ALLOCUTION D'OUVERTURE
DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
AU COLLOQUE " LA MEDIATION : QUEL AVENIR ? "
(SORBONNE)
****
PARIS - JEUDI 5 FEVRIER 1998
Monsieur le Médiateur de la République,
Madame le Recteur,
Mesdames, Messieurs,
C'est, je vous l'ai dit, Monsieur le Médiateur, il y a deux jours dans mon bureau, avec un grand plaisir que j'ouvre ce colloque, marquant le vingt-cinquième anniversaire du Médiateur de la République, et ceci dans ce lieu prestigieux s'il en est de la Sorbonne que vous animez si bien, Madame le Recteur.
Vingt-cinq ans, c'est très court à l'échelle de l'histoire de nos institutions. Pourtant, dans un délai aussi bref, le Médiateur de la République a su prendre toute sa place dans le paysage administratif et juridique français.
Accessible et proche des citoyens, respecté et écouté des pouvoirs publics, il est un recours autant qu'un " facilitateur ". Je ne sais pas si l'Académie Française acceptera ce mot, et pourtant il indique bien quelles sont la vocation et la mission du Médiateur. Il améliore les relations entre l'administration et ses usagers. Il contribue à faire vivre l'Etat de droit dans notre pays.
Vingt-cinq ans, c'est aussi l'âge de la maturité. Un âge propice aux retours en arrière autant qu'aux projets d'avenir.
Un profond besoin de dialogue et de concertation s'exprime dans notre pays, un besoin qui va bien au-delà du champ administratif. Pour répondre aux attentes de nos compatriotes, nous devons inventer les voies d'une nouvelle médiation, étendue à l'ensemble des secteurs de la vie sociale.
Nous devons chercher à privilégier, chaque fois que cela est possible, des modes pacifiques de règlement des conflits, des modes souples et respectueux des citoyens.
Ce qui est en jeu, c'est la cohésion de la société française déjà durement éprouvée par le chômage, la précarité, l'exclusion.
*
Il y a vingt-cinq ans, la loi du 3 janvier 1973 jetait les bases d'une institution originale, inspirée des exemples scandinaves. Une institution qui était conçue comme une charge et confiée à un titulaire unique : le Médiateur de la République.
Rapidement, la nouvelle institution - et il faut y voir une preuve de son succès - voit ses missions comme ses prérogatives s'étendre.
Mais l'enracinement du Médiateur de la République dans nos institutions tient moins à la volonté du législateur qu'à la personnalité et à l'engagement de ceux qui, depuis 1973, ont occupé cette fonction.
Ils ont su faire connaître et accepter la mission qui leur était confiée. Ils ont montré que l'on pouvait concilier à la fois le sens du dialogue et l'efficacité. Constamment à l'écoute de nos concitoyens, ils ont aidé les administrations à mieux prendre en compte leurs droits et leurs attentes, les droits et les attentes de nos concitoyens.
Vous-même, cher Jacques Pelletier, qui allez achever votre mandat dans quelques semaines, vous avez eu un rôle essentiel dans cette évolution. Vous avez notamment porté une attention particulière au dramatique problème de l'exclusion et aux situations inextricables qui peuvent en résulter sur le plan administratif.
Vous avez également tenu à développer des relations amicales et fructueuses, vous l'avez rappelé tout à l'heure, avec vos homologues étrangers. Je tiens à saluer chaleureusement vos collègues venus d'Europe ou d'autres continents. Leur présence aujourd'hui témoigne de la solidité des liens qui se sont créés au fil des années. Elle est un gage d'ouverture et aussi d'enrichissement mutuel.
Ainsi, en un quart de siècle, le Médiateur de la République est devenu un acteur à part entière du jeu institutionnel et administratif dans notre pays.
Soucieux d'établir des relations étroites avec celles et ceux qui le saisissent, il a fait le choix de la déconcentration. Il s'appuie désormais sur un réseau de délégués départementaux qui traitent directement une grande partie des cas dont ils sont saisis.
Quelques chiffres suffisent à résumer les résultats remarquables obtenus par le Médiateur et son équipe : en 1997, près de 45.000 réclamations ont été enregistrées. Dans plus de 80 % des cas, les interventions ont été couronnées de succès.
Le Médiateur de la République est en première ligne dans la lutte contre l'exclusion, je l'évoquais tout à l'heure après M. Pelletier. Les dossiers relatifs à la protection sociale, au logement ou à l'emploi sont de loin les plus nombreux. Son action permet de résoudre, ou au moins d'atténuer, les problèmes si douloureux qu'engendrent les situations de grande précarité.
Pour les personnes qui n'ont pas de domicile fixe, c'est l'intervention du Médiateur qui a permis que leur soit délivrée une carte d'identité. Il a également fait des propositions pour qu'elles puissent voter ou ouvrir un compte bancaire sans se heurter à des obstacles insurmontables.
*
La création du Médiateur répondait à la nécessité de rapprocher le citoyen de l'administration. Cette nécessité bien sûr demeure.
Simplifier les relations avec les administrations, rapprocher les centres de décision des citoyens, améliorer la qualité du service rendu, moderniser la gestion publique, autant d'impératifs qui restent, plus que jamais, nécessaires.
Faut-il, dans cette perspective, élargir les missions du Médiateur et le doter de nouveaux moyens d'intervention ? Le débat est ouvert et je ne doute pas que vos travaux d'aujourd'hui et de demain contribuent à l'éclairer utilement.
*
Le succès du Médiateur de la République montre que notre société a grand besoin d'instances de médiation et qu'elle est prête à leur faire une large place, dans son droit comme dans ses usages. A tel point d'ailleurs que, vous l'avez rappelé Monsieur le Médiateur, l'Académie Française a très officiellement consacré l'entrée du terme médiature, c'est vrai, dans son dictionnaire.
La médiation est une constante dans l'histoire des sociétés. La plupart des communautés se sont efforcées, pour résoudre les différends, d'organiser l'intervention d'un arbitre, d'un tiers neutre et indépendant capable d'amener les parties en conflit à se parler et à surmonter leurs divergences.
De la palabre africaine aux assemblées de gentilshommes et de clercs, chargées sous l'Ancien Régime du règlement des litiges, les voies de la médiation sont multiples. Elles constituent, dans toutes les sociétés, de véritables soupapes de sécurité. Elles sont gages de souplesse et de cohésion.
Notre système juridique ne fait pas exception à la règle. Le droit français a toujours su faire place à la médiation. Je pense par exemple au droit du travail et au rôle que jouent les médiateurs en cas de conflit dans l'entreprise.
Mais aujourd'hui, c'est à une véritable explosion de la demande de médiation que nous assistons. Aucune sphère de la société ne reste à l'écart de ce mouvement, qu'il s'agisse des services publics, de l'école, de la vie de quartier ou de la santé.
Cette évolution est étroitement liée à la complexité croissante du monde qui nous entoure.
Inflation des règles applicables. Instabilité des normes juridiques. Multiplication des procédures. Nos concitoyens se sentent souvent incapables d'affronter seuls le maquis que constitue désormais notre droit.
Les démarches les plus anodines de la vie quotidienne se révèlent semées d'embûches et de pièges. Acheter son billet de train en dehors des heures d'ouverture du guichet. Consulter le fichier informatisé d'une bibliothèque. Là comme ailleurs, l'aide d'un guide plus expérimenté, d'un médiateur au sens étymologique du terme, devient indispensable.
Au-delà de la complexité qui a fait irruption dans notre univers quotidien, le besoin de médiation témoigne aussi des tensions et des déchirures qui fragilisent le tissu social.
Les solidarités traditionnelles - le cercle familial, les amis - ne permettent plus toujours de répondre aux attentes de ceux qui, frappés de plein fouet par le chômage et la précarité, ont besoin d'être accompagnés et aidés dans la recherche d'un emploi ou d'une situation stable. Elles ne suffisent plus pour faire face au défi de la violence quotidienne qui ronge notre société.
A travers l'émergence de nouvelles formes de concertation et de médiation, ce qui est en jeu, c'est la capacité de notre corps social à régler pacifiquement les conflits qui l'affaiblissent. C'est sa capacité à surmonter les tensions dans la dignité et dans le respect des libertés de chacun.
Il ne s'agit pas, bien entendu, de remplacer la justice par la médiation. Il s'agit, face à des besoins nouveaux, d'inventer des réponses appropriées. Or, souvent, notamment dans le domaine social, le recours au juge n'est pas la réponse la plus appropriée.
Les missions qui sont dévolues au juge, administratif ou judiciaire, sont d'ores et déjà nombreuses. Le besoin croissant de justice, l'augmentation considérable des recours, se traduisent par un encombrement préoccupant des prétoires. Améliorer cette situation constitue l'un des enjeux essentiels de la réforme de la justice.
Dans ces conditions, il serait irréaliste de demander à l'institution judiciaire de faire face, seule, à la demande de médiation, dans toutes les sphères de la société.
Ses moyens n'y suffiraient pas. Plus grave sans doute, nous prendrions le risque de voir la France exposée à son tour aux dangers d'une judiciarisation excessive des rapports sociaux. Une telle évolution risquerait de dresser nos compatriotes les uns contre les autres. Elle ne serait conforme ni à notre culture ni à nos traditions.
C'est pour cela que nous devons faire appel, à côté de l'institution judiciaire, en collaboration avec elle, à d'autres institutions, à des personnes qui, sans être des professionnels du droit, peuvent mettre au service de leurs concitoyens leur expérience, leur sens du dialogue et leur humanité.
Je pense par exemple aux jeunes retraités, de plus en plus nombreux dans notre pays, qui n'hésitent pas à s'investir dans des domaines aussi variés que le soutien scolaire ou la médiation judiciaire.
Ces initiatives, lancées par des associations actives et généreuses, méritent d'être encouragées et soutenues.
*
Les nouvelles formes de médiation se développent tout particulièrement dans deux domaines.
Le domaine judiciaire, tout d'abord. Dans un contexte marqué par la surcharge des tribunaux, la médiation et la conciliation sont très utiles pour le traitement de la petite délinquance de voisinage. Elles permettent de lutter contre ce qu'il est pudiquement convenu d'appeler les " incivilités ", tous ces petits méfaits qui sont ressentis par ceux qui en sont victimes comme autant d'agressions insupportables et qui sapent les fondements de la vie en société.
Trop souvent, ces agissements sont voués à l'impunité.
La médiation permet au contraire, sans entrer dans une procédure judiciaire, de rappeler à l'ordre les fauteurs de troubles et de les obliger à réparer rapidement les dommages commis. Elle permet aussi de rétablir le dialogue. Elle constitue autant une sanction qu'un avertissement. C'est ce qui fait son efficacité.
Développement d'associations de médiateurs travaillant en collaboration avec le Parquet, installation de maisons de justice dans les quartiers les plus sensibles, les voies de la médiation judiciaire sont désormais bien connues. Je souhaite qu'elles se généralisent et s'étendent à d'autres domaines. On pourrait envisager, par exemple, d'adjoindre systématiquement, aux nouvelles maisons de justice et du droit, des médiateurs issus du quartier, chargés de régler les litiges d'ordre privé.
Médiateurs de rue, médiateurs de quartier, médiateurs familiaux, femmes-relais, la médiation a également toute sa place dans la vie des quartiers et dans le domaine social. Elle a sa place dans les écoles et dans les établissements de formation. Elle a sa place dans les logements et dans les espaces collectifs. Elle a sa place dans les services sociaux et dans les administrations.
Il s'agit là, qui plus est, d'un vivier d'emplois de proximité à ne pas négliger. La médiation permet à des jeunes de se rendre utiles dans leur quartier, de répondre à des besoins non satisfaits et de participer ainsi à l'émergence d'un nouveau modèle de relations sociales, fondé sur la responsabilité et le dialogue.
Elle constitue une école de tolérance, autant qu'une nouvelle activité de services. Ce n'est pas là le moindre de ses mérites.
*
Monsieur le Médiateur de la République,
Madame le Recteur,
Mesdames, Messieurs,
La création du Médiateur de la République correspond à une période de maturité et d'équilibre dans l'histoire de nos institutions. L'administration et, plus largement les collectivités locales et les pouvoirs publics, ont compris qu'ils ne perdaient rien à reconnaître leurs difficultés d'adaptation et leurs carences. Ils ont compris, grâce à la vigilance d'une autorité indépendante, qu'ils avaient les moyens d'y remédier.
Si, depuis vingt-cinq ans, l'Etat de droit a progressé en France, le Médiateur de la République n'y est pas étranger. C'est la plus belle de ses victoires.
Ce qui vaut pour les administrations et pour l'Etat vaut pour l'ensemble de la société française. La capacité d'une société à résoudre ses difficultés par l'échange et la concertation est un gage de maturité et de bonne santé.
Nos concitoyens doivent apprendre à se parler davantage. A exprimer leurs doutes et leurs inquiétudes. A surmonter leurs conflits et leurs divisions dans un climat de confiance et de respect mutuel. C'est cela la culture du dialogue.
Le développement de la médiation et de la conciliation aidera notre pays à progresser dans la bonne direction.
Je serai donc très attentif aux résultats de la réflexion que vous allez mener durant ces deux jours. Vous saurez ouvrir, je n'en doute pas, de nouvelles perspectives pour l'avenir de la médiation en France. Et d'avance, je vous en remercie. |