DISCOURS
DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
LORS DE LA CEREMONIE D’OUVERTURE DE LA CONFERENCE INTERNATIONALE SUR LES ROUTES DE LA DROGUE
PARIS
JEUDI 22 MAI 2003
Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Mesdames et Messieurs les Délégués,
Je voudrais tout d'abord, avant d'aborder le thème de cette conférence, exprimer la forte émotion de la France et, je le sais, de chacune et de chacun d'entre nous devant le malheur qui vient de frapper l'Algérie, victime hier soir d'un terrible tremblement de terre qui a fait, hélas, de très nombreuses victimes.
Que les Algériennes et les Algériens soient assurés de la solidarité de la France, bien sûr, mais aussi de celle, j'en suis sûr, de tous les pays représentés ici ainsi que de notre volonté de nous tenir à leurs côtés fraternellement dans la cruelle épreuve qui les frappe.
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Les routes de la drogue croisent les malheurs de l'homme : la détresse, la maladie, la misère, le crime. Les explorer, comme vous allez le faire, c'est plonger au coeur des sociétés humaines, c'est en saisir les fantasmes, les vices et les faiblesses.
Nous devons aborder ces chemins sans idéologie, sans préjugé, l’esprit ouvert. Parce qu'à chaque étape, nous rencontrons des problèmes complexes, difficiles, auxquels nous ne pourrons répondre qu'avec une fermeté sans faille, alliée à beaucoup de générosité, de volonté de dialogue, à la lumière de l'expérience de chacun d'entre vous.
Je vous remercie d'avoir répondu à l'invitation du Ministre des Affaires étrangères qui a souhaité renouveler la mobilisation contre ce fléau.
Vous connaissez la position de la France : la drogue est une gangrène qui menace chaque pays touché par son trafic, qu’il soit producteur, transitaire ou destinataire. Une gangrène répandue sur tous les continents et aggravée par la mondialisation. Une gangrène qu’il faut combattre dans toutes ses dimensions, loin en amont des routes, par une combinaison d'approches répressive et judiciaire, sanitaire et sociale, économique et financière, et sur tous les fronts, national, régional, mondial.
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Aujourd'hui, l'Afghanistan, puisque c'est lui qui est en cause, nous inquiète. Il nous mobilise, car ce qui s’y produit menace sa stabilité, celle de ses voisins et la sécurité internationale.
Il y a un peu plus d'un an, l'Afghanistan se libérait des Talibans qui faisaient régner la terreur sur ce grand peuple et qui offraient une base arrière aux réseaux terroristes à travers le monde.
Nous nous sommes réjouis de voir ce pays recru d’épreuves pouvoir enfin s'engager sur la voie de la paix et de la reconstruction. Par son appui au processus de Bonn et de Tokyo, par la présence de ses forces armées, du représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU et de ses équipes, la communauté internationale soutient activement l'Afghanistan.
Et je suis heureux de saluer parmi nous M. Abdullah Abdullah, Ministre des Affaires étrangères d'Afghanistan. Je veux lui dire combien nous apprécions le courage et la sagesse du Président Hamid Karzaï et de son gouvernement, son action résolue face à une tâche immense et nécessaire. Lui dire le soutien et l’amitié de la France, notre soutien et notre amitié à tous.
Par un engrenage terrible, l'Afghanistan est devenu en quelques années l’un des principaux producteurs mondiaux d'opium. Triste palmarès, conquis dans les conflits, l'absence d'Etat, les nécessités de la survie, et en réponse à une forte demande extérieure d'opium et d'héroïne.
En dépit de l'interdiction, confirmée par le gouvernement afghan en janvier 2002, l’opium assurerait, selon les Nations Unies, le cinquième du revenu national afghan. La réponse est policière et judiciaire. L'Afghanistan, qui a tout à rebâtir, doit aussi construire son appareil de sécurité. Il est en train de le faire, avec l'aide de la communauté internationale. Mais nous savons aussi qu'il faut une alternative aux trois millions d'Afghans qui vivent désormais de la production de la drogue et que les stratégies de développement ne porteront leurs fruits que dans plusieurs années. Nous devons agir énergiquement sur l’ensemble du marché, sur la demande extérieure, toujours plus forte, autant que sur l’offre. Tel est l'enjeu de votre conférence.
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Traiter la question des routes, c'est souligner l'interdépendance du monde contemporain. C’est proposer une approche nouvelle et exhaustive. C'est, à la fois, soutenir l’effort d’éradication de la production et mobiliser les pays "consommateurs" pour qu'ils réduisent fortement la demande chez eux, qu'ils combattent avec plus d'efficacité les effets de la drogue et de son trafic.
Nous sommes en face d’une menace dont je crains que nous n’ayons pas encore pris toute la mesure. En attendant que les efforts des autorités afghanes portent leurs fruits, allons-nous laisser prospérer les trafiquants ? Les laisser alimenter les marchés de consommation ? Les élargir à de nouveaux usagers en leur offrant des substances disponibles en abondance ? Laisser le crime organisé, souvent lié au terrorisme, conforter son emprise sur les sociétés et les Etats, s'assurer la puissance en dégageant de scandaleux profits ? Nous devons rester maîtres du jeu. C'est un des grands défis de la mondialisation.
L’Europe occidentale était, récemment encore, la principale destination de l’héroïne d’Afghanistan. Aujourd’hui, dans des espaces géopolitiques de plus en plus ouverts, comme l’Union européenne et les pays qui la rejoignent, mais aussi les pays de la Communauté des Etats indépendants, la Turquie, l’Iran, le Pakistan, la circulation des personnes, des biens et des capitaux s’est fortement intensifiée. La liberté gagne du terrain, mais les transitions ont des effets pervers, comme la montée de la toxicomanie dans des groupes sociaux fragilisés et la constitution de groupes criminels transnationaux puissants. Alors que la consommation d’héroïne baissait en Europe occidentale, remplacée par d’autres substances, un nouveau marché s’est créé sur le reste du continent eurasiatique, en Asie centrale et en Asie du sud-est.
La criminalité transnationale organisée prospère sur ces trafics. Elle engendre une corruption terrible. Les mafias qui contrôlent les trafics de drogue sont celles que l’on retrouve dans la traite des êtres humains, le trafic d'armes et toutes sortes d’autres activités hautement criminelles. Nous devons agir ensemble pour que ces groupes ne trouvent pas, dans l’ouverture des frontières, des zones "grises" où prospérer en toute impunité. Les groupes criminels actuels maîtrisent les technologies les plus performantes, se jouent des frontières, jonglent avec les procédures, s'entourent de professionnels. Prenons-y garde ! Sous ces multiples visages, ils menacent les efforts d’enracinement et de démocratisation des nouveaux Etats. Ils s'insinuent au coeur du système économique mondial, vecteurs de crime, de violence et d’anarchie. Il est de notre devoir de rassembler nos forces contre ces puissances déstabilisatrices.
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La route de la drogue est aussi un chemin de souffrance, celui de la désespérance, de la fragilité, de la maladie. Combien de vies brisées, combien de familles déchirées, de promesses gâchées parce qu'un jeune, un enfant souvent, a croisé un jour le chemin d'un marchand de mort ?
En ébranlant la cohésion sociale, en marginalisant les personnes touchées, en frappant si durement – et je pense aux ravages du sida, de l'hépatite, de la tuberculose -, la toxicomanie est un enjeu de santé publique mondiale. La lutte contre la drogue doit mobiliser, au plan national et international, l’ensemble des acteurs sanitaires et sociaux. La contamination du sida par voie intraveineuse connaît une explosion effrayante dans certains pays. Et les Etats les plus affectés sont ceux qui ne disposent ni des moyens ni des structures nécessaires pour y faire face.
Là encore, le mot d’ordre est action et solidarité. Nul ne peut s'exonérer de son devoir d'agir contre la production et le trafic de drogue à partir de son territoire. Il n'existe plus, ni pays de transit, ni pays de consommation, mais des pays victimes. Pays producteurs, enfermés dans un cercle vicieux. Pays consommateurs, atteints dans leurs forces vives. Je souhaite qu'à l'occasion de cette conférence, tous les responsables de la lutte contre le trafic et la toxicomanie apprennent à se connaître, à se faire confiance. Que l'on brise ici et aujourd'hui méfiances et préjugés.
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Cette action équilibrée et solidaire, qui vise à réduire simultanément l’offre et la demande, cherche à proposer aux pays pauvres où la drogue est produite des chemins de développement sains. C’est celle-là même que nous avons adoptée à l’ONU, voici cinq ans, lors de la session extraordinaire que son Assemblée générale a consacrée à cette question. Celle-là même qui prouve son bien-fondé en Amérique latine.
La coopération internationale portera ses fruits à condition de reposer sur des bases claires, juridiquement solides et acceptées par tous les Etats. L'ONU dispose de la légitimité indiscutable pour être le moteur de cette coopération.
Je voudrais remercier M. Antonio COSTA, directeur exécutif de l'Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime, co-organisateur de cette conférence. En plaçant nos travaux dans le cadre des conventions et sous l’égide de l’ONU, nous leur donnons une autorité accrue. Nous relançons la coopération internationale à un moment où certains peuvent être tentés de baisser les bras. Qu’il s’agisse de l’héroïne, de la cocaïne, du cannabis ou des drogues de synthèse, les défis et les mesures sont les mêmes, les moyens à notre disposition sont comparables. Ayons à coeur de démontrer que nos Etats sont décidés à protéger nos peuples contre le poison des paradis artificiels.
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C’est cette volonté qui anime la France dans la politique qu’elle conduit sur son territoire.
Quand, il y a quinze ans, nous avons entrepris de réduire la transmission des virus par voie intraveineuse, il a fallu nous avouer à nous-mêmes des vérités dérangeantes. En même temps, la France a engagé un vaste programme de traitements de substitution. Elle a ainsi réussi à stabiliser la consommation d'héroïne et à enrayer les contaminations associées.
Mais aujourd'hui elle est confrontée à d'inquiétantes tendances. D'autres produits progressent chez nous : le cannabis, la cocaïne, les drogues de synthèse comme l'ecstasy. Ils font d'autant plus de ravages qu'ils sont associés aux cocktails médicamenteux et à l'alcool. Les chercheurs ont commencé d'établir un lien entre la consommation de cannabis et le déclenchement de maladies psychiques. Les résultats très inquiétants de ces travaux scientifiques nous ont fait réagir.
Le Gouvernement prépare un nouveau plan de lutte contre la toxicomanie en France, un plan guidé précisément par ce double objectif: réduire les consommations et prévenir la dépendance d’une part ; lutter avec plus d'efficacité contre les trafics et les filières d'approvisionnement, d’autre part.
Réduire la consommation et prévenir la dépendance, c'est informer les plus jeunes, sans relâche, et d’abord à l’école, des périls qu'ils encourent. Cette information doit se nourrir des résultats des études scientifiques qui, jour après jour, nous font mesurer l'impact des drogues sur la santé des consommateurs.
Nous devons être plus attentifs aux usagers des drogues, qui sont d'abord des victimes, et mieux prendre en charge leurs problèmes. Nous cherchons à améliorer encore les traitements de substitution qui ont largement démontré leur efficacité. Surtout, il faut innover pour trouver les solutions les plus adaptées pour la prise en charge sanitaire des consommateurs réguliers de cannabis. Nous devons offrir aide et conseil aux parents et à l'entourage des jeunes.
Cette attention aux plus fragiles doit s'accompagner d'une répression sans faille des trafics. Et parce que la loi doit jouer un rôle dissuasif, parce que nous croyons aux vertus éducatives de la sanction, la France restera ferme dans son refus de légaliser ou de dépénaliser l'usage des drogues.
La loi de 1970 a posé les fondations, mais son application doit aujourd’hui être évaluée. Depuis un tiers de siècle, le contexte a évolué. Les toxicomanes aux opiacés sont désormais, dans leur grande majorité, pris en charge par le système de soins. Une priorité s’impose plus que jamais : lutter efficacement contre la consommation de cannabis et de drogues de synthèse chez les jeunes. L’alternative entre l'emprisonnement et l'injonction thérapeutique ne correspond pas toujours, ni à la gravité de la faute, ni à l'ambition du meilleur soin. Nous devons améliorer tant l'efficacité des soins délivrés aux toxicomanes que celle des sanctions.
Casser le marché, nous le ferons en détournant les jeunes des tentations de la drogue, en donnant de nouveaux moyens, humains, matériels, juridiques, à la lutte contre le trafic, en resserrant notre coopération policière et judiciaire et en appelant, comme je le fais aujourd'hui, la communauté internationale à se saisir collectivement de la question.
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Mesdames et Messieurs,
Vos conclusions, les rapprochements qui vont s'opérer entre vous sont porteurs d’espérances. A l'issue de votre conférence, les acteurs de la lutte contre la drogue et, au-delà, les dirigeants de vos pays auront pris la pleine mesure de l'un des grands fléaux du XXIème siècle. Chacun aura pris conscience de la nécessité d'agir ensemble, sur tous les fronts, sans exclusive et sans tabous.
Cette conférence ne restera pas sans suite. Dès demain, les ministres des affaires étrangères du G8, puis les chefs d'Etat et de gouvernement qui se réuniront à Evian, s’en saisiront. Leurs travaux déboucheront sur des coopérations renforcées, plus efficaces. Ils inspireront les enceintes chargées de coordonner et de donner plus d’élan à l’action internationale contre la drogue.
A toutes et à tous, je souhaite une fois encore la bienvenue. Je souhaite que vos travaux ouvrent des pistes inédites, audacieuses, qu'ils soient l'occasion de nouer plus que des contacts, une confiance, une coopération, au service de chacun de nos pays, mais aussi de la stabilité et de la sécurité du monde.
Je vous remercie. |