MESSAGE

DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

POUR LA SEANCE D'OUVERTURE DU COLLOQUE ORGANISE PAR LE "FORUM EURO-MEDITERRANEE, SCIENCE, DEVELOPPEMENT ET PAIX" SUR LE THEME : "LE CHOC DES CIVILISATIONS N'AURA PAS LIEU"

***

PALAIS DE L'UNESCO-PARIS

SAMEDI 17 JANVIER 2004

Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Mesdames, Messieurs, Chers amis,

Je suis très heureux de m’adresser à vous à l’occasion de l’ouverture de votre colloque consacré à un sujet qui nous concerne tous. Je salue ses organisateurs, inlassables " passeurs " entre l'Orient et l'Occident, entre les rives Nord et Sud du Mare Nostrum, mais aussi vous toutes et vous tous, artisans d'un dialogue plus que jamais nécessaire entre les civilisations. Vous êtes venus à Paris de tous les horizons pour lui faire prendre de nouveaux chemins.

Il y a deux ans, dans ce même lieu et au lendemain de la tragédie du 11 septembre, j’avais tenu à récuser la fatalité d’un choc des civilisations. Choc plus radical et plus violent que tous ceux qui l'avaient précédé et qui verrait se confronter violemment cultures et religions. Choc nourri de toutes les peurs, de tous les fantasmes, des haines ancestrales et des conflits qui s'enlisent, du malaise devant la mondialisation, avec ses risques de graves déséquilibres économiques et sociaux, avec la crainte qu'elle lamine les identités et les cultures.

Ici, j'avais dit ma conviction qu'il existe un antidote, que nous pouvons conjurer la menace par le dialogue, déjouer le piège que nous tendent ceux qui veulent soulever les hommes, peuple contre peuple, culture contre culture, religion contre religion.

C'est à ce dialogue, à son exploration patiente et obstinée que concourent vos travaux. Soyez-en remerciés. Au moment où vous les engagez, je souhaite partager avec vous quelques pistes qui, à mon sens, pourraient orienter notre réflexion :

D'abord, il me paraît indispensable de parer à l’urgence immédiate, en travaillant collectivement à réduire les conflits qui attisent les haines, empoisonnent la vie internationale et offrent prise aux discours des tenants de la violence. Au Moyen-Orient, par un règlement négocié du conflit israélo-palestinien et par la stabilisation d’un Iraq souverain, mais aussi en Afrique, en Asie, cette recherche doit promouvoir des solutions définies sur la base du droit international et dans le cadre des organes multilatéraux. L’Europe est prête, en liaison avec ses alliés et ses autres partenaires, à y apporter toute sa contribution. Et je salue à ce titre la présence parmi vous des promoteurs de l’initiative de Genève, dont la démarche, lucide et courageuse, fondée sur le dialogue, doit être soutenue.

Il faut également désamorcer la frustration et les craintes, combattre les ferments de la haine et du repli sur soi, réduire les inégalités entre le Nord et le Sud, en s'attaquant à la pauvreté, en luttant contre les grandes pandémies qui frappent les plus démunis, en promouvant les droits de l'Homme, en organisant mieux la solidarité internationale, en renforçant la gouvernance mondiale économique, sociale, environnementale. Et cette question me tient à coeur. J'ai proposé, devant la dernière assemblée générale des Nations Unies, la création d'une nouvelle enceinte politique, chargée de donner les impulsions nécessaires aux institutions internationales, de favoriser leur coordination et de mieux anticiper et traiter les problèmes globaux. Une grande part du destin du monde va se jouer là. C'est ma conviction et je suis avec beaucoup d’intérêt toutes les idées qui permettront d'avancer dans ce sens.

Enfin, il faut faire reculer dans les esprits et dans les coeurs la tentation du repli et de l'intolérance, qui est d'abord la conséquence de l'ignorance. Il faut consacrer et enraciner dans nos peuples et dans les relations qu'ils entretiennent l’égale dignité de toutes les cultures, la reconnaissance de leur diversité. Ces cultures façonnent nos identités, fixent les repères de l'âme, elles sont la terre où puisent nos racines et où prend appui notre avenir. Chacune apporte à l'humanité sa part de lumière et de progrès. Chacune peut apporter des réponses aux aspirations universelles de l'homme à la justice, à la liberté et à la paix. Chaque peuple a un message singulier à délivrer. C'est bien cette volonté de respect et de dialogue, de connaissance et de reconnaissance mutuelles, qu'incarnent votre colloque et la diversité de ses participants. Cette volonté dont l’UNESCO, qui accueille vos travaux, témoigne depuis toujours avec tant de force.

Mesdames, Messieurs,

Les Etats ont naturellement un rôle essentiel à jouer dans l'organisation du monde de demain. Ce sont eux qui peuvent concevoir les grandes initiatives, donner les impulsions décisives, relancer une dynamique. Telle est l'ambition des propositions que j'ai présentées et soutenues afin de revitaliser le processus de rapprochement euro-méditerranéen, parce que nous y voyons une clé pour un avenir de paix et de coopération en Méditerranée.

Mais il nous faut également nous appuyer sur les sociétés civiles, chercheurs, penseurs, entrepreneurs, responsables sociaux ou religieux, hommes et femmes d'éthique et de conscience, rompus à l'échange et à la confrontation d'idées. C'est à eux aussi qu'il revient d'explorer les voies du rapprochement, de faire progresser les sociétés, de reconnaître en eux et chez l'autre cet humanisme, cette part d'universel sur laquelle bâtir le dialogue, de trouver les lieux où organiser la rencontre du meilleur de l'homme au coeur de chaque civilisation.

Telle est précisément la vocation de votre colloque, auquel je souhaite un très très grand succès.

Je vous remercie.