Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la visite des installations d'Alcatel Alenia Space
Cannes - Alpes-Maritimes, le jeudi 9 mars 2006
Madame et Messieurs les Présidents,
Madame et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Député-Maire, Cher ami,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires et les élus,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi d'abord de saluer toutes celles et tous ceux qui travaillent ici, qui donnent admirablement le meilleur d'eux-mêmes pour que, dans ces domaines de haute technologie qui conditionnent notre avenir, la France soit, devienne ou reste au premier rang. Et vous tous ici, présents, quel que soit votre niveau de responsabilités dans cette équipe solidaire et dynamique, vous faites en sorte que la France peut être fière de ses enfants, de son travail, de son intelligence. Et de cela, je voudrais vous exprimer d'abord à chacune et à chacun d'entre vous, mes sentiments d'estime, de reconnaissance et de respect.
Une part de l'histoire française de l'aéronautique et de l'espace s'est écrite et continue à s'écrire ici, à Cannes. Avec Alcatel Alenia Space, nous avons l'un des fleurons français et européen dans ce domaine : les impressionnantes installations que nous avons eu le privilège de visiter, tout à l'heure, en témoignent amplement.
Alors je voudrais d'abord féliciter le Président d'Alcatel et celui de Finmeccanica : le regroupement de vos activités spatiales, Messieurs, renforce, sans aucun doute, l'excellence de l'Europe dans un secteur des services spatiaux et des satellites.
Secteur-clé, car l'espace bouleverse notre connaissance de l'univers et de notre planète. Tout le monde garde à l'esprit, vous l'avez cité tout à l'heure, Monsieur le Président, la mission réussie d'une sonde européenne sur Titan, le satellite de la planète Saturne. L'espace est aussi un puissant moteur de l'innovation. Et chacun le mesure bien à travers le succès d'Ariane. Mes vœux, d'ailleurs, accompagnent toutes les équipes, notamment celles de votre maison, mobilisées pour le tir d'une Ariane 5 ECA, prévu ce soir même, et auquel vous êtes directement associés. 2005 a marqué la reprise du secteur spatial, après deux années difficiles : 2006 sera à nouveau une année de très grande activité pour Ariane. Et surtout, l'espace est de plus en plus présent dans notre quotidien, avec la télévision, les télécommunications, le positionnement par satellite ou la météorologie, nous en avons vu, tout à l'heure, un exemple tout à fait remarquable.
L'espace est un grand projet européen. En 50 ans, l'Europe a acquis un savoir-faire humain et technologique de tout premier plan dans l'ensemble de la filière, des lanceurs aux satellites. Nous le devons à l'action conjointe du Centre national d'études spatiales, de l'Agence spatiale européenne, des autres agences nationales, de la communauté scientifique bien entendu et aussi de l'industrie. Dans cette conquête, la France a toujours été un élément moteur en Europe : dès les débuts de l'aventure spatiale, sous l'impulsion décisive du général de Gaulle, elle s'est dotée des moyens d'une politique scientifique, technologique et industrielle ambitieuse, dans le cadre d'une politique nationale d'ensemble. Cette politique industrielle et d'innovation, j'ai voulu lui donner une impulsion nouvelle. C'est le sens de la création des pôles de compétitivité et de l'Agence de l'innovation industrielle.
Dans un contexte actuel très concurrentiel, la maîtrise de l'espace est un enjeu politique et stratégique. Face aux Etats-Unis, à la Russie, au Japon, maintenant à la Chine et à l'Inde, nous devons maintenir au premier rang les capacités de l'Europe, au premier rang.
Pour cela, l'Europe se mobilise. Galileo va assurer notre autonomie dans le domaine du positionnement par satellite, contribuer ainsi à la croissance et créer des emplois. L'installation récente d'une préférence d'utilisation des lanceurs européens pour les satellites de l'Agence spatiale européenne était essentielle. J'ai décidé qu'il en irait de même pour les satellites gouvernementaux français, et j'invite nos partenaires à nous suivre sur ce chemin.
Face à un monde en pleine évolution, il faut accélérer encore la cadence, renforcer les liens de confiance au sein de la communauté spatiale européenne. Les Etats-Unis investissent dans ce domaine six fois plus de fonds publics que l'Europe. Celle-ci doit adopter une vision partagée et ambitieuse de l'espace. La Commission fera connaître dans quelques mois ses propositions. Suite à cela, les Etats européens devront prendre des décisions capitales d'ici la fin de l'année. Et soyez-en sûrs, la France prendra toute sa part à la formation de ce choix.
Pour être à la pointe de la révolution technologique spatiale, l'Europe doit se renforcer notamment dans cinq grands domaines stratégiques.
D'abord, celui des lanceurs. Nous devons disposer, bien sûr, d'une garantie pérenne d'accès à l'espace, qui soit compétitive et flexible. La filière Ariane a été confortée avec succès depuis 2003 : son organisation industrielle vient d'être modernisée pour atteindre une plus grande fiabilité. Les installations pour le tir de Soyouz au Centre spatial guyanais sont en construction : le premier tir pourrait intervenir dès novembre 2008. La gamme sera ensuite complétée par le lanceur européen Vega, dans lequel l'Italie et la France sont fortement impliquées. Et l'Europe prépare les lanceurs du futur. La France y contribue activement dans le cadre de sa coopération stratégique avec la Russie. Pour accompagner ces évolutions du Centre spatial guyanais, je demande au gouvernement de préparer une loi sur l'espace qui permettra de donner un caractère juridique stable à toutes les activités spatiales, ce qui n'est pas aujourd'hui le cas.
Deuxième domaine stratégique, les applications pour le grand public et pour les entreprises. Il faut accélérer leur mise en œuvre sur tout notre territoire : guidage par satellite, internet à haut débit, télévision en haute définition, télévision sur mobile ou radio numérique.
L'espace permet de mieux gérer les situations de crise ou de catastrophe humanitaire. La France vient de présenter à la Communauté internationale un projet novateur, Emergesat : un conteneur humanitaire permettant, grâce aux technologies spatiales, de rétablir des moyens de communication, en cas de sinistre, dans les zones sinistrées.
La recherche scientifique constitue évidemment une troisième et essentielle priorité. J'ai vu ici des satellites qui nous permettront de mieux comprendre l'origine et l'évolution de l'Univers. L'Europe développe des missions automatiques pour approfondir notre connaissance du système solaire, comme la mission Exo-Mars, qui vient d'intervenir et qui vise à trouver d'éventuelles traces de vie passée sur la planète Mars. La robotique mise en œuvre dans ces missions est une technologie clé, dans laquelle l'Europe doit absolument amplifier ses efforts de recherche.
Le quatrième domaine stratégique est celui de la sécurité et de la défense. Avec les satellites de renseignement stratégique Hélios et le lancement du satellite de télécommunication Syracuse III A, suivi bientôt par Syracuse III B, la France dispose d'une capacité autonome d'appréciation des situations et des moyens de conduite des opérations. Ce qui est essentiel pour sa sécurité. Notre défense sera toujours plus dépendante de nos systèmes spatiaux : il faut maintenir notre avance dans nos domaines d'excellence et investir les autres champs d'application de l'espace. La France doit conserver la maîtrise des systèmes les plus sensibles, notamment pour sa défense, cela va de soi, mais de nombreux domaines peuvent faire l'objet d'une coopération européenne : ce sujet est inscrit à l'agenda de l'Agence européenne de défense. L'Union doit réfléchir à un partage des moyens, et développer les capacités technologiques indispensables à son autonomie stratégique. La France doit entraîner sans tarder ses partenaires européens dans l'étude des futurs systèmes spatiaux de défense. La France a toujours été, dans ce domaine, en pointe et un élément moteur. Elle doit le rester.
Le dernier axe de développement stratégique dans le spatial, c'est évidemment le développement durable. Les satellites permettent de mieux comprendre la circulation océanique, les phénomènes météorologiques, le réchauffement climatique ou la désertification. Mais aussi de mieux prévoir les inondations, de gérer la qualité de l'air, de surveiller le trafic maritime, de détecter les pollutions, de les combattre avec plus d'efficacité, et demain, probablement, de détecter la chute des plus grosses météorites.
Un très grand projet européen a été lancé, auquel le Président a fait, tout à l'heure, allusion : GMES, le dispositif de surveillance globale pour l'environnement et la sécurité civile. Il se mettra en place progressivement d'ici 2008. Notre littoral méditerranéen donne l'exemple : il abrite un pôle de compétitivité sur la "gestion des risques et la vulnérabilité des territoires", qui associe Alcatel Alenia Space, des entreprises de la technopole de Sophia-Antipolis et de l'Europôle méditerranéen de l'Arbois, avec des laboratoires de Provence-Alpes-Côte-d'Azur et de Languedoc-Roussillon. Enfin, un Centre euro-méditerranéen pour la prévention des risques va être créé. Il rassemblera en cas de crise des informations qui sont aujourd'hui, à l'évidence, beaucoup trop dispersées.
Mesdames et Messieurs,
L'espace doit être au cœur du projet européen. Lorsque l'Europe se fixe de grands desseins, comme avec Galiléo ou GMES, comme avec ITER dans le domaine de la recherche, elle est à la pointe de l'excellence et de l'innovation.
Le prochain demi-siècle verra une accélération de l'utilisation de l'espace au service de l'homme, c'est évident. Mais cette aventure contribue aussi à une prise de conscience de la globalité des problèmes que l'humanité doit gérer de manière solidaire : l'espace, patrimoine commun de l'Humanité, appelle à une coopération renforcée et à une mise en commun des savoirs, pour affronter les grands défis qui nous attendent. Et dans ce domaine, Mesdames et Messieurs, vous avez une qualité, une expérience, une intelligence des choses qui sont tout à fait admirables et dont toute la France est fière. C'est la raison pour laquelle, en terminant, je voudrais simplement vous redire très franchement mes sentiments d'estime, de reconnaissance et, permettez-moi de le dire, d'amitié.
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