CONFERENCE DE PRESSE
DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
A L'ISSUE DU SOMMET DE L'OTAN
PRAGUE
VENDREDI 22 NOVEMBRE 2002
LE PRESIDENT – Bonjour Mesdames, bonjour Messieurs.
Ce sommet se termine et je voudrais tout d'abord exprimer, chacun le comprendra, ma gratitude aux autorités de ce pays et au président Vaclav HAVEL, qui ont parfaitement organisé ce sommet, ce n'était pas facile, et qui nous ont reçus avec beaucoup de gentillesse.
J'évoque le président Vaclav HAVEL parce que je le connais depuis longtemps. J'ai, comme tout le monde, beaucoup d'estime pour lui et ce sommet pour moi aura été un moment émouvant qui restera dans ma mémoire, celui où, au nom des chefs d'Etat et de gouvernement présents le premier soir, c'est-à-dire ceux des dix-neuf de l'OTAN, j'ai eu à rendre hommage à l'action de ce grand intellectuel, de cet homme qui a voué sa vie à la lutte contre le totalitarisme et à ce grand Européen. C'était pour moi émouvant.
Prague restera comme un sommet historique dans la mesure où c'est le sommet de l'élargissement, le deuxième sommet de l'élargissement mais cette fois-ci à sept pays et au même moment où, par ailleurs, l'Union européenne va également, dans quelques jours à Copenhague, procéder à son propre élargissement. Mais le sommet de Prague est également pour l'OTAN le sommet de l'adaptation de ses structures de forces et de ses structures de commandement, la mise en place d'une Alliance plus résolument tournée vers l'avenir et intégrant les problèmes de notre temps tels que, notamment, ils se sont affirmés depuis le 11 septembre.
C'était donc un sommet qui avait des enjeux relativement importants. S'agissant d'abord de l'élargissement, nous avons accueilli sept nouveaux membres. Cette double décision de Prague et de Copenhague, dans quelques jours, marque une étape importante dans l'histoire d'une Europe qui, ayant pris conscience de sa solidarité, a engagé le processus de son élargissement jusqu'à ses limites, et ce sommet a franchi un pas important dans ce sens. Un autre pas sera franchi à Copenhague, et ceci dans le même esprit de refus des fractures au sein de l'Europe, c'est-à-dire que l'un et l'autre de ces sommets ne sont pas des sommets finaux mais des étapes qui laissent prévoir des élargissements ultérieurs dès que la situation politique, économique et sociale des pays concernés le permettra. Elargissement à nouveau sans aucun doute de l'OTAN et élargissement à nouveau sans aucun doute de l'Union européenne. Ce sommet consacre donc bien, et c'était pour nous très important, la notion de "porte ouverte".
Réforme et également adaptation de l'Alliance. Les décisions lancent un processus ambitieux d'adaptation et de réforme de l'Alliance à ces nouveaux défis que j'évoquais à l'instant. Les décisions concernant la rationalisation des structures de commandement et la réforme de la structure des forces renvoient pour l'essentiel à des principes que nous avons toujours affirmés, c'est-à-dire souplesse, réactivité, interopérabilité et efficacité. Ces mesures sont, je le note, parfaitement cohérentes. Ce problème a été, je crois, bien résolu. Parfaitement cohérentes avec la mise en oeuvre, par la France, de ces réformes sur le plan militaire depuis 95 et également parfaitement cohérentes avec les engagements européens en matière de défense et notamment, bien entendu, les nôtres. Le projet de force de réaction de l'OTAN permettra, je crois, de mieux répondre aux nécessités de la gestion des crises qui jusqu'ici faisaient l'objet d'une gestion ad hoc.
Nous serons naturellement attentifs à ce que cette force, qui repose sur des moyens nationaux, soit développée selon des modalités qui assurent sa cohérence avec les efforts entrepris par l'Union européenne dans le domaine de la défense. Et, bien évidemment, à titre national, nous veillerons au respect du statut de nos propres forces. Nous veillerons enfin au contrôle politique des nations sur cet instrument. C'est évidemment la condition de notre participation.
Un certain nombre des alliés ont par ailleurs pris des engagements en ce qui concerne le renforcement de leurs capacités de défense. C'est en particulier le cas pour la France qui a voté récemment une Loi de programmation militaire lui permettant de retrouver la place qui doit être la sienne pour ce qui concerne la défense de ses intérêts et de ses valeurs et pour ce qui concerne le niveau de ses moyens par rapport à ceux de nos grands alliés.
Dans le cadre des discussions sur les nouvelles missions de l'Alliance, nous avons collectivement posé le problème de la lutte contre le terrorisme. Il a été dit beaucoup de choses, vous le savez certainement. La lutte contre le terrorisme doit être renforcée, cela ne fait aucun doute, pour une raison simple : c'est que rien, rien ne peut justifier le terrorisme. Rien. Et, donc, tout doit être fait pour le combattre. Mais il faut naturellement avoir conscience qu'on doit attaquer le mal, en quelque sorte, à sa racine et qu'il y a un certain nombre de choses qui créent des ambiances favorables au terrorisme ou plus exactement des ambiances favorables au recrutement de terroristes, soit sur le plan général, et ça c'est la pauvreté, l'humiliation, soit dans le cadre de crispations locales, et ça ce sont les crises qui ne font pas l'objet de solutions, qui patinent et qui créent ressentiment, haine, humiliation.
J'ai, je dois le dire, été un peu frappé par le fait que ce point n'a pas été évoqué le premier jour, mais pendant la réunion de ce matin. Je m'étais proposé d'intervenir quand le seul, le seul, Jean CHRETIEN s'est exprimé sur ce point avec force, courage, pour expliquer que lutter contre le terrorisme par des moyens exclusivement militaires était probablement voué à l'échec même si ces moyens sont nécessaires, s'il faut coordonner leur action et les rendre efficaces naturellement. Mais ce n'est qu'un volet d'une politique de lutte contre le terrorisme, une lutte qui s'impose pour renforcer la solidarité et pour accompagner la mondialisation de l'économie par une mondialisation de la solidarité. Il a été le seul. Et du coup, à l'heure du déjeuner, j'ai pris très brièvement la parole pour appeler aussi l'attention de l'ensemble de nos partenaires sur cet aspect des choses et souligner l'importance de la déclaration, ce matin, de Jean CHRETIEN ainsi que mon adhésion complète à ce qu'il avait dit, et un peu mon regret que ce sujet essentiel n'ait été abordé que de façon collatérale.
Concernant la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, naturellement la France a souscrit aux décisions qui ont été prises dans le cadre de ce sommet. Et j'ai souligné la nécessité d'une approche associant les instruments politiques aux instruments militaires, les régimes multilatéraux de lutte contre la prolifération des armes nucléaires, biologiques ou chimiques restant plus que jamais indispensables.
Ensuite, le sommet a évoqué les relations entre l'Union européenne et l'OTAN. Cette discussion, je me suis permis de le rappeler, devrait maintenant aboutir, dans l'intérêt même de l'Union européenne et de l'OTAN. Des raisons que l'on peut par ailleurs comprendre et qui tiennent à la position particulière de la Turquie avaient bloqué le système. Bon, il semble que, maintenant, on soit sur la voie d'une évolution positive qui permette à l'Union européenne, au mois de février, d'assurer la relève de la force de Macédoine.
On a naturellement évoqué les problèmes internationaux. S'agissant de l'Iraq, le sommet a été unanime. Je ne reviens pas dans le détail puisque vous avez sans aucun doute eu la déclaration du sommet sur ce sujet. Elle consistait à assumer totalement et sans réserve la résolution 1441 et à l'appuyer tout en disant à quel point il était important aujourd'hui que les autorités iraquiennes comprennent que cette unanimité marquait une vraie détermination de la communauté internationale de voir un véritable désarmement, de s'assurer réellement que l'Iraq ne possède plus d'armes de destruction massive.
Nous avons également évoqué l'Afghanistan, bien entendu, avec un mélange à la fois d'espoir et de crainte. La présence de la FIAS à Kaboul reste nécessaire et donc nous avons approuvé et remercié nos amis allemands et hollandais qui vont prendre la relève de la Turquie. Ensuite se posera le problème de leur propre relève. Mais enfin, à chaque jour suffit sa peine et j'ai indiqué que la France, pour ce qui la concernait, maintiendrait sa participation, qui est de 450 hommes.
Enfin, j'ai pu avoir un certain nombre d'entretiens bilatéraux. L'un avec le Président des Etats-Unis, l'autre avec le Chancelier SCHROEDER, dans le cadre de notre processus de concertation permanente qui va se poursuivre dans les prochains jours puisque j'irai prochainement à Berlin pour un dîner de travail. J'ai eu deux entretiens avec le Président Vaclav HAVEL, l'un le premier soir et l'autre ce matin. J'ai eu un long entretien avec le Président turc, le Président SEZER, pour faire le point à la suite des modifications politiques intervenues au lendemain des dernières élections en Turquie. J'ai eu un entretien très intéressant avec le Premier ministre Costas SIMITIS. Et puis, j'ai eu l'occasion de rencontrer, en tête-à-tête et un peu plus longuement, le Président KOTCHARIAN d'Arménie, le Président ALIEV d'Azerbaïdjan, mais aussi le Président KARIMOV et le Président NAZARBAIEV, de l'Ouzbekistan et du Kazhakstan. Voilà, et je suis tout à fait prêt à répondre à vos questions.
QUESTION – Monsieur le Président, vous venez de souligner l’importance du sommet de Copenhague. A trois semaines du sommet, je voudrais vous demander deux choses. Est-ce que vous aussi partagez l’opinion, l’idée que l’entrée de la Turquie pourrait être la fin de l’Europe et, deuxièmement, quelle sera votre position sur la Turquie au Conseil de Copenhague ? Merci.
LE PRESIDENT – D’abord, je considère pour ma part que la Turquie a toute sa place en Europe. Je sais qu’on peut discuter la chose sur le plan strictement géographique, je ne crois pas que l’on peut vraiment la discuter sur le plan historique, sur le plan de la civilisation, l’une des plus anciennes du monde et qui a beaucoup apporté à l’humanité. Je crois que l’on ne peut pas vraiment la discuter sur le plan de l’intérêt politique et économique de l’Union. Et cela suppose naturellement que la Turquie accepte de faire un certain nombre de réformes, elle s’est engagée sur cette voie, ceci afin de répondre à toutes les exigences que nous appelons les critères de Copenhague. Cela, c’est évidemment une condition indispensable, une condition sine qua non.
Mais je pense que la Turquie a aujourd’hui la volonté, la détermination, comme elle l’a prouvé ces derniers mois et comme le prouvent les premières déclarations faites par le nouveau gouvernement, d’achever cette évolution et d’assumer ses réformes. C’est ce que m’a laissé comprendre le Président SEZER. J’aurai l’occasion dans quelques jours de voir M. ERDOGAN, le 27, lequel a déjà rencontré plusieurs des chefs d’Etat et de gouvernement européens, notamment M. SIMITIS avec qui j’en ai parlé longuement ce matin. Et, jusqu’ici, sa volonté d’assumer les réformes, de poursuivre cette évolution est tout à fait nette.
Alors, nous allons en discuter à Copenhague. Je ne veux pas préjuger naturellement la décision qui sera prise. Et l’objectif de la Turquie, que je peux comprendre, c’est qu’une date, à déterminer, soit choisie pour que l’on puisse engager la procédure d’adhésion. Il est évident que cette procédure ne peut être engagée -quelle que soit la date fixée- que dans la mesure où il sera clair et incontestable que les critères de Copenhague sont appliqués.
QUESTION – Quels sont la teneur et l’esprit des propositions communes que viennent de faire les ministres des Affaires étrangères français et allemand au Président de la Convention en matière de défense européenne ?
LE PRESIDENT – Comme vous le savez, la France et l’Allemagne sont tout à fait déterminées à prendre une position commune sur tous les problèmes qui concernent l’évolution de l’Europe, notamment parce que nous savons parfaitement les uns et les autres que, lorsque la France et l’Allemagne s’entendent -ce n’est pas du tout un problème d’hégémonie naturellement, c’est, j’ai eu déjà l’occasion de le dire, un problème quasiment mécanique-, lorsque l’Allemagne et la France s’entendent, l’Europe progresse. Lorsqu’elles ne s’entendent pas, l’Europe se bloque. Et, comme nous souhaitons que l’Europe progresse, nous sommes déterminés à affirmer en toute circonstance une volonté commune. Cela suppose naturellement de discuter des choses ensemble, d’élaborer des solutions, parfois des solutions à des problèmes difficiles comme nous l’avons fait récemment à Bruxelles pour ce qui concerne les problèmes agricoles et la réforme de la politique agricole commune. Parfois c’est moins difficile, mais nous progressons ensemble.
Et c’est dans cet esprit que nous sommes décidés à avoir la même position en ce qui concerne l’élargissement, à Copenhague, dans tous les domaines, y compris sur la Turquie. C’est dans cet esprit également que nous présenterons une position commune en ce qui concerne la Convention.
Alors, dans ce contexte, nous progressons. Il y a des questions qui concernent la gouvernance européenne. Ils sont en ce moment étudiés par les deux ministres des Affaires étrangères, qui sont à la base de tout, naturellement. Il y a des questions qui concernent les affaires intérieures et de justice, qui progressent très, très bien et nous sommes presque sur une position commune. Nous y serons dans quelques jours. Cela aussi sous l’impulsion et la responsabilité des deux ministres des Affaires étrangères.
Et puis, il y avait la contribution franco-allemande sur la PESD à la Convention, qui a fait l’objet d’un travail approfondi entre M. FISCHER et M. de VILLEPIN, que nous avons approuvée, le Chancelier et moi, et qui a été signée hier.
Alors, de quoi s’agit-il ? Nous proposons notamment d'inscrire les principes de solidarité et de sécurité commune parmi les principes fondamentaux du futur traité d’Union européenne. Nous proposons d’inscrire notre démarche dans la perspective d’une Union européenne de sécurité et de défense. C’est une proposition commune, le terme lui-même d’ailleurs vient d’une proposition de nos amis allemands. Nous proposons d’introduire dans le futur traité des coopérations renforcées dans le domaine de la défense. Nous proposons de favoriser le développement d’une vraie politique européenne de l’armement. Et, enfin, nous proposons de réaliser en commun des objectifs européens de capacités. Voilà ce qu’est notre proposition en ce qui concerne la politique de sécurité et défense.
QUESTION – Monsieur le Président, après ce sommet de l’Otan, est-ce que l’on peut considérer qu’il y a maintenant moins de divergences entre Américains et Européens, notamment entre la France et les Etats-Unis ?
LE PRESIDENT – Vous avez observé qu’il y a eu une déclaration commune qui a été négociée je crois sans difficulté, qui, en quelque sorte, s’est imposée d’elle-même et qui a fait l’unanimité la plus totale et, donc, il n’y a pas de divergences.
QUESTION – Je voudrais un peu préciser la question qui vient d’être posée. On a eu l’impression ici que la notion de violation patente de la résolution 1441 par le Président BUSH était, disons, élastique, puisqu’un tir de DCA, c’est une violation patente, si l’Iraq, le 8 décembre, déclare qu’il n’a pas d’armement massif, violation patente, encore. Donc, je voudrais savoir si vous partagez cette notion de la violation patente.
LE PRESIDENT – Cher Monsieur, il appartient non pas à M. BUSH ou à M. CHIRAC, ou à tout autre, de définir ce qu’est une violation patente. Cela relève de la seule responsabilité du Conseil de Sécurité. Alors, vous me permettrez de ne pas préjuger ce que dira le Conseil de Sécurité. Si vous parlez des affaires aériennes, je ne sais pas ce que le Conseil de Sécurité, s’il est saisi, ce qui n’est pas le cas, pourrait dire. Cela m’étonnerait qu’il considère que c’est une violation patente.
QUESTION – Monsieur le Président, il y a deux mois, je ne sais plus, c’était à Varsovie ou à Prague, le ministre américain de la Défense, Donald RUMSFELD déclarait qu’il n’était pas approprié d’impliquer l’OTAN dans les affaires de l’Iraq. Il semble qu’à Prague, aujourd’hui, le Président BUSH ait changé un peu cette donne et qu’il ait transformé un peu ce sommet en forum anti-Saddam HUSSEIN. Est-ce que vous trouvez cela normal ?
LE PRESIDENT – Je n’ai pas eu ce sentiment. Il était tout à fait légitime que les participants à cette réunion s’expriment sur ce sujet qui est tout de même un sujet qui porte potentiellement un risque de crise. Il était légitime qu’ils le fassent par une déclaration. Il était souhaitable que cela soit une déclaration commune. Et c’est très exactement ce qui s’est passé. Il n’y a pas eu d’évolution, enfin, je n’ai pas ressenti une évolution dans ce domaine.
QUESTION – Monsieur le Président, je voudrais revenir sur la Turquie. Pourquoi, selon vous, les opinions européennes ne doivent-elles pas craindre l’entrée éventuelle de 65 millions de musulmans turcs au sein de l’Union ? Et, d’autre part, si la Turquie ne lève pas ses objections sur Chypre et sur les arrangements permanents, sur Berlin plus, a-t-elle selon vous la moindre chance d’obtenir un signal positif à Copenhague ?
LE PRESIDENT – Il est évident que l’on ne peut pas importer dans l’Union européenne des conflits et qu’il faut donc d’abord régler les conflits avant d’entrer dans l’Union européenne. C’est ce qui s’est passé d’ailleurs pour un certain nombre des candidats qui vont entrer demain. Et là, cela s’applique à Chypre. Vous savez qu’il y a une proposition de solution du conflit qui a été faite par le Secrétaire général, M. Kofi ANNAN. J’ai décelé, mais je ne fais parler personne naturellement, une approche plutôt positive à la fois de la partie grecque et de la partie turque sur le plan de l’ONU. Je doute qu’un accord puisse intervenir avant Copenhague mais j’ai bon espoir qu’il puisse intervenir assez rapidement après. En tous les cas, il est tout à fait évident que la solution du problème de Chypre est un point important dans le dossier d’adhésion de la Turquie. J’ose espérer qu’après de si longues années d’immobilisme, une solution pourra être trouvée qui fera que l’on n'aura plus à en reparler.
Vous dites 60 millions de musulmans turcs. C’est curieux, parce que vous ne dites pas 60 millions de chrétiens français. La Turquie est un pays laïc et dont nous attendons qu’elle ne remette pas en cause cette laïcité qui a été gagnée historiquement, notamment par le père de la Turquie moderne Kamal ATATURK. Et, donc, ce n’est pas en termes de religion, d’affrontement de religions, qu’il faut poser ces problèmes, c’est simplement en termes politiques, économiques, sociaux, stratégiques. De ce point de vue, il faut bien admettre que la Turquie a toute sa place dans une Europe dans la mesure où elle adhère aux mêmes valeurs que l’Europe. Cela, c’est ce qui lui reste à démontrer. On ne peut pas accepter en Europe, naturellement, les pays qui ne partagent pas nos principes et nos valeurs. Dans la mesure où tel serait le cas, le moment venu, selon le vieux principe qui dit que l’Union fait la force, et dans le cadre de l’évolution du monde multipolaire qui petit à petit se dessine, l’Europe, l’Union a intérêt à être forte, puissante, organisée et à associer toutes ses forces dans un objectif commun, qui est de défendre ses intérêts et ses valeurs.
QUESTION – Lorsque vous dites que l’on ne peut pas importer des conflits dans l’Union européenne, est-ce qu’il y a là-aussi un message pour les Chypriotes grecs ? Et je voudrais aussi vous poser la question pour le nouveau gouvernement turc. Est-ce que ce nouveau gouvernement turc est une source d’espoir ou d’inquiétude pour vous ? Est-ce que le Président SEZER vous a rassuré sur ce sujet ?
LE PRESIDENT – D’abord, notre message s’adresse à tous, naturellement, et notamment à tous les Chypriotes quelle que soit leur appartenance. Et quant à notre approche des évolutions politiques récentes de la Turquie, celles-ci ne suscitent chez nous aucune espèce d’inquiétude. Naturellement, nous observons, nous attendons, mais nous n’avons aucune inquiétude parce que nous n’avons aucune raison d’avoir des inquiétudes. Ceux qui ont vu M. ERDOGAN, ceux qui ont écouté ce qu’ont dit les différents responsables turcs n’ont pas lieu d’être inquiets. Ensuite, il faut voir, naturellement.
QUESTION – Monsieur le Président, vous avez, en ce qui concerne les relations entre l’Union européenne et l’OTAN, vous avez dit que vous étiez sur la bonne voie pour ce qui concerne l’opération en Macédoine. Si je ne me trompe pas, à ma connaissance, la Turquie n’a toujours pas donné son feu vert. Donc, je me demande ce qui vous fait dire cela.
Deuxièmement, vous avez dit que vous avez eu un entretien très intéressant avec le Premier ministre grec, je me demande si vous pouviez nous en dire plus sur cet entretien.
LE PRESIDENT – C’est vrai que, pour des raisons que je n’ai pas toujours comprises et qui relevaient à mon avis davantage de prises de position politiques que techniques, après avoir obtenu un accord de la Grèce sur une solution de compromis élaborée par M. SOLANA, la Turquie n'a toujours pas donné son accord pour ce qui concerne l'accord Union européenne-OTAN. Ce n'est pas un problème pratique parce que c'est peu de chose, la force en Macédoine, c'est une toute petite force, 800 personnes à peu près, très peu de chose, c'est un problème de principe. Honnêtement, je crois que les choses aujourd'hui sont telles qu'on devrait pouvoir sortir de cette difficulté sans problème. Je l'espère en tous les cas. Je me suis permis de le dire au Président turc et je le redirai dans quelques jours à M. ERDOGAN.
Quant à mes entretiens avec M. SIMITIS, il est tout à fait légitime que j'aie un entretien avec quelqu'un qui va prendre la présidence au 1er janvier, Premier ministre de surcroît d'un pays avec lequel la France a des relations extrêmement bonnes. Cet entretien a porté essentiellement sur la future présidence, d'ailleurs M. SIMITIS était venu me voir à Paris et voit dès ce soir d'autres pays. C'est à ce titre que je l'ai rencontré. Je l'ai aussi rencontré en tant qu'ami.
QUESTION – Monsieur le Président, vous avez planté le décor au début de votre intervention en disant que Copenhague et Prague, ça allait du même mouvement. Est-ce que vous partagez le sentiment de Vaclav HAVEL qui parle d'espace culturel commun euro-américain et, dans ce cas-là, où mettez-vous la Russie dans les relations tant avec l'Europe qu'avec l'OTAN ?
LE PRESIDENT – Je n'ai pas entendu cette réflexion de Vaclav HAVEL, mais si vous dites qu'il l'a faite, il l'a probablement faite. J'ai pour lui, vous le savez, beaucoup d'estime et de respect, d'amitié aussi. Je mets cela au compte d'une réflexion d'intellectuel plus que d'homme politique.
Il y a un espace culturel commun mondial, si on veut aller par là, et cet espace justifie ce que, moi, j'appelle le dialogue des cultures, enfin, ce qu'on appelle le dialogue des cultures. Moi, je crois surtout qu'il y a un espace culturel européen au sens large du terme et que c'est celui-là qu'il faut affirmer. Et il pose effectivement le problème des relations avec la Russie.
Où est la Russie ? La Russie est à la fois en Europe et en Asie. Elle a une très longue histoire, une forte culture qui plonge ses racines très loin, une langue superbe et tout cela en fait quelque chose d'un peu particulier. Et d'ailleurs, les choses étant ce qu'elles sont aujourd'hui, je ne crois pas qu'elle ait l'idée de s'intégrer dans un autre ensemble. Il faut donc le respecter, naturellement.
Mais si nous ne voulons pas créer de fractures nouvelles en Europe, je disais tout à l'heure que cela supposait d'aller aussi loin que possible dans la construction d'une Europe homogène, cohérente, pacifique et démocratique, mais cela suppose aussi, si l'on ne veut pas créer de fractures qui nous ont fait tant de mal dans le passé, que l'on ait avec les voisins de cette Europe, au premier rang desquels la Russie, mais aussi d'une certaine autre façon l'Amérique, des relations qui soient aussi confiantes, aussi organisées, aussi approfondies que possible. Et donc, dans mon esprit, la construction de l'Europe, construction à long terme pour les vingt-cinq ou trente ans qui viennent, comporte automatiquement la construction d'une relation entre l'Europe et la Russie, dont il faudra déterminer exactement la nature mais qui ne peut être qu'une relation de confiance et d'amitié.
QUESTION – Monsieur le Président, on a beaucoup parlé de mobilisation contre l'Iraq. Après la réapparition de Ben Laden, par bande magnétique interposée, et le renouvellement, la multiplication d'attentats, où en est la lutte contre le terrorisme, à votre avis ?
LE PRESIDENT – Sur le plan international, elle se renforce indiscutablement, dans tous les domaines, militaire bien sûr, mais également dans le domaine du renseignement, de la justice, de l'information de toute nature, de la lutte contre le financement. Tout cela se renforce et la réunion d'aujourd'hui, de ce point de vue, même si cela n'a pas donné lieu évidemment à des commentaires extérieurs, va dans le sens de ce progrès. Sur le plan européen, je dirais la même chose. Quant à la France, elle fait tout ce qui est en son pouvoir pour se doter des moyens à la fois de prévention et, le cas échéant, de répression contre le terrorisme.
Je vous remercie. |