ALLOCUTION
DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
A L'OCCASION DE LA RECEPTION DE LA CONFERENCE MONETAIRE INTERNATIONALE
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PALAIS DE L'ELYSEE
LUNDI 29 MAI 2000
Monsieur le Président de la Conférence Monétaire Internationale, Mesdames et Messieurs les Gouverneurs et Présidents, Mesdames, Messieurs, Un mot d'abord pour vous prier d'excuser notre retard mais il avait été prévu que nous ayons, à la veille ou presque de la réunion du G7 à Okinawa au Japon, un entretien avec les Gouverneurs du G7. C'est la raison pour laquelle vous nous avez un peu attendus et je vous présente nos excuses collectives. Je suis heureux de vous accueillir ce soir au Palais de l'Elysée. Vous avez choisi de vous retrouver cette année à Paris et votre réunion coïncide avec les cérémonies du bicentenaire de notre institut d'émission, la Banque de France, que j'ai eu le plaisir d'ouvrir ce matin même. Et je m'en réjouis. Je soutiens en effet depuis longtemps le développement de Paris en tant que place financière internationale et votre présence ce soir illustre le bien-fondé de cette ambition. Le développement de la liberté de circulation des capitaux, la mondialisation des flux financiers et la création d'un marché mondial des capitaux ont rendu votre métier plus complexe mais encore plus essentiel. Il n'y a pas d'économie prospère qui ne repose sur un système bancaire solide et performant. L'histoire financière récente nous a, hélas, montré le coût élevé, pour de nombreux pays et pour la collectivité internationale, de systèmes bancaires en mauvaise santé. Je me réjouis donc de vos rencontres annuelles et informelles qui ont pour objet d'approfondir la réflexion sur les grands sujets économiques et financiers et de contribuer ainsi à la recherche d'une plus grande stabilité financière mondiale. * * * Je voudrais saisir l'occasion de notre rencontre amicale pour évoquer brièvement avec vous trois sujets qui me tiennent à coeur. Et tout d'abord vous donner mon sentiment sur la question que vous vous êtes posés ce matin dans votre conférence : " l'euro est-il un succès ? " Ma réponse est résolument positive. L'euro a des fondations solides. D'abord, sa valeur réelle est préservée grâce à la maîtrise de l'inflation. Ensuite, l'euro repose sur la force économique de l'Europe qui s'accroît grâce à la croissance et à la modernisation accélérée de l'économie européenne. Enfin, l'entente politique entre les pays européens est toujours plus étroite et plus forte. Nous le verrons encore à l'occasion de la Présidence française de l'Union européenne. Oui, le choix de l'euro, c'est le choix de l'Europe en faveur de la croissance et de l'emploi. C'est un formidable accélérateur de développement et nous lui devons une large part de la croissance dont nous bénéficions désormais. Les nouvelles institutions monétaires européennes ont su, avec rapidité, avec efficacité, jouer pleinement leur rôle comme l'atteste le bas niveau des taux d'intérêt à long terme dans la zone euro. C'est confiant dans ces fondations robustes que je souhaite que la valeur externe de l'euro reflète mieux qu'aujourd'hui sa valeur interne qui est incontestable et incontestée. Certes beaucoup reste à faire et la politique économique européenne doit nous permettre de tirer le meilleur parti de l'euro. Partout en Europe et en France, cela suppose que les réformes de structures soient poursuivies, que nous sachions parachever l'unification du marché intérieur, notamment celui des services financiers. Dans ce domaine, la mise en place rapide du " plan d'action sur les services financiers " sera l'une des priorités de la prochaine présidence française de l'Union, avec le souci de garantir aux épargnants un haut niveau de protection. Cela veut dire également, pour chacun de nos pays, améliorer la qualité de ses services publics, en réduire le coût, réussir la baisse durable des prélèvements obligatoires en maîtrisant les dépenses publiques, garantir l'avenir des retraites et de la protection sociale, et enfin, entrer de plain-pied dans l'économie de la connaissance et la société de l'information. La poursuite de ces objectifs impose que nous sachions mieux coordonner nos politiques budgétaires et fiscales en renforçant nos instruments et nos procédures de décision économique au niveau européen. Il ne s'agit pas de créer un " gouvernement économique " de l'Europe. Il s'agit de renforcer davantage la cohérence de notre action maintenant que nous partageons la même monnaie. Mais l'euro n'est pas seulement une réalisation économique. Il a aussi une portée politique majeure. Pour la première fois, nous changeons de monnaie en Europe non par la force, mais par la volonté commune des peuples. La construction européenne s'approfondit de jour en jour. La route n'est pas sans obstacles et c'est bien naturel. Mais le chemin parcouru depuis les années cinquante est impressionnant. Nous nous sommes engagés à le poursuivre. C'est notre intérêt et celui de l'ensemble de nos partenaires. Le deuxième point que j'aimerais souligner ce soir est l'importance que j'attache à la stabilité financière. Avec le recul que nous avons aujourd'hui, on voit que la crise financière qui s'est déclenchée en Asie en 1997 a été gérée le mieux possible, bien que ses conséquences aient été très douloureuses pour les populations de nombreux pays. Je veux rendre hommage ici aux institutions internationales, aux banquiers centraux mais aussi aux banques privées qui ont su prendre leurs responsabilités au moment critique. La crise était grave. Elle aurait pu avoir des conséquences encore plus dramatiques pour l'ensemble des économies du monde. Reste qu'aujourd'hui personne ne peut assurer que les cause d'instabilité ont été éliminées. Alors que le calme est revenu, le principal risque, comme l'a d'ailleurs récemment indiqué M. Rubin, est celui d'une certaine complaisance à l'égard de la situation actuelle. Certes, les analyses de la crise de 1997 sont multiples et je sais que les solutions sont complexes. Pour ces raisons, tout accord est difficile. Mais je dirai simplement que je suis préoccupé par une tendance à un certain affaiblissement de la coopération internationale. Les réunions, certes, se multiplient. De nouvelles instances se créent, mais dans le même temps les institutions internationales sont plus contestées et dans de nombreux pays l'isolationnisme progresse. C'est devenu, je crois, une responsabilité principale de la communauté financière que vous représentez à son plus haut niveau d'inverser cette tendance et de faire prévaloir l'importance de la coopération internationale. Elle doit se densifier dans tous les domaines, qu'il s'agisse de l'appréciation des risques bancaires, des règles prudentielles, de l'unification des normes comptables ou financières, de la coopération en matière de change. Enfin, je voudrais, et ce sera ma dernière remarque, la plus courte, évoquer la nouvelle économie. La nouvelle économie émerge. Elle est présente. Elle est visible à des niveaux différents selon les pays. Ses effets sur la productivité, la croissance économique et l'emploi commencent à apparaître. Comme on l'a souligné à plusieurs reprises, les marchés financiers et les institutions financières sont indispensables à son éclosion pour financer les investissements et garantir les risques qu'elle implique. En même temps, la traduction boursière de la nouvelle économie peut susciter des interrogations. C'est aujourd'hui le défi principal des responsables monétaires et financiers que vous êtes de limiter les excès auxquels elle peut donner lieu, sans toutefois casser la dynamique positive qu'elle suscite. L'enjeu est important pour notre croissance immédiate mais aussi pour l'équilibre de notre système économique qui pourrait être affaibli par des chocs financiers mal maîtrisés. Voilà, Mesdames et Messieurs, les quelques idées que je voulais partager avec vous. Je vous souhaite un très bon séjour, studieux, ce qui n'exclut pas d'être un séjour agréable, à Paris et je remercie l'ensemble de la communauté financière française qui a organisé cet important événement dans notre pays. Bon séjour et merci. |