Conférence de presse conjointe de M.Jacques CHIRAC, Président de la République, de M.Blaise CAMPAORE, Président du Burkina-Faso, de M.Abdou DIOUF, Secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie, de M.Paul MARTIN, Premier ministre du Canada, et de M.Ion ILIESCU, Président de la Roumanie.
Ouagadougou (Burkina Faso) le samedi 27 novembre 2004.
M. BLAISE COMPAORE - Mesdames, Messieurs, je voudrais redire une fois de plus notre fierté et l'honneur qui a été fait au Burkina d'abriter cette conférence au sommet de la communauté francophone. Nous venons d'arrêter un certain nombre de conclusions dont les plus importantes touchent à la fois le cadre stratégique pour dix ans d'actions communes et solidaires en francophonie, mais aussi une déclaration, bien sûr, qui reprend les grandes idées, les grandes propositions que nous faisons aux Etats de la Francophonie et au reste du monde pour un monde plus juste, plus solidaire face aux inégalités qui se creusent entre les grands et les petits, surtout entre les riches et les pauvres.
Je dois dire ce matin toute notre appréciation de l'action du Secrétaire général, le Président Abdou DIOUF, qui s'est investi pleinement dans la consolidation de notre communauté. Je dis aussi mes remerciements à tous les pays et particulièrement, la France, le Canada qui nous ont apporté un concours précieux dans l'organisation de cette grande conférence. Je salue aussi la Roumanie qui, à côté de nous, va en 2006 abriter dans cette région d'Europe le XIe Sommet.
Nous sommes ce matin à votre disposition, Mesdames, Messieurs, pour répondre à vos questions, sauf s'il y a des mots introductifs.
LE PRESIDENT - Je voudrais simplement dire deux mots, avec la permission du Président. Le premier, et chacun le comprendra, en ce centième jour de détention de nos compatriotes en Iraq, je voudrais lancer un appel aux ravisseurs pour leur dire que le moment est venu de retrouver le chemin de l'humanisme et de rendre leur liberté à ces deux otages.
S'agissant, de l'angoisse de leurs familles, de leurs confrères et cons urs, de l'ensemble des Français, je voudrais rendre hommage aux comportements et à la dignité exceptionnelle qui a été celle des familles de nos deux otages et de leurs milieux professionnels, de leurs confrères. Et je suis sûr, quand ils rentreront, ce dont je ne doute pas, ce dont je ne veux pas douter, qu'une part importante de leur retour sera dû aux comportements de leurs proches et aussi de l'ensemble du peuple français.
Ma deuxième observation, c'est pour adresser au Président du Faso, aux autorités, à l'ensemble des autorités de ce pays, et à la population burkinabée, particulièrement celle de Ouagadougou, notre estime, notre admiration, notre reconnaissance et notre amitié.
Ce Sommet a été remarquablement préparé par la présidence et par notre Secrétaire général. Il a été remarquablement exécuté dans les meilleurs conditions à tous égards et je ne voudrais pas oublier la population de Ouagadougou qui a été, il faut bien le reconnaître, un peu gênée, c'est le moins que l'on puisse dire, par l'ensemble des cortèges liés à la présence de cinquante ou soixante délégations internationales dont un certain nombre de chefs d'Etat et de gouvernement. Elle nous a accueilli, vous avez pu certainement le vérifier, avec des gestes d'amabilité, de chaleur, de sourire comme si, véritablement, elle était heureuse de nous voir. Et, au fond, je pense qu'elle l'était. Je voudrais donc également remercier toute la population de Ouagadougou et, bien entendu, le Président du Faso et tous ses collaborateurs.
M. PAUL MARTIN - Je voudrais certainement m'associer au commentaire du Président de la France en ce qui concerne la population du Burkina Faso et tous ceux qui sont responsables de l'organisation et j'aimerais, de façon toute particulière, vous remercier, Monsieur le Président. Ce n'est pas facile de présider une conférence de politiciens, comme vous l'avez fait, mais on a fait beaucoup de progrès pour avoir des discussions en profondeur. Alors, je veux vous féliciter pour votre présidence d'une part, et pour les conclusions auxquelles nous sommes arrivés.
En même temps, j'aimerais vous remercier et remercier tous les délégués de ce geste extraordinaire d'avoir confirmé le choix du Québec pour le Sommet après la Roumanie, c'est-à-dire en l'an 2008 qui coïncide avec le 400e anniversaire de cette belle ville. Et je voudrais féliciter le Premier ministre du Québec pour cela.
M. ION ILIESCU - Tout d'abord, je voudrais féliciter le Président et le Burkina Faso en général pour l'organisation de ce Sommet. Je voudrais aussi féliciter la Francophonie pour la thématique très intéressante de ce sommet : la Francophonie, espace de solidarité pour le développement durable. C'est un problème de grande actualité qui était le sujet des grands Sommets de Johannesburg, de Monterrey. Et on a continué ces discussions-là.
Je voudrais remercier tous les délégués, tous les pays présents au Sommet qui ont accepté que le XIe Sommet soit organisé à Bucarest en 2006. Nous avons proposé comme thème : la Francophonie vers la société informationnelle et du savoir, par l'éducation pour tous. Alors, nous vous attendons tous à Bucarest en 2006 pour débattre de ce thème.
Je voudrais enfin féliciter le Canada, le Québec, qui sera l'organisateur du XIIe Sommet.
M. ABDOU DIOUF - Merci, Monsieur le Président. Mesdames et Messieurs, je voudrais insister d'abord sur un point. Sur les conditions exceptionnelles de travail qui nous ont été fournies par le Burkina Faso. Vous savez que pour la préparation de ce sommet, nous avons dû avoir une synergie très forte entre l'OIF, ses opérateurs et le Comité de pilotage que nous avons mis en place, et le Comité national d'organisation du Burkina Faso. Mais chaque fois que nous avions un problème, M. le Président Blaise COMPAORE prenait les décisions énergiques qu'il fallait au bon moment, ce qui nous a permis d'avoir ce grand sommet. J'ai aussi rendu hommage tout à l'heure à la façon magistrale dont il avait présidé le débat, et qui nous a permis de tenir le délai. Car notre agenda était très chargé, et nous avons quand même pu tenir les délais.
Le deuxième point sur lequel je voudrais insister, c'est remercier Monsieur le Président de la République française, pour une décision importante, qui va faciliter le travail de la Francophonie : la dotation de la Maison de la Francophonie. Le Président Jacques CHIRAC avait fait cette promesse en 2002 à Beyrouth. Lui-même, son gouvernement et ses services y ont travaillé d'arrache-pied. Nous sommes maintenant convaincus qu'avant fin 2006, nous disposerons d'une Maison de la Francophonie, où nous pourrons regrouper le cabinet du Secrétaire général et tous les opérateurs, pour créer une plus grande cohérence dans l'action, surtout au moment où nous avons adopté un cadre stratégique décennal qui nous engage, qui nous donne des objectifs stratégiques resserrés, et qui exige un travail beaucoup plus efficace et beaucoup plus performant à tous les niveaux.
Une note politique -je suis sûr que vous l'avez tous sur les lèvres- : je vous dis que nous sommes tous gravement préoccupés, et mes mots ne sont pas assez forts, par la situation en Côte d'Ivoire, et que nous sommes tous mobilisés, avec les protagonistes ivoiriens, pour trouver une solution pacifique à cette crise. Nous pensons que les moyens militaires ne peuvent rien régler et que c'est par des moyens pacifiques que l'on peut arriver à résoudre ce drame ivoirien. Voilà, ce que je voulais vous dire. Je vous remercie.
QUESTION - Monsieur le Président de la République française, vous avez fait récemment à Hanoï, une déclaration remarquée sur la nécessité d'une écologie culturelle et sur le refus par la France d'accepter la domination dans le monde d'une culture unique, d'une langue unique. La fermeté de votre déclaration, très appréciée dans la Francophonie et bien au-delà, sera-t-elle suivie d'effets sur ceux qui, en France même, rejettent le principe de diversité et s'accrochent au tout-anglais, jusque dans les fondamentaux de l'Education nationale ?
LE PRESIDENT - D'abord, je n'ai porté, au Vietnam, aucun jugement négatif à l'égard de langues et cultures, contrairement à ce qu'une dépêche, d'ailleurs corrigée rapidement après, avait pu faire penser. Deuxièmement, je crois profondément à la diversité culturelle, et je crois que c'est non seulement un moyen d'enrichissement, mais surtout un moyen de préserver l'ensemble des langues. Une langue, c'est aussi une histoire, une mémoire, une culture. Et quand une langue, fut-elle tout à fait modeste, disparaît, c'est un pan de notre histoire, de notre culture, de notre civilisation qui disparaît, où qu'elle soit. Donc la diversité culturelle est quelque chose d'essentiel.
Dans cette optique, la Francophonie défend ce moyen privilégié de culture qu'est le français, et je n'ai pas observé qu'il y ait des partisans, en tous les cas en France, du tout-anglais. En revanche, il y a sans aucun doute en France un problème, qui est d'améliorer la capacité, qui est très faible, hélas, des Français à apprendre les langues étrangères en général, et notamment les principales langues qui véhiculent, notamment, l'économie d'aujourd'hui.
QUESTION - Monsieur la Président CHIRAC, deux petites questions sur la crise en Côte d'Ivoire : le projet de résolution de la déclaration finale envisage, en faisant référence à la déclaration de Bamako de 2000, d'éventuelles sanctions et, à terme, l'exclusion de l'un des membres de la Francophonie, la Côte d'Ivoire. Envisagez-vous à terme l'exclusion de la Côte d'Ivoire ? Ensuite, sur la crise en Ukraine, l'Union européenne dit désormais que l'une des meilleures solutions serait l'organisation de nouvelles élections avant la fin de l'année. Est-ce que la France plaide également pour cette option ?
LE PRESIDENT - Pour ce qui concerne la Côte d'Ivoire, le Président Abdou DIOUF, je crois, a parfaitement défini en quelques mots les conclusions unanimes, je dis bien unanimes, de notre sommet. C'est-à-dire qu'il n'y pas de solution militaire au problème que connaît aujourd'hui, hélas, la Côte d'Ivoire. Il n'y a qu'une solution politique. Cette solution politique doit être mise en uvre à partir des décisions prises à Accra, notamment à Accra III, dans le cadre de ce qui a été adopté à l'unanimité comme analyse et comme propositions, par le Conseil de sécurité, par la CEDEAO, par l'Union africaine, et notamment sous l'impulsion aujourd'hui du Président de l'Union africaine, le Président OBASANJO. Il avait d'ailleurs, à ce titre, été invité et il a participé à nos entretiens hier, ce dont nous lui avons tous été profondément reconnaissants ; voilà, ce que je peux dire. Nous souhaitons que le bon sens revienne, de façon à ce qu'une solution politique puisse ramener la paix, la stabilité et le développement, dans ce pays qui souffre, dans des conditions qui ne sont justifiées par rien.
Sur l'Ukraine, ce n'était pas l'objet de nos entretiens. Ce que je peux vous dire, c'est qu'il y a une position unanime qui a été prise par l'Union européenne, elle a été portée en Ukraine par Javier SOLANA. J'approuve et j'appuie sans réserve cette position.
QUESTION - Le Canada a proposé l'organisation d'une conférence sur la prévention des conflits, avant le prochain sommet. Est-ce que le Sommet a discuté de cette proposition ? Si oui, quand cela aura-t-il lieu ?
M. PAUL MARTIN - Nous avons lancé l'invitation, et je crois qu'elle a été très bien reçue, vous allez le voir, une déclaration très claire appuyant la responsabilité de protéger. Maintenant il s'agit d'établir un consensus plus large, avec l'appui de la Francophonie, d'une part, et de commencer à mettre les détails en place. Nous allons avoir la conférence des ministres des Affaires extérieures le plus tôt possible.
QUESTION - Monsieur le Président roumain, il a été dit que ce Xe Sommet de la Francophonie marque un tournant dans la vie de l'institution. Sous quel signe placez-vous le XIe Sommet, qui aura lieu dans votre pays?
M. ION ILIESCU - J'ai dit que le sommet avait accepté la thématique suivante : la Francophonie vers la société informationnelle et du savoir, par l'éducation pour tous. Cela veut dire que c'est une phase nouvelle du développement de la civilisation où l'éducation et le savoir sont les points forts de tout développement de tous les pays.
Je pense que cette thématique a été considérée comme une thématique intéressante qui répond aux préoccupations de tous les pays au commencement du XXIe siècle.
QUESTION - Ma question s'adresse au Président du Faso. Monsieur le Président, comment appréciez-vous l'absence de certains pays fondateurs de la Francophonie, en tous les cas, certains pays membres depuis très longtemps, comme la Côte d'Ivoire, la Mauritanie, le Togo, au niveau des chefs d'Etat ?
M. BLAISE COMPAORE - Je pense que ce ne sont pas les seuls chefs d'Etat qui sont absents de cette conférence. Je dois vous dire que le Togo était représenté par le Premier ministre, la Côte d'Ivoire par le ministre de la Culture et de la Francophonie. Je peux vous assurer que ce Sommet n'était qu'un sommet de grande synthèse. Il y a eu des centaines de rencontres sur le thème, sur la vie de la Francophonie. Les pays dont vous parlez : la Côte d'Ivoire et le Togo ont participé à tous les niveaux de discussions, de concertation sur le thème et sur le bilan de la Francophonie.
QUESTION - Ma question s'adresse au Président CHIRAC : Monsieur le Président, dans la crise haïtienne, la France avait pris des initiatives heureuses et d'avant-garde pour arriver, selon les v ux du peuple haïtien, au départ de l'ex-dictateur, Jean-Bertrand ARISTIDE. Depuis, pourtant, les Haïtiens se sentent abandonnés par la France, alors que le Canada a pris clairement le leadership dans la crise haïtienne et surtout la reconstruction d'Haïti avec son nouveau gouvernement de transition démocratique. Qu'est-ce qui explique le retrait remarquable et remarqué de la France dans le dossier haïtien ?
LE PRESIDENT - Je ne crois pas qu'on ait un retrait, que la France soit en retrait qui soit ni remarquable ni d'ailleurs remarqué sur place, si j'en crois encore les propos du Premier ministre de Haïti, tout à l'heure, qui est venu me remercier très chaleureusement de l'engagement sans faille de la France à l'égard d'Haïti.
Nous avons réagi immédiatement en envoyant des soldats. Puis, nous avons été le moteur de l'organisation d'une relève et d'une création d'une force de l'ONU. C'est à ce titre qu'aussi bien les Américains et que les Français se sont retirés pour laisser la place, conformément à ce qu'en avait décidé l'ONU, à la force de l'ONU, dirigée par un officier général brésilien.
Nous avons en revanche envoyé, conformément à ce qu'il nous a été demandé, des policiers et des gendarmes, c'est-à-dire des civils, comme d'ailleurs le Burkina Faso et un certain nombre de pays. Le Canada a pris une place tout à fait naturelle et éminente, compte tenu notamment du nombre d'Haïtiens qui vivent au Canada. Nous avons soutenu sans réserve la position du Canada avec qui nous travaillons la main dans la main sur ce dossier. D'ailleurs, avant de faire son voyage, M. MARTIN m'avait téléphoné pour que ce soit tout à fait bien d'accord. Donc, je ne peux pas accepter le qualificatif de "retrait remarquable et remarqué" car il ne correspond à rien.
M. PAUL MARTIN - J'aimerais simplement soutenir ce que le Président de la France vient de dire. La France était là tout au début. Nous avons eu une discussion très importante à l'intérieur de la conférence d'aujourd'hui. La France a certainement soutenu la thèse qu'il faut que la Francophonie appuie les mesures prises pour soutenir et en vue de la reconstruction d'Haïti. Je peux vous dire que j'ai eu, tout au début, des discussions avec la France et avec le Président de la France, et je sais fort bien que la France maintient son appui pour Haïti. Et je peux vous dire en même temps que le Canada sera là, toujours.
QUESTION - dans quelques jours, nous allons fêter le 6e anniversaire de l'assassinat du journaliste Norbert ZONGO. Rien ne bouge dans cette affaire. Ne trouvez-vous pas un petit peu paradoxal de rappeler sans cesse que la Francophonie c'est le partage d'une langue mais aussi de valeurs communes, comme le respect des droits de l'Homme et le respect de l'état de droit, alors que dans cette affaire, une impunité totale demeure ?
M. BLAISE COMPAORE - Qu'est-ce que vous appelez impunité ?
QUESTION - Cela fait six ans tout simplement qu'une instruction est censée être en cours. Le juge d'instruction ne fait absolument rien. Il n'a même pas interrogé les proches, les anciens collègues de Norbert ZONGO, ni les membres de sa famille. C'est cela que l'on appelle une affaire qui ne bouge pas, un dossier qui est bloqué.
M. BLAISE COMPAORE - Vous me parlez de faits exacts. Mais je pense que si vous êtes en contact avec le juge d'instruction, avec ceux là même qui au départ ont participé à une commission d'enquête, je peux vous dire que sur ce dossier, le juge a l'entière liberté d'interroger qui il veut, à tout moment. Et le gouvernement a mis en place les moyens qu'il faut pour lui permettre d'assumer sa tâche. Mais ne demandez pas au Président CAMPAORE, ou à quelqu'un d'autre, de s'ingérer dans ce processus judiciaire. Peut-être est-ce ce que vous souhaitez, mais ce n'est pas notre rôle. C'est plutôt d'offrir à la justice les moyens de travailler et de faire la lumière sur ce dossier, comme sur bien d'autres, ici comme à travers le monde.
QUESTION - Une question qui s'adresse à M. DIOUF. Je voudrais savoir quel type de contribution, concrètement, l'OIF entend-elle accorder à Haïti, en vue, premièrement, de sa gouvernabilité et deuxièmement, de son développement économique.
La deuxième question s'adresse au Premier ministre canadien : je voudrais savoir qu'est-ce qui explique cet intérêt manifeste du Canada par rapport à la crise haïtienne ?
M. ABDOU DIOUF - Je voudrais vous dire, dans la suite de ce que le Premier ministre MARTIN a dit tout à l'heure et de la réponse donnée par Monsieur le Président CHIRAC à une question précédente, que dès le début de la crise, la Francophonie a été présente. Elle a envoyé une mission de haut niveau. Elle a fait un rapport et, sur la base de ce rapport, nous avons initié des actions pour la reconstruction démocratique et la consolidation de l'état de droit à Haïti.
Actuellement, nous allons avoir dans les jours qui viennent, les termes sont déjà sur la table, un accord quadripartite entre le Canada, l'Union européenne, l'OIF et Haïti, justement sur un dossier concernant la justice et l'état de droit à Haïti. Parce que nous considérons que c'est un élément essentiel. Je rappelle aussi, lorsqu'il s'agit de mettre en place une force en Haïti, le Secrétaire général de l'OIF a saisi tous les chefs d'Etat de l'OIF -chefs d'Etat et de gouvernement-, pour leur demander de faire en sorte qu'il y ait une composante francophone importante dans les troupes, dans les forces armées, dans la gendarmerie, dans la police aussi bien en terme d'actions qu'en terme de formation. Et des réponses positives ont été enregistrées de la part de beaucoup d'Etats.
Concernant le développement économique, quand le moment sera venu d'en parler, nous aurons notre rôle de catalyseur à jouer pour amener le maximum d'aide au développement à Haïti. Mais cela a déjà commencé, puisque dans les réunions qui se sont déjà tenues, des bailleurs de fonds, que ce soit en Haïti, que ce soit à Washington ou à New York, la Francophonie est toujours présente et a essayé de créer les synergies permettant à Haïti de disposer des moyens nécessaires pour assurer, le moment venu, sa reconstruction et son développement.
M. PAUL MARTIN - Pour répondre à la question du Canada, je vous dirai que d'une part, il y a quelque chose de très important qui se passe en Haïti, c'est que le gouvernement en place est non seulement un gouvernement de transition, mais surtout un gouvernement qui a promis de ne pas se représenter. Quand vous avez des situations très difficiles comme celle en Haïti, je pense que la façon avec laquelle le gouvernement de transition se met en place est très importante, parce qu'ils sont là simplement pour bien gérer et préparer les élections à venir. Avec Haïti, le Canada partage, certes, un continent, mais surtout des valeurs. Il y a d'ailleurs une importante population haïtienne au Canada. Les Haïtiens, ce sont nos frères, et nos s urs, et c'est pour cela que nous sommes là.
QUESTION - Monsieur le Président du Faso : le thème central de ce sommet portait sur le développement durable, qui correspond aux réalités de votre pays. Est-ce que vous êtes satisfait des résultats dans ce domaine ?
M. BLAISE COMPAORE - Je crois que nous avons surtout essayé d'éclairer la marche de la communauté pour aller vers ce développement durable. Car pour agir, il faut d'abord réfléchir et s'orienter et il faut dégager des pistes. C'est ce qui a été fait. Il faut ensuite voir la programmation au niveau de l'action, c'est ce que nous avons essayé de faire sur dix ans. Il reste que, pour nous, c'est encore au niveau des quêtes, ce développement solidaire. Car ce matin même, nous avons pu évoquer la question de la subvention de la filière coton, et les dégâts que cela produit dans nos filières africaines. C'est vous dire qu'il reste encore de grandes préoccupations, et nous espérons que ce mouvement politique rende un monde plus solidaire et plus attentif aux préoccupations économiques des plus faibles. Nous pensons que la Francophonie va s'investir et influer sur la marche du monde en ce qui concerne ces aspects de solidarité nécessaire.
QUESTION - Deux petites questions à M. DIOUF. Dernièrement, le Président KAGAME a menacé d'envahir à nouveau le territoire congolais. L'OIF a-t-elle pris une initiative là-dessus ? Ensuite, la RDC organise l'an prochain des élections ; est-ce que l'OIF va aider ce pays pour leur organisation ? Dernière question au Président CHIRAC : la Radio Okapi a besoin de bailleurs. La France n'assiste pas cette radio, bien qu'elle participe au processus de paix dans le pays, le deuxième pays francophone d'Afrique. Pourquoi cela ?
M. ABDOU DIOUF - Je voudrais d'abord dire que, pour tout ce sommet, nos avons travaillé en séance plénière, à huis clos, dans des tête-à-tête, dans des discussions de couloir. Et que sur la première question que vous avez posée, il y a bien une inquiétude sur les relations entre la RDC et le Rwanda. Et beaucoup de chefs d'Etat et de gouvernement se sont occupés de cette question. Nous avons aussi, dans notre déclaration, lancé un appel au calme, à la raison et à la sagesse, et nous pensons que le pire sera évité. C'est tout ce que je peux vous dire à ce stade. Concernant les élections en RDC, la Francophonie sera largement impliquée. Elle a déjà tenu un symposium en RDC pour son expertise en matière de préparation des élections, de renforcement des capacités des institutions chargées du contrôle des élections, de la régulation. Et à l'heure actuelle, la Francophonie se prépare à aller plus loin, en liaison évidemment avec toutes les autres institutions qui participent au développement de la RDC et à l'accompagnement de la transition.
LE PRESIDENT - Concernant Radio Okapi, je dois vous dire que je ne connaissais pas le problème, mais je vais me renseigner !
QUESTION - Monsieur le Président CHIRAC, pouvez-vous nous indiquer quelle est la politique de la France en Afrique, notamment dans le "pré carré". Avant, c'était la politique du "ni, ni" ni ingérence, ni indifférence. Et maintenant ?
LE PRESIDENT - Nous ne voulons faire effectivement aucune ingérence, je le répète, sous réserve de demandes des organisations compétentes, qu'il s'agisse de l'ONU, de l'Union africaine, de telle ou telle organisation régionale. C'est dans ce cadre que nous intervenons et, en aucun cas, dans un esprit d'ingérence. Et, évidemment, nous ne sommes pas indifférents à la situation de l'Afrique. Pour des raisons historiques que je n'ai pas besoin de développer. Pour des raisons géographiques, nous sommes voisins, l'Afrique et l'Europe. Et pour des raisons politiques, parce que nous considérons que l'Afrique se trouve dans une période où elle a besoin de la solidarité internationale, et que c'est un devoir de l'accompagner dans son développement encore insuffisant.
Cela me conduit à souligner les points les plus importants, à mes yeux, parmi ceux qui ont été traités ce matin. Il y en a deux, avec un exemple : le premier c'est que chacun sait que nous ne donnerons pas l'impulsion nécessaire au développement de l'Afrique sans augmenter les moyens de l'aide au développement. Et d'ailleurs, les Objectifs du Millénaire n'ont aucune chance d'être atteints si l'on ne met pas en uvre les moyens d'au moins doubler l'aide au développement. Ce qui suppose que l'on trouve au moins une cinquantaine de milliards de dollars par an. Et la France a pris l'initiative, sachant très bien qu'on n'augmenterait pas dans ces proportions l'aide publique au développement d'origine budgétaire, de faire une étude avec les grands spécialistes internationaux. Nous avons fait la proposition d'une taxation internationale permettant de récupérer les moyens nécessaires pour compléter l'aide publique au développement, et permettre ainsi de donner une forte impulsion au développement, notamment dans les domaines, je dirais, non rentables de l'éducation, de la formation, de la santé, des transports, etc.
Cette proposition que nous avons faite, et à laquelle j'avais associé le Président du Brésil, celui du Chili et le Premier ministre espagnol, a été, je dirais presque à notre bonne surprise, souscrite par cent dix pays de l'ONU, à la dernière réunion que nous avions organisée à l'ONU, à la veille de la dernière assemblée générale. Aujourd'hui, les soixante-deux pays de la Francophonie ont également adopté cette conclusion. C'est là un élément capital pour le redressement de la situation en Afrique, absolument capital. C'est donc un premier point, et c'est vous dire que, sans faire d'ingérence, la France n'est pas indifférente à la situation de l'Afrique qui, d'ailleurs, mérite sur le plan moral comme pour des raisons politiques, l'attention qu'il faut lui porter.
Deuxième décision dans ce même esprit qui, d'ailleurs, a déjà été appliquée et de façon brillante par le Burkina Faso, c'est la micro-finance. Les expériences conduites et menées par le Professeur Mohammed YUNUS ont eu des résultats extraordinaires. Plus de soixante millions de gens très pauvres, n'ayant aucun moyen d'avoir accès à un capital quelconque, sauf à tomber dans les mains des usuriers, sont aujourd'hui sortis de la pauvreté grâce à la micro-finance. D'ailleurs, ici ou là, des expériences ont été conduites et notamment au Burkina Faso où déjà, depuis dix ans, des expériences de micro-finance ont permis à un certain nombre de Burkinabés de sortir de la misère et d'entrer dans les circuits économiques modernes.
Nous sommes décidés à nous engager très fortement. J'ai convoqué pour l'année prochaine une grande conférence internationale à Paris sur la micro-finance. Nous avons décidé d'apporter une dotation budgétaire importante pour permettre de faciliter notamment les garanties au départ, dans les pays francophones, du développement du système de micro-finance. Et là aussi, vous avez un mouvement qui commence et qui est un mouvement complémentaire indispensable, et d'ailleurs moral, à l'action du développement par la voie de l'aide publique, sur laquelle nous comptons beaucoup.
C'est donc aussi deux décisions importantes qui ont été prises à l'occasion de ce Sommet de la Francophonie. Je dirais en dernier point, à titre d'illustration, que le Président du Faso n'a pas souligné son intervention dans ce domaine, parce qu'il est un peu, il faut le dire, juge et partie, mais la situation des producteurs de coton est absolument inacceptable. Nous nous battons, et là aussi c'est la preuve de notre non indifférence, pour la sauvegarde des producteurs de coton en Afrique. Nous nous sommes battus au niveau européen. Au niveau européen, nous avons gagné, puisque l'Europe a décidé d'apporter un soutien total à nos propositions et de compenser les pertes et les conséquences pour les quelques producteurs espagnols et pour les producteurs grecs, plus nombreux, de les compenser avec les moyens de l'Union européenne. C'est parfait.
Naturellement, à l'OMC, nous avons été battus. Et nous avons été battus, parce qu'il y a un système dans le monde d'aujourd'hui où par exemple, aux Etats-Unis, il y a quatre milliards de dollars de subventions qui sont donnés pour vingt-six mille producteurs de coton. Alors, naturellement, dans ces conditions les producteurs du Mali, du Burkina Faso ne peuvent être que ruinés. Et on voit actuellement les cours qui baissent de façon dangereuse, mettant les pays dans des situations absurdes. Ou bien ils compensent la baisse du prix du coton pour maintenir un niveau de vie minimum, et ils le font sur leurs finances budgétaires, et à ce moment là, ils sont condamnés par le Fonds monétaire international qui dira : "pas du tout, vous n'avez pas le droit de faire cela et donc on vous supprime vos aides ou notre coopération". Ou alors, ils ne font rien, et naturellement ce sont les producteurs de coton qui meurent de faim.
Donc, il y a là des vrais, vrais problèmes et je suis heureux qu'un forum aussi compétent que celui de la Francophonie ait pu se saisir et marquer très profondément son attachement à ce que des solutions soient trouvées à ces problèmes. J'en remercie le Président du Faso et j'en remercie le Secrétaire général de la Francophonie.
QUESTION - Ma question s'adresse au Président CHIRAC. Je voudrais savoir s'il a été question au cours de la séance à huis clos de la nouvelle dynamique de la France au Proche-Orient qui s'est traduite plus particulièrement en ce qui concerne le Liban par une attitude très louable et dont le peuple libanais vous en est reconnaissant d'ailleurs. Je voudrais savoir s'il a été question de cette dynamique française et est-ce que l'OIF est solidaire de la France à ce niveau ?
LE PRESIDENT - Moi, je rappelle simplement quelle est la position de la France. La France a toujours appelé au respect de l'intégrité territoriale, de la souveraineté et de l'indépendance du Liban. Dans les circonstances actuelles, il est certain que l'élection présidentielle libanaise aurait pu être l'occasion de montrer que le Liban avait pleinement retrouvé sa tradition démocratique. C'est une des rares zones de démocratie dans cette région. Cela n'a pas été le cas et, par conséquent, nous en avons tiré, pour ce qui nous concerne, des conclusions qui ont été d'ailleurs adoptées par la Résolution 1559 du Conseil de sécurité. Elles ont été renouvelées par la déclaration présidentielle du 19 octobre dernier qui démontre simplement que la préoccupation française est pleinement partagée par la communauté internationale et que nous avons qu'un seul objectif, en ce qui concerne le Liban, c'est l'indépendance, l'intégrité territoriale et la souveraineté du Liban, le maintien d'une démocratie au Liban.
INTERVENANT - Mesdames, Messieurs, mes chers confrères, je voudrais, en votre nom à tous, remercier le Secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie, le Président roumain, le Premier ministre du Canada, le Président français et le Président du Burkina Faso d'avoir bien voulu se prêter à nos questions.
Je vous remercie.
|