POINT DE PRESSE
DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
À L'ISSUE DE SA VISITE AUX ÉMIRATS ARABES UNIS
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ABOU DABI - ÉMIRATS ARABES UNIS
MARDI 13 NOVEMBRE 2001
Mesdames, Messieurs,
Je viens de passer un moment qui, pour moi, compte puisque j'ai rencontré le Cheikh ZAYED qui est une personnalité pour laquelle j'ai depuis très longtemps beaucoup de respect, beaucoup d'estime, beaucoup d'amitié. Et je me suis réjoui de le trouver, si j'ose dire, en pleine forme physique, ce qui m'a fait un grand plaisir.
Les relations, vous le savez, entre la France et les Émirats arabes unis sont des relations anciennes et excellentes. Elles ont été initiées avant même la création de la Fédération par le Cheikh ZAYED lui-même et le général de GAULLE et n'ont jamais dévié depuis. Ce sont des relations d'amitié et de confiance. Et nos amis émiratis savent que la France est à leurs côtés et réciproquement.
Mon objectif, aujourd'hui, c'était d'abord d'entendre les réflexions de Cheikh ZAYED, qui est un sage, sur la situation actuelle, notamment depuis le 11 septembre, et puis lui faire part de mes propres réflexions. Et j'ai observé là encore que ces deux réflexions étaient tout à fait convergentes. Il n'y a aucun doute sur notre commune volonté de tout faire pour lutter contre le terrorisme international incarné aujourd'hui par BEN LADEN, le Mollah OMAR et AI Qaida.
Nous sommes les uns et les autres très soucieux de voir l'ONU assumer toutes ses responsabilités, notamment pour ce qui concerne la solution politique qui doit être mise en oeuvre d'urgence maintenant compte tenu de l'évolution de la situation militaire dans le nord et aussi, naturellement, sur le plan de l'aide humanitaire.
Nous partageons le même souci, celui d'ailleurs qu'exprimait hier le Président MOUBARAK, pour ce qui concerne la paix nécessaire au Proche-Orient, l'inquiétude que provoque la dégradation de la situation dans cette région et les conséquences que cela comporte sur, je dirai, l'ensemble du monde arabe et musulman et, par voie de conséquence, sur la solidité d'une coalition qui, par ailleurs, est nécessaire si l'on veut lutter efficacement contre ce nouveau mal du monde moderne qu'est le terrorisme international.
Enfin, nous avons beaucoup insisté, le Cheikh ZAYED et moi-même, sur la nécessité, dans un monde qui évolue par grandes unités, un monde multipolaire qui s'affirme de plus en plus, la nécessité d'avoir un vrai dialogue des cultures, de rejeter tout ce qui est opposition entre les cultures, entre les civilisations, entre les religions et sur la nécessité de provoquer le maximum de liens fondés sur le dialogue, lequel ne peut être fondé que sur le respect de l'autre, des autres et de leurs convictions, ce dialogue des cultures qui est une notion chère au Cheikh ZAYED et également une notion à laquelle je suis, pour ma part, profondément attaché, et qui est d'autant plus indispensable aujourd'hui que l'évolution du monde est ce que nous savons.
Voilà quelques observations. Mais je répondrai volontiers maintenant à vos questions.
QUESTION - Monsieur le Président, vous venez de faire allusion à la situation à Kaboul, en Afghanistan du nord. Plusieurs agences de presse confirment ce matin que les Taleban ont quitté Kaboul. Est-ce que vous pouvez nous donner votre sentiment ? Est-ce que pour vous, c'est une bonne nouvelle ou l'ouverture d'une période d'incertitudes en ce qui concerne le futur gouvernement politique afghan ?
LE PRÉSIDENT - Premièrement, j'ai les mêmes informations que vous. Mais il n'y a pas encore de confirmation officielle de l'évacuation de Kaboul par les Taleban. Mais toutes les informations dont nous disposons vont dans ce sens. Donc, la situation militaire, vous le dites, évolue, ce dont je tire une conséquence immédiate. Il est extrêmement urgent, et c'est ce que je dis depuis quelques jours, de mettre en place la solution politique. Rien ne serait plus grave que d'avoir une période de transition qui ne soit pas coordonnée, assurée, qui ne permette pas d'avoir la stabilité. Ce qui veut dire que les autorités provisoires qui devront être mises en place et prendre la responsabilité en Afghanistan devront faire une place à chacun des groupes politiques, ethniques, d'Afghanistan, à l'exception naturellement des Taleban.
C'est ce à quoi s'emploie, sous le contrôle du Secrétaire général de l'ONU, M. Lakhdar BRAHIMI. Il est plus urgent que jamais que cette solution soit mise en oeuvre très rapidement. Nous ferons, pour ce qui nous concerne, tout pour la faciliter. Cela implique, je n'ai pas besoin de le souligner, également que soient mis en oeuvre très, très rapidement, de toute urgence, les moyens d'aide humanitaire qui s'imposent.
Enfin, il ne faut pas oublier que notre stratégie d'ensemble a d'abord et avant tout pour objectif l'élimination, l'éradication du terrorisme, c'est-à-dire de BEN LADEN, de ses collaborateurs, des Taleban qui lui ont permis de vivre, de prospérer, de se développer, d'agir. C'est cela qui reste naturellement notre objectif essentiel : l'éradication des forces du mal et de la barbarie.
QUESTION - Pendant vos entretiens avec Cheikh ZAYED, a-t-il été question de la possibilité d'un projet pour la reconstruction de l'Afghanistan après la guerre ? Deuxième question, la France a appelé à la tenue d'une conférence internationale sur le Proche-Orient. Trouvez-vous que les États-Unis sont proches d'un tel projet ? Ne trouvez-vous pas qu'il y a un retrait américain après les déclarations du Président BUSH, notamment son refus tout récent d'accueillir le Président ARAFAT ?
LE PRÉSIDENT - Pour ce qui concerne la reconstruction de l'Afghanistan, elle s'impose et elle relève de la solidarité internationale. Cela ne fait aucun doute. Lorsque je parle de solution transitoire politique, c'est évidemment pour se donner notamment les moyens de rétablir un minimum d'administration dans ce pays, faire face aux exigences immédiates du peuple afghan, mais c'est aussi la conception-même et l'engagement de la reconstruction, avec les moyens de la coopération internationale, de l'Afghanistan. Nous avons parlé de ce sujet, effectivement, avec Cheikh ZAYED et nous partageons là aussi tout à fait le même sentiment.
S'agissant du Proche-Orient, vous connaissez mon point de vue. Je ne veux pas faire d'ingérence dans la diplomatie américaine. Je constate tout de même qu'à plusieurs reprises, le Président américain a souligné la nécessité d'avoir un État palestinien indépendant, viable, naturellement pacifique. Et c'est une thèse que, vous le savez, pour sa part, la France défend déjà depuis près de vingt ans.
QUESTION - Monsieur le Président, vous avez dit que la France étudiait la troisième liste américaine qui considère le Hezbollah comme une organisation terroriste. Jusqu'à quel point êtes-vous d'accord avec la vision américaine à ce propos, au sujet du Hezbollah ? Quelle serait la position de la Syrie si les États-Unis insistaient sur le fait de considérer le Hezbollah comme une organisation terroriste ? Vous avez appelé à une solution politique de la situation afghane. Quelle est votre évaluation à la lumière des derniers développements militaires ? Est-ce que vous pensez que c'est la fin des Taleban, alors qu'ils représentent une partie importante de la population afghane ?
LE PRÉSIDENT - Je ne suis pas, sur le deuxième point, sûr que les Taleban représentent une portion importante de la population afghane. Je suis même persuadé du contraire. Les Afghans sont les fils d'une vieille civilisation, d'une grande culture, et je ne peux pas croire qu'un régime qui les a conduits à la misère, qui les a entièrement soumis à l'aide alimentaire humanitaire pour pouvoir survivre, qui leur a refusé tous les droits de l'Homme, qui a humilié les femmes, je ne peux pas croire que le peuple afghan, qui est un grand peuple fier et courageux, il l'a démontré dans toute son histoire, puisse soutenir réellement le régime archaïque des Taleban.
En conséquence, il faut une autre solution politique. Mais cette solution, naturellement, doit répondre aux voeux d'une majorité de la population. Elle doit donc laisser à chacun sa place, en proportion de ce qu'il représente réellement sur le plan, notamment, ethnique, tribal, car c'est important dans cette région. Et donc, tout doit être fait par la communauté internationale pour répondre à ce qui est certainement le désir d'une très grande majorité des Afghans et ce qui est l'intérêt de l'Afghanistan.
En ce qui concerne la première question, c'est-à-dire la troisième liste qui a fait l'objet d'un décret présidentiel américain, j'observe que celui-ci n'a pas été transmis à l'ONU et que, par conséquent, chacun, la Syrie et le Liban notamment, est libre de l'appliquer ou de ne pas l'appliquer au regard de la législation internationale et des résolutions de l'ONU.
QUESTION - Monsieur le Président, hier, un avion civil s'est écrasé à New York. La peur est revenue de nouveau parmi les civils. Jusqu'à quand pensez-vous que ce feuilleton de psychose va durer ? Quel rôle peut jouer la France pour régler des problèmes comme celui du Moyen-Orient ? Les Arabes comptent beaucoup sur la France...
LE PRÉSIDENT - Comme tout le monde, j'ai été consterné, naturellement, par cette catastrophe aérienne qui a endeuillé New York, hier. Les informations qu'on nous donne aujourd'hui, mais qui doivent être confirmées, permettent de penser qu'il s'agit d'un accident. Il n'en reste pas moins que cet accident intervient, comme vous l'avez dit, dans une population déjà très traumatisée. Il faut bien comprendre que l'opinion publique américaine a été vraiment traumatisée par les événements du 11 septembre mais également, depuis cette date, par toute cette affaire de l'anthrax. Ce qui fait que l'opinion américaine est, aujourd'hui, en quelque sorte une opinion en guerre, solidaire contre un adversaire qu'elle a du mal à détecter.
Cela explique d'ailleurs que, tous les sondages le montrent, le Président américain aujourd'hui reçoit l'adhésion de la quasi totalité des Américains dans l'action qu'il mène. Il faut bien le comprendre, si l'on veut comprendre les réactions des Européens, du monde arabo-musulman, des autres, il faut aussi s'efforcer de comprendre la réaction de la population américaine, qui est dans des conditions qui ne sont pas les nôtres et qui réagit en fonction des ces conditions. Naturellement, la lutte contre le terrorisme sera longue, il ne faut pas se faire d'illusion, d'où, d'ailleurs, l'importance capitale d'avoir une action à la fois concertée et internationale, d'où l'importance que la France attache au rôle de l'ONU dans ce domaine, au rôle leader de l'ONU.
Lutter contre le terrorisme, ce n'est pas seulement une action militaire en Afghanistan, même s'il est aujourd'hui essentiel d'éradiquer BEN LADEN et ses sbires. Mais une action contre le terrorisme, c'est aussi une action forte tendant à couper les sources de financement du terrorisme, et elles sont encore nombreuses, avec la complicité de tous, d'une façon ou d'une autre. C'est mettre en place un système judiciaire et policier qui soit efficace et qui ne laisse pas dans certains pays, notamment en Europe et ailleurs, des sortes de sanctuaires où les terroristes puissent, en quelque sorte, s'abriter plus ou moins. Cela suppose une coopération en matière de renseignement, cela implique naturellement, là aussi, une concertation, un effort international.
C'est la raison pour laquelle, pour cette lutte qui sera longue, la coopération de l'ensemble des nations est indispensable. C'est ce qu'exprime aujourd'hui la coalition, d'où l'importance qu'il y a à préserver cette coalition. Et, donc, tout ce qui est de nature à la dégrader ou à la mettre en cause doit être examiné et réglé. C'est le cas de la situation au Proche-Orient, comme cela pourrait être demain le cas du Cachemire. Il est indispensable, si l'on veut maintenir une coalition cohérente, forte et efficace contre le terrorisme international, que l'on fasse le nécessaire pour éteindre les feux qui peuvent dégrader cette coalition. C'est dans cet esprit que la France, effectivement, souhaite qu'une table de négociation s'ouvre dans les meilleurs délais avec les États-Unis, avec l'Europe, avec l'Égypte et la Jordanie, avec le Secrétaire général de l'ONU, avec la Russie, pour que Palestiniens et Israéliens puissent retrouver d'abord la table de négociation, puis prendre ensemble le chemin conduisant vers la paix, un chemin qui est jalonné de bornes précises et incontestables que sont les résolutions de l'ONU et les conclusions de la conférence de Madrid.
QUESTION - Il y a un sentiment de frustration, de colère, dans le monde arabe en raison de la continuation du terrorisme israélien contre la population palestinienne. Est-il pensable que l'Union européenne et les États-Unis d'Amérique soient impuissants à intervenir pour mettre un terme à ce terrorisme israélien et imposer une solution aux Israéliens, comme aux Palestiniens, pour épargner à cette région le terrorisme et jeter les bases d'une nouvelle coopération entre le monde arabo-islamique et l'Union européenne et les États-Unis ?
LE PRÉSIDENT - Je n'ai rien de plus à vous dire, Cher Monsieur, que ce que j'ai dit tout à l'heure. C'est le voeu de la France. Je crois pouvoir dire que c'est le voeu de l'Union européenne, et nous espérons qu'il se traduira par des faits concrets. Peut être une dernière question ?
QUESTION - On vient de publier ici un livre intitulé "Jacques CHIRAC, l'homme d'État et de principes". Ces principes qui ont fait et font toujours les fondements de votre vision politique. Vous avez appelé à maintes reprises à une mondialisation humanisée. Pensez-vous que votre appel a été entendu à Abou Dabi ?
LE PRÉSIDENT - Je voudrais remercier votre consoeur et terminer avec sa propre conclusion. Je l'avais dit tout à l'heure, l'évolution du monde va vers un équilibre qui devra être recherché entre quelques grands groupes, qu'il s'agisse de la Chine, de l'Inde, de l'Union européenne, naturellement, de l'Amérique du nord et demain de l'Amérique du sud, du monde arabo-musulman, méditerranéen. Chacun de ces grands groupes aura des intérêts qui ne seront pas forcément identiques à ceux des autres et chacun d'entre eux sera très puissant économiquement, politiquement. Il est donc tout à fait essentiel d'imaginer un monde qui, à partir de ces réalités nouvelles, puisse être un monde de sérénité et non pas un monde conflictuel, d'où l'importance que j'attache pour ma part, et que de plus en plus de gens, je crois, attachent à ce concept de dialogue des cultures.
Un écrivain a récemment écrit un livre qui est le contraire de ce qui devrait arriver, cela s'appelait "Le choc des cultures", le choc des civilisations, thèse absurde et criminelle. La vérité, c'est que nous devons faire en sorte que ces grands groupes puissent dialoguer dans la sérénité. Cela suppose naturellement d'éteindre les feux là où ils existent encore mais cela suppose aussi et surtout de mettre en place les structures d'un dialogue permanent fondé sur le respect de l'autre, sur la compréhension de l'autre, sur la connaissance de l'autre, qui implique que, dès le plus jeune âge, on nous apprenne d'avantage ce qu'est l'histoire des civilisations, l'histoire des hommes, ce qu'ils ont apporté à la culture universelle et pourquoi, à ce titre, ils sont tous aussi respectables les uns que les autres. Des représentants des plus puissants aux représentants des plus modestes, il n'y a pas de hiérarchie dans le respect qu'on leur doit.
Et c'est ce nouveau dialogue des cultures, qui est actuellement relancé par l'UNESCO, auquel nous devons, chacun à notre place, apporter notre contribution. J'ai observé que c'était tout à fait le sentiment de Cheikh ZAYED, ce qui ne m'étonne pas, car il y a ici un sage.
Je vous remercie. |