Point de presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'issue du Sommet de l'OTAN à Istanbul.


Istanbul – Turquie, mardi 29 juin 2004.


Mesdames, Messieurs,

Ce Sommet se termine, vient de se terminer, et avant de partir pour rejoindre Bruxelles, puisque vous savez que la Présidence irlandaise a décidé de convoquer le Conseil à 18 heures -heure locale à Bruxelles- pour examiner les problèmes de nomination à la Commission, j'ai pensé que je pouvais vous faire un petit point à l'issue de ce Sommet.

Nous avons eu, je le rappelle, ce matin, le Sommet OTAN-Ukraine. Nous avions eu hier, au niveau des ministres des Affaires étrangères, le Sommet OTAN-Russie. Ce matin, le Sommet OTAN-Ukraine, en présence du Président KOUCHMA, était l'occasion pour tous les participants à la fois de souligner l'importance de l'Ukraine dans le dispositif européen de nos relations avec ce pays et de nos voeux très forts pour que le processus d'enracinement de la démocratie se confirme, et notamment à l'occasion des prochaines élections présidentielles. Et en particulier pour tout ce qui touche les droits de l'homme et notamment tout ce qui touche la liberté de la presse. C'est donc ce qui a été exprimé amicalement et fermement ce matin à l'occasion de ce Sommet OTAN-Ukraine.

Nous avons eu ensuite le Conseil de partenariat euro-atlantique. Vous savez que maintenant nous sommes vingt-six à l'OTAN et nous sommes quarante-six dans le Conseil de partenariat, avec un certain nombre de pays, notamment de l'Asie centrale et du Caucase, et quelques autres. Cela a été pour nous l'occasion, d'abord d'échanger un certain nombre de points de vue, mais aussi, et le moment était important et intéressant, d'entendre un exposé très intéressant du Président KARZAI qui nous a parlé de la situation en Afghanistan à la veille des élections qui sont préparées. La France est concernée et même très concernée puisque, comme vous le savez, nous allons prendre le commandement, par l'intermédiaire du Corps européen, de la FIAS et en liaison extrêmement étroite avec nos amis allemands.

Nous avons écouté avec attention le Président KARZAI qui nous a fait part de ses espoirs, notamment caractérisés par un développement économique indiscutable et qui atteint, partant naturellement d'un niveau très faible, des pourcentages brillants. Mais il nous a aussi fait part de ses inquiétudes que nous partageons tous, qu'il s'agisse d'une certaine réminiscence de l'action terroriste des Talibans, qu'il s'agisse du jeu des chefs de clan ou qu'il s'agisse du problème, je dirais, de plus en plus majeur pour cette région et pour le monde, qui est une production de drogue qui aujourd'hui dépasse tous les niveaux qu'ils avaient atteints dans le passé et qui est véritablement un problème que nous devons prendre très très au sérieux par les conséquences qu'il comporte. Chacun comprend que c'est, au-delà même des conséquences en matière de santé publique, là que se trouvent les sommes colossales d'argent qui vont ensuite financer le terrorisme un peu partout.

Le Président KARZAI a surtout insisté à la fois sur ses remerciements à la communauté devant laquelle il se trouvait pour ce qui était fait pour son pays, pour son développement et sa sécurité. Il a en particulier insisté sur son inquiétude pendant la période de préparation des élections, en demandant que nous soyons très vigilants et que nous mettions en place les moyens nécessaires pour que ces élections puissent se dérouler dans des conditions de sécurité suffisantes pour les citoyens afghans.

Nous lui avons confirmé les décisions que nous avons prises hier, c'est-à-dire non pas de mobiliser, comme certains l'avaient imaginé, la Force de Réaction Rapide de l'OTAN car elle n'est pas faite pour cela et il ne faut pas utiliser les choses à contre-emploi ou à tort et à travers, c'est le meilleur moyen, en règle générale, de faire échouer les réformes. Il y avait, si on avait besoin de davantage de troupes, des moyens qui existaient qui étaient des générations de force; on pouvait très bien les mettre en oeuvre, néanmoins, il fallait être vigilant. Par conséquent, c'était une proposition française qui a finalement été adoptée hier : nous devions, d'une part, mettre les forces de la NRF en alerte maximum, pour le cas où il y aurait justification d'une intervention de secours urgents et d'autre part, envoyer immédiatement sur place une mission d'évaluation. Le Président KARZAI a bien voulu nous dire qu'il était tout à fait d'accord avec cette solution et il a exprimé à l'égard de l'ensemble des membres de l'OTAN, et je dirais tout particulièrement la France, des sentiments de grande reconnaissance à la suite de ces décisions.

L'ensemble de ce Conseil a été, je dirais, chaleureux. J'ai trouvé que l'ambiance notamment du Conseil élargi avec les quarante-six chefs d'Etat et de gouvernement était bonne. J'ai observé les comportements dans les couloirs, les visages, le sourire des gens, leurs regards, et j'ai trouvé que ce Conseil était confirmé. C'était le dixième anniversaire, vous le savez, de la création de ce partenariat. J'ai trouvé qu'il confirmait finalement ce qu'on pouvait en attendre, c'est-à-dire une amélioration et une plus grande confiance, une plus grande facilité d'expression entre les hommes. Au fond, beaucoup, beaucoup de problèmes commencent, se développent, parce que les hommes ne se parlent pas. C'est évidemment en se parlant qu'on enracine la paix, qu'on se convainc autrement que par des moyens militaires. Et de ce point de vue, j'ai trouvé qu'il y avait une bonne ambiance dans ce Conseil ce matin.

J'ai eu enfin quelques discussions en aparté, notamment avec le Président de la Géorgie, le dynamique Président de la Géorgie, qui est en train de rétablir les conditions de calme, de la sécurité et du développement dans son pays. J'ai eu également des entretiens avec le Président ALIEV, le Président de l'Azerbaïdjan qui est venu à Paris récemment et nous avons pu faire le point sur l'évolution des choses. J'ai reçu le Premier ministre et le ministre de la Défense du Président serbe TADIC, qui ont demandé à me voir pour remercier la France de son comportement pendant les élections en Serbie. Je lui ai dit que nous n'avions aucune intention de faire la moindre ingérence dans les affaires serbes mais que nous étions particulièrement heureux des résultats. Je lui ai demandé de transmettre au Président TADIC, à la fois mes félicitations vraiment cordiales et là, le mot n'est pas diplomatique, et une invitation à venir à Paris.

J'ai encore vu deux ou trois autres personnalités en entretien et en tête-à-tête.

Voilà quelques réflexions, mais je suis naturellement prêt à répondre à telle ou telle question si quelqu'un en a une à poser.

QUESTION: - Le ministre des Affaires étrangères, M. BARNIER, part aujourd'hui pour les Territoires palestiniens. Je voudrais vous demander, suite aux récentes déclarations et à la décision d'Israël d'évacuer la bande de Gaza si on peut s'attendre à une présence française, dans le cadre d'une présence européenne ou internationale, une présence militaire, peut-être, pour assurer la paix dans la bande de Gaza. Deuxième question concernant ce voyage : il paraît qu'Israël n'est pas content que M. BARNIER aille voir Yasser ARAFAT et que la visite en Israël a été différée pour la rentrée, est-ce que vous avez une remarque concernant ce sujet ?

LE PRESIDENT: - M. Michel BARNIER est en train de décoller pour Ramallah, en ce moment même, et c'est la raison pour laquelle il n'est pas présent. Il va se poser à Tel Aviv et ensuite gagner Ramallah où il aura des entretiens, demain, avec le Président ARAFAT.

Je voudrais d'abord rappeler la position de la France qui est également la position de l'Union européenne. Le Président ARAFAT est le Président élu et légitime du peuple palestinien et par conséquent, c'est notre interlocuteur normal. Et il est donc légitime d'avoir avec lui des contacts. C'est ce que fait M. BARNIER qui aura d'ailleurs, c'est prévu, juste à la rentrée je crois, une visite longue et approfondie en Israël. Voilà les raisons qui conduisent à cette situation.

Vous savez ma conviction, je l'ai exprimée depuis très longtemps : c'est qu'on peut porter le jugement que l'on veut sur le Président ARAFAT, comme sur tout autre Président dans le monde, mais on ne peut pas contester une légitimité tant qu'on a pas apporté une légitimité différente. Deuxièmement, j'ai toujours eu le sentiment, depuis longtemps, qu'aujourd'hui le Président ARAFAT est probablement le seul à pouvoir imposer au peuple palestinien des compromis, notamment de nature territoriale, qui ne pourraient être imposés, en tous les cas aujourd'hui, par aucun autre. C'est la raison pour laquelle je crois qu'il n'est pas très prudent, ni très conforme à une stratégie de retour à la paix de vouloir l'isoler.

Alors pour ce qui concerne la présence internationale, la France a toujours dit qu'elle était ouverte, dans le cadre d'un règlement de paix conforme à l'esprit de la Feuille de route et qui par conséquent soit négocié, qu'elle était tout à fait disposée à étudier toutes les propositions qui seraient faites pour une présence internationale, civile ou militaire, dans la région.

QUESTION: - Hier, vous-même ainsi que M. SCHROEDER avez fait une déclaration concernant l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. M. SCHROEDER s'est clairement déclaré en faveur de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne alors que le message que vous avez transmis peut être interprété de deux manières différentes, avec le fait que vous auriez encore quelques craintes concernant l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Est-ce que vous pourriez vous exprimer de façon plus nette, plus claire, concernant le début, l'ouverture des négociations de la Turquie avec l'Union européenne ?

LE PRESIDENT: - Premièrement, je n'ai pas de divergences de vues avec le Chancelier SCHROEDER, deuxièmement, je me suis exprimé à plusieurs reprises et en particulier hier, ici même, devant l'un de vos confrères, répondant de la façon la plus claire sur ma position à l'égard de la Turquie. Je ne vais peut-être pas me répéter afin de ne pas lasser vos collègues. Troisièmement, je vous rappelle qu'en toute hypothèse, il y a un préalable qui est le rapport que le Commissaire VERHEUGEN va déposer, au nom de la Commission européenne, au mois d'octobre, sur les conditions d'appropriation par la Turquie des objectifs et des exigences de Copenhague, en matière de droits des personnes, en matière d'économie de marché.

Par conséquent, nous attendons ce rapport pour prendre la décision qui sera conforme au rapport. Si vous voulez mon avis personnel, je l'ai déjà dit et je le répète, je crois que la voie engagée est maintenant irréversible. J'ai tout dit hier et je ne vais pas le répéter maintenant.

QUESTION: - Monsieur le Président, ma question est sur la formation de la police et de gendarmes iraqiens par l'OTAN. Est-ce que cela ouvre la porte pour une présence, dans l'avenir, des forces de l'OTAN en Iraq ?

LE PRESIDENT: - Premièrement, cela n'ouvre pas du tout la porte, vous savez ce qui a été décidé hier, et c'est très clair : l'OTAN peut apporter sa coopération à chacune des Nations qui veut s'engager dans un programme en Iraq ou hors d'Iraq, de formation des forces militaires de l'Iraq, c'est très bien comme cela. Il n'a pas été question d'une présence des forces ou même de l'OTAN en Iraq.

Tout ce que je peux vous dire c'est que pour ma part, je suis tout à fait hostile à une implantation de l'OTAN en Iraq. Je pense que ce serait dangereux, contre-productif et mal compris par une population iraqienne qu'il faut tout de même un petit peu respecter et qui aujourd'hui ne peut être engagée, peut-être, sur la voie de la stabilité, de la paix et de la reconstruction qu'à condition d'avoir vraiment la certitude que son gouvernement est entièrement libre, indépendant et maître de son destin. Ce n'est certainement pas une ingérence supplémentaire de l'OTAN en Iraq qui faciliterait une prise de conscience par la population iraqienne de cette exigence.

QUESTION: - Sur l'Afghanistan, le Président KARZAI a demandé à l'OTAN de se dépêcher. Est-ce que vous croyez qu'en gardant une grande partie des renforcements hors de l'Afghanistan on répond vraiment à cette demande ? Et encore une question sur le Sommet de Bruxelles de ce soir : quelles sont les politiques européennes de M. BARROSO que vous admirez le plus ?

LE PRESIDENT: - D'une part, le Président KARZAI a effectivement demandé, d'une façon globale, à chacun de se dépêcher. Il a également exprimé sa satisfaction et sa reconnaissance pour les décisions qui ont été prises hier et que j'ai moi-même rappelées ce matin.

Pour ce qui concerne le Premier ministre du Portugal, chacun sait que, sans être encore officiellement candidat, il est pratiquement le candidat souhaité et approuvé par la quasi-totalité du Conseil, pour ne pas dire la totalité du Conseil européen. Je ne peux pas préjuger des réactions des uns ou des autres mais c'est le sentiment que j'ai aujourd'hui et qui est généralement partagé.

Il a un certain nombre de qualités, sinon il n'aurait pas été choisi par la grande majorité ou la totalité des pays. Parmi ses qualités, il a le fait d'être portugais et que le Portugal n'est pas un pays fondateur mais c'est un pays qui, depuis longtemps, est dans le processus européen, dans la construction européenne. Il a donc la culture nécessaire pour cela, sans pouvoir être soupçonné de faire partie des fondateurs qui voudraient prendre une place trop importante pour imposer une certaine culture.

Deuxièmement, du point de vue français et toujours en sa qualité de portuguais, il affirme clairement une certaine vision, je dirais plus du sud de l'Europe à laquelle nous sommes attachés. L'Europe a eu un rapprochement important avec l'est et le nord, dû à l'élargissement. Il est bon de réaffirmer qu'elle a également une vocation et une préoccupation en direction du sud. Et la présence dans un organe essentiel de la construction européenne de quelqu'un qui a cette sensibilité de l'Europe de sud est, pour nous, important.

Je n'ai pas à porter de jugement sur les qualités intellectuelles de M. BARROSO, elles sont grandes, il a fait ses preuves depuis longtemps. Mais je n'ai pas à porter de jugement dessus, ce serait un peu insolent. Il a une autre qualité, c'est qu'il est parfaitement francophone et comme vous le savez, pour nous, c'est une qualité à laquelle nous sommes sensibles. Alors tout ceci fait que je voterai pour lui avec plaisir, et ceci dès qu'il a été question de la candidature éventuelle de M. BARROSO.

QUESTION: - Est-ce que vous n'en avez pas assez du dialogue de sourds qui semble s'être instauré entre vous et le Président BUSH, voire éventuellement avec Tony BLAIR sur le rôle de l'OTAN en Iraq et sur d'autres sujets ?

LE PRESIDENT: - Je n'ai jamais très bien compris ce qu'était un dialogue de sourds, parce que je ne l'ai jamais vu se produire. Tout simplement parce qu'il n'y a pas de combat, faute de combattants. Quand on ne se parle pas, on ne se parle pas et donc il n'y a pas de dialogue. Ne tombons pas dans les facilités. En revanche, il y a un dialogue qui n'est pas du tout un dialogue de sourds, c'est tout à fait le contraire, entre nous tous, en général, et en particulier entre le Président BUSH et moi-même.

Ce dialogue est d'abord fondé sur une profonde estime et amitié entre nos deux peuples et qui ne sauraient changer en fonction de telles ou telles évolutions ou de telles ou telles crises ou critiques de l'instant dans la gestion des affaires quotidiennes. C'est une longue et ancienne estime et reconnaissance, je le répète, et qui, elle, ne change pas. Elle est fondée non seulement sur l'histoire, mais également sur le partage en commun d'un certain nombre de valeurs. Alors ne tombons pas dans l'exploitation systématique de l'instant.

Deuxièmement, il y a eu des divergences de vues. Nous sommes des amis, nous sommes des alliés, nous ne sommes pas des serviteurs, naturellement, et quand nous ne sommes pas d'accord, nous le disons. Nous ne le disons pas de façon agressive, vous l'aurez noté, mais nous le disons de façon ferme. Cela a été le cas pour tout ce qui a touché la stratégie américaine pour l'Iraq : nous avons pris une position qui n'était pas la même que la leur, et nous nous y sommes tenus. Nous n'avons pas aujourd'hui le sentiment de nous être profondément trompés ou en tous les cas d'avoir trompés la confiance des Français.

Alors aujourd'hui, les choses ont évidemment beaucoup évolué et ce dialogue a conduit, sans aucun doute, à un rapprochement important. Un rapprochement qui tient non pas au fait que nous ayons changé, nous avons toujours été modérés dans nos approches et dans nos propositions, mais au fait que, pour des raisons que je peux parfaitement comprendre et qui sont liées à la situation aux Etats-Unis et à l'évolution notamment de l'affaire du Moyen-Orient, à l'occasion du Conseil de sécurité et à l'élaboration de la résolution 1546, il est certain que le Président BUSH a fait preuve de beaucoup, beaucoup plus d'ouverture que certains auraient pu le craindre, ou que cela n'avait été le cas dans le passé. Sur la base de cette ouverture qui est le contraire d'un dialogue de sourds et qui est un dialogue, au contraire, efficace, nous avons pu trouver un accord qui était parfaitement conforme à ce que nous estimions essentiel. De la même façon, nous avons poursuivi ce dialogue de la façon la plus cordiale à l'occasion de ce Sommet.

QUESTION: - Cela fait trois fois que vous rencontrez en tête-à-tête le Président BUSH, puisque vous ne l'avez que côtoyé dans ce Sommet. On n'a pas observé une chaleur particulière, à part les échanges sur la qualité de la cuisine française à Sea Island. On connaît, par ailleurs, l'excellence des relations que vous aviez avec son père et avec son prédécesseur. Est-ce que la politique menée par George BUSH affecte la qualité de votre relation personnelle ?

LE PRESIDENT: - Je vous le dis très franchement : non. Et cela n'affecte en tous les cas pas et cela ne saurait en aucun cas affecter la nature des relations entre les deux gouvernements et entre les deux pays, a fortiori les relations entre les deux peuples.

Je vous remercie.