Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC Président de la République et de M. William J. CLINTON Président des Etats-Unis d'Amérique
(Etats-Unis)
Maison blanche - Washington - Etats-Unis , vendredi 19 février 1999
LE PRESIDENT CLINTON – Bonjour,
Le Président CHIRAC et moi-même, comme toujours, avons eu une excellente réunion. Nous avons toujours de nombreux sujets à traiter et nous avons beaucoup à faire ensemble.
Mais, ce qui est particulièrement important, aujourd’hui, c’est que nous travaillons ensemble pour mettre fin à la crise au Kosovo et pour aider le peuple à obtenir l’autonomie qu’il mérite. Aujourd’hui, nous incitons les deux parties à prendre les décisions qui s’imposent, pour mettre fin au conflit immédiatement avant qu’il n’y ait d’autres morts et un débordement de la guerre.
Les pourparlers à Rambouillet doivent finir samedi. Les Kosovars ont fait preuve de courage en allant de l’avant avec l’accord que nous avons proposé, nous autres, alliés de l’OTAN et Russes. Les dirigeants serbes, maintenant, ont un choix : ils peuvent signer un accord qui tient compte de leurs préoccupations légitimes et démontrer qu’un Kosovo autonome peut exister dans leur pays, ou bien ils peuvent faire obstacle à l’accord.
S’il y a un accord, l’OTAN est déterminé à aider à la mise en oeuvre de cet accord. J’ai demandé à nos avions d’être prêts à agir dans le cas d’une opération de l’OTAN, et je continuerai à consulter le Congrès dans les journées à venir.
Le défi au Kosovo et le défi en Bosnie soulignent le rôle central joué par l’OTAN pour promouvoir la paix, la stabilité en Europe. Aujourd’hui, le Président et moi-même avons parlé du cinquantième anniversaire de l’OTAN qui aura lieu, ici, à Washington avec les nouveaux membres. Nous fixerons, également, la voie que suivra l’OTAN pour le siècle à venir.
Le conflit souligne, également, la nécessité de renforcer l’Europe du Sud-Est. Aujourd’hui, nous annonçons que nous allons lancer une nouvelle initiative et que nous espérons que d’autres alliés se joindront à nous pour améliorer la coopération, pour aider les nouvelles démocraties en Europe du Sud-Est, pour coordonner l’assistance venant des pays de l’OTAN et promouvoir la coopération et le développement économique.
Nous avons, également, parlé de nos efforts pour réformer le système financier international et d’aider la relance économique dans les pays qui ont beaucoup souffert.
En automne dernier, avec les pays du G7 et certains nouveaux pays-clés, nous avons commencé à établir un programme global. Et ce week-end, à Bonn, nos ministres des Finances parleront de ces sujets et de la création d’un nouveau forum de stabilité financière. Nous voulons renforcer les pratiques de bonne conduite et aider les pays à faire face aux crises. Nous devons réduire davantage la dette des pays les plus pauvres et les plus endettés alors qu’ils essayent de faire face aux besoins de leurs habitants et d'opérer des réformes économiques.
Je remercie le Président CHIRAC d’avoir été le champion de cette cause depuis longtemps.
Notre budget réalise de nouveaux investissements dans ce domaine et nous voulons aider le FMI à mobiliser des ressources en la matière. Nous voulons faire de réels progrès en la matière, d’ici le Sommet du G7, à Cologne, et j’apprécie pleinement le leadership du Président Chirac dans ce domaine.
Nous avons parlé de la relance économique en Russie et du fait de travailler avec la Russie pour empêcher que les armes de destruction massive, les missiles et les technologies russes tombent dans de mauvaises mains.
Nous allons continuer à renforcer notre coopération pour la paix au Moyen-Orient. Nous avons parlé du processus de paix longuement, et de notre détermination commune pour mettre fin aux armes de destruction massive de l’Irak.
Nous avons parlé de la coopération en Afrique. Et, aujourd’hui, nous allons nous joindre, avec des pays africains, dans un effort, dont j’ai parlé l’année dernière au Sénégal, pour construire un centre africain pour les études de sécurité pour promouvoir la paix et la démocratie.
Et, en dernier lieu, Monsieur le Président, je tiens à remercier la France d’avoir fait preuve de leadership en ratifiant le traité d’interdiction globale des essais nucléaires. Cent cinquante pays ont signé ce traité. Et, à nouveau, je tiens à exprimer mes espoirs que notre Sénat votera en faveur de la ratification de ce traité cette année.
Monsieur le Président, je vous donne la parole.
LE PRESIDENT - Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
Je voudrais dire d’abord combien je suis heureux de me trouver, une fois de plus, aux Etats-Unis, et ici, à Washington. Heureux d’être dans ce pays toujours en mouvement, dans ce pays qui étonne le monde et dans un pays que j’aime depuis longtemps et où je me sens bien.
Heureux, aussi, d’être une fois de plus l’hôte du Président Bill CLINTON. Chacun sait les sentiments d’estime et d’amitié que je lui porte depuis longtemps. Je tiens à le remercier, une fois de plus, de son hospitalité.
Le Président a évoqué la quasi-totalité des sujets qui ont été à l’ordre du jour de nos entretiens. Je ne ferai donc que deux réflexions.
La première pour dire que notre accord sur l’affaire du Kosovo est un accord sans réserve. Nous sommes tout à fait à la limite de la réflexion engagée à Rambouillet. Et après le Président CLINTON, je voudrais dire aux deux parties, mais tout particulièrement au Président MILOSEVIC qui détient, plus ou moins, la clé de la solution, que le moment est venu de prendre toutes ses responsabilités et d’opter pour la voie de la sagesse, et non pas pour celle de la guerre, qui comporterait, pour ceux qui feraient ce choix, les conséquences extrêmement graves pour eux-mêmes, comme pour leur peuple. C’est une lourde responsabilité qu’ils prendraient.
J’ai déjà eu l’occasion de dire que, s’agissant des Européens, c’est notre continent qui est en question et nous voulons que notre continent soit en paix. Nous n’accepterons pas que des situations telles que celles que l’on connaît aujourd’hui au Kosovo se prolongent.
Ma deuxième réflexion concerne un sujet que le Président Clinton n’a pas évoqué, mais dont nous avons, également, longuement parlé et qui, pour moi, est le grand sujet du début de ce prochain siècle. C’est celui que le Président CLINTON a évoqué, il y a de cela deux mois environ lors d’une conférence qu’il a faite, l’humanisation de la globalisation.
Chacun comprend que la globalisation est à la fois inéluctable et porteuse de progrès. On le voit chaque jour davantage. C’est donc un phénomène qui doit être encouragé, un processus qui doit être encouragé. Mais, chacun voit aussi qu’il comporte ou peut comporter des conséquences sociales et qu’il nous appartient de maîtriser ces conséquences sociales. C’est un des grands défis de la société de demain.
Cela a été, pour nous Européens, une grande satisfaction que d’entendre le Président des Etats-Unis porter ce sujet au premier rang des préoccupations du monde, dans cette conférence à laquelle je faisais allusion. Je souscris, cela va de soi, à cette préoccupation et c’est également un sujet que nous avons évoqué.
Pour le reste, le Président CLINTON a dit tout ce que nous avions fait et, par conséquent, je n’ajouterai rien car je suis tout à fait d’accord avec lui, et d’accord, aussi, pour répondre à vos questions sur ces sujets importants qui intéressent le monde.
QUESTION - Monsieur le Président CHIRAC, êtes-vous arrivé à un accord avec le Président CLINTON sur le Kosovo, et sur les sanctions contre l’Irak ?
LE PRESIDENT CLINTON - Tout d’abord, je pense que cela serait une erreur de reporter la date butoir. Je respecte la position de la Russie et je remercie les Russes de soutenir le processus de paix et l’accord éventuel. Nous avons eu la même situation en Bosnie où nous avons travaillé ensemble pour la paix, et je pense que c’est ce qui va se passer cette fois-ci.
Mais, j’aimerais revenir, brièvement, aux bien-fondés des arguments de M. MILOSEVIC. Il a dit que, s’il acceptait cette force de maintien de la paix multinationale, c’est comme s’il abandonnait le Kosovo. Personnellement, je pense que c’est la seule façon par laquelle il arrivera à garder le Kosovo à l’intérieur de la Serbie, parce qu’aux termes de leurs lois, le Kosovo doit être autonome, mais à l’intérieur de la Serbie. Cette autonomie a été éliminée il y a plusieurs années de cela et, maintenant, nous trouvons de nouvelles façons de défaire le mal qui a été fait de part et d’autre, et d’avoir une période de trois ans pendant laquelle les forces de sécurité serbes pourront se retirer, une force de police des institutions civiles pourra être établie et nous pourrons prouver qu’ils pourront travailler ensemble.
Je pense qu’il n’y a pas d’autres façons de préserver l’intégrité de la Serbie en raison de l’hostilité énorme, des pertes et des haines qui existent déjà. Donc, je n’essaye pas et je pense que le Président CHIRAC, et les autres Européens partagent mon idée. Nous voulons que cela donne de bons résultats. Nous n’essayons pas de démanteler la Serbie.
LE PRESIDENT - Je partage tout à fait la position exprimée par le Président CLINTON. J’ajoute que ma conviction est que la seule possibilité pour M. MILOSEVIC de conserver le Kosovo à l’intérieur des frontières internationalement reconnues, avec naturellement comme il était effectivement prévu dans la constitution yougoslave une large autonomie, une substantielle autonomie, est d’accepter les propositions qui lui sont faites aujourd’hui. Toute autre solution, je le répète, comporterait pour lui les plus graves inconvénients.
QUESTION - En cas d’échec constaté demain à Rambouillet, qu’est-ce qui pourrait empêcher une punition militaire par l’OTAN ?
LE PRESIDENT CLINTON - Je pense qu’il faudrait un accord avant que les frappes n’interviennent. Je pense qu’il n’y a pas d’autres options parce que, souvenez-vous qu’en partie, ce que nous avons demandé, c’est que le Président MILOSEVIC fasse certaines choses pour lesquelles il a déjà donné son accord comme je l’ai dit tout à l’heure. Les pays de l’OTAN ont décidé et ont donné l’autorité au secrétaire général de l’OTAN de mener une stratégie pour réduire ses capacités, de prendre d’autres mesures agressives, militaires, contre les Serbes, et, bien entendu, s’ils n’acceptent pas l’accord et que les Kosovars acceptent cet accord. Voilà notre position, et je pense que c’est une position que nous partageons.
QUESTION - Quels conseils pouvez-vous donner aux présidents à venir en ce qui concerne la période de treize mois par laquelle nous venons de passer ?
LE PRESIDENT CLINTON - Eh bien, j’ai appris de nombreuses leçons personnelles, dont j’ai déjà parlé, et les présidents sont des hommes également. J’ai appris à avoir énormément de respect pour notre constitution, pour les rédacteurs de cette constitution et pour le peuple américain. Et mon conseil aux présidents à venir serait de décider ce qu’il faut faire pour le pays, et mettre l’accent sur cela, parce que le peuple américain vous élit pour faire cela, et il réagit en fonction de ce que l’on fait, et si le peuple américain pense qu’on prend des mesures pour lui, c’est une bonne chose.
Je pense que la constitution a été ratifiée à nouveau, et j’espère que l’on n’a pas fait de tort à la présidence. Je ne le pense pas. Je ne pense pas que ceci ait été une bonne période pour le pays, cependant je pense avoir encore deux bonnes années. Je pense que le peuple américain s’attend à ce que le Congrès et moi-même travaillions ensemble, et qu’il n’y ait pas de sentiments qui nous empêchent de travailler ensemble. Ce sont des postes de responsabilité publique, et les Etats-Unis ont de grandes responsabilités envers leurs propres habitants et le reste du monde. Et je ne pense pas que nous puissions permettre à ce qui s’est passé de nous gêner dans notre travail à venir pour le bien de nos habitants. Je pense qu’il faut tous faire preuve de discipline en ayant ceci à l’esprit.
QUESTION - Ma question s’adresse à l’un et à l’autre. Je souhaiterais savoir si vous avez évoqué le dossier de la banane, puisque c’est un dossier certes américano-européen, mais aussi un dossier franco-américain en raison de la banane des Antilles, et si oui, est-ce que vos discussions ont permis de faire évoluer le dossier, voire de trouver un compromis, et j’aimerais que le Président CLINTON m’explique pourquoi les Etats-Unis se montrent si, je dirais, offensifs sur ce dossier, puisque, à ma connaissance, contrairement à la France et à l’Europe, les Etats-Unis ne produisent pas de banane ?
LE PRESIDENT CLINTON - Oui, nous en avons parlé. Nous sommes fermes en la matière, parce que nous avons des sociétés en jeu. Il y a des gens qui sont impliqués dans d’autres pays, aux Caraïbes, en Amérique centrale, et parce que nous pensons que la loi commerciale est bien claire. Nous avons remporté ce différend commercial. Il y a eu une décision qui a été prise, et nous essayons d’arriver à une solution raisonnable avec les Européens, notamment avec les Britanniques et d’autres, et on ne voit pas de disponibilité pour résoudre cela. Nous ne voulons pas avoir ce type de différend, mais voici un différend, les Européens nous disent : oui, vous avez remporté cette bataille commerciale aux termes de la loi, mais nous ne pensons pas que votre position soit bien fondée, nous n’allons pas céder. Eh bien, lorsqu’on perd des batailles, il faut savoir les perdre. Nous voulons avoir un système pour régler des différends, car en général ces différends durent trop longtemps. Et nous devrions tous respecter une décision lorsque nous perdons, car c’est ce que les Etats-Unis feraient, et donc c’est ce que vous voudrions que l’Europe fasse. Nous avons suivi le processus et nous avons remporté le différend. La plupart des Européens pensent que nous n’aurions pas dû remporter ce différend, mais quelquefois nous aussi perdons dans des cas où nous pensons que nous devrions gagner. Donc nous aimerions qu’il y ait un règlement qui soit conforme à la décision qui a été prise conformément à la loi commerciale internationale.
LE PRESIDENT - J’ajouterai seulement que nous avons effectivement parlé de ce problème. Le Président CLINTON vient de dire que les Etats-Unis avaient des sociétés en jeu, à quoi je lui ai répondu, que nous avions, nous, des travailleurs en jeu. Et de surcroît, j’ai ajouté que la banane des Antilles était, c’est évident, la meilleure et la meilleure du monde, qu’il fallait donc absolument la sauvegarder, que c’était en quelque sorte l’intérêt de l’humanité, et que je comptais sur lui pour comprendre ces exigences.
LE PRESIDENT CLINTON - C’est clair.
QUESTION - Est-ce que vous pourriez nous parler de vos réflexions sur l’éventuelle candidature de votre épouse, Hillary CLINTON, aux prochaines élections sénatoriales ?
LE PRESIDENT CLINTON - Tout d’abord, je pense qu’il est important que vous compreniez tous que c’est quelque chose à quoi nous n’avions jamais pensé jusqu’à ce que d’autres personnes commencent à lui en parler. Pour moi, ce qui est important, c’est que mon épouse fasse ce qu’elle doit faire. Et je la soutiendrai dans la décision qu’elle prendra, et je ferai de mon mieux pour l’aider à cet égard, à l’égard d’autres décisions à l’avenir, tout comme elle m’a aidé au cours des 25 dernières années. Et si elle décidait de présenter sa candidature au Sénat, et si elle était élue, je pense qu’elle serait merveilleuse. Mais souvenez-vous que c’est une élection pour le mois de novembre de l’an 2000, et elle vient de passer par une année très fatigante, et il y a des circonstances qui doivent être examinées, et il faut attendre un certain temps. En outre, je pense que, même lors d’une campagne présidentielle, il est difficile de faire bouillir une marmite pendant deux ans. Donc, de mon point de vue, c’est un peu prématuré, et j’aimerais qu’elle attende un peu, qu’elle se repose, qu’elle écoute ceux qui sont pour et ceux qui sont contre, et qu’elle décide exactement ce qu’elle veut faire, et je la soutiendrai dans sa décision.
QUESTION - Une question aux deux présidents. S’il semble que les Serbes doivent être sanctionnés parce qu’ils refusent la présence de troupes de l’OTAN au Kosovo. Est-ce que vous avez l’assurance que l’Armée de Libération du Kosovo renoncera à sa demande d’indépendance ?
LE PRESIDENT - J’ai dit tout à l’heure que la pression que nous exerçons légitimement s’exerce sur les deux parties. Nous avons répondu sur la Serbie, parce que la question portait sur la Serbie, et que -disons les choses clairement- beaucoup dépend de la position personnelle que prendra M. MILOSEVIC. Mais il va de soi que si l’échec était imputable aux Kosovars, des sanctions, d’une autre nature probablement, mais des sanctions très fermes devraient être prises à leur encontre. Nous n’avons pas à formuler de choix, nous voulons la paix.
LE PRESIDENT CLINTON - Tout d’abord, je soutiens pleinement ce que vient de dire le Président CHIRAC, mais permettez-moi de souligner que l’accord exige qu’ils acceptent l’autonomie, tout au moins pendant trois ans, et qu’il établit un processus de trois ans pour résoudre toutes ces autres questions en suspens. Trois ans nous donneraient le temps de mettre fin aux tueries, de calmer la situation, et cela permettrait aux Serbes de dire que s’ils revenaient à l’intention initiale de la constitution, c’est-à-dire permettre une autonomie réelle pour le Kosovo, comme le Kosovo avait auparavant, cela serait la meilleure situation pour les Kosovars sur le plan économique et politique, et les habitants auraient le temps de ressentir tout cela. Pour l’instant, après tout ce qu’il s’est passé, après tous les meurtres, et après toutes les luttes, et après toutes les choses horribles qui ont été dites, il faut un moment de répit , il faut un processus pour permettre aux forces de sécurité de se retirer, comme M.MILOSEVIC a dit qu’il ferait, et puis il faut établir des institutions à l’intérieur du Kosovo qui puissent fonctionner, et puis ensuite voir ce qui se passerait. Je pense que ce sera la partie la plus importante. Pour en revenir à ce qu’a dit le Président CHIRAC, oui les deux parties ont des responsabilités. Leurs responsabilités seraient de reconnaître que c’est un accord pour trois ans, et pendant cette période, on pourrait résoudre les questions à long terme.
Je vous remercie.
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