Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République française,de M. Vladimir POUTINE, Président de la Fédération de Russie, et de M. Gerhard SCHROEDER, Chancelier de la République fédérale d'Allemagne, à l'issue de la rencontre tripartite franco-germano-russe.
Kaliningrad, Russie, le dimanche 3 juillet 2005.
M. VLADIMIR POUTINE - Bonjour, Mesdames et Messieurs, permettez-moi de vous informer brièvement des questions que nous avons examinées aujourd'hui. Avant tout, quelques mots sur les rapports entre la Russie et l'Union européenne. Je veux souligner que le sommet de Moscou, au mois de mai cette année, a franchi une étape très importante, une étape de mise au point des feuilles de route sur les quatre espaces communs entre la Russie et l'Union européenne. Et aujourd'hui, j'ai informé mes collègues sur l'organisation de ce travail en Russie.
Bien sûr, ici, sur la terre de Kaliningrad, nous avons débattu en détails des perspectives de développement de cette région dans le contexte du récent élargissement de l'Union. Au cours des dernières années, nous avons réussi ensemble à résoudre une série de problèmes sérieux. Les rapports entre la Russie, la France et l'Allemagne ont la chance de servir d'exemple, c'est le succès d'une coopération constructive.
Sur la base des accords bilatéraux, avec les collègues français et allemands, nous avons facilité au maximum le transit à travers la Russie du personnel, du matériel militaire vers les bases en Afghanistan.
Plusieurs entreprises conjointes opèrent dans la région de Kaliningrad. Des contacts se développent. Pour les petites et moyennes entreprises, on développe les infrastructures frontalières. Il est évident qu'un bon développement économique de Kaliningrad répond aux intérêts de tous nos partenaires européens. Et le développement de projets d'investissement à long terme dans le cadre de l'Union, apportera non seulement des dividendes financiers conséquents, mais la coopération étroite peut devenir un facteur clé de l'essor dans les régions orientales de l'Union européenne.
Bien sûr, il faut tout faire pour développer la coopération entre les hommes et le dialogue direct entre les citoyens, les ONG et les milieux d'affaires de la Russie et de l'Union. Ces contacts rapprocheront les gens et leur permettront de devenir de véritables amis. Finalement, cela augmentera la base sociale du partenariat interétatique.
Un autre problème stratégique important que nous avons examiné aujourd'hui, concerne l'état de la réforme des Nations Unies et du Conseil de sécurité. Les approches de principe de nos pays convergent. La réforme doit améliorer l'efficacité, renforcer le prestige de cette organisation universelle et son unité. Il est important d'augmenter le potentiel de réaction aux défis des menaces nouvelles.
Aujourd'hui, on propose à New York différents schémas de transformation du Conseil. La Russie acceptera une option raisonnable avec l'appui maximal de la majorité des Etats. Il est essentiel que le débat sur la réforme ne mène pas au partage ou à la division de l'Organisation, qu'on ne provoque pas de conflit ou l'incompréhension mutuelle et qu'on ne transforme pas le Conseil de sécurité en un club des discussion sans possibilité de prendre des décisions réelles. Je veux confirmer que la Russie appuiera l'Allemagne en tant que candidate au poste du membre permanent du Conseil de sécurité.
Nous avons aussi examiné une série de questions liées à la rencontre du G8 en Ecosse. Je dois dire que nous sommes satisfaits de l'interaction avec nos collègues français et allemands dans le G8. Nous espérons que nos délégations coopéreront d'une manière fructueuse, l'année prochaine, lorsque la présidence passera à la Russie.
Nous voudrions notamment soumettre comme priorité le sujet de la sécurité énergétique. Je ne doute pas que, dans le cadre de la préparation de cette activité, nous utiliserons l'expérience dans le cadre du dialogue énergétique Russie-Union européenne. Nous avons informé nos collègues des autres problèmes que nous voudrions aborder.
En conclusion, je voudrais remercier mes collègues pour une approche attentive aux questions que nous avons débattues et je suis sûr que les résultats de cette rencontre renforceront le partenariat qui servira aux intérêts de nos peuples : unité, sécurité, prospérité de la grande Europe. Merci de votre attention.
LE PRESIDENT - Mesdames et Messieurs, je voudrais d'abord remercier le Président POUTINE pour son invitation, notamment dans un cadre aussi agréable et pour une occasion exceptionnelle, ce 750e anniversaire de la fondation de cette superbe ville, et aussi l'attribution du nom de Kant à son université.
Nos rencontres à trois sont des rencontres régulières qui marquent bien l'importance que nous attachons aux relations entre la Russie et l'Union européenne. Cela nous permet d'évoquer tous les problèmes. Cela nous a notamment permis d'être moteurs dans l'accord dont nous nous sommes réjouis, qui a pu avoir lieu, il y a quelques mois, sur la mise en œuvre des quatre espaces communs entre l'Union européenne et la Russie : l'économie, la justice et les affaires intérieures, l'action extérieure, la culture et l'éducation. Il est de notre intérêt commun de poursuivre et d'amplifier cette action commune et cette relation forte et solidaire dans les domaines économiques, culturels, politiques, sociaux entre nos deux grands ensembles.
Parmi les priorités, je note aujourd'hui que figurent les négociations sur la question de la facilitation des visas et sur l'accord de réadmission. Et nous progressons de façon très positive dans ce domaine.
Le Président POUTINE l'a évoqué, je serai donc très bref, nous avons également parlé à la fois de la réforme des Nations Unies et de la préparation du Sommet du G8 pour constater que nos points de vue étaient très largement convergents.
S'agissant de la réforme des Nations Unies, chacun comprend bien que cette institution essentielle pour l'avenir du monde, et pour les relations internationales, pour des relations pacifiques internationales, cette institution a besoin de se moderniser, de s'adapter au temps présent. C'est l'objet de la réforme des Nations Unies. Nous faisons toute confiance, dans ce domaine, au Secrétaire général des Nations Unies pour la conduire à son terme.
S'agissant du problème particulier du Conseil de sécurité, nous avons une position très simple et solidaire, c'est-à-dire que tous les principaux pays qui ont émergé dans le monde contemporain, ou ceux qui sont les gros contributeurs de l'action des Nations Unies, doivent avoir une place conforme à leur rang. C'est dans cet esprit que nous soutenons, bien entendu, la candidature de l'Allemagne. Nous nous sommes réjouis de la toute récente déclaration du Président BUSH, du Président des Etats-Unis, qui, il y a quelques jours, a confirmé le soutien des Etats-Unis à la candidature de l'Allemagne, qui va de soi d'ailleurs, au Conseil de sécurité. Et nous espérons que la procédure pourra être normalement conduite à son terme.
S'agissant du G8, auquel nous allons nous rendre dans quelques jours, nous avons évoqué les deux grands chapitres de ce qui sera le travail du G8. D'une part, le développement -et le développement en Afrique en particulier-, et c'est, de ce point de vue, une réunion préparatoire et essentielle dans le cadre de la préparation du prochain Sommet du Millénaire en septembre, à New York, aux Etats-Unis.
Nous souhaitons qu'un accord large puisse intervenir sur une garantie donnée à une augmentation très sensible des moyens de l'aide au développement. Qu'il s'agisse de l'aide publique, dans l'esprit notamment de ce que vient de décider l'Union européenne, ou qu'il s'agisse des financements innovants, nécessaires aujourd'hui, pour compléter cette aide publique si nous voulons la situer à un niveau indispensable pour permettre le développement et le décollage économique et la solution des problèmes sociaux de l'Afrique.
Sur le deuxième point, c'est-à-dire sur celui du climat, nous avons eu des discussions difficiles et il semble que nous nous orientions, ce que je souhaite naturellement de tout cœur, vers un accord. Vous savez que la France a été conduite à prendre une position très ferme avec un certain nombre de conditions pour pouvoir agréer cet accord.
Voilà les principaux problèmes que nous avons évoqués. A l'occasion du déjeuner de travail, nous allons évoquer un certain nombre d'autres problèmes relevant des relations internationales.
M. GERHARD SCHROEDER - Mesdames et Messieurs, vous comprendrez que j'ai été très touché par l'invitation du Président POUTINE à cette occasion et en ce lieu. Et cette remarque s'applique pour la cérémonie de cet après-midi où l'ancienne Université Albertina de Kaliningrad sera renommée Université Kant. Vous savez que Kant était l'un des grands penseurs, l'un des grands humanistes européens.
Voilà pourquoi je me réjouis que le Président CHIRAC soit des nôtres aujourd'hui, même s'il ne peut pas rester cet après-midi. Je m'en suis réjoui parce que cela montre bien que la Königsberg de l'époque, aujourd'hui Kaliningrad et le philosophe Kant ont été à l'origine des grandes valeurs que nous avons en commun entre Français, Russes et Allemands.
Donc, je suis touché par ce geste, mais nombre de mes compatriotes sont également touchés par cette invitation et ils savent bien ce qu'a été la guerre et les souffrances qui ont été infligées par l'Allemagne. Kaliningrad, certes, est une ville russe, mais dans le cœur de beaucoup d'Allemands, reste que Königsberg cela se comprend, même si cela ne traduit pas la moindre réserve quant à l'intégrité territoriale de Kaliningrad.
Ce que les deux présidents ont dit à propos du G8 de Gleneagles, je ne peux qu'y souscrire. Nous sommes d'accord sur toutes les questions. Nous voulons que ce Sommet du G8 soit un succès. Cela concerne aussi bien les deux principaux sujets de la présidence, à savoir les initiatives pour l'Afrique et la question du climat, et il n'y a pratiquement aucune différence. S'il devait y en avoir, on les surmontera.
Mais je tiens aussi à ce qu'à Gleneagles, on revienne un petit peu à l'origine même du G8, à savoir la discussion des problèmes économiques mondiaux. Et ce qui m'intéresse tout particulièrement, c'est trouver un équilibre raisonnable entre les grands pays qui exploitent l'énergie -le pétrole, le gaz, dont la Russie- et, d'autre part, les pays consommateurs pour qu'il n'y ait pas de distorsion dans l'économie mondiale qu'il nous serait très difficile de surmonter. Et là, il ne s'agit pas de discuter avec les pays producteurs d'énergie, mais il s'agit surtout de créer davantage de transparence sur ces marchés internationaux submergés par la spéculation. Les profits spéculatifs réalisés sur ces marchés de l'énergie qui n'ont rien à voir avec la fixation des prix, ils n'ont rien à voir avec ce que reçoivent les pays producteurs, c'est de cela que nous devrions nous occuper, de ces spéculations sur l'énergie.
Voilà pourquoi je suis heureux que le Président POUTINE nous ait annoncé que le Sommet, qu'il accueillera lui-même en Russie, se concentrera essentiellement sur les questions énergétiques. Parce que ces questions énergétiques sont déterminantes pour l'économie mondiale de demain.
J'ajouterai simplement que pour ce qui est des principaux sujets abordés, nous pensons, même si nous n'avons pas eu beaucoup de temps pour nous préparer, nous réussirons, d'ici le début du Sommet de Gleneagles, à formuler les documents qui pourront être signés et adoptés. Je pense que nous y arriverons. Si jamais tout n'est pas prêt, eh bien nous devrons nous-mêmes mettre la main à la pâte, quelle que soit la langue à utiliser à ce moment là.
M. VLADIMIR POUTINE - Mesdames, Messieurs, deux questions par pays.
QUESTION - Pourquoi la Russie a-t-elle dénoncé le traité sur sa frontière commune avec l'Estonie tout récemment qui est aussi la frontière avec l'Union européenne ? Est-ce que c'est la preuve des ambitions impériales de la Russie ? Le Président de Pologne et quelques dirigeants des pays baltes ont été offensés parce qu'on ne les a pas invités aux festivités de Kaliningrad. Pourquoi ne les avez-vous pas invités ?
M. VLADIMIR POUTINE - Tout d'abord, en ce qui concerne le traité entre la Russie et l'Estonie sur la frontière, nous n'avons pas dénoncé ce traité parce que nous ne l'avons pas ratifié. Nous avons révoqué notre signature et nous pensons l'avoir fait à juste titre, parce qu'à part l'appréciation du passé que l'on peut contester de la part de l'Estonie, il n'est pas acceptable de présenter des prétentions territoriales à ses voisins, sur le plan juridique. C'est une question de principe sur le maintien des frontières existantes. La référence au Traité de l'accord de 1920 crée une base pour des prétentions territoriales contre la Russie. Mais nous allons continuer le travail avec nos partenaires estoniens et lettons pour rechercher des solutions mutuellement acceptables.
Sans aucune vexation, en ce qui concerne les invitations aux festivités, je pense que les journalistes ont tendance à inventer des choses. Normalement, la célébration du 750e anniversaire est une activité intérieure de la Russie. Lorsque le groupe des trois se réunit dans le cadre de la rencontre annuelle de Brême, personne n'était vexé si on ne les invitait pas. Ou encore lorsque le G4 se rencontre, les Présidents ou les dirigeants décident des solutions à leurs problèmes dans le format qu'ils souhaitent. Et rien ne contredit la pratique des relations diplomatiques. Mais nous avons aussi eu des hôtes invités par la municipalité : une centaine de délégués de Pologne et des pays baltes ont partagé avec nous ces festivités.
QUESTION - Ma question s'adresse à vous trois. Le G8 commence dans trois jours et il va travailler sur deux dossiers : le premier, l'aide à l'Afrique. Quels financements innovants peut-on trouver ? Est-ce qu'il s'agit d'une facilité financière internationale dont parle Tony BLAIR, on ne sait pas laquelle ? Est-ce qu'il s'agit de taxer, comme le proposait la France, les billets d'avion par exemple ? Deuxième dossier, le changement climatique. Est-ce que l'on peut avancer sur ce dossier quand les Etats-Unis refusent toujours de ratifier le Protocole de Kyoto et qu'ils sont l'un des principaux producteurs de gaz à effet de serre ?
LE PRESIDENT - Le G8 a fait l'objet d'une préparation longue et intensive. Et, pour dire la vérité, difficile.
S'agissant de l'Afrique, je le dirai rapidement, je l'ai évoqué tout à l'heure, vous savez que nous militons depuis longtemps pour une amélioration de la situation de l'aide à l'Afrique. Parce que malgré les efforts très importants décidés par l'Union européenne, nous sommes convaincus que nous n'arriverons pas à l'aide nécessaire dans les années qui viennent. Nous avons donc proposé des financements complémentaires à cette aide, que nous avons appelés des financements innovants. Il y en a deux sortes : une technique proposée par les Britanniques, que nous acceptons de soutenir, mais qui est fondée sur l'emprunt. Et l'emprunt a une caractéristique -hélas incontournable jusqu'ici- c'est qu'il faut le rembourser. Et donc, si on le rembourse, cela veut dire que 'on reporte sur les générations suivantes ce que nous faisons aujourd'hui. Il y a là un problème technique à mettre au point et des réserves de plusieurs pays dans ce domaine.
Et puis, nous avons proposé des financements innovants. La France a, pour sa part, proposé de taxer le transport aérien, soit sous la forme du kérosène, soit sous la forme des billets d'avion. C'est la dernière technique qui a été finalement retenue dans son principe, et nous verrons le sort qui sera réservé à cette proposition à la prochaine réunion de Gleneagles.
Sur le climat, nous sommes de plus en plus inquiets. C'est la raison pour laquelle nous avions clairement indiqué à nos partenaires que nous ne pourrions accepter une résolution que si elle comportait un certain nombre de réalités : la reconnaissance du problème, et notamment de sa nature scientifique, elle-même affirmée par l'ensemble des académies des sciences des huit pays du G8 ; la volonté d'apporter une solution à ces problèmes ; la mention explicite de l'accord de Kyoto qui a été ratifié, je le rappelle, par sept des huit participants ; une volonté claire en définitive de participer à une réduction importante, conforme à ce qui a été envisagé par l'accord de Kyoto des émissions de gaz à effet de serre, en raison du danger certain aujourd'hui qu'ils représentent.
Nous attendons donc la position américaine qui était, il faut bien le reconnaître, au départ, je dirai beaucoup plus modérée que la nôtre, ou beaucoup moins exigeante que la nôtre. Nous attendons cette position américaine définitive. J'espère que nous pourrons trouver dans ce domaine un accord qui soit suffisamment clair et ferme, sinon il n'y aura pas de résolution.
Mais j'ai bon espoir, les choses étant aujourd'hui ce qu'elle sont, et les derniers contacts que nous avons pu avoir ce qu'ils sont, que l'on puisse arriver à un accord.
M. GEHRARD SCHROEDER - Avec notre accord, les ministres des finances ont poursuivi l'initiative de désendettement, suite aux décisions de Cologne, il faut le souligner, et je sais que les chefs d'Etat et de gouvernement le souligneront à Gleneagles. Le Président CHIRAC a dit très justement que l'Union européenne a décidé jusqu'en 2010 d'augmenter l'aide au développement à 0,51% du PIB des différents pays, et à 0,7% d'ici 2015. C'est une décision importante et cette décision est également liée, comme on l'avait eu avec l'initiative de Cologne, avec le NEPAD, à la nécessité de faire en sorte que l'argent que nous mobilisons soit dépensé pour plus de santé, pour une meilleure éducation, pour l'accès à l'eau potable qui fait défaut aujourd'hui à des millions d'Africains.
Sur ce qu'a dit le Président CHIRAC sur les facilités financières internationales, je n'ai rien à ajouter.
Je voudrais faire encore une remarque sur ce qui peut être financé à partir des budgets existants, c'est en tous cas ma proposition. En effet, dans le débat, on a suggéré une vaste campagne de vaccination en Afrique qu'il faut poursuivre, afin d'endiguer les grandes épidémies. Ce sont là des sommes relativement raisonnables que l'on doit pouvoir dégager. Donc si la Présidence soumet une telle proposition, il faut la suivre. En ce qui concerne le climat, je suis tout à fait d'accord avec le Président CHIRAC.
M. VLADIMIR POUTINE - Permettez-moi, dans la mesure où cette question était posée à tous les participants, de faire la remarque suivante : nous avons sans aucun doute l'intention d'appuyer l'initiative proposée en ce qui concerne les pays les plus pauvres, les pays africains.
Aujourd'hui, l'état financier et économique de la Russie est tel qu'effectivement nous pouvons appuyer efficacement ces projets. De même, je pense qu'un moyen efficace de résoudre le problème des pays les plus pauvres du monde, c'est moins d'injecter de l'argent, des moyens financiers, que d'imaginer une politique économique internationale. Il faut moins subventionner certains domaines de la politique économique des pays développés, ouvrir ses marchés, et envisager des changements institutionnels comme on le dit aujourd'hui. Cela sera de l'aide réelle. C'est-à-dire qu'il faut donner plus d'universalité à cette action économique.
Bref, nous appuyons l'initiative qui vient d'être prônée. D'autre part, je voudrais souligner en ce qui concerne l'effacement des dettes des pays en voie de développement, que la Russie est le troisième pays après la France et le Japon, en termes absolus. Je pense qu'en ce qui concerne la proportion entre cette somme et notre PIB, nous sommes certainement au premier rang mondial. Et vous savez que nous avons ratifié le Protocole de Kyoto, vous savez que c'est tout d'abord le résultat de notre travail commun au sens trilatéral du terme. C'est comme cela que nous avons réussi à parvenir à un accord et nous avons effectivement l'intention d'attirer plus de pays qui ont des économies puissantes à participer à ce protocole de Kyoto. Nous allons aussi suivre les instructions du parlement russe et nous allons réfléchir aux paramètres de la participation de la Russie au protocole de Kyoto au-delà de 2012.
QUESTION - Je voudrais revenir à Kaliningrad. Monsieur le Président, vous avez dit que le développement économique de Kaliningrad est dans l'intérêt de tous les Etats européens. Vous n'avez pas invité des voisins, donc ma question : y aura-t-il une autre occasion de tendre la main aux voisins limitrophes de Kaliningrad et pour développer avec eux cette région ? Monsieur le Président de la République, Monsieur le Chancelier, dans la mesure où il y a eu quelques difficultés côté polonais, parce que seule l'Allemagne et la France ont été invitées, est-ce que vous-mêmes pourriez prendre une initiative pour essayer de réconcilier cette Europe en crise ? Surtout la réconcilier avec les nouveaux entrants, et essayer de lever un petit peu cette mauvaise humeur qui s'est fait jour ?
M. VLADIMIR POUTINE - Tout d'abord, je voudrais dire que, de façon générale, nous sommes satisfaits de la façon dont se développe la situation économique dans la région de Kaliningrad.
En effet, je crois que s'ouvrent dans cette région de très grandes entreprises qui sont à capital russe ou mixte et nous constatons qu'un grand nombre d'entreprises dont le capital est allemand sont présentes ici. Cet après-midi, j'ai l'intention de rencontrer les représentants du monde des affaires qui travaillent ici, je pense en particulier à des hommes d'affaires qui viennent des pays voisins. Donc je voudrais dire que le climat qui s'est créé ces dernières années n'est pas du tout dirigé contre des Etats voisins, nous fêtons le 750e anniversaire de Kaliningrad et c'est un fête intérieure, une fête russe.
Donc la réunion d'aujourd'hui est conjointe et le fait que le Chancelier soit présent au moment du dévoilement de la plaque indiquant que l'université de Kaliningrad va désormais porter le nom d'Emmanuel Kant, cette présence me semble tout à fait naturelle et compréhensible aux yeux de tout Européen. De même, il serait tout à fait naturel, si, par exemple, nous donnions le nom du génial compositeur Chopin à la Philarmonie, qu'une présence polonaise soit bienvenue. Dans l'histoire de Königsberg/Kaliningrad, nous savons quel a été le rôle de cet immense humaniste qu'était Kant, donc la présence allemande me semble naturelle.
Sur la question de tendre la main, nous sommes évidemment prêts à tendre la main à nos voisins. D'ailleurs, nous avons l'intention de développer avec ces pays les relations les meilleures et les plus larges possibles, et c'est avec reconnaissance que nous avons pris note de l'attitude positive de nos voisins lituaniens en ce qui concerne la question de la région de Kaliningrad. Nous avons aussi à tenir compte des mesures qui ont été prises en ce qui concerne le transit vers la région de Kaliningrad. Vous savez qu'un volume de fret important se dirige vers l'Europe occidentale en passant par les ports de Kaliningrad, donc on peut utiliser cette infrastructure pour faire passer ces marchandises russes. Nous constatons quel revenu cela représente pour les budget de ces Etats. Nous avons donc une attitude tout à fait positive, nous avons l'intention de continuer à l'avenir dans cet esprit et de ménager nos relations avec nos voisins de la région de la Baltique.
M. GERHARD SCHROEDER - Je crois que vous avez aussi parlé de la crise de l'Union européenne et des réponses que l'on peut y apporter ? Alors bon, peut-être y a-t-il une crise, je ne le conteste pas, cela est lié à la Constitution, et certains ont des problèmes face à l'élargissement, ceci le Président POUTINE n'y peut vraiment rien, il n'est pas juste de le lui reprocher. Donc dissocions les problèmes, je vous en saurai gré.
Deuxièmement, je suis heureux de pouvoir participer à cette cérémonie où l'Université prendra le nom d'Emmanuel Kant, et je sais la valeur que l'on peut accorder à cette invitation, de même que lorsque j'ai été invité aux cérémonies du soixantième anniversaire de la fin de la deuxième guerre mondiale. C'est un nouveau témoignage de confiance, pas pour moi personnellement, mais pour l'Allemagne. C'est une confirmation et un renforcement des relations germano-russes.
Troisièmement, qui le Président russe souhaite inviter à cette célébration, c'est vraiment sa décision, il ne m'appartient pas de la commenter et je m'en abstiendrai.
LE PRESIDENT - Puisque j'ai été également interrogé, je vous dirai comme le Chancelier que je ne comprends pas très bien de quoi il s'agit. Nous avons une tradition de rencontres, le Président POUTINE, le Chancelier et moi, régulièrement, à trois. Pas pour parler de tel ou tel problème local, simplement pour évoquer les problèmes pour la gestion desquels nous participons en commun. Je comprends très bien que le Président POUTINE ait profité de l'occasion pour nous montrer Kaliningrad en raison de cette circonstance historique, mais je ne comprends pas du tout ce que l'on veut dire quand on prétend que l'on aurait dû être invité, les uns ou les autres. C'est une réunion traditionnelle que nous avons à trois, nous choisissons chaque fois un endroit qui nous paraît à la fois agréable et opportun, le Président russe a choisi Kaliningrad, nous sommes très heureux d'y être, et je ne vois pas ce que quiconque peut avoir à commenter sur ce point.
QUESTION - Une question aux trois chefs d'Etat : Monsieur SCHROEDER a demandé aux journalistes de ne pas confondre les problèmes de l'Union européenne, la crise économique et financière, et les relations entre la Russie et l'Union européenne. Je comprends que les problèmes actuels de l'Europe n'auront pas d'impact sur la Russie ?
M. GEHRARD SCHROEDER - Oui, c'est bien ainsi que je vois les choses, les problèmes que j'ai évoqués, la Constitution, l'élargissement et ma position à ce sujet n'a changé en rien, c'est une chose à régler par les Etats membres de l'Union et ils y parviendront. Cela n'a aucun retentissement sur ce que nous appelons le partenariat stratégique avec la Russie et qu'il faut pratiquer. Lors du sommet Union européenne-Russie, les deux Présidents ont clairement montré ce que signifie cette politique des quatre espaces -sécurité, politique étrangère, économie, éducation et culture, environnement. Ceci doit maintenant être doté d'un contenu, quelle que soit la cadence avec laquelle nous pourrons relancer les questions qui nous animent. Le partenariat stratégique avec la Russie existe indépendamment de telle ou telle difficulté que traversent régulièrement les institutions européennes. Ce partenariat stratégique revêt une dimension historique, c'est en tous cas mon sentiment.
M. VLADIMIR POUTINE - Je m'associe à ce qu'a dit le Chancelier et je voudrais juste rajouter que je suis absolument convaincu que nous faisons une chose très utile et nécessaire pour les trois pays, pour l'Europe et pour le monde entier. J'ai déjà cité un exemple de coopération positive, c'est la ratification par la Russie du Protocole de Kyoto. Si la Troïka n'y avait pas travaillé, je suis sûr que cette question serait mise en doute. Deuxièmement, dans certains pays d'Europe, il y a des évolutions naturelles et d'ampleur, ce qui est tout à fait naturel. Mais il y a aussi des changements en cours en Russie.
Ce que nous faisons ensemble avec mes collègues est un très bon socle pour le développement futur entre la Russie, la France et l'Allemagne, entre la Russie et l'ensemble de l'Europe. Et nos successeurs devront le prendre en compte, puisque nous modifions nos relations entre nos peuples et nos pays vers le mieux. Cela va dans un sens positif et ce format me tient beaucoup à cœur et je répète que nous allons dans le bon sens.
LE PRESIDENT - Je confirme tout à fait ce qui vient d'être dit. L'Europe connaît une fois de plus des difficultés que l'on peut qualifier de "crise". Vous savez, toute l'histoire de l'Europe depuis l'origine, depuis que l'on parle d'une construction européenne, c'est l'histoire de crises surmontées. C'est comme cela. Et, par conséquent, cette crise sera, comme les autres, je l'espère, surmontée.
En toute hypothèse, elle ne peut avoir aucune conséquence sur les relations entre la Russie et l'Union européenne pour une raison simple, c'est que ces relations sont à la fois naturelles et nécessaires. Naturelles, parce que la géographie le montre et que l'histoire le confirme. Et nécessaires, parce que si nous voulons demain un monde où s'enracine, de plus en plus, la paix et la démocratie, eh bien, il est indispensable que la Russie et l'Europe aient des relations à la fois très fortes, de solidarité et de fraternité. Voilà pourquoi cela n'aura pas de conséquence.
QUESTION - Après vos entretiens de ce matin, probablement sur l'Iran, et vos entretiens en particulier avec le Président POUTINE, avez-vous le sentiment que les positions de l'Iran sur le nucléaire sont en train de se modifier dans le sens d'un durcissement ou que la continuité va prévaloir avant les négociations et les propositions des mois de juillet-août ?
LE PRESIDENT - Pour dire la vérité, ce point est à l'ordre du jour de notre déjeuner. Néanmoins, je vais vous donner mon sentiment, bien entendu. Alors, il est trop tôt pour répondre à votre question. Aussi bien les Allemands, les Anglais et les Français qui ont été à l'origine de l'initiative pour rechercher une solution aux problèmes de la prolifération en Iran, nous sommes déterminés à obtenir une solution qui soit conforme aux exigences de la non-prolifération. Nous souhaitons que cette solution soit trouvée dans un contexte de rapports normaux entre nous trois et l'Iran, de rapports de confiance, de rapports normalisés. C'est d'ailleurs tout à fait dans cet esprit que nous avons totalement associé la Russie, dont nous approuvons la politique à l'égard de l'Iran et qui participe à cet effort. De même que nous tenons parfaitement informés nos amis américains et nos amis chinois, parce que c'est un problème majeur. Savoir s'il y aura une prolifération dans une partie du monde ou non, c'est un problème majeur.
Alors, je ne peux pas préjuger de ce que sera la décision des nouvelles autorités qu'impliqueront le changement d'autorité en Iran, mais nous continuerons de façon déterminée à rechercher une solution qui ne peut être qu'une solution écartant sans ambiguïté la prolifération. Et j'espère que nous réussirons.
QUESTION - Vous avez essayé d'empêcher la guerre en Irak et vous n'avez pas réussi. Alors que la situation en Irak montre que vos avertissements n'étaient pas infondés. Deux d'entre vous ont essayé d'approfondir l'Union européenne et vous vous êtes heurtés à la résistance de certains partenaires. Que répondez-vous à ceux qui vous disent que vous êtes désormais les perdants de l'histoire, que leur répondez-vous ou bien s'agit-il plutôt de la raison des perdants de l'histoire ?
M. VLADIMIR POUTINE - Si nos soldats ne meurent pas en Irak, est-ce que cela veut dire que nous sommes battus ? Est-ce bien ce que vous pensez ? Je ne le pense pas.
Mais ce que je pense, je vais vous le dire carrément, nous pensons que toutes les divergences sur le programme irakien doivent être passées au second plan. Et aujourd'hui, nous devons réunir nos efforts avec les Etats-Unis et tous les pays qui sont présents en Irak en assument les responsabilités pour la normalisation de la situation dans ce pays. Nous devons aider, grâce à nos efforts conjoints, à ce que le peuple irakien assume la responsabilité de son destin et nous allons agir de cette façon au sein du Conseil de sécurité, au sein des Nations Unies en général. Nous saluons la conférence internationale qui s'est tenue récemment et je le répète une fois de plus, pendant notre réunion d'aujourd'hui, nous allons rechercher les voies permettant de résoudre ce problème et pas revenir en arrière, dans le passé, pour endiguer des fautes d'impies ou des nôtres. Je propose d'oublier les fautes et de tourner mon regard vers l'avenir.
M. GERHARD SCHROEDER - Jadis on posait des questions pour recevoir des informations. Apparemment, la mode aujourd'hui, c'est de poser des questions pour se faire confirmer des jugements insensés. Mais on ne vous les confirmera pas, parce que, Mesdames et Messieurs, je ne vois pas en quoi la non participation à une guerre peut être qualifiée, comme vous l'avez fait, d'échec. De dire maintenant, parce que nous n'avons pas participé que nous avons échoué, franchement, c'est insensé. C'est absurde. Je continue d'assumer cette décision et je considère que c'est une décision que j'ai prise et que je continue de défendre avec la plus grande clarté devant le peuple allemand.
En ce qui concerne l'Union européenne, lorsque, avec mon partenaire et ami français, je milite pour un compromis qui garantit le financement de l'Union européenne de 2006 à 2013, lorsque que, au surplus de ce que l'Allemagne fait déjà, l'Allemagne a une fois de plus montré que l'intégration européenne lui tient à cœur, tout comme c'est le cas chez nos amis français, lorsqu'il est clair que c'est nous pour qui une Europe unie, une union politique, authentique, si cela est bien notre objectif, notre finalité, si tout cela est clair, il est tout aussi insensé de parler d'échec. Mais libre à vous de dire ce que vous entendez.
LE PRESIDENT - Je partage entièrement le point de vue exprimé successivement par M. POUTINE et par le Chancelier. Mais je ne suis pas tout à fait sûr que l'on ait très bien compris le sens de la question qui a été posée par l'éminent journaliste. En tous les cas, moi, ce que je veux vous dire, c'est que je ne regrette pas du tout d'avoir pris la position que j'ai prise.
M. VLADIMIR POUTINE - Mesdames et Messieurs, je vous remercie beaucoup pour votre participation. Il me reste à ajouter qu'il y a quelques jours, la Russie a été associée à l'organisation de la conférence islamique comme observateur et je pense que, à ce nouveau titre, nous pourrons apporter notre nouvelle contribution aux solutions du problème de l'Irak.
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