DISCOURS
DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
LORS DE LA 3e CONVENTION DE LA FÉDÉRATION FRANÇAISE DU BÂTIMENT
***
PALAIS DES CONGRÈS - PARIS
VENDREDI 15 DÉCEMBRE 2000
Monsieur le Président de la Fédération Française du Bâtiment, Cher Alain Sionneau, Mesdames et Messieurs, Chers Amis du Bâtiment,
Et tout particulièrement parmi eux, je le redis, les jeunes qui sont ici et qui portent l'espoir et le bonheur de la France de demain. Je voudrais les saluer chaleureusement, qu'ils aient vu dans cette poignée de main rapide, au-delà d'un geste de cordialité, un symbole de confiance. Je leur souhaite, puisque c'est la période des voeux qui va bientôt commencer, mes voeux les plus chaleureux pour que, malgré les difficultés, les problèmes et les obstacles que le Président a justement soulignés tout à l'heure, ils réussissent. Ils réussissent pour eux-mêmes, pour leur famille, pour les leurs. Ils réussissent pour leur ville, leur village, leur région et qu'ils réussissent pour la France et le bonheur des Français auxquels ils apportent un élément essentiel de leur vie par leur propre travail.
Alors, bravo et tous mes voeux de réussite.
Je suis heureux de vous retrouver.
Heureux de retrouver une profession que j'estime, une profession dynamique, forte, entreprenante et depuis toujours essentielle.
Vous avez choisi, pour devise de votre convention " la passion de construire ". C'est un beau titre. Un bon slogan car on ne crée rien sans passion. Dans votre métier, il s'agit d'imaginer, il s'agit de concevoir. Vous avez le privilège de voir patiemment sortir de la terre l'oeuvre de votre pensée, l'oeuvre de vos mains. Vous êtes portés par la fierté du travail bien fait. Alors, oui, et notamment les jeunes, demeurez passionnés. C'est un gage de votre réussite. * Ce matin, à l'issue d'une convention tournée résolument vers l'avenir, vous l'avez dit, cher Président, je voudrais partager avec vous quelques convictions.
Nous nous retrouvons à un moment où votre profession, c'est vrai, va bien, et je m'en réjouis. Après bien des années difficiles, l'activité du bâtiment est à nouveau soutenue. Vos entreprises construisent, innovent, embauchent. Elles connaissent même des difficultés de recrutement pour répondre à la demande.
Mais vous savez aussi combien l'activité du bâtiment suit des cycles. La conjoncture internationale, le niveau des taux d'intérêt, la fiscalité, la vision que nos concitoyens ont du futur, font les bonnes et les mauvaises années.
Cette bonne santé du bâtiment, nous la devons d'abord à la capacité d'adaptation dont vos entreprises ont su et savent faire preuve. Elles ont su évoluer, se restructurer, se fortifier.
Nous la devons aussi, cette bonne santé et, je dirais aussi, surtout à la baisse sans précédent des taux d'intérêt dont notre pays a bénéficié depuis 1996. Le crédit moins cher c'est la conséquence directe de la décision, prise à cette époque, de faire l'euro en temps et en heure et, pour cela, de remettre en ordre nos finances publiques.
Cette décision n'était pas facile. Il a fallu être tenace. Il a fallu agir vite. Faire des choix difficiles et recourir malheureusement à des hausses d'impôt. Mais les résultats sont là aujourd'hui : les taux d'intérêt ont été réduits de moitié, permettant le redémarrage de la croissance et de l'activité. Vous vérifiez chaque jour l'importance de taux d'intérêt bas pour les ménages qui achètent leur logement et pour le financement des programmes de construction. Aujourd'hui, le crédit est moins cher dans notre pays qu'aux Etats-Unis. Preuve s'il était nécessaire que nous avons choisi la bonne direction.
Parallèlement à la remise en ordre du cadre général de la politique économique, votre secteur a bénéficié d'une politique attentive, efficace et adaptée. En 1995, j'avais souhaité que de nouveaux instruments d'intervention soient mis en oeuvre en faveur de la construction. Ils l'ont été, grâce notamment à l'action de Pierre-André Périssol, que je salue ici. Et ils ont porté leurs fruits.
La création du " prêt à taux zéro " en 1996, a été et reste un grand succès. Il a permis à de nombreux Français aux revenus modestes d'accéder à la propriété. Et le dispositif fiscal mis en place à cette époque afin d'encourager la construction de logements locatifs a donné un coup de fouet indispensable à la construction privée.
Enfin, l'abaissement du taux de la TVA à 5,5 % en faveur de la construction de logements locatifs sociaux a été, vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, une bonne mesure. Elle a ouvert la voie à son extension, l'année dernière, à l'ensemble des travaux concernant le bâtiment. Je partage votre souhait de voir ce taux définitivement pérennisé. Je ne vois pas très bien qui, aujourd'hui, pourrait sérieusement le remettre en cause.
Ainsi, la combinaison d'une profession qui a su se restructurer, d'un cadre général de politique économique redéfini, et d'instruments puissants, adaptés au secteur de la construction, ont permis, grâce à la valeur de ses hommes, au bâtiment de retrouver ses couleurs. Cela était indispensable pour vos entreprises et leurs salariés. Cela était nécessaire pour les Français car les besoins de construction sont loin, je dirais presque hélas, loin d'être satisfaits dans notre pays.
Bien loger les Françaises et les Français n'est pas une tâche accomplie. Le logement doit demeurer une priorité de l'action publique pour faire face aux nouvelles exigences d'une société française qui évolue.
Certes, nos immeubles, nos maisons se sont améliorés grâce à de nouveaux modes de construction. Certes, nous ne devons plus loger dans l'urgence de grandes vagues démographiques comme ce fut le cas il y a trente ans. Certes, les enquêtes sur le logement des Français montrent une amélioration constante du bâtiment. Certes, nos infrastructures se sont modernisées. Mais les besoins sont toujours là, nombreux, pressants.
Je pense d'abord à nos concitoyens qui vivent dans des logements dépourvus du moindre confort de base. Ils sont, si j'en crois les statistiques, encore 1 600 000 aujourd'hui. Cela n'est pas acceptable.
Je pense aussi au million de nos compatriotes qui vivent dans des logements surpeuplés.
Je pense encore aux 500 000 enfants et aux 700 000 personnes âgées mal logés ou logés dans des conditions précaires.
Je pense, pour les personnes les plus défavorisées, aux hébergements d'urgence qui demeurent en nombre insuffisant malgré les programmes que nous avions lancés en 1995.
Je pense aux résidences universitaires qui doivent être modernisées et rénovées et pour lesquelles un programme ambitieux est nécessaire afin d'assurer des conditions de logement modernes et décentes pour nos étudiants.
Je pense à la prise en compte des conséquences démographiques, notamment au développement de la dépendance dû à l'allongement de l'âge de la vie, car les besoins en logements adaptés sont bien loin d'être satisfaits.
Je pense aux logements pour les handicapés qui sont encore en nombre tout à fait insuffisant.
Je pense aux 200 000 immeubles qui doivent être détruits pour être rebâtis. Ce programme doit être accéléré. L'efficacité de la politique de la ville et l'amélioration du milieu urbain en dépendent largement.
Ce n'est donc pas le moment de réduire ni nos ambitions ni l'efficacité des outils de financement de la construction. Qu'il s'agisse du " prêt à taux zéro ", qui a malheureusement vu sa portée atténuée. Qu'il s'agisse de l'épargne logement, qui doit demeurer un produit destiné en priorité à l'accession à la propriété et non devenir un simple produit d'épargne.
Nous devons aussi conserver des objectifs de construction ambitieux, tant pour le secteur privé que pour le secteur social. Dans ce secteur, la baisse constante, depuis quelques années, de la construction de logements locatifs sociaux devient vraiment préoccupante. Alors que le nombre de nos concitoyens mal logés demeure important, jamais le niveau de la construction locative sociale n'a été aussi bas.
C'est pourquoi je souhaite que les organismes HLM, à qui la collectivité nationale consent beaucoup d'avantages, accroissent significativement leur effort de construction.
Je souhaite également qu'une réflexion globale s'engage sur les moyens de développer l'offre sociale dans notre pays, notamment par les constructeurs que vous représentez. Finalement, la question n'est pas de savoir quel doit être le constructeur mais de satisfaire au mieux et efficacement les besoins de nos concitoyens. * Au cours de votre convention, Monsieur le Président, vous avez choisi de parler de l'avenir de votre profession dans une économie française qui change sans cesse. Dans cette perspective, vous avez élaboré, je crois, 80 propositions. Elles sont marquées par un objectif. Un objectif que je partage, celui de construire un pays plus entreprenant, plus dynamique, et donc plus fort.
Les Français ont toutes les capacités requises et ils ont tous les talents nécessaires pour réussir dans le monde de demain. Un monde où la concurrence, notamment européenne, sera plus forte, plus stimulante et où nous devrons être nous-mêmes plus solides, notamment nos entreprises. Réussir demain, pour notre pays, est à notre portée. C'est vrai pour le secteur du bâtiment. C'est vrai pour notre économie tout entière, que ce soit l'économie traditionnelle ou la nouvelle économie.
Réussir demain, c'est d'abord privilégier les hommes et les ressources humaines. Et à cet égard, je tiens à vous féliciter, cher Président, très vivement pour l'effort de formation sans précédent que vous accomplissez. Avec plus de 170 000 apprentis et lycéens de l'enseignement professionnel, jamais le bâtiment n'aura formé autant de jeunes.
Les efforts de formation sont évidemment essentiels. Bien former, s'ouvrir à l'innovation et aux techniques nouvelles, investir dans la qualité, permettre la formation tout au long de la vie, sont les conditions de la réussite de l'économie d'aujourd'hui.
Au-delà du remplacement annuel d'environ 60 000 emplois, vous avez pu faire face à la croissance de la demande en créant cette année 30 000 nouveaux emplois. C'est un bel exemple pour d'autres secteurs d'activités de notre économie.
Mais vous avez aussi à faire face à une accélération des changements technologiques. Ceux qui étaient déjà dans votre profession il y a seulement dix ans peuvent témoigner des changements profonds des techniques de construction. Ils appellent un effort de formation encore plus important pour vous permettre de poursuivre votre développement et de faire face aux besoins croissants de vos entreprises en main d'oeuvre qualifiée, je dirai même très qualifiée. C'est l'un des grands enjeux de l'avenir, pour votre branche comme d'ailleurs pour beaucoup d'autres.
Réussir demain, c'est aussi investir davantage. L'effort collectif d'investissement de notre pays n'est pas encore au niveau souhaitable. L'investissement doit être favorisé. Il déterminera largement notre croissance future en évitant que notre économie vienne buter sur des capacités de production insuffisantes.
L'exceptionnelle croissance que connaissent les Etats-Unis depuis dix ans s'est accompagnée d'un effort colossal d'investissement. En dix ans, les investissements ont progressé de 15 % en France, de 89 % aux Etats-Unis. Aujourd'hui, c'est à notre tour de privilégier l'avenir en investissant. Ceci est d'autant plus nécessaire que le rythme du progrès s'accélère : dans les voitures de série qui sortent cette année, il y a pIus d'informatique que dans les capsules spatiales Apollo qui nous ont fait tant rêver, il y a trente ans seulement ! Il faut être sans cesse à l'affût et à la pointe de la technologie.
L'Etat ne doit pas se mettre hors jeu. Il doit participer activement à cet effort en consacrant une part accrue de son budget à l'investissement. Chaque fois qu'il est possible, il faut privilégier l'investissement sur le fonctionnement.
Réussir demain, c'est bien sûr donner toutes ses chances à la croissance actuelle. La croissance se gagne. Mais une fois gagnée, il faut l'entretenir et la conserver. Et, pour cela, il faut que le travail paie. Il faut que le travail ne soit pas pénalisé.
Cela est vrai pour les charges. Elles demeurent excessives, même si je constate, et je m'en réjouis, qu'il y a désormais une sorte de consensus sur la nécessité de réduire leur poids, notamment les charges qui pèsent sur le travail peu qualifié.
Ce n'était pas le cas, souvenez-vous, lorsque la politique de réduction des charges a été mise en place par Edouard Balladur en 1993, et poursuivie par Alain Juppé en 1995, ceci en relation très étroite avec vos organisations professionnelles et notamment la vôtre, Monsieur le Président.
Il faut aussi que le travail ne soit pas bloqué par les réglementations. La réduction de la durée du travail ne doit créer ni injustices ni obstacles à l'activité. Il faut prévoir les souplesses nécessaires pour permettre à ceux qui veulent travailler plus de pouvoir le faire librement en étant, bien sûr, davantage rémunérés.
Réussir demain, c'est aussi assurer la pérennité de nos entreprises. Vous l'avez mentionné, cher Président. L'économie française n'est pas une construction abstraite. Ce sont des hommes et des femmes de tout âge, qui travaillent dans des entreprises ou à leur compte, entrepreneurs, artisans, professions libérales. La responsabilité de la Nation est de mettre en place des dispositifs qui permettent la transmission des entreprises dans de bonnes conditions. 50 % de vos dirigeants, m'a-t-on dit, ont plus de 50 ans. Cette situation d'ailleurs n'est pas propre à votre profession, bien entendu. Elle touche quasiment tous les secteurs de l'activité économique. Savoir transmettre les savoir-faire et assurer le maintien de l'outil de travail est donc crucial.
Il est indispensable de revoir les dispositifs fiscaux de la transmission pour les améliorer. Trop fréquemment, ils conduisent à la concentration ou à la disparition des entreprises, notamment familiales. Sur le long terme, c'est l'emploi qui est pénalisé. La qualité aussi, souvent.
La transmission du patrimoine est toujours un sujet difficile dans notre pays. Trop souvent les positions se résument à des considérations extrêmes et définitives. Il est temps d'ouvrir un débat général et dépassionné sur les problèmes de transmission des entreprises. Il y va de l'avenir de notre économie et du maintien de groupes français solides.
Enfin, réussir demain c'est aussi établir de nouvelles relations entre l'Etat et le monde économique. Vous l'avez à juste titre, souligné.
La redéfinition de la place et du champ de la réglementation est indispensable. Les règles sont nécessaires dans une société, nul ne le conteste. Le monde dans lequel nous vivons est un monde de plus en plus complexe. La réglementation se doit d'être exigeante. Je pense à la sécurité. Je pense aux garanties sociales. Je pense aux règles d'urbanisme.
Mais trop souvent, les contraintes et le coût réel de la réglementation ne sont pas appréciés au regard des objectifs poursuivis. Les études d'impact demeurent incomplètes et le coût, pour la société, d'une réglementation nouvelle est jamais ou est mal évalué. Les meilleures intentions peuvent très vite se transformer en monstres juridiques coûteux. Nous en avons un exemple frappant avec la taxe générale sur les activités polluantes actuellement en discussion devant Parlement et à laquelle, d'ailleurs, personne ne comprend rien.
La stabilité de la règle doit devenir un objectif. Certes, face à un monde qui évolue rapidement, la règle doit pouvoir suivre. Mais il ne faut pas confondre adaptation et instabilité. La garantie de règles stables, qu'elles soient fiscales ou administratives, est nécessaire à notre croissance. L'instabilité créée l'incertitude et l'incertitude conduit à l'insécurité. Or, c'est de sécurité dont nous avons besoin pour investir et préparer l'avenir.
Enfin, je souhaite une nouvelle approche de l'impôt.
L'impôt est nécessaire au fonctionnement d'une grande démocratie qui a une haute exigence de services collectifs. Il doit être adapté aux capacités contributives de chacun.
Mais il ne s'agit pas de punir par la fiscalité. Trop souvent, notre fiscalité est conçue dans une optique punitive. L'impôt doit être juste et proportionné mais il doit aussi encourager et inciter. * Notre croissance retrouvée, c'est au travail de tous les Français, c'est à votre travail que nous la devons et vous pouvez chacune et chacun d'entre vous en être fiers. Il ne tient qu'à nous et à notre action d'en garantir l'allure. Je vous ai proposé quelques pistes de réflexion qu'il me paraît utile de suivre pour s'en assurer.
En venant vous voir ce matin, je voulais tout simplement au-delà de mon estime et de mon amitié vous dire ma confiance.
Ma confiance dans votre dynamisme et dans votre action. En quatre ans, le chômage a été diminué de moitié dans votre profession. C'est un beau résultat. Et je le souhaite pour l'ensemble de notre économie.
Ma confiance, parce que la qualité de nos villes, de notre habitat, de notre cadre de vie dépend largement, de vous de vos compétences, de votre imagination, de votre savoir-faire, et je sais l'attention que vous portez à l'évolution des exigences de nos compatriotes, à leurs besoins, et aussi à l'attente de nos élus locaux.
Ma confiance, parce que vous regardez l'avenir, c'est une tradition de votre métier sans complexe, et que vous tentez de voir loin dans cette grande compétition des territoires qui a commencé. Vous voulez être présents demain, vous l'avez dit, cher Président, encore plus forts, encore plus entreprenants. Et croyez le bien, dans ce combat, je serai à vos côtés.
Ma confiance enfin, parce que vous voulez donner toute leur place aux jeunes, à celles et à ceux qui nous entourent aujourd'hui, de façon si symbolique Vous avez raison, naturellement. Ce sont eux les bâtisseurs de la France de demain. Nous devons leur transmettre ce que nous avons de meilleur. Nous devons préparer l'avenir qu'ils bâtiront eux-mêmes. Nous avons besoin d'eux. Nous avons besoin de leur jeunesse, de leur dynamisme.
Je vous remercie. |