POINT DE PRESSE
DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
A L'OCCASION DU CONSEIL EUROPEEN
BRUXELLES - BELGIQUE
JEUDI 25 MARS 2004
Mesdames, Messieurs,
Je ferai un point de presse demain, mais, s'agissant d'un sujet particulièrement important et hélas particulièrement d'actualité aujourd'hui, à la réunion du Conseil, c'est-à-dire le problème de la lutte contre le terrorisme, j'ai pensé qu'il n'était pas inutile de vous faire part de mes réflexions à la suite de ce Conseil, dans le cadre de la préparation puis des décisions de ce Conseil.
Je voudrais d'abord redire avec force qu'aucun prétexte ne peut légitimer le terrorisme, aucun. Quelles que soient les revendications que les uns ou les autres puissent avoir dans le domaine économique, politique, social, religieux, rien, rien ne permet d'avoir recours à des actes qui consistent à s'attaquer, à détruire des innocents. C'est un problème fondamental de l'éthique humaine, de la vie en société. Le terrorisme n'a aucune excuse, jamais.
Il faut donc lutter avec détermination et sans aucune concession contre le terrorisme. Bien entendu, dans le cadre de l'état de droit, cela va de soi.
Ce fléau nous oblige à l'action et aussi à la solidarité, notamment à la solidarité à l'égard à la fois des Etats agressés et des victimes. C'était l'un des sujets évoqués.
Chaque pays, en Europe et ailleurs, a pris toutes les mesures nécessaires et possibles pour lutter contre le terrorisme, pour renforcer les dispositifs d'alerte, de contrôle, de renseignement, de sécurité. La France, pour sa part, vous le savez, a mobilisé tous ses moyens civils et militaires pour renforcer la sécurité.
Cette action a aussi naturellement une dimension européenne et ce sont des décisions que nous avons prises aujourd'hui en adoptant une déclaration qui vous a peut-être déjà été distribuée ou qui le sera tout à l'heure. Elle a été très sérieusement travaillée, il y a quelques jours, et élaborée, d'abord par les ministres de la justice et les ministres de l'intérieur, puis par les ministres des affaires étrangères. Elle s'est traduite par une proposition de la Présidence irlandaise à laquelle je tiens à rendre un hommage particulier, à tous égards dans ce domaine comme dans les autres, et qui a été aujourd'hui adoptée.
Ce texte souligne nos priorités : d'abord, veiller à la mise en oeuvre effective des décisions qui ont été prises par les Etats membres après les événements du 11 septembre 2001. Des progrès très importants ont déjà été effectués dans la mise en oeuvre de ces décisions, je pense en particulier au mandat d'arrêt européen ou au gel des avoirs financiers des organisations terroristes. Mais il faut encore parachever les engagements qui ont été pris et donc accélérer l'application des mesures adoptées.
Cette déclaration en forme de décision, en réalité, comporte également toute une série de mesures à la fois concrètes et rapides qui permettront de renforcer nos moyens collectifs européens de lutte contre le terrorisme. En particulier, le renforcement de la coopération opérationnelle entre tous les services chargés de la police, les militaires, la justice, à travers notamment EUROPOL et EUROJUST, le progrès dans l'analyse et l'échange de renseignements, et une meilleure cohésion de l'action de l'Union. D'où la décision prise de nommer un coordinateur, sous la responsabilité de M. Javier SOLANA, coordinateur qui sera M. de VRIES, un Néerlandais que nous connaissons bien et qui est particulièrement compétent et responsable, notamment sur ce sujet.
Sur tous ces sujets -il y en a beaucoup d'autres, vous en prendrez connaissance directement- je crois qu'on a fait un progrès sérieux, qu'on a renforcé nos chances de lutter contre le terrorisme, un terrorisme dont il faut bien comprendre qu'aucun pays ne peut considérer qu'il est en dehors de ces inquiétudes, qu'il ne sera pas soumis à une action terroriste. Tous les pays peuvent être l'objet d'attentats terroristes.
J'ai enfin fortement souligné que si rien, rien ne pouvait justifier le terrorisme qui devait donc être, en tant que tel, condamné de la façon la plus sévère, en revanche, on voyait bien qu'il y avait des situations qui créaient une sorte de terreau favorable à l'éclosion ou au développement du terrorisme. Ces terreaux, ce sont à l'évidence les conflits non réglés, avec tout ce qu'ils comportent comme misères et comme réactions. Il appartient à la communauté internationale de régler ces conflits qui sont, en eux-mêmes, une source potentielle de terrorisme. C'est aussi les sentiments d'humiliation, la pauvreté qui existe et contre laquelle la solidarité internationale ne se mobilise pas suffisamment.
Il faut donc examiner les conditions de l'amélioration des situations qui peuvent servir de terreau au terrorisme. J'ai eu l'occasion, il y a quelques jours, de le dire au Président Bush lors de l'entretien que j'ai eu avec lui. J'en ai parlé longuement avec le Président de l'Union européenne, M. Bertie Ahern, le Taoiseach, qui partage tout à fait ce sentiment.
J'ai observé qu'un certain nombre de nos collègues avaient également souligné ce point dans leurs interventions, c'est un problème qu'il faut également étudier. On ne vaincra pas le terrorisme si on n'a pas une action claire et coordonnée pour essayer de couper, autant que faire se peut, les racines de ce mal.
Voilà, s'il y a une ou deux questions, j'y répondrai volontiers, car nous avons avant le dîner un entretien avec le Chancelier Schroeder.
QUESTION - Il y a quelques semaines, le Haut représentant, M. Solana, avait fait un rapport extrêmement critique sur la capacité de l'Union européenne de lutter contre le terrorisme. On voit bien que les ministres de l'intérieur préfèrent, en matière de renseignement, travailler avec un petit nombre de ministres, c'était notamment à l'initiative de la France, de M. Sarkozy. Finalement, si l'on n'arrive pas à partager le renseignement qui est à la base de la lutte contre le terrorisme, quelle efficacité peut avoir une action de l'Union européenne en la matière ?
LE PRESIDENT - L'efficacité existe et la coopération entre les services de renseignement existe et se renforce. Il n'en reste pas moins qu'il y a des actions qui exigent des traitements, si j'ose dire, particuliers. Je prends un exemple, lorsque la France et l'Espagne collaborent de façon extrêmement étroite pour lutter contre le terrorisme, il est bien évident que si l'on expliquait aux 25 pays de l'Union européenne ce qu'il se passe pour lutter contre le terrorisme en Espagne, le rapport coût/efficacité serait probablement tout à fait négatif. Par conséquent, il y a des situations où il est évident que c'est un petit nombre de gens qui peuvent travailler ensemble.
Il y a aussi des situations où quelques pays peuvent coopérer ensemble de façon efficace, en raison de sujets ou de préoccupations communs ou en raison de la qualité et des habitudes de leurs services de renseignement. Tous les services font déjà connaître leurs informations à leurs homologues des pays qui peuvent être concernés. Cela a été souligné, d'ailleurs, par plusieurs représentants de pays moins peuplés que les autres ou plus récemment arrivés, qui ont tenu à rendre hommage à la coopération dès qu'il s'agissait de problèmes les concernant ou des pays qui ont les principaux services de renseignement ou les plus longues habitudes ou traditions dans ce domaine,
Mais l'efficacité même de la lutte contre le terrorisme exige qu'il y ait une action qui soit réfléchie et coordonnée. On ne peut pas, vous le comprenez bien, jeter tout sur la table, n'importe comment. Cela suppose un certain doigté, alors ce n'est pas du tout la volonté des cinq. J'ai lu quelque part que le G5 voulait monopoliser l'action au détriment des autres, c'est évidemment une thèse soit absurde, soit polémique et à laquelle je ne saurais souscrire, bien entendu.
QUESTION - Pourrait-on avoir un commentaire de votre part sur la situation qui semble se dégrader, ces dernières heures, en Côte d'Ivoire ?
LE PRESIDENT - Je suis d'abord, je vous le dis très franchement, consterné et désolé. Ce pays qui a tout pour être un pays parmi les privilégiés en Afrique se trouve dans la situation où il est. Cela ne peut être pour moi qu'un sujet de consternation et j'en suis désolé. Alors, naturellement, nous avons ce matin exprimé notre inquiétude avant même le début des manifestations. Nous avons appelé toutes les parties à la retenue, il était tout à fait évident qu'à partir du moment où on l'organisait une grande manifestation, les risques étaient grands, les choses étant ce qu'elles sont dans ce malheureux pays.
Ce soir, nous n'avons pas d'informations totalement fiables, mais enfin il est évident qu'il y a un certain nombre de morts et de blessés. Combien, je ne sais pas, j'espère que c'est le moins possible mais il y en a. Tous les témoignages le confirment. La France regrette profondément que la logique de la violence semble reprendre le dessus dans ce malheureux pays.
J'en appelle au sens des responsabilités de chacun : nous avons invité tous les responsables ivoiriens à reprendre un peu leurs esprits et à reprendre la voie du dialogue et de la réconciliation qui est profondément ancrée dans l'âme africaine. Il faut pour cela, d'ailleurs personne de sérieux ne le conteste, appliquer les accords de Marcoussis pour ramener à la fois le calme et la confiance. C'est d'ailleurs le souhait exprimé par toute la communauté internationale, qu'il s'agisse de l'ensemble des pays de la région, unanimes, ou de l'Union africaine et du Conseil de sécurité de l'ONU. Il n'y a pas d'autre solution, si l'on veut éviter le pire, que de reprendre l'esprit de Marcoussis et d'appliquer les décisions qui avaient été décidées à Marcoussis.
QUESTION - Sur l'idée française de mécanisme d'indemnisation du terrorisme, comment cette idée a-t-elle été reçue tout à l'heure autour de la table et quand ce mécanisme sera-t-il opérationnel ?
LE PRESIDENT - Il est actuellement à l'étude, je ne peux pas encore vous donner de détails, ni sur les modalités, ni sur le délai. Mais nous pensons que dans le cadre de l'indemnisation générale qui existe dans chaque pays, à sa manière, des victimes des actes de violence, les victimes des actes de terrorisme devraient avoir un sort reconnu et, si j'ose dire, européanisé.
Je vous remercie. |