CONFERENCE DE PRESSE
DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
ET DE MONSIEUR GERHARD SCHROEDER CHANCELIER DE LA REPUBLIQUE FEDERALE D'ALLEMAGNE
A L'ISSUE DE LEUR DEJEUNER
DRESDE
JEUDI 4 SEPTEMBRE 2003
LE CHANCELIER SCHROEDER – Mesdames et Messieurs, je voudrais vous saluer et je me réjouis beaucoup de la visite du Président de la République française à Dresde, qui est venu en compagnie de son épouse. Mon épouse et moi et le couple français nous intéressons beaucoup à tous les aspects culturels de Dresde et même si bien sûr nous avons parlé politique, nous tenions aussi à profiter de la richesse culturelle de Dresde et à la montrer à nos amis français.
Alors qu'est-ce qui vraiment fonde cet esprit amical de nos relations qui se renouvellent toutes les six semaines, eh bien il y a deux certitudes sur lesquelles se fonde notre amitié : la première, et la preuve en a été administrée depuis maintenant des décennies, c'est que nos deux peuples dépendent l'un de l'autre, que la prospérité de l'un détermine celle de l'autre. Et que dans le domaine de la coopération en Europe, il n'y a pas non plus quoi que se soit qui puisse remplacer l'amitié franco-allemande.
Ainsi puisque l'entente est ce qu'elle est, nous n'avons pas eu besoin d'aborder de problèmes bilatéraux puisqu'il n'y a pas de problèmes bilatéraux. Nous nous sommes donc consacrés aux questions européennes et à la situation internationale. En ce qui concerne l'Europe, nous sommes tous les deux déterminés à faire de la présidence italienne un succès, et ce succès s'incarnera dans l'adoption de la Constitution, du projet de Constitution européenne dont nous espérons qu'il pourra être adopté avant la fin de l'année. Et nous voulons tout mettre en oeuvre pour que le travail réalisé par la Convention, sous la houlette de M. GISCARD D'ESTAING, ancien Président de la République française, soit conforté et confirmé. Et nous sommes convaincus que pour cela, il faut éviter de " détricoter le paquet " comme on l'a dit parce que si on commence à ouvrir la boîte de Pandore, le risque est grand qu'on ne puisse la refermer. Même si l'un et l'autre nous pourrions avoir encore tel ou tel souhait de correction, nous pensons que le mieux est d'adopter le projet de Convention en l'état.
Nous saluons tous les deux également l'initiative pour plus de croissance, lancée par la présidence italienne. Nous avons fait les uns et les autres des propositions pour enrichir encore cette initiative en complétant les projets de développement d'infrastructures par le domaine de la recherche et du développement.
Bien entendu, nous avons parlé de la situation internationale, et pour l'essentiel de l'Irak : vous savez que la France et l'Allemagne avec la Russie, ont étroitement coopéré avant la guerre pour éviter cette confrontation militaire mais quoiqu'il en soit maintenant ce qui importe, c'est de permettre à l'Irak de retrouver la stabilité pour lui permettre d'aller vers la démocratie. Il faut aller de l'avant et pour cela, il faut que les Nations Unies assument la responsabilité du processus politique et il faut que soit mis en place en Irak un gouvernement qui soit en mesure d'assumer la responsabilité du bon fonctionnement du pays, bien entendu avec l'aide qu'il faudra lui apporter pour lui permettre d'exercer parfaitement le pouvoir et la souveraineté. Et avant, comme après la guerre, la France et l'Allemagne travailleront étroitement de concert pour que ce processus de stabilité aboutisse et qu'il contribue à la pacification du Proche-Orient, ce qui est non seulement dans l'intérêt de nos deux pays mais aussi de l'Europe tout entière.
LE PRESIDENT – Je voudrais tout d'abord remercier le Chancelier d'avoir organisé cette rencontre, traditionnelle, mais ici à Dresde, et dire ma joie de retrouver cette ville qui incarne à la fois la culture, les richesses de l'Europe mais aussi ses souffrances, et ses divisions, ses drames et donc qui a une vocation particulière à incarner ces espoirs et en particulier l'espoir de cette union très solide qui se conforte année après année entre nos deux pays.
Je ne reviendrai pas sur ce qui a été évoqué entre nous car le Chancelier l'a parfaitement décrit. Sur l'évolution institutionnelle de l'Europe, nous avons un point de vue totalement commun sur la nécessité de soutenir la présidence italienne dans ses ambitions légitimes mais aussi de soutenir la proposition de mise en oeuvre d'une initiative de croissance, notamment par la proposition allemande à laquelle nous adhérons complètement. Sur tous ces sujets qui concernent la construction européenne, nous avons une identité de vues complète.
Sur les autres sujets, conflit israëlo-palestinien, problème de l'Irak de demain, problème de l'Afghanistan, de l'Iran, de l'Afrique, sur tous ces problèmes je ne reviendrai pas, ce qu'a dit le Chancelier correspond parfaitement à ce que pensent les Français, et donc je ne ferai pas de plus longs commentaires.
Je dirais simplement pour conclure qu'une fois de plus ces entretiens font apparaître quelque chose qui, au-delà de l'instant, est infiniment plus important, c'est que, je le disais tout à l'heure, au fil des ans, l'unité, l'union entre l'Allemagne et la France, se fondent sur des réalités, des comportements, des réactions qui sont identiques, et ça, c'est un élément déterminant de la construction de l'Europe de demain. Je voudrais le souligner et m'en réjouir, en remercier aussi naturellement le Chancelier.
QUESTION – L'Allemagne vient de proposer une série d'initiatives afin de relancer la croissance, j'ai cru comprendre que la France y adhérait. En quoi cette initiative est-elle complémentaire des propositions italiennes ?
La deuxième question concerne le Proche-Orient. Le Président ARAFAT a dit que la feuille de route était selon lui morte, est-ce que vous partagez cette analyse ?
LE CHANCELIER SCHROEDER – Je vais répondre à vos deux questions. D'abord la France, sur la première question, a dit très clairement que l'orientation de l'initiative de la présidence italienne sur le développement des infrastructures, était insuffisante et qu'il fallait compléter l'initiative pour plus de croissance, et c'est la raison pour laquelle ensemble nous avons estimé qu'il fallait en effet évoquer la recherche et le développement dans cette initiative pour la croissance dans le droit fil de ce dont nous étions convenus à Lisbonne. Et je suis persuadé que la Présidence italienne sera tout à fait d'accord pour intégrer ces propositions franco-allemandes à sa propre initiative donc je pense qu'il n'y aura là aucun problème.
Deuxièmement, en ce qui concerne le Proche-Orient, malgré les difficultés incontestables que l'on observe à l'heure actuelle dans cette région, rien ne justifierait que l'on parle d'une mort de la feuille de route et toutes possibilités existantes qui permettraient de faire avancer les choses doivent être saisies.
LE PRESIDENT – J'aurais dit la même chose.
QUESTION – Vous avez parlé de l'Irak, les Etats-Unis ont déposé un nouveau projet de résolution. A quelle condition la France accepterait-elle de faire partie d'une force installée en Irak, quelles seraient les conditions de la France ?
LE PRESIDENT – La proposition de résolution telle que nous la connaissons aujourd'hui, nous sommes prêts à l'étudier de la façon la plus positive. Mais en vérité, elle nous paraît assez loin de ce qui nous semble l'objectif prioritaire qui est le transfert de la responsabilité politique à un gouvernement irakien, aussi rapidement que possible, de façon à sortir d'une logique d'occupation et entrer dans une logique de développement, sous la responsabilité des Irakiens eux-mêmes. Alors naturellement cette résolution va faire l'objet d'une discussion, nous aurons certainement et en liaison évidemment complète avec l'Allemagne, l'occasion de présenter des amendements, des modifications, nous verrons bien le sort qu'il leur sera retenu. Voilà où nous en sommes actuellement. Compte tenu de cette discussion, nous en conclurons notre position en ce qui concerne le vote au Conseil de sécurité. Pour le reste, vous voyez bien que nous sommes encore très très loin d'une situation où nous pourrions l'envisager ou le discuter.
En toute hypothèse, juste une phrase pour terminer, la concertation franco-allemande sera totale sur ce sujet avec la volonté naturellement d'avoir une attitude commune, cela va de soit, sur ce sujet comme sur les autres.
QUESTION – A propos de la résolution pour l'Irak, quel est le cadre exact que cette résolution devrait couvrir pour que la France et l'Allemagne puissent envisager un engagement en Irak pour stabiliser la paix ? Le Président vient de citer quelques conditions, quelles sont les autres conditions nécessaires pour que vous puissiez envisager d'approuver cette résolution ?
Deuxièmement, vous avez tous les deux parlé de croissance et de relance de la croissance économique, il y a un article à ce sujet dans le Handelsblatt aujourd'hui, comment envisagez-vous cette relance de la croissance ?
LE CHANCELIER SCHROEDER – Je suis tout à fait d'accord avec ce qu'a dit le Président, ce projet de résolution montre que les choses bougent. Mais en vérité je pense comme lui que le projet en l'état actuel ne va pas encore assez loin, n'est pas assez dynamique, et il va falloir que nos collaborateurs et collaboratrices examinent le détail de ce projet de résolution que nous ne connaissons pas encore totalement. Cette analyse détaillée sera une analyse conjointe en étroite concertation entre la France et l'Allemagne.
Maintenant en ce qui concerne la croissance, vous savez qu'il existe le Pacte dit de stabilité, mais que certains ne veulent l'appeler que Pacte de stabilité omettant que le pacte s'appelle Pacte de stabilité et de croissance. Et il nous semble que dans la phase conjoncturelle dans laquelle nous sommes à l'heure actuelle, certes il ne faut pas renoncer à l'exercice de consolidation budgétaire, mais il convient de donner plus de poids, plus d'importance au volet croissance de ce pacte. C'est ce que nous avons commencé à faire en Allemagne avec le programme de réforme structurelle que nous avons mis en place, que nous avons lancé et qui sera conduit à son terme avant la fin de l'année, et en anticipant sur la réforme fiscale, en la lançant dès 2004 et non pas en 2005, ce qui va nous permettre de saisir les premiers indices de reprise que nous percevons d'ores et déjà.
QUESTION - En matière de coopération, dans le domaine des armements, il existe une entreprise française du nom de Thales qui s'intéresse au chantier naval HDW. Nous entendons dire que du côté allemand on souhaiterait également la participation d'un partenaire allemand. Si tel est le cas, quel pourrait être ce partenaire allemand que le Gouvernement allemand souhaiterait voir se joindre aux deux entreprises actuelles ?
Le Chancelier SCHROEDER – Bien entendu, nous avons abordé ce sujet et il est évident que nous accompagnons et nous approuvons tout projet de coopération renforcée et intensifiée entre la France et l'Allemagne, y compris dans le secteur industriel. Cela étant, les détails des négociations et de l'accord n'incombent pas aux politiques. Ce sont aux responsables des entreprises eux-mêmes de conduire ces négociations. Toute coopération franco-allemande est le noyau d'une coopération européenne et est importante à cet égard. Mais encore une fois, pour ce qui est des conditions précises de la négociation, qu'il s'agisse du prix, du leadership industriel, ce n'est pas aux politiques de se substituer aux responsables de l'entreprise.
QUESTION – M. le Chancelier vous avez à plusieurs reprises évoqué l'étroite collaboration entre la France et l'Allemagne, je voudrais poser une question sur le Pacte de stabilité et de croissance. La France et l'Allemagne sont confrontées à des difficultés avec la Commission en ce qui concerne le Pacte de stabilité et de croissance, est-ce que dans ce domaine là aussi, il y aura une étroite coopération entre la France et l'Allemagne ?
Le Chancelier SCHROEDER – Il serait bien entendu curieux que sur des questions économiques et financières d'une telle importance nous n'ayons pas d'échange, donc nous avons parlé de cela mais nos ministres des Finances et de l'Economie également évoquent ces questions. Nous sommes tout à fait d'accord entre nous pour refuser toute approche dogmatique qui consisterait à ne voir dans ce pacte qu'un pacte de stabilité. Nous pensons ensemble que, dans la phase économique actuelle, il convient de souligner davantage le volet de croissance du Pacte davantage que cela n'a été le cas jusqu'à maintenant. Nous en parlons également avec la Commission, d'ailleurs dans des termes beaucoup plus amènes que certains rapports ne le laissent entendre. Nous en parlons avec nos partenaires européens qui, pour certains, ont des conditions économiques différentes à l'heure actuelle mais même ceux qui dans les années 90 ont fait peut-être plus d'efforts et ont maintenant un endettement moindre, ne doivent pas oublier qu'il est finalement dans leur intérêt propre que les grandes économies ne s'essoufflent pas et qu'elles connaissent une croissance qui serve la leur.
Merci. |