Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République et de M. Gerhard SCHROEDER , Chancelier de la République fédérale d'Allemagne à l'occasion de leur rencontre à Paris.
Palais de l'Elysée - Vendredi 10 juin 2005
LE PRESIDENT – Mesdames, Messieurs,
Je souhaite d'abord la plus cordiale bienvenue à tous les journalistes allemands, français et, plus généralement, appartenant aux différentes nations qui nous font le plaisir de répondre à notre invitation.
Je suis très heureux, une fois de plus, d'accueillir le Chancelier, en présence de nos deux ministres des Affaires étrangères. Ces rencontres régulières nous permettent en permanence de nous informer, d'ajuster nos positions, de renforcer la cohérence de nos actions. Nous sommes aujourd'hui dans une période difficile pour l'Europe, à la suite du rejet du Traité constitutionnel par les Français et par les Néerlandais. Ces difficultés, il faudra bien que l'Europe les surmonte et elle les surmontera d'autant mieux qu'il y aura une forte volonté, entre l'Allemagne et la France, pour les surmonter.
Dans le débat que nous venons de vivre en France, j'observe que la cohérence de l'action entre l'Allemagne et la France n'a jamais, en France, été discutée ou contestée. Ce qui marque bien la profondeur de la relation, la solidité de la relation qui existe entre nos deux pays.
Depuis plusieurs années, j'ai trouvé en la personne du Chancelier, l'homme de caractère et de vision sur lequel la France a pu s'appuyer pour renforcer, au service de l'Europe, la relation, l'amitié entre l'Allemagne et la France. Le Chancelier est un homme qui voit loin, c'est un homme de réforme qui, au-delà des considérations politiques partisanes du moment, s'est engagé avec détermination pour son pays et pour l'Europe. Je me réjouis de l'avoir comme partenaire et comme ami.
C'est dans cet esprit que nous avons abordé la préparation du Conseil européen des 16 et 17 juin prochains et nous sommes tous les deux d'accord pour réaffirmer combien l'Union européenne, dans cette période difficile, a besoin avant tout de se rassembler et de réfléchir, de répondre à un certain nombre de questions, mais fondamentalement de se rassembler. C'est dans cet esprit que la Présidence luxembourgeoise de M. Juncker travaille -j'ai pu le vérifier encore hier- et nous soutenons tout à fait la présidence luxembourgeoise. Je suis convaincu que la future Présidence britannique agira avec le même souci d'unité et de rassemblement.
S'agissant du Traité constitutionnel, douze pays se sont déjà prononcés et le Chancelier et moi pensons qu'il faut que les autres Etats, conformément à leurs règles, à leurs traditions, à ce qu'ils avaient prévu, puissent s'exprimer à leur tour. C'est en réalité le respect des peuples et de la démocratie. Parallèlement, au-delà du processus de ratification, il faut engager la semaine prochaine au Conseil européen une première discussion politique.
Les messages qui ont été envoyés directement, notamment par les Français et les Néerlandais, mais qui l'ont également été, d'une façon ou d'une autre, un peu partout en Europe, montrent que les Européens s'interrogent. Ils sont inquiets, pour des raisons qui sont liées à la mondialisation, à la délocalisation, au chômage, à l'immigration clandestine, inquiets de voir trop souvent une ingérence bureaucratique extérieure s'imposer, alors que ce n'est peut-être pas absolument nécessaire à leur propre Etat, à leur propre gouvernement. Bref, il y a tout de même un problème de réconciliation des Européens avec l'Europe et avec son projet. Il faut redonner confiance aux Européens, redonner le goût et l'enthousiasme à l'ensemble des Européens pour ce fantastique projet qui est, en réalité, celui qui, seul, a permis et permettra d'enraciner la paix, la démocratie, les droits de l'homme sur l'ensemble de notre continent.
Nous avons également évoqué les perspectives financières pour la période 2007-2013 parce que c'est très important. Le Chancelier et moi pensons que tout doit être fait pour éviter de mettre des difficultés financières en plus des difficultés d'ordre politique, à condition que ceci soit raisonnable et acceptable par les différents pays concernés et, notamment, par les nôtres.
Alors, nous sommes tous les deux d'accord pour affirmer trois principes qui s'imposent, selon nous. D'une part, une certaine discipline budgétaire : nous ne pouvons pas, au moment où nous avons des problèmes budgétaires, tous, notamment pour financer les réformes en cours, nous ne pouvons pas en plus avoir une augmentation excessive des dépenses européennes. Ensuite, une exigence de solidarité qui est l'esprit même de l'Union européenne. Et enfin, le respect des engagements qui ont été pris dans le passé et qui s'imposent à l'Union européenne. Je pense en particulier, chacun le comprendra, à la politique agricole commune et au respect des engagements pris en 2002 en ce qui concerne la politique agricole commune.
Tout ceci suppose que chacun fasse un effort et, en particulier, nos amis britanniques doivent prendre conscience, là aussi, de l'évolution des choses et, par conséquent, de la nécessité d'une plus grande équité dans les charges que chacun supporte. Ce qui a des conséquences sur l'appréciation que l'on peut avoir de la technique, aujourd'hui ancienne, du chèque britannique.
Enfin, nous aurons l'occasion d'évoquer lors de notre déjeuner les problèmes internationaux, le Proche-Orient, le Liban et la Syrie, l'Iran, mais aussi la préparation du G8 de Gleneagles où nous allons être prochainement confrontés à des problèmes importants touchant au climat, ou touchant au développement notamment en Afrique -domaines sur lesquels nous avons une parfaite convergence de vues- et puis le Sommet du Millénaire de septembre prochain à New-York, sur les grandes ambitions en matière de développement et sur l'éthique et la morale sur lesquels elles se fondent, domaines sur lesquels nous partageons également les mêmes réflexions.
LE CHANCELIER SCHROEDER - Merci beaucoup, Mesdames et Messieurs. C'est aujourd'hui une journée où l'on peut aussi se souvenir de certains chapitres plus sombres de l'histoire européenne mais ce n'est pas simplement pour son souvenir, c'est aussi pour se fixer des missions, des visions, pour l'époque présente et pour l'avenir. C'est en effet il y a 61 ans aujourd'hui qu'a eu lieu la tragédie d'Oradour-sur-Glane, massacre perpétué par des Allemands contre des Français. Et aujourd'hui, vous voyez ici réunis devant vous le Président de la République française, le Chancelier fédéral d'Allemagne, qui réfléchissent aux possibilités, aux voies et moyens de résoudre les difficultés que traverse l'Europe actuellement et cela est rendu possible grâce à cette amitié entre la France et l'Allemagne qui est née, qui s'est développée, qui a prospéré au fil des décennies depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.
Aujourd'hui, nous sommes réunis devant vous dans cet esprit d'amitié et, aujourd'hui, nous devons faire preuve de tout le sens historique que revêt cette amitié franco-allemande. Je voudrais redire ma gratitude pour l'amitié que me témoigne le Président de la République et je voudrais y répondre de tout cœur en mon nom et celui de toute ma famille.
Je crois que c'est maintenant qu'il est essentiel de s'assurer comment, en France et en Allemagne, on doit continuer à piloter la construction européenne, à la fois dans son approfondissement et dans son élargissement.
Il y a deux façons de répondre à ce défi. L'une des façons est celle qui est proposée par les populistes de tous pays qui essaient de faire croire que la seule réponse aux difficultés du moment est de donner purement et simplement un coup d'arrêt à cette grande idée que sont l'intégration et l'unification européenne. Cette position que je viens de décrire, qui est celle des populistes et démagogues, n'est -nous nous en réjouissons et cela ne vous étonnera pas- absolument pas notre position. C'est précisément à l'heure où l'Europe traverse ces difficultés -je n'utiliserais pas le mot "crise" mais plutôt difficultés, certes sérieuses- qu'il est plus important que jamais de maintenir le cap de l'unification et de l'élargissement européen. C'est sur la base de ce qui existe et qui, bien sûr, peut être amélioré que nous devons nous atteler à résoudre les problèmes qui se posent. Rien ne serait pire aujourd'hui que d'arrêter ce processus d'approfondissement et d'élargissement de l'Union européenne et nous savons tous le coût que représenterait l'abandon de l'unification européenne. Je prends pour exemple les Balkans, ce coût est largement supérieur à ce que peut coûter la poursuite du processus d'intégration et d'unification européenne et cela est encore plus vrai dans la situation que nous connaissons aujourd'hui ; c'est un véritable devoir qui s'impose à nous.
C'est dans ce cadre qu'il faut comprendre notre accord entre l'Allemagne et la France sur les grands dossiers européens qui sont en cours d'examen. C'est sur cette toile de fond qu'il faut comprendre cet accord entre la France et l'Allemagne sur ce qui relève maintenant de la responsabilité luxembourgeoise de l'Union, à savoir parvenir à un accord sur les perspectives financières de l'Union européenne de 2007 à 2013. Nous approuvons pleinement l'idée d'arriver à ce que j'appelle un compromis constructif. Mais compromis constructif n'est pas synonyme d'effort unilatéral qui serait demandé uniquement à la France et à l'Allemagne. Il faut que chacun soit disposé à faire un geste et c'est ainsi que l'on peut arriver à de véritables compromis qui soient positifs pour la construction européenne. En ce qui concerne les différents points abordés par le Président à propos du Traité constitutionnel et des perspectives financières, nous sommes absolument sur la même ligne, je n'ai donc pas besoin de revenir sur ces questions.
QUESTION – Monsieur le Chancelier, est-ce que vous pensez que Tony BLAIR sera disposé à faire des concessions ?
LE CHANCELIER SCHROEDER - La question n'est pas de savoir ce que je crois, si je crois que Tony BLAIR sera prêt ou ne sera pas prêt à faire des concessions, la question est de savoir quelle est mon attente en la matière. Si nous voulons ensemble œuvrer en Europe et pour l'Europe, il faut dans certains cas être prêts à réviser ses positions. Alors est-ce que, dans la situation actuelle, une inflexion est envisageable afin de surmonter les difficultés du moment, eh bien, je vous répondrai que j'ai l'espoir, je dirais même que j'ai l'attente de la part de nos amis britanniques qu'ils partagent cette façon de voir.
Je voudrais aussi dire que cette question d'un geste possible de la part du Royaume Uni ne doit pas se limiter uniquement au Royaume Uni, il y a d'autres Etats membres de l'Union qui n'ont pas encore clairement exprimé leur volonté de faire un geste également.
LE PRESIDENT –Je voudrais simplement ajouter que nous sommes dans une période de crise, l'impératif c'est de s'unir et de se rassembler et il est évident que chacun doit apporter son écot pour permettre cette union et ce rassemblement.
QUESTION – Vous avez parlé du respect des engagements, en soulignant que ces engagements concernent la politique agricole commune. Mais le chèque britannique n'était-il pas également un engagement et seriez-vous prêt à bouger dans la question de la politique agricole commune qui, entre parenthèse, n'a pas l'air de satisfaire tellement les agriculteurs français puisqu'ils ont voté "non" à une large majorité, en échange d'un mouvement également du côté britannique ?
LE PRESIDENT –Je suis prêt à ce que la France apporte son écot, comme les autres, à une solution aux problèmes auxquels nous sommes confrontés, mais je revendique le droit de choisir l'écot en question et je ne suis pas disposé à transiger sur l'accord unanime qui a été passé en 2002 sur la politique agricole commune. C'est un point sur lequel je ne suis pas disposé à revenir.
QUESTION – Monsieur le Président, toutes ces questions se rejoignent un peu, ce qui prouve qu'elles sont vraiment au centre de l'intérêt : il ne paraît pas très convainquant de demander aux Britanniques en particulier de faire un effort, tout en disant qu'on ne touche pas à nos acquis ?
LE PRESIDENT –Je crois avoir répondu à l'instant à la question que vous venez de me poser.
LE CHANCELIER SCHROEDER - Je voudrais ajouter une petite chose : quand on parle de la politique agricole commune, on a tendance à toujours accuser la France de se montrer inflexible ; ce n'est pas ainsi que les choses se présentent réellement. Si l'on regarde d'un peu plus près le compromis de Bruxelles, il nous dit deux choses : tout d'abord, il y a un certain nombre d'éléments réellement progressifs dans ce compromis de Bruxelles qui vont bien au-delà des simples aides directes. Je songe, par exemple, au développement rural. Il y a quelques années encore, ce genre d'approche aurait paru parfaitement impossible, impensable.
D'autre part, ce fameux compromis de Bruxelles qui n'a été rendu possible que grâce précisément aux concessions faites par la France et j'ai moi-même participé très activement à ces négociations. C'est ce compromis de Bruxelles qui a été la base de ce qui a rendu possible l'élargissement de l'Union. Et on peut dire que, sans ce compromis sur la politique agricole commune, on n'aurait pas vu adhérer les dix nouveaux pays membres de l'Union, le 1er mai 2004. C'est un aspect que l'on a un peu tendance à oublier et ce n'est pas vraiment faire preuve de justice à l'égard de la France.
QUESTION – Monsieur le Chancelier, Monsieur le Président, est-ce que vous allez arriver à Bruxelles avec une proposition commune concernant la situation sur la ratification de la Constitution européenne ? Tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut réfléchir, mais est-ce que vous arrivez avec des propositions qui vont au-delà de ceci ?
LE PRESIDENT –Nous pensons que le respect des autres et de la démocratie implique que le processus de ratification se poursuive. Je laisse le soin au Chancelier de préciser notre position.
LE CHANCELIER SCHROEDER - Je suis tout à fait d'accord avec ce qu'a dit le Président. Mais je crois qu'il est trop tôt pour tirer maintenant un bilan intérimaire. Il faut laisser se dérouler normalement et comme prévu les référendums au Danemark, au Portugal, au Luxembourg et dans d'autre pays, en attendre l'issue et une fois que ceci se sera fait, on pourra effectivement tirer un bilan à mi-parcours. C'est à ce moment que l'on pourra évaluer le résultat de ce bilan et que la France et l'Allemagne auront un jugement sur l'état de la situation. Agir autrement me paraîtrait absolument prématuré pour le moment et serait de nature à porter préjudice au processus en cours.
QUESTION – Monsieur le Chancelier, Monsieur le Président, indépendamment du dossier important des perspectives financières, quelles sont les initiatives que la France et l'Allemagne peuvent prendre dans la situation présente ? Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a utilisé le terme d'"union". Que faut-il entendre par là?
LE PRESIDENT – Ne spéculons pas. Le terme a pour vocation d'exprimer ce que nous faisons actuellement, et depuis des années, entre l'Allemagne et la France. C'est-à-dire d'abord une concertation sur tout, tout ce qui est important, ensuite une coopération, une coordination de nos efforts communs. Le dernier exemple en date est sur les décisions que nous avons prises en commun pour relancer la recherche et l'innovation dans un certain nombre de domaines de haute technologie et de sciences de l'avenir. Efforts que nous allons poursuivre. Voila, et ce au nom du principe que "l'union fait la force".
LE CHANCELIER SCHROEDER - Je crois que c'est là une approche tout à fait positive que je voudrais saluer et il faut tout à fait continuer dans la ligne de ce que nous avons déjà accompli jusqu'à présent. J'en veux pour preuve, par exemple, le manuel d'histoire franco-allemand qui est le fruit de la coopération culturelle entre nos deux pays. Autre exemple, les multiples échanges de jeunes ou d'étudiants entre la France et l'Allemagne. Nous avons également engagé des réflexions sur la possibilité d'établir des représentations diplomatiques franco-allemandes communes dans des pays tiers. Autre piste de réflexion, c'est rendre des décisions prises à l'échelon d'une municipalité dans l'un de nos deux pays applicables dans une commune de l'autre pays. Or, ce que je voudrais souligner, c'est que si nous ne nous trouvions pas aujourd'hui dans la situation que nous connaissons, ce sont des choses dont on ne parlerait même pas, que l'on ne mentionnerait même pas, alors qu'elles illustrent la densité des relations qui prévalent entre nos deux pays et qui justifient pleinement le terme utilisé par le Premier ministre. Je crois que ce veut dire le Premier ministre par là, c'est de continuer à faire ce que nous avons déjà fait jusqu'à présent et d'améliorer ce qui peut encore l'être.
LE PRESIDENT –Je vous remercie. Juste un mot pour terminer : que chacun ait conscience du fait que ce que nous voulons maintenant, c'est réfléchir à ce que nous avons entendu de la part des Européens, directement ou indirectement, c'est écouter attentivement ce que disent les peuples européens, c'est, de façon déterminée, sortir de la crise. Et pour tout cela, je voudrais renouveler la confiance qui est la nôtre dans la Présidence luxembourgeoise et dans le Président JUNCKER.
QUESTION – Sur le Liban ?
LE CHANCELIER SCHROEDER - Je ne veux pas faire d'ingérence
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