Message de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, adressé aux participants au troisième Forum mondial du développement durable à Paris.
2 décembre 2005.
Mesdames et Messieurs,
Pour sa troisième édition, le Forum mondial du développement durable a choisi de débattre sur les patrimoines de l'humanité - ces biens publics que tous les hommes ont en partage - et sur le premier d'entre eux en importance : l'équilibre du climat. Ce choix a une résonance toute particulière pour la France.
Depuis le Sommet de Johannesburg en 2002, la France a engagé une véritable conversion aux principes du développement durable. La Charte de l'Environnement, intégrée à la Constitution Française le 1er mars de cette année, le proclame pour la première fois dans la constitution d'un pays : l'environnement n'est plus seulement le patrimoine de la Nation, mais " le patrimoine commun des êtres humains ".
Cette affirmation de principe emporte des conséquences très directes, en ce qui concerne tant les comportements individuels que les politiques publiques. En prenant place dans le préambule de la Constitution, aux côtés des Droits de l'Homme de 1789 et des droits économiques et sociaux de 1946, l'impératif environnemental de la Charte s'impose à tous. Cette innovation majeure dans notre loi fondamentale pose les bases d'une véritable éthique du développement durable. Une éthique de la responsabilité pour tous. Une éthique de l'engagement de chacun.
La Charte institue une solidarité entre notre génération et les suivantes. A cette solidarité dans le temps, s'ajoute une solidarité dans l'espace, entre la France et les autres peuples. Au-delà des nouveaux droits individuels que la Charte confère, elle affirme aussi les devoirs de chacun, personne morale ou personne physique. Elle affirme des objectifs de développement durable pour l'action publique. La Charte enfin se soucie tout autant de la diversité biologique, du progrès des sociétés humaines que de l'épanouissement de chaque personne. Elle sera appliquée sous le contrôle de toutes les institutions judiciaires. Cela lui donne une force de persuasion considérable et une portée universelle.
Cette nouvelle éthique du développement durable doit trouver sa première application dans la lutte contre le changement climatique, principale menace sur l'avenir de l'humanité. L'entrée en vigueur du Protocole de Kyoto au début de cette année a constitué un tournant décisif. Mais ce n'est qu'une première et modeste étape. Si l'entente internationale fait défaut, si les égoïsmes et l'irresponsabilité prennent le dessus, le monde ne parviendra pas à enrayer la machine infernale du réchauffement climatique. Et ce siècle verra la résurgence de maladies que l'on croyait à jamais vaincues, la multiplication des épisodes climatiques extrêmes, la ruine de régions entières et la montée inexorable des réfugiés du climat. Faute d'agir aujourd'hui, pendant qu'il en est encore temps, le monde court à un grand désordre, avec son cortège de conflits, de destructions et de souffrances. Au risque, par une terrible inconséquence collective, de compromettre peut-être de manière irréversible les acquis du progrès.
Confrontée au péril global du changement climatique, l'humanité doit prendre conscience de l'unité de son destin. Les peuples qui se partagent notre planète doivent trouver, dans le dialogue et le respect de leur diversité, le sens d'un développement durable et partagé. Le changement climatique est le fruit d'un manque de solidarité entre les peuples et avec les générations qui nous suivent. En luttant contre ce phénomène, il nous faut retrouver le sens de la transmission des valeurs de nos civilisations. Le sens du patrimoine : ce dont on hérite, que l'on gère et qu'on lègue. De nombreux peuples, et parmi eux les peuples premiers, voient dans la terre le patrimoine commun de l'humanité. C'est avec cette sagesse antique qu'il nous faut aujourd'hui renouer.
Cette nouvelle éthique nécessaire à notre temps doit aussi se traduire dans la maîtrise et l'humanisation de la mondialisation afin de mettre ses forces immenses au service du progrès humain. La France a décidé de mettre en oeuvre une taxe sur les billets d'avion, afin de financer la lutte contre les grandes pandémies dans les pays en développement. Si elle le fait sans attendre une unanimité des Etats, c'est bien pour démontrer que de nouvelles approches sont possibles pour que le formidable mouvement de la mondialisation, créateur de tant de richesses, profite à tous. C'est notre responsabilité que de corriger les déséquilibres. Nous avons une feuille de route claire : les Objectifs du Millénaire fixés par l'ONU. Il faut la suivre : c'est notre devoir et c'est l'intérêt bien compris des pays les plus riches.
Enfin, pour changer le jeu des acteurs sur la scène internationale, il faut revoir les indicateurs, qui trop souvent se bornent à mesurer la richesse et la réussite à court terme. Il faut que la gestion quotidienne appréhende l'avenir en privilégiant le long terme. Les concepts économiques et les outils statistiques sur la base desquels nous construisons nos modèles reflètent la hiérarchie de nos valeurs et le prix réel que nous accordons aux choses. Nos instruments actuels d'analyse économique sont encore impuissants à mesurer le coût pour la collectivité des dégradations infligées à l'environnement, de même qu'ils demeurent encore insuffisants dans l'évaluation du coût social des évolutions économiques.
C'est pourquoi je souscris à la proposition du Forum d'établir un indice de développement durable, qui complètera l'Indice du Développement Humain par une dimension environnementale.
C'est bien sous le signe de la responsabilité éthique que je souhaite placer vos travaux sur le développement durable. Pour construire les accords qui suivront la première étape du protocole de Kyoto jusqu'en 2012, nous devrons vaincre les craintes et les égoïsmes. Nous devrons proposer un système juste, à l'échelle de la planète. Nous devrons inventer une diplomatie environnementale de la raison et du coeur.
Je souhaite un plein succès à ce troisième Forum mondial du développement durable.
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