ALLOCUTION PRONONCEE PAR MONSIEUR JACQUES CHIRAC
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
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A L'OCCASION DU DINER D'ETAT OFFERT AU PALAIS DE L'ELYSEE
EN L'HONNEUR DE LEURS MAJESTES
LE ROI NORODOM SIHANOUK DU CAMBODGE ET LA REINE MONIQUE
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LUNDI 22 AVRIL 1996
Sire,
Madame,
C'est un moment d'émotion et de joie que nous vivons ce soir. C'est aussi un moment d'affection. Cette affection qui, depuis si longtemps, unit très fort nos deux pays. L'affection aussi que nous inspirent Vos personnes, Votre combat, cette sagesse, ces valeurs de civilisation que Vous n'avez cessé d'incarner et de défendre.
Accueillant Vos Majestés, le 24 juin 1964, le général de Gaulle avait trouvé les mots justes pour évoquer cette relation puissante, cette intimité, cette familiarité qui lient le Cambodge et la France. Je le cite : Notre communauté de sentiments et d'intérêts est telle qu'il n'existe rien de pareil pour aucun autre Etat d'Asie". Il y voyait, et je le cite encore, "l'effet des nombreuses affinités qui, d'instinct ont rapproché nos pays". L'effet aussi de cette fascination que nos deux civilisations n'ont cessé d'exercer l'une sur l'autre.
Mais le Général devait évoquer aussi la menace qui se précisait déjà aux frontières du Cambodge. Et c'est naturellement vers les Français que se tournaient alors les Cambodgiens, comme ils l'avaient fait un siècle plus tôt.
Les paroles prononcées par le général de Gaulle, deux ans plus tard, au Stade de Phnom Penh, résonnent encore dans nos mémoires. Il y développait sa vision du conflit vietnamien et ses craintes pour l'avenir du Cambodge. L'Histoire, hélas, montra combien elles étaient fondées.
Bientôt, un coup de force illégal, Votre éloignement et l'extension des combats scellaient le destin de votre peuple. Peu à peu, le Cambodge sombrait dans le chaos. Et c'est le coeur serré qu'il y a 21 ans, les diplomates de notre ambassade à Phnom Penh amenaient les couleurs de la France. Ce jour-là, au terme de plus d'un siècle d'une histoire commune, de bonheurs et d'épreuves partagés, la France était contrainte de quitter le Cambodge.
A aucun moment pourtant, la France ne s'en est détournée. Aux heures les plus noires, quand tombaient tant de Cambodgiens, victimes de la folie meurtrière des Khmers rouges et de ce génocide froidement planifié, la France restait proche de Votre peuple par le coeur. Elle accueillait sur son sol des dizaines de milliers de Vos compatriotes. Elle ne cessait de plaider votre cause dans toutes les instances internationales. Elle appelait toutes les parties cambodgiennes à rechercher, sous l'égide de Votre Majesté, les voies d'un accord.
Au terme de deux ans, deux mois et vingt-deux jours d'une négociation sans précédent, cet accord était enfin scellé. Et c'est à Paris qu'il était signé, restaurant, sous la conduite de l'ONU, la paix au Cambodge.
Une ère nouvelle s'ouvrait devant vous. Au lendemain de l'une des plus terribles tragédies de l'Histoire, le peuple khmer reprenait espoir, se retrouvait autour de Votre personne et engageait sa reconstruction. Tout ceci grâce à vous, Sire, à votre volonté farouche de restaurer le Cambodge dans son unité, dans son indépendance et dans sa pleine souveraineté, à votre foi inébranlable dans la nation khmère.
L'histoire du Cambodge est ponctuée d'heures sombres auxquelles ont toujours succédé des périodes glorieuses. Je pense en particulier aux XIIe et XIIIe siècles, lorsque l'Empire khmer étendait loin son influence et sa civilisation. Les temples d'Angkor, où s'est nouée et renouée l'exemplaire coopération franco-cambodgienne, témoignent, aux yeux du monde, du prestige, de l'ancienneté, de la permanence de l'épopée khmère. Oui, Sire, il est des peuples, des valeurs, des civilisations qui ne peuvent mourir. Le peuple khmer est de ceux-là.
Désormais le Cambodge se relève peu à peu et panse ses plaies. Les épreuves traversées, les destructions subies, les incertitudes que connaît encore votre pays, donnent la mesure des efforts à accomplir sur la voie du redressement.
Le peuple cambodgien n'est pas seul. Les Nations Unies ont assuré, avec succès, l'application des Accords de Paris et l'organisation des élections de 1993. La France y a pris une part active, par la présence notamment de nombreux casques bleus et observateurs français.
Aujourd'hui, elle est au premier rang pour le déminage de vos campagnes où tant d'hommes, tant de femmes, tant d'enfants continuent, cinq ans après, d'être les victimes de millions de pièges oubliés par la guerre. C'est en pensant au Cambodge que la France a pris l'initiative d'une négociation pour interdire l'usage honteux et inacceptable des mines antipersonnel.
Mais c'est dans tous les domaines du redressement de votre pays que la France entend agir. C'est toute la société cambodgienne qui doit se reconstruire, sous Votre égide, autour des valeurs de la démocratie et des valeurs du Bouddhisme.
Depuis cinq ans, les Cambodgiens réapprennent les vertus du droit, le sens de l'Etat, la nécessité d'une économie organisée. La France les y aide, et les y aidera en développant notamment son aide aux universités cambodgiennes et en multipliant ses actions de formation.
Je souhaite affirmer aussi notre soutien au combat de Votre Majesté en faveur de l'environnement, pour la sauvegarde notamment de la forêt cambodgienne. On dit que la protection de la nature est une préoccupation et un luxe réservés aux pays les plus riches. Mais au Cambodge, l'urgence, vous l'avez dit, est manifeste : c'est tout l'équilibre écologique de votre pays que menace la déforestation. Vous avez su, là encore, Sire, engager tout votre crédit dans ce combat pour l'avenir de votre peuple et de votre terre.
Sur le plan international, la France s'est mobilisée à vos côtés. Elle s'est faite l'avocat du Cambodge auprès de l'Union européenne. Elle ne cesse d'encourager ses partenaires à lui apporter leur soutien. Elle se prononce en faveur d'une pleine participation de votre pays à l'ASEAN, afin que le Cambodge, nous en avons parlé longuement cet après-midi, puisse tirer tout le bénéfice du mouvement d'intégration régionale qui se dessine dans le Sud-Est asiatique.
Il y a quelques semaines, j'évoquais à Singapour l'ambition asiatique de la France, qui doit être aussi celle de l'Union européenne. Le Cambodge doit avoir toute sa place dans ce nouveau partenariat. Votre pays, Sire, est depuis toujours, en Asie, l'un de nos interlocuteurs privilégiés. Je sais votre attachement personnel à notre culture et à la présence du Cambodge au sein de la grande famille francophone.
La France y est sensible, elle qui n'a cessé de se battre pour le Cambodge, pour sa liberté, son unité, sa dignité ; la France qui voue à votre pays et à Votre personne une indéfectible amitié ; la France, Sire, a foi en l'avenir du peuple khmer.
C'est fort de cette amitié mais aussi de notre volonté constante d'accompagner le Cambodge sur la voie du développement et du progrès, et c'est en pensant à la grande nation khmère si durement éprouvée, que je vais maintenant lever mon verre.
Je le lève en l'honneur de Sa Majesté Norodom Sihanouk, Roi du Cambodge, et en l'honneur de Sa Majesté la Reine Monique à qui je suis heureux de présenter mes très respectueux et affectueux hommages. Je bois au bonheur personnel et à la santé de Vos Majestés. Je leur souhaite d'incarner longtemps encore les aspirations et la sagesse du peuple khmer. Je bois à la paix, au bonheur et à la prospérité de tous les Cambodgiens. Je bois enfin à l'amitié séculaire qui unit nos deux pays et que vous aviez si bien illustrée avec le général de Gaulle.
Vive le Cambodge !
Vive la France !
Vive l'amitié franco-cambodgienne ! |