DISCOURS DE M. JACQUES CHIRAC
A AJACCIO
(CAMPAGNE ELECTORALE POUR L'ELECTION PRESIDENTIELLE)
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MARDI 16 AVRIL 2002
Mes chers amis, Mes chers compatriotes,
Il est des moments forts. Des moments intenses. Des moments d’émotion partagée qui font vibrer à l’unisson le coeur des hommes. C’est l’un de ces moments privilégiés que je vis avec vous ce soir. Merci à Roland FRANCISCI de l’avoir suscité. Merci pour son action. Merci pour ses propos chaleureux.
Merci à Nathalie PINELLI et à Laurent MARCHANGELI d’avoir ouvert notre réunion sous le signe de la jeunesse et du dynamisme.
Merci à José ROSSI dont la présence aux côtés des Parlementaires de l’île Roland FRANCISCI, Paul NATALI et Paul PATRIARCHE est bien le signe de l’union de l’opposition républicaine.
J’ai le plus grand plaisir également à saluer Jean BAGGIONI qui depuis dix ans dirige avec passion et efficacité une région au statut particulier et aux difficultés multiples.
Merci à vous toutes et à vous tous, venus de toute l’Ile, d’avoir rendu possible ce rendez-vous de l’amitié, et de montrer ainsi que la légendaire hospitalité corse n’est pas un vain mot !
Cette réunion, cette rencontre, revêt à mes yeux une importance toute particulière. Car ici, en Corse, se joue dans une certaine mesure la capacité de notre République à faire vivre ses valeurs et à répondre sereinement aux évolutions de notre société. Et cet enjeu, nous devons le garder présent à l’esprit pour trouver une solution aux problèmes que rencontre la Corse. Car je le dis avec force, il n’y a pas de " problème corse ", il y a des problèmes en Corse. C’est différent et, à dire le vrai, cela n’est pas nouveau !
Je suis venu ce soir vous parler, bien sûr, de ces problèmes et de ce que fera, pour les résoudre, le Gouvernement que je mettrai en place si je suis élu. Mais je suis venu d'abord vous parler de la France comme je l'ai fait à Marseille, à Bordeaux, à Poitiers, à Amneville ou à Rouen.
La France, cette Nation dont vous êtes devenus les enfants en 1789. Depuis ce jour où votre député SALICETTI, délégué à l'Assemblée des Etats Généraux, proposa, et obtint par acclamation, que la Corse soit française, et que ses habitants soient régis par la même Constitution que les autres Français. Depuis, vous avez vécu les grandes heures de notre histoire. Par Napoléon Bonaparte, vous en avez écrit parmi les plus fortes. Vous en avez aussi partagé les heures sombres. Vous vous êtes battus et avec quel courage, pour la France.
15 000 Corses, faut-il le rappeler, ont donné leur vie lors de la première guerre mondiale. Des villages entiers ont été privés de leurs forces vives. Il n'est que de lire les noms figurant sur les monuments aux morts qui jalonnent l'île pour prendre la mesure de la tragédie que cela a représenté. Ce fut le début d'une évolution pernicieuse dont nous voyons encore les conséquences aujourd'hui. Exsangue, la Corse, impuissante à nourrir et à former tous les enfants qui lui restaient, dut se résoudre à voir nombre d'entre eux la quitter pour aller exprimer ailleurs leur génie et leurs talents. Dans la seconde guerre mondiale, vous avez résisté. Je salue vos héros. Je salue vos patriotes dont certains sont là ce soir. La Nation n'oubliera jamais ce qu'elle doit à la Corse.
Nier que la Corse fait pleinement et librement partie de la nation française, c’est nier que c’est en Corse que se sont élaborées certaines des idées qui ont inspiré la Révolution Française. C’est nier la singularité et la maturité des Corses qui ont souvent donné l’exemple en matière de démocratie. En ne courbant pas l’échine devant ceux qui veulent s’imposer à eux par la violence et par les armes, en refusant le régime de la terreur, en rejetant l'engrenage de la haine, les Corses, à l'image de ce collectif de femmes qui a osé dire "non", donnent une leçon de sagesse et de responsabilité. Oui, je le dis avec force, avec respect, avec conviction, la Corse, française par son choix, doit rester pleinement ancrée dans la République française car c'est le choix des Corses ! Un choix qu'ils ont exprimé à maintes reprises par le passé. Un choix qu'ils ont défendu au péril de leur vie. Un choix qu'ils ont ratifié, depuis, à chaque élection.
Mes chers amis, que signifie aujourd’hui le fait d’être Français ? Voilà la question de fond, la question centrale, qui détermine tout le reste. Quelles sont les valeurs que nous avons en commun, quels sont nos devoirs, nos espoirs, les messages dont nous pouvons être porteurs dans le monde, ici et ailleurs, dans nos régions et hors de nos frontières ? Les pays ont une âme. Celle de la France nous parle d’égalité et de fraternité, d’universalité et de ruralité, d’unité et de diversité. De liberté aussi. Cette liberté qui, chez nous, se confond avec l’idée même de la République.
Je crois en la France. Et je la crois suffisamment grande, suffisamment forte, suffisamment rayonnante pour relever ce triple défi, que constituent la décentralisation, la mondialisation et l’Europe. Notre pays ne perdra pas son âme en rénovant l’équilibre de ses pouvoirs. Il ne perdra pas son âme en s’engageant résolument dans la mondialisation. Il ne perdra pas son âme en poursuivant et en animant la belle aventure de la construction européenne. C’est quand la France est pleinement elle-même, audacieuse et entreprenante, qu’elle se met en position de gagner. Le repli sur soi et la frilosité ne nous ressemblent pas. Une France plus forte dans une Europe plus puissante, une France plus unie et plus équilibrée dans un monde plus ouvert, voilà la France que j’appelle de mes voeux. Voilà le dessein que je vous propose. Voilà le projet que je vous soumets.
Notre société est en proie à des maux préoccupants. La transmission de certaines valeurs ne se fait plus. Les repères s'effacent. La violence déborde. Le socle sur lequel repose notre pacte républicain est fissuré. L’idée de responsabilité a été peu à peu dévaluée. Le Gouvernement socialiste, prisonnier de son idéologie et de ses alliances, a failli à ses missions essentielles. Il a montré son impuissance à marquer clairement les limites, à imposer son autorité, à faire respecter la loi. Immobile et conservateur, il n'a pas su anticiper l'avenir et profiter de la croissance pour réaliser les réformes nécessaires, comme celle des retraites ou celle de l'Etat.
Les inégalités ont progressé parce qu’un monde sans autorité, c’est un monde où ne peut prospérer que la loi du plus fort. Un monde où le plus faible, le plus seul, le plus démuni est toujours à la merci de l’autre. Aucune société civilisée ne saurait l’accepter. Pour ma part, je ne le tolère pas.
C’est pourquoi, j’ai fait du rétablissement de l’autorité de l’Etat et du retour au respect de la loi deux des piliers de mon projet pour la France, le socle de toute action publique responsable et respectueuse. Parce qu’il a forgé son identité en tant que nation sur les valeurs des droits de l'homme, notre pays doit porter haut cette ambition du bien commun et de l’intérêt général. Notre bien commun, c’est notre culture. C’est cette vision de nous-mêmes que nous nous transmettons de générations en générations. C’est ce qui fait que nous sommes Français : une vision universelle des droits de l’homme. La volonté d’oeuvrer pour ce qui nous transcende. L’ouverture vers le large. L’enracinement dans une terre et la capacité de rencontrer et d’accueillir l’autre. Tel est l’idéal français.
C’est cet idéal qui donne tout son sens à notre projet collectif. Je vous le disais tout à l’heure, je crois en la France. Je crois en une France réconciliée avec elle-même. Je crois en une France débarrassée des idéologies du passé qui font s’affronter les hommes en de stériles querelles. Je crois en une France fière des combats qu’elle mène dans le monde au service de ses idéaux. Je crois en une France qui se projette et qui se bat, en une France qui travaille, en une France solidaire, en une France généreuse.
En un mot, depuis cette terre corse qui a tant fait pour elle, j’affirme que je crois en la grandeur de la France. Cette grandeur, nous en sommes tous dépositaires. Il appartient à chacun d’entre nous de la faire vivre. Dans l’absurde idéologie de relativisme et de dérision qui s’est imposée depuis les années soixante-dix, on a voulu confondre grandeur et arrogance, grandeur et mépris. Mais qui dira la grandeur de l’instituteur soucieux de transmettre son savoir dans des conditions chaque jour plus difficiles ? Qui dira la grandeur de ces centaines, de ces milliers d’artisans et d’agriculteurs qui ont la religion du travail bien fait, de ces fonctionnaires qui se dévouent pour le service public, de ces entrepreneurs qui se battent pour gagner des marchés et créer des emplois ?
Ce sont tous ceux-là, avec bien d'autres, qui font la France. A tous ceux-là, je dis ce soir : oui, la France a besoin de vous, de chacun d’entre vous pour continuer à être elle-même, pour faire vivre ses idéaux, pour peser sur les affaires du monde ! Oui, la France a besoin de vous pour offrir un avenir à ses enfants ! Notre jeunesse est pleine de talents, d’énergie, de vitalité : il nous appartient de lui donner les moyens de les exprimer. Ce n’est pas respecter les jeunes que vouloir les maintenir dans un système d’assistanat en leur proposant revenus ou emplois au rabais. J’ai pour ma part une autre vision de ce qu’on leur doit : un projet collectif digne d’adhésion, fondé sur des valeurs partagées, la certitude de voir leurs efforts récompensés, leur travail reconnu, la perspective de pouvoir faire des expériences sans être enfermés dans un carcan de règles étouffantes qui stérilisent toute créativité. Les jeunes ont besoin de liberté, ils ont besoin qu’on leur fasse confiance.
Répondre à ces aspirations, à ces besoins, c'est tout le sens du projet que je développe et que je soumets à l'approbation des Français : rétablir l'autorité de l'Etat. Renforcer la cohésion de la Nation par le respect et la solidarité. Mettre un terme à la violence. Redonner à la justice sa sérénité. Libérer les énergies créatrices des citoyens et des collectivités. Nous débarrasser des excès de la bureaucratie et du poids excessif de la fiscalité. Faire émerger l'Europe comme puissance et jouer pleinement notre rôle dans le monde.
Tâches combien exaltantes, qui ne pourront s'accomplir au cours des prochaines années que si vous adhérez pleinement à ces idées, et si vous m'apportez tout votre soutien.
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Mes chers amis,
J’aime la Corse et je la rêve réconciliée, je la rêve entreprenante, je la rêve audacieuse. Les problèmes sont grands, c’est vrai, mais les atouts sont immenses : une situation exceptionnelle au coeur de la Méditerranée. Une terre généreuse, un environnement préservé et qui doit continuer à l'être. Des hommes et des femmes passionnés, capables de se projeter dans de grandes aventures, et qui, outre l'Empereur, ont donné à notre pays tant de personnalités exceptionnelles parmi ses plus grands administrateurs, ses plus grands soldats, ses plus grands médecins, ses plus grands avocats, ses plus grands professeurs.
Aujourd'hui malgré un taux de chômage toujours plus élevé que dans le reste du pays, malgré une situation de violence politique qui éloigne les investisseurs, malgré des équipements de base souvent défaillants, des jeunes créent, des jeunes produisent, des jeunes travaillent et innovent. Il n'y a pas de fatalité de l’échec. Ces jeunes Corses qui donnent le meilleur d’eux-mêmes dans l’agriculture, dans l’entreprise, dans le tourisme ou dans la culture, je veux aujourd’hui les donner en exemple. Deux d’entre eux vous ont parlé tout à l’heure. Ils vous ont livré leurs espoirs et leurs attentes, leurs indignations et leurs colères, leur refus de se laisser enfermer dans des schémas dépassés, leur volonté de prendre leur destin en mains. Leur message doit être entendu, leur volonté d'agir doit être accompagnée.
Après ces années sombres, la Corse, terre ardente et puissante, a besoin de bien d’autre chose que d’un rafistolage institutionnel qui la placerait en marge de la République ! La Corse a besoin de respect ! La Corse a besoin de sérénité ! La Corse a besoin d’offrir un avenir à ses jeunes, dans le cadre d’une décentralisation active et rénovée ! Et pour cela, en tout premier lieu, la Corse et les Corses ont besoin que soit mis définitivement un terme à la violence qui sape les fondements même de la paix sociale sur l’Ile, qui empêche tout investissement privé, qui écoeure les bonnes volontés et exacerbe les autres !
Roland Francisci le dénonçait tout à l’heure : 40 assassinats et près de 400 attentats en Corse au cours des deux dernières années. C’est intolérable. C’est inacceptable. Nous devons condamner avec une extrême fermeté la dérive mafieuse de certains groupes. Ils portent une lourde responsabilité dans les problèmes auxquels se heurte le développement de l’Ile.
Pour l’avoir dénoncé en son temps, un homme de bien, grand serviteur de l’Etat, est mort lâchement assassiné. Après quatre ans, son meurtrier présumé n’a toujours pas été arrêté. Des rumeurs d’amnistie ont couru. Courent encore. Devant vous ce soir, j’en renouvelle l’engagement solennel : pour Claude ERIGNAC, pour sa famille, pour ses amis, pour l’honneur de la France, justice sera rendue. Que ceux qui, de près ou de loin, ont été mêlés à ce crime, ne nourrissent à ce sujet aucune illusion. Il n’y aura pas d’amnistie. Il n’y aura aucune indulgence. Il en va de l’intérêt de la République. Il en va de l’intérêt de la Corse.
Aujourd'hui la sécurité figure plus que jamais au premier rang des préoccupations de tous nos compatriotes.
Le fléau de l'insécurité n'épargne plus personne. Mais il frappe d'abord les plus modestes, les plus démunis. Il constitue une réelle injustice sociale. Il fait obstacle à l'exercice des libertés individuelles les plus élémentaires, telles que la liberté d'aller, de venir, de s'exprimer.
Dans une société minée par l'insécurité, nombreux sont nos concitoyens qui se sentent abandonnés par les pouvoirs publics. A ceux qui tentent de minimiser cette évolution inquiétante, la réalité des faits inflige, hélas ! un cinglant démenti. C'est vrai sur le continent. C'est vrai en Corse.
Toutes les formes de violence se donnent désormais libre cours ici, qu'elles tiennent à la délinquance banale, au banditisme crapuleux et mafieux ou au terrorisme.
Pour le gouvernement qui, en 1997, avait déclaré qu'il ferait de la lutte contre l'insécurité sa seconde priorité, l'échec est cuisant. Tiraillé entre les divers courants qui traversent la majorité plurielle, il s'est révélé incapable de définir une politique claire et cohérente. L'Etat, face à la flambée de l'insécurité, semble paralysé.
Pour faire reculer l'insécurité, toutes les énergies doivent être mobilisées.
D'abord celles des services de l'Etat qui se trouvent en première ligne, la Police et la Gendarmerie.
Ils exercent, ils le démontrent ici, en Corse, d'une manière permanente, un métier difficile, souvent dangereux. Chaque année sur l'ensemble du territoire national, plusieurs d'entre eux tombent victimes du devoir, et nombreux sont ceux qui sont blessés dans leur chair.
Je tiens, plus particulièrement ici, à saluer une nouvelle fois l'exceptionnel dévouement et la remarquable compétence professionnelle de ces hommes et de ces femmes qui ont la lourde charge d'assurer la sécurité de leurs concitoyens.
Ils se sont acquis l'estime et la reconnaissance de la Nation.
Je leur renouvelle l'expression de ma chaleureuse sympathie, de mon soutien et de mon entière solidarité.
C'est le devoir de tous les responsables publics de les soutenir, de les respecter, de les rétablir dans leur prestige et leur dignité, et de leur donner tous les moyens de mener à bien leur mission.
Cela suppose notamment que l'Etat leur fasse confiance, qu'il libère leur capacité d'initiative, dans le respect des principes républicains, qu'il enrichisse leurs tâches et les soutienne en cas de difficulté.
Plus largement il importe que l'Etat soit davantage, en Corse, à l'écoute des attentes de tous ceux qui le servent. Je pense aux magistrats, aux agents de tous les services publics, quels qu'ils soient, qui doivent pouvoir apporter sereinement à la Corse, à ses collectivités, à ses établissements scolaires, à ses entreprises, à tous les citoyens de l'Ile leur disponibilité, leur expertise, leur sens de l'intérêt général, la garantie des droits.
La plus grande épreuve de vérité pour le politique, c'est de démontrer sa capacité à garantir la sûreté, la dignité, la liberté de chacun. C'est l'engagement que je prends devant vous.
Le deuxième axe d'action pour l'Etat sera la pleine réalisation des engagements contenus dans la loi du 22 janvier. Rien ne serait plus dangereux que de retarder ou de rétrécir les dispositions prises tant en matière de transferts de compétences que de mise en oeuvre des mesures fiscales ou de développement économique.
J'inviterai donc le prochain gouvernement à procéder à cette clarification des compétences entre l'Etat et la collectivité territoriale, et à l'imposer aux bureaux parisiens. A réaliser dans leur plénitude les transferts de personnels et les transferts financiers qui sont indispensables à la collectivité territoriale pour assurer ses responsabilités. A affecter les crédits nécessaires à la réalisation d’un programme exceptionnel d'investissements, afin que ce programme soit réalisé, sans délai et dans toute son ampleur. C'est à ces conditions que l'île rattrapera son retard et s'insérera, avec tous ses atouts, dans l'économie moderne de l'Europe et de la Méditerranée.
S'agissant des mesures d'incitation fiscale, j'ai entendu, ici comme à Bastia, exprimer des regrets pour l'abandon du système de zone franche que le gouvernement Juppé avait mis en oeuvre. Je partage ces regrets. Mais là, comme en d'autres domaines, le gouvernement socialiste a voulu changer pour changer, sans se préoccuper des conséquences.
J'ai entendu aussi dénoncer certaines insuffisances de dispositions en matière de crédit d'impôts et on peut effectivement regretter que les propositions du Sénat, amendant le texte gouvernemental, n'aient pas été retenues. Il y a là sans doute matière à réflexion et je demanderai qu'on procède aux aménagements nécessaires. Car l'objectif est bien de donner un nouveau départ à l'économie de l'île, d'exploiter dans le respect de l'environnement toutes ses richesses potentielles, agricoles, maritimes, touristiques. Nous savons où sont les handicaps. Nous serions fautifs de ne pas donner aux acteurs publics ou privés la possibilité de les surmonter.
J'aborderai enfin la question du statut de la Corse pour dire simplement, mais solennellement, que je n'accepterai pas demain, en 2004 ou en quelque autre date, ce que j'ai refusé hier. Je n'accepterai pas que la Corse soit écartée de la République.
Que par son insularité, par son identité forte, sa situation économique, sa position en Méditerranée, elle occupe une place particulière dans la République, nous pouvons tous l'admettre. En revanche, nous devons refuser toute dérive institutionnelle, qui, par étapes successives, l'engagerait dans des voies contraires à celles qu’emprunteraient les autres parties du territoire national.
Pour moi, je le redis, la République est une. La loi s'applique à tous, et seul le Parlement peut la voter.
Dans les débats qui agitent l’Ile depuis trois décennies, tout, loin de là, n’est pas à rejeter. Ceux qui, avec l’enthousiasme des idéaux de leurs vingt ans, ont milité pacifiquement les premiers pour le renouveau de la culture corse, pour un mode de développement adapté et respectueux des particularités locales, ont été des pionniers. Pionniers pour la Corse, ils ont questionné notre pays sur sa capacité à rester lui-même en faisant droit aux aspirations légitimes de ses régions. Oui, il n’est pas exagéré de reconnaître que ces jeunes corses, aujourd’hui directeurs d’écoles, entrepreneurs mutualistes ou chanteurs, ont contribué à renouveler le débat sur la décentralisation et sur la régionalisation.
Nous sommes là au coeur du projet que je propose aux Français, que je vous propose, pour les cinq ans à venir. Libérer les énergies, en mettant en oeuvre, sur l’ensemble du territoire national, et non sur une fraction isolée de celui-ci, une autre architecture des pouvoirs, qui permette, dans le respect de nos institutions et de nos valeurs républicaines, de donner une impulsion nouvelle à nos régions. Cette question est aussi celle de la société que nous voulons construire pour demain. Comment concilier unité nationale et épanouissement local ? Comment répondre aux attentes de proximité sans mettre à mal l’intérêt général ? Comment laisser vivre les initiatives privées sans porter atteinte à l’égalité entre les citoyens et à la nécessaire solidarité ? Autant de questions auxquelles nous devons tâcher d’apporter des réponses justes, avec humilité et passion, car, de notre capacité à relever ces défis, dépendra pour beaucoup le visage que nous donnerons à notre pays pour les prochaines décennies.
Pour ma part, je propose une réforme profonde du Titre XII de notre Constitution traitant des rapports entre l'Etat et les collectivités locales, en allant au-delà du concept de libre administration, et en dépassant les notions habituelles de décentralisation et de déconcentration. Il s'agira tout à la fois de donner plus de pouvoirs aux citoyens, et de faire en sorte que les décisions soient prises au meilleur niveau de compétence et d'expérience. L'Etat sera recentré sur ses missions essentielles et délesté d'un certain nombre de tâches, afin de retrouver une efficacité et une autorité aujourd'hui affaiblies.
Ainsi, l’avenir institutionnel de la Corse s’inscrira dans un mouvement d’ensemble du pacte républicain. Cette égalité de traitement est cruciale. La loi doit rester la même pour tous, partout en France. Il faut mettre un terme à une politique de fuite en avant qui a donné à croire que seules les régions en proie à la violence de quelques extrémistes sont susceptibles d’obtenir des avantages supplémentaires.
Je veux une réorganisation des structures du pays équitable et ordonnée. C’est tous ensemble, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs, que nous repenserons les pouvoirs dans la République. C’est cette égalité de traitement qui permettra d’ancrer le statut rénové de la Corse dans celui, modernisé, de la République. C’est cette égalité de traitement qui permettra de répondre à la demande de proximité locale sans pour autant ouvrir la porte aux surenchères particularistes.
Je veux que cette réorganisation soit vécue, voulue par les citoyens eux-mêmes. Parce que ce thème interpelle l’ensemble des pouvoirs de la République, parce qu’il intéresse les Français et touche leur mode de vie, acteurs publics, acteurs privés, citoyens, associations intéressées, seront associés à l’organisation d’états généraux. Un large et grand débat se déroulera dans toute la France. La Corse et les Corses y prendront toute leur part. Ce débat ouvrira la voie d’une grande réforme de l'architecture des pouvoirs qui sera soumise à un référendum national.
Je veux que cette réorganisation soit source de clarification. L’avenir de la décentralisation doit reposer sur la complémentarité politique. Entre les communes et les structures intercommunales, entre les départements et les régions, il conviendra d’organiser, sur une base volontaire, une articulation plus efficace et plus cohérente et de garantir l'autonomie financière de ces collectivités.
Je veux un véritable transfert des responsabilités. Je propose d’accroître les responsabilités des collectivités territoriales notamment en matière d’aménagement du territoire, d’aides économiques, de formation professionnelle, de culture, de solidarité, de logement, et - pour les municipalités - de sécurité.
Cet accroissement des compétences des collectivités locales sera enrichi par un droit à l’expérimentation. Formalisé et encadré par notre Constitution, ce droit permettra à l’Etat et aux collectivités territoriales de tester, sous le contrôle du Parlement, de nouvelles politiques avant de les généraliser. La Corse, comme les autres régions, disposera de cette faculté.
Enfin, j’entends élargir le recours au référendum et l’ouvrir à l’initiative populaire. La démocratie française doit être plus intense. Les Français sont avides de participation. Ils veulent débattre entre eux, être entendus, être acteurs et non spectateurs de la politique. Les conditions du référendum local, pour l’heure exclusivement prévu au niveau municipal et seulement consultatif, seront facilitées et étendues aux départements et aux régions pour les affaires qui les concernent.
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Mes chers amis,
Mes chers compatriotes,
Voici mon projet pour la France et pour la Corse.
Une France confortée, renouvelée, revivifiée, débarrassée de ses rigidités.
Une Corse fraternelle, qui exprime librement son génie, sa singularité sans s'écarter de l'ensemble français, et qui vive une véritable renaissance.
Quelles que soient les difficultés, quelles que soient les incompréhensions qui nous attendent, c'est l'espoir d'écrire une nouvelle page que nous devons, ensemble, faire naître et faire vivre.
D'Ajaccio, je lance un appel à toutes les femmes et à tous les hommes de bonne volonté. J’appelle les Corses, plus libres et plus responsables dans la conduite de leurs affaires, toujours plus assurés de la solidarité nationale, à se tourner avec confiance vers l'avenir. A s’engager résolument sur les chemins de la paix et du progrès.
Ainsi, la Corse prendra toute sa part à la grandeur et au rayonnement de la France.
Vive Ajaccio ! Vive la Corse ! Vive la République ! Vive la France ! |