MESSAGE DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
POUR L'OUVERTURE DE LA CONFÉRENCE DE LA BANQUE MONDIALE "INTENSIFIER LA REDUCTION DE LA PAUVRETE - UN PROCESSUS D'APPRENTISSAGE MONDIAL"
SHANGHAI, LE 26 MAI 2004
Messieurs les Chefs d'État et de Gouvernement, Monsieur le Président de la Banque Mondiale, Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames, Messieurs, Mes chers Amis,
L'élimination de la pauvreté, l'accès universel au bien-être, l'instauration d'une authentique solidarité internationale figurent au premier rang des ambitions de notre temps.
Ici, en Chine, au moment où commence votre conférence, je suis convaincu que chacune et chacun d'entre vous méditera l'expérience de ce grand pays et de ce grand peuple dont l'évolution est, pour tous les pays pauvres, une source d'espoir et d'inspiration. La Chine aborda le XXème siècle handicapée par la guerre, la misère, une démographie galopante. Ayant surmonté bien des soubresauts, des problèmes et des difficultés, la voici engagée depuis un quart de siècle dans une modernisation exceptionnellement rapide qui fait l'admiration du monde. Certes, il lui reste beaucoup à accomplir. Mais déjà elle s'affirme comme une grande puissance politique, économique et culturelle, prête à assumer les responsabilités qui découlent de son statut historique retrouvé.
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Le paradoxe de notre monde, c'est qu'il n'a jamais été aussi riche, prospère, dynamique, innovant, et que, pourtant, la moitié de l'humanité y vit encore dans la précarité et un sixième dans la plus grande misère. Ce paradoxe est profondément choquant. Nul ne saurait s'y résigner. Nul ne saurait accepter la perspective d'un monde durablement divisé entre des peuples auxquels tout est promis et tant d'autres abandonnés à la souffrance et à la désespérance. Surtout pas vous, qui êtes chargés d'incarner la solidarité internationale.
Vous êtes responsables du bon usage de l'aide publique au développement, dont les volumes apparaissent bien faibles au regard des besoins, au regard aussi de la richesse additionnelle que la croissance mondiale apporte chaque année. Il vous faut utiliser au mieux cette ressource rare, pour alléger des souffrances, pour offrir aux populations bénéficiaires des perspectives nouvelles, pour privilégier les emplois les plus efficaces.
Au commencement de vos travaux, je voudrais vous faire partager deux convictions qui m'animent et qui inspirent la politique de la France.
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Ma première conviction est que la solidarité doit s'imposer au rang des principales obligations internationales. C'est d'abord une exigence éthique, dans un monde ouvert où les destins des peuples se mêlent, où chacun peut savoir à tout moment ce qu'il se passe en tout lieu. C'est aussi une mesure de bon sens, tant l'économie mondiale est ralentie par le non-développement de régions entières, condamnées à la misère et qui semblent privées de perspectives. C'est enfin une nécessité politique, parce que la sécurité et la stabilité du monde sont menacées par les réactions de populations privées de leurs droits élémentaires et qui peuvent s'estimer rejetées et humiliées.
Il serait d'autant plus irresponsable de nous y dérober que ce combat n'est pas vain. Les exemples de l'Amérique du Sud, de l'Asie, de certains pays africains nous démontrent qu'il peut être gagné. Que des politiques économiques et sociales judicieuses, accompagnées d'un effort de bonne gouvernance peuvent enclencher un cycle de croissance qui, en une ou deux générations, transforme radicalement le visage d'un pays et l'avenir d'un peuple.
C'est pourquoi l'engagement que nous avons pris à New York, en septembre 2000, avec l'adoption des objectifs de développement du Millénaire, constitue un impératif moral et politique pour la communauté internationale tout entière, nations riches et pauvres également engagées.
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Ma deuxième conviction est que le temps du dogmatisme, de l'idéologie, des formules a priori, est révolu. Il nous faut accepter la complexité du réel, la part de l'histoire, la diversité des hommes et des nations, richesse de l'humanité. Il nous faut aborder chaque peuple, chaque région, comme un cas particulier, qui exige une approche adaptée. C'est pourquoi le succès de notre action repose sur l'établissement d'un partenariat authentique, respectueux des identités de chacun au-delà des règles générales de bonne économie et de bonne gouvernance.
La logique d'assistance qui inspirait les politiques d'hier a trouvé ses limites. La clé du succès est l'appropriation, la volonté d'écrire soi-même la feuille de route de son développement.
Avec l'engagement de Monterrey, avec le partenariat conclu entre les pays développés et les pays africains autour du NEPAD, nous avons ouvert ce nouveau chapitre de confiance et de respect, un chapitre prometteur.
Ce partenariat est fondé sur un contrat : les pays pauvres se lancent dans la réalisation de politiques tournées vers la bonne gouvernance, l'incitation à l'initiative privée, la mise en place des infrastructures indispensables au développement, le progrès social et le respect de l'environnement. En contrepartie, tout pays qui s'engage ainsi reçoit l'assurance qu'il disposera des fonds nécessaires.
A cet égard, il est clair que les volumes d'aide publique actuels n'y suffiront pas, en dépit de l'augmentation enregistrée depuis 2002.
C'est pourquoi la France travaille à l'accroissement des sommes consacrées au financement concessionnel du développement. Elle augmente fortement les crédits qu'elle y consacre. Elle promeut la recherche de nouvelles sources de financement, telles que l'initiative financière internationale ou les possibilités de taxation internationale, possibilités désormais reconnues par le Comité de développement de la Banque mondiale comme une piste sérieuse. Je saisirai très prochainement la communauté internationale sur ce sujet.
Mais la notion de partenariat va bien au-delà. Elle suppose que nous mobilisions tous nos efforts autour de stratégies internationales et nationales cohérentes et concertées.
Engageons-nous, à l'ONU, dans les institutions financières internationales, autour d'orientations définies en commun et visant la réalisation de chacun des objectifs de développement du millénaire.
Dans les pays en développement, travaillons, sous l'impulsion des autorités locales, à l'utilisation coordonnée de l'aide internationale.
Dépassant les rivalités, les querelles doctrinales, sachons mieux utiliser, avec souplesse et esprit d'innovation, toute la palette des instruments et des acteurs, dont la complémentarité doit être mieux reconnue.
En un mot, apprenons à former une communauté du développement forte de sa cohérence et de son unité, tout entière vouée à ce seul objectif : l'élimination de la pauvreté.
Je vous remercie.
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