et à la paix. Ils n'ont cessé d'en appeler aussi à la compréhension et au dialogue chez nous et dans l'ensemble du monde. * Ce dialogue, les représentants de l'État et les responsables musulmans, vous l'avez évoqué, Monsieur le Recteur, l'ont engagé.

Au cours des dernières décennies, la communauté musulmane a pris une place très importante dans notre pays, dans notre vie nationale. Votre rôle est plus que jamais d'expliquer. Expliquer aux pouvoirs publics les besoins des musulmans de France qui veulent pouvoir, et c'est légitime, vivre leur foi dans la tolérance, dans le respect et dans la dignité. Cette dignité qui concerne au premier chef les lieux de culte et de sépulture. Vivre leur foi en partageant, comme tous nos concitoyens, les principes, les valeurs et les lois de la République.

Quant aux pouvoirs publics, il leur revient de rappeler clairement ce qui, d'une part, appartient à la sphère privée individuelle et, d'autre part, ce qui relève de la sphère publique, de l'organisation sociale. * Monsieur le Recteur, vous avez souvent tenu, et à l'instant, encore, à rappeler quel islam est le vôtre. Un islam opposé au fondamentalisme fanatique. L'islam que l'on enseigne à la Grande mosquée et à l'Institut musulman de Paris, mais aussi à Lyon, à Marseille et dans bien d'autres lieux de prières. Un islam tolérant et pacifique. Un islam ouvert aux évolutions du monde et refusant la crispation et le repli. Un islam qui s'attache à concilier ses enseignements et tout ce que la modernité peut apporter à chacun, homme et femme, en terme de progrès, en terme de justice, en terme de respect mutuel. En clair, l'islam de la charité et de la fraternité.

Voilà pourquoi il est important, comme pour les autres religions, d'organiser ce dialogue entre pouvoirs publics et les représentants de l'islam de France. Voilà pourquoi, depuis longtemps, je suis favorable à ce qu'une instance représentant l'ensemble des composantes et des sensibilités musulmanes se mette en place. Dans la transparence et dans le respect des lois et des principes républicains. Je pense notamment à la laïcité, qui est au coeur de notre modèle français.

Il est important aussi que l'islam de France puisse former sur notre sol ses cadres religieux et qu'il puisse disposer de lieux de culte et de lieux sépultures à la fois dignes et conformes à ses préceptes. * Notre Nation laïque permet et garantit l'exercice de toutes les solidarités, de toutes les libertés. La liberté de conscience. La liberté de pensée. La liberté religieuse. Voilà pourquoi je n'ai cessé de lutter et je lutterai toujours contre les forces et les dérives pouvant conduire à la dilution de notre cohésion nationale qui manifeste notre communauté de destin.

Pour moi, la Nation n'est pas une entité close, refermée sur elle-même. Elle a vocation à évoluer sans cesse, à s'enrichir de toutes les diversités, à emprunter à tous les univers et à toutes les traditions, pourvu qu'elle n'oublie jamais ce qui la rassemble.

Cette vision, je le sais, est celle de l'immense majorité des musulmans de France. Ils l'ont réaffirmée sans équivoque dans les épreuves de ces derniers jours, en condamnant avec force l'antisémitisme, les profanations, les agressions et toutes, je dis bien, toutes les manifestations d'intolérance religieuse.

Je veux redire ici, avec vous, combien ces agressions, quelle qu'en soit la nature, sont indignes de notre pays. Elles sont intolérables. La haine raciale ou religieuse, sous toutes ses formes, doit être poursuivie et réprimée avec une fermeté exemplaire. L'autorité de l'État doit être sans faille. C'est l'honneur de la France. C'est à lui qu'incombe la sécurité des personnes et des biens. C'est lui qui garantit à chacun l'exercice de ses libertés.

J'appelle aussi chacun à la vigilance. J'appelle chacun à la tolérance, au respect de l'autre, au dialogue. J'appelle chacun à s'engager résolument pour préserver, défendre et renforcer l'héritage précieux qui fonde notre Nation, notre communauté de destin. Et je veux redire avec force que des conflits extérieurs, quelle qu'en soit la nature, ne sauraient dresser sur notre sol des Français contre des Français. Je n'accepterai jamais que la France dérive vers une juxtaposition de communautés. J'attends de chaque Français, quelle que soit son origine, quelle que soit sa religion, qu'il soit solidaire de ses compatriotes.

C'est ce message de responsabilité et de dignité que font entendre aujourd'hui, à Lyon mais aussi à Marseille, à Montpellier et partout où des fidèles et des lieux de culte ont été frappés, l'ensemble des autorités spirituelles de notre pays. Je veux leur rendre un hommage solennel. Saluer leur engagement conjoint contre la violence, d'où qu'elle vienne et où que ce soit, et contre l'intolérance. * Leur solidarité dans l'épreuve, leurs appels incessants à la paix rejoignent et renforcent les inlassables efforts de notre pays sur la scène du monde.

Nos efforts pour prévenir tout ce qui, dans le monde se construit, peut susciter la méfiance, la peur, la haine. Nos efforts pour promouvoir le grand dialogue des cultures afin que l'extraordinaire accélération des échanges, qui offre une chance de développement et de progrès à tant de pays, ne soit pas vécue dans la crispation ou l'amertume, dans la crainte de perdre ses racines ou ses repères les plus intimes mais dans l'enthousiasme.

Désamorcer les humiliations, les peurs, les tensions. Lutter contre l'exclusion et contre l'uniformisation, pour le respect des langues et des cultures. Organiser la rencontre des civilisations et consolider ce socle de valeurs éthiques qu'elles partagent et qu'elles ont en commun : c'est à cela que s'attache aujourd'hui la France. Ce dialogue des cultures, nous le faisons vivre chez nous. Et nous l'encourageons sur la scène internationale. Il s'agit de construire un monde plus juste, où chacun trouve sa place, c'est-à-dire un monde en paix.

Devant le déchaînement de la violence, devant les destructions et les morts, chacun ressent une très vive émotion, et une légitime révolte. Cette émotion, cette révolte naissent de la conscience humaine blessée.

Dans le climat actuel d'extrême tension au Proche-Orient, l'objectif de la France est plus que jamais l'apaisement. Mais ce message de paix, nous ne pouvons le porter que si nous-mêmes nous savons rester unis. * C'est cela, Monsieur le Recteur, qui donne toute sa dimension à ce rassemblement des musulmans de France, aujourd'hui, autour de vous, à la Grande mosquée de Paris.

Toutes ces dernières années, chacun a fait sa part du chemin. La société française a accompli un long travail sur elle-même. Elle l'a fait dans la fidélité à ses valeurs républicaines : l'accueil, la tolérance, l'égalité et la fraternité. Elle l'a mené avec succès, même si la vigilance et la lutte contre les discriminations demeurent plus que jamais absolument nécessaires. Même si nous devons mieux assurer leur place aux générations d'aujourd'hui, à ces enfants de l'immigration qui ont tant à nous donner et avec lesquels nous avons tant à partager.

Les faits donnent raison à ceux qui avaient foi dans la société française, dans le génie de la République et dans le talent des générations de femmes et d'hommes qui, au long des années, ont rejoint notre pays. Et vous avez eu raison, Monsieur le Recteur, de souligner l'exemplarité de beaucoup de parcours de musulmans en France. Je souhaiterais que l'on donne un écho plus large à toutes ces réussites personnelles, souvent étonnantes, de plus en plus nombreuses et dans tous les domaines.

En manifestant votre indéfectible attachement à la République, à la nation, à ses principes et à sa cohésion, vous témoignez de cette France, diverse et multiple, mais rassemblée autour des valeurs de la République.

En venant ici, Monsieur le Recteur, je voulais vous en remercier, vous dire ma confiance, vous dire mon estime au nom de tous nos compatriotes.

Monsieur le Recteur, Mesdames, Messieurs, je vous remercie.