Interview de M. Jacques CHIRAC, Président de la République accordée à TV5 et à Radio France Internationale.
Beyrouth (Liban) - vendredi 18 octobre 2002.
QUESTION - Soyez le bienvenu sur l'antenne de TV5 et sur celle de Radio France Internationale, Monsieur le Président de la République française. Merci de nous accorder cet entretien à l'occasion du Sommet de la Francophonie de Beyrouth. Nous allons bien sûr revenir sur l'actualité internationale, parler de l'Iraq, parler du Proche-Orient, parler de la Côte d'Ivoire. Mais tout d'abord, puisque nous sommes ici au Liban, à Beyrouth, je voudrais vous demander ce que vous pensez de ceux qui disent que, dans ce pays, finalement, la souveraineté ne s'exerce pas totalement, que la présence notamment diplomatique, politique voire militaire de la Syrie empêche encore ce pays de recouvrer totalement son autorité et son indépendance.
LE PRÉSIDENT - Ce que personne ne peut contester, c'est que le Liban est sur la bonne voie. Pour ma part, je suis heureux d'être ici, c'est un pays que j'aime, c'est un peuple que j'aime et, n'étant pas venu depuis quatre ans maintenant, j'ai été extraordinairement impressionné par le renouveau de Beyrouth qui est aujourd'hui une grande ville occidentale, gérée, propre. C'est vraiment extrêmement impressionnant quand on a connu Beyrouth il y a quelques années, détruite, de voir cette puissance qu'a retrouvée cette ville, cela est très impressionnant et marque bien le symbole et le témoignage d'un peuple qui, parmi les plus anciens du monde, pour sa culture, pour sa capacité à entreprendre, pour ses dons en matière de commerce et d'inventivité, une fois de plus, a démontré qu'il était capable de surmonter toutes les difficultés.
QUESTION - Alors, concernant, justement, la présence de forces étrangères mais amies, ici, vous avez dit, lors du discours que vous avez tenu lors de la séance inaugurale, qu'à terme, vous souhaitiez le retrait complet des forces syriennes. Cela, c'est lié à la situation générale dans la région ?
LE PRESIDENT - Je ne veux pas faire d'ingérence, naturellement, dans les affaires intérieures du Liban. Je constate simplement qu'il y a un processus qui a été engagé, qui est celui de l'accord de Taëf, que je considère et que j'ai toujours considéré pour ma part, je l'ai approuvé dès l'origine, comme un bon accord et qu'il doit se dérouler jusqu'à son terme, c'est-à-dire permettre au Liban de retrouver toute son indépendance et toute sa souveraineté.
QUESTION - Là aussi, également au Liban, cette semaine, Monsieur le Président, il y a eu l'inauguration de pompes d'eau sur une rivière qui est tout près de la frontière israélienne et qui pénètre ensuite en Israël, le Ouazzani. Est-ce que c'était opportun de mettre ce pompage en place maintenant ?
LE PRESIDENT - Écoutez, là encore, je n'ai pas de jugement à porter sur l'opportunité. Je dirai simplement que, dans cette région comme dans beaucoup d'autres, les problèmes de l'eau sont des problèmes cruciaux et qui, pour leur solution, doivent se référer avant tout à l'ordre international, à la règle internationale qui existe. Par conséquent, je souhaite que les deux parties concernées dans ce domaine, c'est-à-dire clairement le Liban et Israël, se réfèrent à l'expertise internationale, à la règle internationale, et ensuite naturellement se soumettent à cette règle et, surtout, surtout, qu'aucun geste inopportun ou maladroit ne soit de nature à créer des difficultés dont personne n'a besoin.
QUESTION - Monsieur le Président, chaque jour apporte son lot de mauvaises nouvelles sur cette région, sur le Proche-Orient. Avez-vous le sentiment que la paix, un jour, puisse faire des progrès ? Avez-vous le sentiment que vos efforts diplomatiques, que ceux de la Francophonie puissent déboucher ?
LE PRESIDENT - La paix s'imposera par elle-même. Car il est dans la nature de l'homme, je veux dire de l'homme raisonnable, de vivre en paix et parce que nous avons ici une situation dramatique, je le reconnais bien volontiers, où les affrontements devront bien trouver leur terme. Il doit y avoir ici deux peuples, deux nations, qui vivent dans une parfaite harmonie et rien, rien, en réalité, ne s'y oppose. Il est indispensable que chacun fasse des efforts. En ce domaine, vous le savez, nous sommes bien entendu pour le respect de toutes les résolutions des Nations Unies. Nous sommes pour le respect des orientations qui ont été définies par le Quartet. Nous sommes pour cela favorables à une conférence internationale, non pas pour en faire une de plus naturellement mais parce qu'il est indispensable, dans la période de tensions que nous connaissons, que chacun revienne autour de la table et que l'on se parle un peu plus librement et de façon à permettre le retour à la paix, condamnant tous les excès quels qu'ils soient d'un côté comme de l'autre.
QUESTION - Vous avez vu récemment à Paris des responsables israéliens, des responsables palestiniens. Est-ce que vous avez l'impression que ce chemin là commence à être emprunté un peu plus ?
LE PRESIDENT - Ce chemin avait été emprunté dans le passé et des pas importants avaient été faits sur ce chemin. Et puis, la situation a fait que tout s'est détérioré subitement. Et on a vu réapparaître la violence de toute nature. Il n'y a pas de solution par la violence. Il n'y a pas de solution par l'utilisation d'un terrorisme que nous condamnons, vous le savez, sans réserve et qui n'a aucune excuse et aucune explication humaine. Il n'y a pas non plus de solution dans l'humiliation, dans l'agression, dans le non-respect de la règle internationale et donc il est indispensable que l'on revienne un petit peu, dans ce domaine, au bon sens. Alors, est-on en train de revenir vers le bon sens ? Pour dire la vérité, je n'en vois pas aujourd'hui des preuves vraiment significatives. Et néanmoins...
QUESTION - ...Des deux côtés ?
LE PRESIDENT - ...Des deux côtés. Et néanmoins, ma conviction c'est que c'est inévitable. Et comme c'est inévitable, il faudra bien reprendre ce chemin qui est celui de la paix.
QUESTION - Monsieur le Président, un dossier extrêmement important, il s'agit naturellement de l'Iraq. En visite en Égypte, voici quarante-huit heures, vous avez réexprimé la position de la France de choisir la diplomatie, le rôle de l'ONU, etc. Je voudrais que vous nous disiez comment comprendre, comment décrypter une phrase qui a beaucoup retenu l'attention de la presse internationale : "la France assumera ses responsabilités". Est-ce que vous pouvez nous préciser si, en filigrane, il y a éventuellement utilisation du veto ?
LE PRESIDENT - Permettez-moi de vous interrompre. Est-ce que vous pouvez imaginer que la France n'assume pas ses responsabilités ? Non, naturellement. Bien. Il n'y avait rien, il n'y avait pas de sens caché dans mes propos.
Quelle est aujourd'hui la situation ? Nous avons un Iraq dont tout permet de penser qu'il dispose ou qu'il développe des armes de destruction massive et il y a là une situation potentielle très dangereuse pour la région et qui, par conséquent, doit être maîtrisée. Donc, et conformément aux résolutions antérieures des Nations Unies, il est indispensable que l'on puisse, premièrement, vérifier la situation en Iraq, c'est les inspecteurs, et, deuxièmement, le cas échéant, détruire les armements de destruction massive qui pourraient s'y trouver. Cela est capital. C'est l'objectif. Sur ce point, il y a, je dirai, un consensus international. Tout le monde est d'accord sur ce point : le danger et la nécessité de le maîtriser.
À partir de là, comment ? Le problème de l'Iraq est un problème qui est suivi depuis un certain temps par l'ONU, et à juste titre, et notamment bien entendu par le Conseil de sécurité. C'est à lui et à lui seul, représentant la communauté internationale, de dire ce qui doit être fait. Dans un premier temps, on pouvait se poser la question : est-ce qu'il faut une nouvelle résolution alors que plusieurs résolutions existent, qui précisent les conditions de l'inspection, et alors que l'Iraq a accepté le retour des inspecteurs ? Comme il était naturel, les inspecteurs et les responsables des inspecteurs, notamment M. BLIX, ont été interrogés. Ils ont dit qu'il fallait actualiser les conditions de mise en oeuvre de l'inspection. Nous sommes naturellement d'accord. Et se déroulent actuellement des discussions entre les membres du Conseil de sécurité pour élaborer une nouvelle résolution permettant d'actualiser les conditions d'inspection et les moyens dont les inspecteurs disposeront. Je crois que sur ce point personne ne peut contester cette position. Simplement, nous sommes tous attentifs à ce que cette résolution soit aussi réaliste et efficace que possible.
Alors, s'est posée immédiatement une deuxième question : est-ce que, dans l'hypothèse où l'on estimerait que les autorités iraquiennes ne donnent pas aux inspecteurs les moyens suffisants pour assumer leurs responsabilités, est-ce qu'il faudrait qu'il y ait automatiquement intervention militaire ? C'est là que la position de la France s'est exprimée de façon claire, en disant non, il ne peut pas y avoir intervention automatique. On ne peut pas exclure la nécessité d'une intervention. Mais, vous savez, la guerre et l'intervention militaire, c'est toujours forcément la fin ultime, la solution que l'on prend quand il n'y en a vraiment plus aucune autre. Et ce que je dis, c'est qu'il faut, le cas échéant, si les inspecteurs n'ont pas les moyens d'inspecter, qu'ils puissent faire rapport au Conseil de sécurité, en disant voilà ce qui se passe, voilà les entorses au bon déroulement de notre mission. Et le Conseil de sécurité prendra une décision. C'est sur ce deuxième point également que se déroulent actuellement, au Conseil de sécurité, les discussions.
Je crois que l'on progresse. La décision finale n'est pas encore prise. L'accord final n'est pas encore intervenu. J'ai le sentiment que l'on progresse dans le bon sens et, en tous les cas, je le souhaite. Car c'est tout simplement le bon sens qui veut que le multilatéralisme soit respecté et que la communauté internationale soit engagée, je dirai, de façon responsable par ses propres instances.
QUESTION - Pour vous, Monsieur le Président, très clairement, la position de la France, c'est que les constats d'éventuelles violations par l'Iraq devraient être faits par les inspecteurs ?
LE PRESIDENT - Sur rapport des inspecteurs, les conclusions politiques à tirer des obstacles mis par les Iraquiens au bon déroulement de leur mission seront tirées au Conseil de sécurité, mais sur le rapport des inspecteurs. Parce que, qu'est-ce que cela veut...
QUESTION - ...Ça ne peut pas être un tiers ?
LE PRESIDENT - Non, cela doit être le rapport des inspecteurs et la délibération du Conseil de sécurité. Parce que l'on peut imaginer toutes sortes d'oppositions, des oppositions de susceptibilité pour lesquelles des solutions peuvent intervenir ou, au contraire, une opposition politique majeure qui empêche les inspecteurs réellement de faire leur travail. Ce n'est pas la même chose. Donc il faut avoir un rapport des inspecteurs après qu'ils soient revenus sur place et qu'ils aient engagé leurs travaux et, à partir de là, une délibération du Conseil de sécurité.
QUESTION - Je reviens très brièvement sur cette phrase qui a retenu l'attention, que vous avez prononcée : "la France prendra ses responsabilités"...
LE PRESIDENT - ...Évidemment...
QUESTION - ...Évidemment, bien sûr, vous nous le dites...
LE PRESIDENT - Écoutez, n'essayez pas de me faire dire ce que je ne dirai pas, pour une raison simple : c'est que cela n'a pas de sens. La France examinera la situation comme les quatorze autres membres du Conseil de sécurité et prendra bien entendu ses responsabilités.
Je voudrais bien qu'il n'y ait pas dans cette affaire la mise en exergue d'une opposition entre les uns ou les autres. Ce n'est pas le problème. Il n'y a pas eu une opposition entre la thèse française et la thèse américaine ou je ne sais quoi de cette nature. Il y a simplement l'affirmation par la France de ce qu'elle estime être le droit international et le bon sens et, par ailleurs, elle est tout à fait disposée à discuter, et c'est ce qu'elle fait. Et, en fin de compte, naturellement, en fonction des événements, en fonction notamment des rapports des inspecteurs, en fonction du comportement des autorités iraquiennes, la France, effectivement, prendra ses responsabilités.
QUESTION - Cette semaine, Monsieur le Président, le terrorisme a frappé encore, à Bali, en Indonésie, également aux Philippines. Et on parle donc beaucoup de cette intervention, de ce dossier, plutôt, iraquien. Est-ce que la priorité, pour vous, est plutôt la lutte contre le terrorisme que d'essayer de maîtriser des États qui pourraient avec de mauvaises intentions, avoir des armes de destruction massive ? Est-ce que ce n'est pas plutôt le terrorisme, la priorité ?
LE PRESIDENT - Je crois qu'il y a malheureusement deux phénomènes qui ne sont pas de même nature et qui ne sont même pas liés. Il peut y avoir certains États qui ont des comportements potentiellement dangereux. Et cela, ce sont des problèmes qui doivent être réglés entre la communauté internationale et ces États. Et puis, il y a un autre problème, qui n'est pas le même, qui est de nature différente et qui est celui du terrorisme qui trouve ses sources, hélas, dans bien des situations et que nous voyons aujourd'hui se développer. Le monde ne l'a pas découvert le 11 septembre dernier, mais le traumatisme du 11 septembre a été considérable avec les attentats aux États-Unis et l'onde de choc, naturellement, continue de se développer dans le monde. Et nous le voyons aujourd'hui, nous avons vu cela avec le pétrolier français au Yémen, nous l'avons vu, hélas, en Indonésie. Nous voyons à quel point le terrorisme est présent. Et, donc, il y a une importance capitale à maintenir et à renforcer sans cesse cette coalition internationale, qui s'est créée au lendemain du 11 septembre, de tous les pays qui sont tous potentiellement confrontés aux menaces du terrorisme pour lutter ensemble contre le terrorisme.
Cela, c'est une mission essentielle. Et la France, vous le savez, est au premier rang de ceux qui participent à cette coalition contre le terrorisme international. Ce qui ne nous empêche pas d'avoir parfaitement conscience que, s'il n'y a pas de lien entre un certain nombre de problèmes sociaux et le terrorisme, il y a un terreau qui existe et qui est celui de la misère, de la pauvreté et qui doit être traité en tant que tel. C'est ce que nous avons évoqué à maintes reprises, et notamment à Johannesburg, pour permettre aux hommes, aux femmes, aux enfants qui sont dans la situation la plus difficile aujourd'hui dans le monde de retrouver confiance et espoir dans l'avenir. Et cela suppose un renforcement très sensible de la solidarité internationale. La mondialisation a beaucoup d'avantages, elle ne peut être justifiée et soutenue que dans la mesure où elle s'accompagne de la mondialisation de la solidarité. Ce n'est pas seulement la mondialisation de l'économie.
QUESTION - Monsieur le Président, on va revenir à la famille francophone, si vous le voulez bien, avec la Côte d'Ivoire. Le Président de la Côte d'Ivoire, le Président GBAGBO, n'est pas ici. Il y a une situation toujours très confuse sur le terrain. Je voudrais vous demander quelle est la mission que vous assignez aux forces françaises sur place.
LE PRESIDENT - La mission des forces françaises, qui se trouvent là avec l'accord le plus complet, naturellement, des autorités ivoiriennes, c'est essentiellement de protéger la communauté française, qui est très importante, 20 000 Français vivent en Côte d'Ivoire, et plus généralement la communauté étrangère de Côte d'Ivoire. Nous ne faisons naturellement pas de différence entre les Français et les étrangers. Et quand je parle des étrangers, je pense à tous les étrangers, y compris, nous sommes ici à Beyrouth, les nombreux Libanais qui vivent en Côte d'Ivoire et qui ont un rôle notamment économique en Côte d'Ivoire, et que nous entendons naturellement protéger autant que nous pourrons le faire. J'ai donné à ce sujet des instructions à nos forces armées.
La situation, me semble-t-il, est en voie d'amélioration. Encore qu'il ne faille naturellement pas exclure tout rebondissement. Les troupes qui s'opposent actuellement aux autorités ivoiriennes ont accepté un cessez-le-feu.
QUESTION - Une partie, la majeure partie...
LE PRESIDENT - On peut dire qu'ils ont accepté un cessez-le-feu. Je n'ai pas dit qu'ils ont accepté de déposer les armes. Je dis qu'ils avaient accepté un cessez-le-feu, ce qui est un premier pas important dans la bonne direction. Je crois savoir que les représentants de la CEDEAO, au niveau des chefs d'état-major, vont se réunir, je pense dimanche, à Abidjan. Je pense que les représentants, enfin si les choses prévues se déroulent comme elles le sont, je pense que les cinq ou six représentants des chefs d'État de la CEDEAO devraient également se réunir mercredi prochain à Abidjan. Je pense que, si j'ai bien entendu ce qu'a dit le Président GBAGBO, chacun a compris qu'il n'y avait là encore pas de solution dans l'affrontement, dans l'affrontement militaire et qu'il fallait trouver, retrouver la voie du dialogue, et si vous me le permettez de le dire avec affection et non pas du tout dérision naturellement, la palabre qui est bien souvent à l'origine de la sagesse africaine.
QUESTION - Alors, on va se trouver dans un temps, au moins au début, avec des forces d'interposition, celles de la CEDEAO, avec la France qui va faire tampon pour reprendre le mot du Président GBAGBO. Si cela durait, est-ce que vous pensez qu'il y a un risque de partition de la Côte d'Ivoire, partition de facto ?
LE PRESIDENT - Je ne veux pas l'imaginer. La Côte d'Ivoire est un pays qui a du potentiel et qui s'est développé comme une nation africaine dont la région pouvait à juste titre être fière. Je n'imagine pas que l'on puisse aller à la partition. Je ne vois pas quelle solution cela apporterait positivement au peuple ivoirien. Il faut retrouver, il faut se réconcilier, il faut recréer le climat qu'avait su créer, avec tout le génie qui était le sien et la sagesse qu'il incarnait, le Président Félix HOUPHOUET-BOIGNY.
QUESTION - Les forces françaises apporteront-elles une aide logistique à une éventuelle force africaine ?
LE PRESIDENT - Logistique, oui, sans aucun doute. Les responsables de la CEDEAO sont disposés, et les autorités ivoiriennes ont accepté, à mettre en oeuvre une force dite d'interposition, entre guillemets, disons de sagesse. Et la France pourrait participer, à leur demande, à l'équipement de ces forces et à leur transport dans le cadre de ce que nous appelons la politique RECAMP, c'est-à-dire nous permettant d'apporter notre soutien logistique à ces forces.
QUESTION - Monsieur le Président, toujours à propos de cette famille francophone. Il y avait un grand absent, c'était le Président BOUTEFLIKA, disons, c'était l'Algérie. Le Président BOUTEFLIKA était ici, aujourd'hui, il a fait un discours très très remarqué. Vous pensez que l'Algérie peut reprendre sa place, en dépit d'une situation très tendue sur le terrain, dans cette grande famille francophone ?
LE PRESIDENT - L'Algérie n'a jamais perdu sa place.
QUESTION - Elle était absente.
LE PRESIDENT - L'Algérie, pour des raisons que je peux parfaitement comprendre et qui n'ont jamais créé le moindre problème entre elle et les pays francophones, était effectivement absente. Elle a décidé de retrouver sa place dans le dialogue, pas dans les instances. Elle ne rallie pas la Francophonie, mais elle est consciente d'appartenir à une famille qui a une langue en partage, qui est un véhicule culturel, un moyen moderne d'expression. L'arabe aussi, naturellement. Mais on est plus riche avec deux grands moyens qu'avec un seul, si j'ose m'exprimer ainsi. Et, par conséquent, sous l'impulsion du Président BOUTEFLIKA qui, à bien des égards, est un sage, l'Algérie a voulu être à nouveau, plus exactement, être présente non pas dans des instances, mais dans le dialogue. Vous savez, nous sommes dans un monde où rien n'est plus important que le respect de l'autre. Et ce respect s'exprime dans le dialogue. Mais, au fond, c'est cela qu'a dit le Président BOUTEFLIKA. Il a dit : "nous devons nous respecter et, par conséquent, nous devons dialoguer, eh bien moi, je viens et je dialogue avec les autres francophones".
QUESTION - Un des thèmes de ce sommet va être le travail sur ce que l'on appelle la déclaration de Bamako, qui concerne les droits de l'Homme et les libertés politiques et publiques dans les pays de la Francophonie. Vous avez dit ce matin que, par exemple, sur les droits de l'Homme, il fallait être courageux et lucide dans l'observation de ce qui se passait dans ces pays. Comment être courageux et lucide ? Cela voudrait dire peut-être s'ingérer. C'est comme cela que certains peuvent le comprendre, qu'ils craignent de le comprendre ?
LE PRESIDENT - Je n'ai jamais pensé que l'ingérence, je dirais, politique permettait de résoudre les problèmes. En revanche, l'ingérence culturelle qui est d'une nature complètement différente, c'est-à-dire le dialogue, elle, permet de faire progresser les choses. Nous sommes tous d'accord sur la déclaration de Bamako. Eh bien, c'était un grand progrès de l'avoir faite à Bamako. Et, maintenant, il faut l'approfondir. Mais nous ne l'approfondirons pas en proférant des menaces. Nous l'approfondirons en parlant, par le dialogue, en convainquant. Nous avons déjà fait beaucoup de progrès dans ce domaine. Il y en a encore beaucoup à faire. Nous les ferons, au rythme nécessaire.
QUESTION - Monsieur le Président, on parle effectivement, vous utilisez l'expression, du français en partage. Au-delà des langues et de la culture, on s'oriente ver une francophonie politique ?
LE PRESIDENT - Je le souhaite. Je souhaite que l'on s'oriente davantage vers une francophonie politique, c'est-à-dire l'expression d'une certaine vision de l'homme, d'une certaine vision de la société fondée sur, je dirais, les principes de l'humanisme, un peu comme l'exprimait le Président SENGHOR. Vous savez, quand il parlait de l'humanisme intégral, c'est évidemment une conception un peu intellectuelle, mais elle correspond bien à ce qui est aujourd'hui nécessaire. Et donc, je pense que tout naturellement, par les peuples qui le composent, l'espace francophone, et le français, peuvent être porteur de cet humanisme qui bien entendu lui donne une dimension politique et lui permet, par l'union, d'être plus fort dans le monde.
Je souhaite aussi que ce soit un vecteur de solidarité. C'est-à-dire que les pays francophones ensemble soient porteurs de l'idée de solidarité dans le monde et de respect de notre planète, d'affirmation des exigences du développement durable, être porteurs de ce que nous avons évoqué au sommet du millénaire ou au sommet de Johannesburg et à d'autres. Et je crois aussi que, dans un monde d'où l'économie se mondialise, nous devons être les porteurs d'une mondialisation de la solidarité que j'évoquais tout à l'heure. Ce sont deux points qui me paraissent tout à fait essentiels.
Enfin, cette solidarité doit s'exercer aussi à l'intérieur-même de la Francophonie. Nous voyons bien que les pays francophones sont très différents les uns des autres, sur le plan culturel mais aussi sur le plan économique. Et beaucoup sont des pays pauvres, voire très pauvres. Ils ont besoin de l'aide des autres. Je suis toujours frappé de voir, s'agissant des grandes institutions internationales, la Banque mondiale ou d'autres, s'agissant des fonds européens de développement, s'agissant même des crédits affectés par chaque pays au développement, que l'on ne les dépense pas ou pas suffisamment vite et complètement, faute d'avoir des projets suffisamment élaborés. Il y a une espèce d'incompréhension qui se passe entre ceux qui ont besoin d'une aide et ceux qui peuvent fournir l'aide. Et, entre les deux, il y a une technostructure, ce que je dis au sens non péjoratif du terme, qui rend très difficile l'adéquation. Eh bien, je vous dis que les pays francophones, ensemble, devraient pouvoir s'apporter l'aide mutuelle qui permet à ceux qui en ont besoin de faire des projets, de les formaliser, dans des conditions qui permettent à ceux qui ont l'aide de la dépenser de façon plus efficace et plus solidaire.
QUESTION - Monsieur le Président de la République, merci de nous avoir accordé cet entretien, à nos deux grands médias internationaux. Merci à vous de nous avoir suivis. Excellente suite de programme sur les antennes de RFI et de TV5.
LE PRESIDENT - Je salue et je remercie RFI et TV5.
QUESTION - Merci, Monsieur le Président. |