DISCOURS
DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
DEVANT LE CONGRES DE LA NATION ARGENTINE
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Buenos Aires - Mardi 18 Mars 1997
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Président de l'Assemblée nationale,
Mesdames, Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs, mes Chers Amis,
Je vous remercie, Monsieur le Président du Congrès, pour un accueil chaleureux auquel je suis sensible, comme j'ai été sensible à vos paroles. La tribune du Congrès de la Nation est, en Argentine, un lieu chargé d'espoir et d'émotion. Elle symbolise la démocratie pleinement retrouvée. Je tiens à saluer ici l'oeuvre accomplie par le Président ALFONSIN puis par le Président MENEM, qui ont su et voulu enraciner les libertés reconquises par le peuple argentin. Je sais le courage, la lucidité et la détermination de vos dirigeants.
Aujourd'hui, la démocratie triomphe partout en Amérique latine. Ce grand mouvement, l'Argentine en a été l'avant garde. Laissez-moi vous dire l'estime et l'admiration de la France.
Vous avez restauré les libertés. Vous avez rétabli l'Etat de droit. Vous avez engagé la réforme et la modernisation de l'administration. Vous avez assaini l'économie, mettant en oeuvre une ambitieuse politique de libéralisation et d'ouverture. L'inflation est vaincue. Votre monnaie est forte et stable. Vous restaurez vos grands équilibres. Vous avez rendu toute sa place à l'initiative individuelle. Votre programme de privatisations a été réalisé dans des conditions que chacun à l'étranger reconnaît comme ayant été exemplaire.
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Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Cette Argentine forte et démocratique, la France s'y sent un peu chez elle. Car c'est une relation exceptionnelle qui nous lie. Symbolisée par votre libérateur, José de SAN MARTIN, nourri des idéaux de la Révolution française et qui choisit d'achever en France sa magnifique existence en forme d'épopée.
Le 3 octobre 1964, le général de GAULLE disait ici même : "Je me trouve ici confirmé dans le sentiment d'une sorte de parenté intellectuelle, doctrinale, et, tranchons le mot, politique, entre votre pays et le mien". Le Général ajoutait : "au fond, il n'y a là rien qui ne soit très naturel. Vous et nous avons des origines dans la latinité et dans la chrétienté. Vous et nous avons puisé aux mêmes sources, que sont la liberté, l'égalité et la fraternité. Vous et nous voulons voir notre monde s'établir dans l'équilibre et dans la paix, sur la base de l'indépendance des peuples, des Droits de l'homme et de l'aide mutuelle en vue du progrès général".
Voilà ce que disait le général de Gaulle, à sa tribune et plus que jamais, les propos du chef de la France libre nous inspirent et sont d'actualité.
Il était donc dans l'ordre des choses que j'achève en Argentine, cette nation soeur, mon premier grand voyage sur le continent sud-américain. Un voyage à la rencontre des quatre pays du MERCOSUR et de leur associée, la Bolivie, avec lesquels la France et l'Europe doivent nouer et développer une relation forte et privilégiée.
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Laissez-moi vous confier les premières impressions que je retire de ce voyage dans cet "Extrême-Occident", dont nous, Français, sommes si proches.
Votre continent a su maîtriser la mondialisation qui marque notre temps. Il a su en tirer partie. Il s'est résolument engagé dans la voie des réformes dont aucun pays ne peut faire l'économie. Il a fait preuve de maturité en lançant un processus dynamique, intelligent d'intégration régionale. Il a montré aussi cette extraordinaire capacité du génie ibéro-américain à résister à l'uniformisation culturelle qui nous menace.
Le principal défi du XXIe siècle sera de réussir une mondialisation inévitable, inéluctable, mais de la réussir au bénéfice de tous, citoyens et pays. La France, qui présidait l'année dernière le G7, a voulu que le Sommet de Lyon soit placé sous le signe de la mondialisation. Pour préparer ce Sommet, j'avais souhaité recueillir les analyses et les réflexions du Président MENEM. Elles m'ont été très précieuses. Bien entendu, j'en ai fait part aux participants du Sommet. Car le Président de la Nation est de ceux qui ont compris que, dans notre monde indépendant, croissance économique et progrès social sont liés à ce processus de mondialisation.
Diffusion de plus en plus rapide de l'information et de l'innovation technologique ; multiplication des emplois qualifiés ; marginalisation, hélas !, de ceux qui n'ont pas de qualification, développement sans précédent des investissements et des échanges dans le monde ; ouverture au commerce international des régions les plus peuplées du monde, notamment en Asie ; possibilité pour davantage de pays en développement d'améliorer leur niveau de vie. Tout cela doit permettre l'accès du plus grand nombre des habitants de la planète au mieux-être.
Mais la mondialisation comporte aussi des risques. Risque, si l'on n'y prend pas garde, d'une aggravation des inégalités entre les hommes ou entre les peuples. Risque d'une marginalisation de certaines régions du monde. Risque de conséquences douloureuses pour l'emploi. Risque d'une instabilité financière accrue. L'ouverture irréversible des marchés exige de tous les pays la poursuite de politiques économiques saines et de réformes structurelles permanentes. La mondialisation, en un mot, doit être maîtrisée par les hommes.
L'une de ses caractéristiques est l'importance nouvelle des investissements à l'étranger dans l'intégration des économies, alors que les échanges commerciaux avaient longtemps été le vecteur essentiel des relations économiques internationales.
Ainsi, les investissements à destination de l'Amérique latine ont véritablement explosé depuis 1990, triplant par rapport à la décennie précédente. Votre région accueille désormais, chaque année, 10 % des flux mondiaux d'investissements directs étrangers dans le monde. Ce chiffre considérable témoigne de la confiance de la communauté financière internationale et de sa volonté de participer à l'extraordinaire rétablissement et développement qu'ont connu depuis sept ans les économies de votre région.
En Europe aussi, pour relever le défi de la mondialisation, nous poursuivons nos efforts de réduction nécessaire de nos déficits publics, d'ajustement structurel, de préparation à la monnaie unique. Mais j'ai toujours à l'esprit la nécessité de protéger notre modèle social européen. N'oublions jamais que la mondialisation doit être au service de l'homme, de son travail, de sa qualité de vie et ne pas être simplement un mouvement financier ou capitaliste. Veillons à ne laisser personne au bord du chemin.
Tous les dirigeants que j'ai rencontrés au cours de ce voyage partagent ma conviction : nous devons conjuguer harmonieusement efficacité économique et justice sociale. Ce défi, parce qu'il est commun à tous les pays du monde, nous devons le relever ensemble. J'appelle de mes voeux un grand partenariat entre nos pays. Je souhaite que la France, l'un des moteurs de la construction européenne, et l'Argentine, pilier du MERCOSUR, puissent conduire le rapprochement nécessaire de nos deux ensembles régionaux et promouvoir une même vision, une vision humaniste du monde de demain.
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Oui, j'admire et j'aime cette nouvelle Amérique latine où l'enracinement de la démocratie et le courage et la sagesse des dirigeants ont permis d'organiser la paix et le développement. C'est un bel exemple pour le monde.
Partout sur notre planète, l'effacement de l'ordre bipolaire, accueilli dans l'enthousiasme et dans l'espérance, a laissé le champ libre à de nouveaux affrontements. Du Golfe arabo-persique au Rwanda et à l'Afghanistan, la violence armée s'est déchaînée.
En Europe même, sur les décombres de la guerre froide et des anciens empires, des guerres ont éclaté. En ex-Yougoslavie, dans le Caucase, crise en Albanie. Des guerres dont la sauvagerie a montré à quelles folies peuvent conduire la xénophobie, le nationalisme, l'intolérance, le rejet de l'autre.
Et c'est d'Amérique latine que nous vient aujourd'hui l'exemple de la sagesse, d'un continent en paix. Paix à l'extérieur, entre les Etats, puisque vous avez su surmonter vos conflits. Paix à l'intérieur de chaque Etat, puisque partout, aujourd'hui, règne et pour longtemps, et pour toujours, certainement la démocratie. Une paix que renforce encore la construction du MERCOSUR.
L'Amérique, du Sud s'est résolument engagée dans ce vaste mouvement d'intégration régionale qu'évoquait tout à l'heure le Président du Congrès et qui répond aux aspirations de tant de pays dans le monde. Pour tous, l'intégration est source de progrès, elle est la meilleure garantie par les liens qu'elle crée de la démocratie et de la paix. Elle est désormais, ici, une réalité, ancrée au coeur de chacun et dont le succès profite à tous.
En levant vos barrières internes, en encourageant les échanges économiques entre vos pays, en créant l'Union douanière, vous avez, comme nous l'avons fait en Europe, mais en un temps record, cimenté une forte solidarité entre des peuples que des rivalités avaient trop longtemps opposés.
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Aujourd'hui, il est dans l'ordre des choses que le MERCOSUR et l'Union européenne se tournent l'un vers l'autre. La France, qui présidait alors l'Union européenne, avait souhaité que des négociations aboutissent rapidement entre nos deux ensembles et elle s'est réjouie de la mise en place, le 15 décembre 1995, d'un accord-cadre de coopération économique et commerciale, c'est historique. Il s'agit du premier accord interrégional liant l'Union européenne à une autre union douanière. Il nous faut maintenant faire vivre cet accord. Lui donner toute son ampleur. Elargir le champ de nos coopérations.
Déjà, cet accord inclut des domaines prometteurs, tels que l'environnement, les technologies de l'information, la culture, l'éducation et la formation des hommes, la santé, le tourisme.
A terme, il faudra parvenir à une libéralisation complète de nos échanges. Cela donnera lieu naturellement et probablement à d'âpres négociations, notamment sur les produits agricoles. Mais il reviendra aux forces vives de nos deux espaces économiques, à nos entreprises, grandes, petites ou moyennes d'approfondir la coopération, de développer l'investissement, de transférer les technologies, d'intensifier les actions de formation des hommes.
Réussir ce rapprochement entre l'Union européenne et le MERCOSUR est une nécessité et c'est une évidence. C'est une grande ambition aussi. C'est pourquoi j'ai été heureux de recevoir à Paris, dès le début de mon mandat, les quatre Présidents de la République des pays du MERCOSUR auquel je suis heureux d'avoir pu rendre leurs visites.
L'Union européenne est déjà le premier partenaire commercial du MERCOSUR. L'Union européenne est le premier fournisseur du MERCOSUR, le premier client du MERCOSUR, le premier investisseur dans le MERCOSUR. Et de plus, l'Union européenne est de très loin le premier contributeur à l'aide au développement pour l'Amérique latine. Et j'ajoute que nous sommes ensembles forgés à partir des mêmes convictions culturelles, de la même culture, du même humanisme, nous sommes des Latins.
Aujourd'hui, nous devons aller plus loin. Je saisis l'occasion solennelle de ma rencontre avec vous pour rappeler un grand projet qui me tient à coeur : la réunion d'un sommet historique et pour la première fois des chefs d'Etat et de Gouvernement d'Amérique latine et d'Europe.
Ce sommet répond à une nécessité. Depuis 10 ans, les relations entre l'Union européenne et l'Amérique latine se sont intensifiées. Si aujourd'hui, le MERCOSUR est le coeur de la coopération régionale de l'Amérique du Sud, s'il a naturellement vocation comme l'Union européenne qui a commencé à six, et aujourd'hui à quinze, et sera demain à vingt-cinq, s'il a vocation à s'approfondir et à s'élargir, c'est plus largement avec le Groupe de Rio, qui réunit l'ensemble des pays d'Amérique latine, que s'est instauré et que doit se développer également le dialogue avec l'Europe.
Ce dialogue, nous devons lui donner une nouvelle dimension, une cohésion et une vision d'ensemble. Soyons ambitieux pour cette ère nouvelle qui s'offre à notre coopération.
Je propose, et j'en ai parlé au Président Carlos MENEM, que ce sommet se tienne à l'automne 1998 - il faut le temps de le préparer - en Amérique latine. En donnant une impulsion décisive aux relations entre l'Amérique du Sud et l'Europe, il doit lancer un véritable partenariat, le partenariat majeur du XXIe siècle. Partenariat politique bien entendu, le MERCOSUR est aujourd'hui, à lui tout seul, la quatrième puissance économique du monde, et sera sans aucune espèce de doute, dès demain, la troisième. Ce qui implique une puissance politique considérable. L'Union européenne est et sera plus encore demain la première puissance économique du monde, surtout quand elle sera élargie à vingt-cinq pays, elle l'est déjà du reste. Il est naturel que nous ayons un vrai partenariat politique car, à ce niveau d'importance et de puissance, aucun événement dans le monde ne peut être ignoré par nous. Nous sommes concernés par tout ce qui ce passe dans le monde, et nous devons être attentifs à tout ce qui pourrait mettre en cause la paix ou tout simplement les conditions de vie des hommes et des femmes, les crises qui peuvent se développer.
Partenariat politique, mais également partenariat économique. Je n'ai pas besoin de développer là, la justification. Mais je me réjouis que, depuis six ans déjà, la France soit le premier investisseur étranger en Argentine.
Partenariat également, sur le plan de l'éducation. Le grand défi de notre siècle, qui se termine et de celui qui s'ouvre, ce sera les problèmes d'éducation des hommes et nous avons dans ce domaine les mêmes difficultés, qu'il s'agisse de l'Amérique du Nord ou de l'Amérique du Sud, qu'il s'agisse de l'Europe ou de l'Asie, nous avons une insuffisance forte d'éducation et de formation des hommes.
Pendant longtemps, le fait de n'être pas instruit, n'avait pas beaucoup d'importance, on pouvait trouver du travail et sa place dans la société. Aujourd'hui, avec l'évolution des techniques, celui qui ne sait pas, celui qui n'a pas la connaissance, celui qui n'a pas une éducation adaptée ou une formation adaptée est rejeté par la société, par la force des choses, il est marginalisé. C'est donc un immense défi pour le monde de demain, et ce défi nous ne pouvons pas le relever individuellement.
L'importance des nouveaux moyens d'information et de communication permet probablement de le relever, mais nous ne le relèverons qu'ensemble et nos deux grands ensembles, le MERCOSUR élargi probablement, l'Union européenne élargie certainement, doivent avoir un fort partenariat pour relever ce défi de l'éducation et de la formation des hommes au siècle prochain.
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Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Cette coopération entre l'Amérique latine et l'Europe, entre le MERCOSUR et l'Union européenne, l'Argentine et la France, deux grandes puissances modernes, doivent en être le moteur.
L'Histoire nous y invite. Nos relations, je l'ai dit, puisent aux mêmes valeurs et aux mêmes idéaux. Nous avons partagé les mêmes combats. Notre pays a été présent aux côtés du vôtre depuis toujours, même avant l'indépendance de l'Argentine. Comment ne pas évoquer tous ces combattants de la Révolution et de l'Empire venus poursuivre leur lutte en Argentine ou en Amérique latine ? Comment ne pas penser à ces échanges incessants d'intellectuels, d'écrivains, d'artistes, de penseurs, de chercheurs qui ont fécondé notre relation depuis deux siècles ? C'est dire l'importance que j'attache aujourd'hui à ma visite chez vous. C'est dire, le mot n'est pas trop fort, l'émotion que je ressens dans cette enceinte.
A Paris, le Président Carlos MENEM a suggéré que nous agissions de concert, dans le domaine humanitaire, en menant, sous l'égide des casques bleus, une opération conjointe en Haïti, je l'ai accepté avec enthousiasme ; Dans le domaine de la lutte contre le Sida, en instaurant une coopération étroite entre nos deux pays, nous l'avons fait. Ces deux projets exemplaires, dans lesquels entrent à la fois le coeur et le savoir-faire, sont aujourd'hui en cours d'exécution.
Dans le domaine politique, nous travaillons ensemble sur les grands dossiers de notre temps. Nous manifestons la même détermination dans la lutte contre le terrorisme dont nos deux pays ont été récemment victimes. La France est à vos côtés pour tout mettre en oeuvre afin de retrouver et punir les auteurs des odieux attentats qui ont frappé jusqu'au coeur de votre capitale, comme ils ont frappé au coeur de la nôtre.
Elle veut également, comme vous et avec vous, lutter contre tous les trafics : drogue, crime organisé, exploitation des enfants. Je le répète, nous sommes confrontés aux mêmes problèmes et c'est ensemble que nous trouverons des solutions.
Notre coopération politique croissante appelle une coordination renforcée de nos deux diplomaties. D'autant que l'Argentine, et la France s'implique toujours davantage dans les opérations et les institutions des Nations unies.
Dans le domaine économique, la France, déjà présente dans les moments difficiles, est fière d'avoir participé, mais c'était son intérêt à la modernisation de votre pays.
Votre plan d'assainissement a porté tous ses fruits en restaurant la confiance et en ramenant l'inflation de 5000 % avant 1989 à pratiquement 0 % en 1996.
Alors qu'une période de croissance brillante s'annonce évidemment pour l'Argentine, la France, qui est le premier investisseur étranger chez vous, souhaite toujours davantage participer au grand mouvement de privatisation et de libéralisation de votre pays. Comme elle souhaite que de plus en plus nombreux soient les intérêts argentins qui se développent dans notre pays.
Très présente dans les activités de gestion des services publics, mais aussi dans les secteurs du pétrole et du gaz, de la grande distribution, de l'automobile, du transport ferroviaire, des télécommunications et de l'agro-alimentaire, l'entreprise France s'engage résolument à vos côtés dans cette grande aventure de la privatisation, de la croissance économique, des transferts de technologies. J'appelle nos entreprises, toutes les entreprises françaises, petites, moyennes ou grandes, à poursuivre cette offensive amicale dans votre pays.
L'Argentine et la France, deux grandes nations agricoles, peuvent là aussi beaucoup apprendre l'une de l'autre. Nous avons décidé de coopérer dans ce domaine et de renoncer à la stérilité des affrontements. Le Salon international de l'agriculture et de l'alimentation du MERCOSUR se tiendra à Buenos Aires, création à laquelle participe le Salon de l'alimentation français, qui est traditionnel. Cette manifestation symbolise bien, je crois, ces nouveaux rapports que nous devons avoir. Nos deux grandes régions agricoles doivent ensemble et c'est possible relever le grand défi du déficit des produits alimentaires qui sera, dans les trente ans à venir, la conséquence de l'évolution démographique du monde.
Notre coopération est aussi intense dans les domaines scientifiques, techniques, éducatifs, linguistiques ou artistiques. Et là nous avons su faire preuve d'originalité.
Je pense au système d'échanges exemplaires que nous venons de mettre en place pour permettre aux enseignants, aux chercheurs de nos deux pays, de développer les projets de recherche de très haut niveau qui favoriseront la formation doctorale d'étudiants argentins et français.
Je veux souligner l'importance de ces recherches conjointes et des transferts de technologie qui sont à la base du développement futur de nos industries.
Cette coopération scientifique prend chaque jour plus d'ampleur. Elle est aujourd'hui structurée par des accords spécifiques conclus par les plus grands organismes français comme le CNRS, l'INSERM, l'INRA, avec le CONICET, partenaire majeur de votre pays.
Je souhaite enfin évoquer d'un mot deux projets particulièrement prometteurs que nous lançons en ce moment :
- la filière francophone d'économie et de gestion d'abord. Issue d'un partenariat entre universités françaises et argentines, elle bénéficie du cofinancement d'entreprises françaises implantées ici. Elle est un exemple de la préparation des jeunes générations aux emplois de demain.
- et aussi le centre franco-argentin des Hautes Etudes qui vient d'être créé à l'université de Buenos Aires.
Comment ne pas souligner enfin le dynamisme des 104 alliances françaises d'Argentine, le plus important réseau d'alliances françaises du monde, et de loin. Aux dizaines de milliers de jeunes Argentins qui étudient le français, répondent (d'ailleurs j'ai observé qu'on l'ignorait souvent), les 55% de jeunes Français qui apprennent l'espagnol à l'école !
Ce même respect, ce même amour de nos langues, cette histoire partagée, cette culture commune, ces échanges ininterrompus depuis plus de deux siècles, expliquent la complicité, le mot n'est pas trop fort, de nos deux pays, de nos deux peuples, de nos deux capitales. Ces liens exceptionnels se sont nourris des plus forts mouvements d'immigration de Français, qui traditionnellement n'immigrent pas beaucoup, dans le monde, puisque plus de deux cent mille de mes compatriotes se sont installés chez vous.
Cette complicité a traversé l'Histoire. Elle vient de s'exprimer, de la plus belle manière, par la récente élection à l'Académie française de M. Hector BIANCIOTTI, que je salue amicalement ici. La France tout entière est fière, très fière, de compter, grâce à lui, non seulement un des esprits les plus éminents de notre temps, et de le compter désormais parmi ses Immortels. Avec lui, c'est le génie argentin tout entier qui est, une fois de plus, venu enrichir notre culture. Ce génie me fait penser également à celui de BORGES, d'Ernesto SABATO, de Bioy CASARES et de tant d'autres grands auteurs, créateurs et penseurs de renommée mondiale.
Aujourd'hui, le grand metteur en scène argentin, Alfredo ARIAS, triomphe à l'Opéra de Paris avec le célèbre Carmen de Bizet. Et je pourrais multiplier naturellement les exemples.
C'est dire combien est forte et vivace l'extraordinaire relation culturelle argentino-française qui nous invite à lutter ensemble, dans le monde, pour le respect de l'identité et de la spécificité de nos cultures et de nos langues.
Nos valeurs s'imposeront avec d'autant plus de force qu'elles s'exprimeront dans nos langues respectives qui constituent un patrimoine irremplaçable pour l'humanité tout entière.
La France attache une grande importance à la francophonie pour préserver la spécificité et la richesse de ce regard différent que portent ensemble sur le monde, à travers la même langue, des centaines de millions d'hommes et de femmes venus d'horizons les plus lointains et appartenant à 51 pays différents. Et je connais la force et le rayonnement des langues et des cultures ibéro-américaines, qui ont tant influencé et influencent encore tant la culture européenne. Face à l'évolution des techniques de communication, nous devons unir nos efforts pour sauvegarder la diversité, et donc la richesse, culturelle et linguistique du monde.
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Nous avons beaucoup fait ensemble et nous avons encore beaucoup à faire. Nous n'oublierons jamais l'explosion de joie qui souleva en août 1944 votre capitale, quand Paris fut libéré. Buenos Aires et le peuple argentin vibrèrent alors à l'unisson pour la fin du calvaire français. L'écho de cette fraternité de l'Argentine bouleversa l'adolescent que j'étais alors. Oui, entre nous, la complicité, la confiance, l'amitié, sont la règle.
C'est un message de confiance que j'ai voulu vous apporter aujourd'hui. Confiance sans faille dans l'âme argentine, dans l'Argentine moderne, puissante, démocratique, réconciliée avec elle-même. Confiance dans cette fille aînée de l'Europe latine, au coeur du nouveau monde. Soutien résolu à l'immense rénovation engagée avec courage par votre peuple. Volonté qu'un dialogue au plus haut niveau nous réunisse à chaque instant pour l'affirmation de nos identités. Espoir d'un partenariat privilégié avec notre soeur latine, toujours si proche de notre coeur.
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En quittant ce soir Buenos Aires, au terme de cette première tournée en Amérique du Sud, en voyant par le hublot s'éloigner le Rio de la Plata, j'aurai, gravée en moi, cette soif de France rencontrée chez vous, qui répond à notre amour, le mot n'est pas trop fort, pour votre pays et votre continent.
Et j'ai confiance en notre capacité à forcer ensemble le destin du monde. Je vous remercie. |