Hommage funèbre rendu par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion des obsèques du général d'Armée Alain de Boissieu
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Hôtel national des Invalides - Paris, le samedi 8 avril 2006
Madame,
Une très grande peine nous réunit autour de vous, de votre fille, de vos petits-enfants, de toute votre famille. Aujourd'hui nous rendons un dernier hommage à votre mari, le général d'Armée Alain de BOISSIEU.
Avec lui, disparaît un grand soldat, un héros de la France Libre dont la vie tout entière a été placée sous le signe du courage et de la fidélité. Fidélité à la France. Fidélité au chef qu'il s'était choisi, le général de GAULLE.
Dès la déclaration de la guerre, le jeune Saint-Cyrien se bat. Il se bat avec panache. A la tête de ses cavaliers, il mène, en juin 1940, l'une des dernières charges au sabre de l'armée française. Malgré une résistance héroïque, il est fait prisonnier. En Belgique, le 19 juin 1940, il apprend l'appel lancé à Londres par le général de GAULLE. Dès lors, il va tout tenter pour le rejoindre.
C'est d'un oflag de Poméranie qu'il réussit, en 1941, à s'évader vers l'URSS. Interné pendant 5 mois au camp de Mitchourine, il atteint, avec les prisonniers du "détachement Billotte", la mer Blanche, participe sur un navire de guerre canadien à l'opération du Spitzberg et débarque en Ecosse, après avoir parcouru 4 000 km sur la mer. Au terme de cette aventure exceptionnelle, il rejoint enfin Londres et le chef de la France libre.
Ses états de service au sein des Forces Françaises Libres, dans lesquelles il s'engage immédiatement, seront des plus brillants.
Dès Pâques 1942, il prend part aux opérations de Bayonne, puis au raid sur Dieppe. Envoyé en mission dans l'océan Indien, il participe au rétablissement de l'autorité de la République à Madagascar et à Djibouti. En mars 1943, il rejoint en Tunisie les rangs de cette Force "L" qui deviendra bientôt la 2e Division blindée du général LECLERC, avec laquelle il débarque en Normandie le 30 juillet 1944.
Plusieurs fois blessé, le capitaine de BOISSIEU s'illustre dans les combats de la forêt d'Ecouves, lors de la libération de Paris, au cours de la campagne d'Alsace. Au printemps 1945, il parvient jusqu'à Berchtesgaden et au Berghof, le nid d'aigle d'HITLER.
Cette extraordinaire épopée lui vaut d'être fait Compagnon de la Libération par le général de GAULLE qui, la guerre achevée, l'appelle à son cabinet militaire. Il occupera ensuite différents postes éminents en métropole ou en Afrique, avant de rejoindre le 4e Chasseurs dans le Constantinois.
En 1959, il dirige le cabinet militaire du gouvernement d'Alger, puis il rejoint l'Inspection générale de l'Arme blindée et de la Cavalerie. Il recevra ensuite le commandement de la 2e Brigade blindée de Saint-Germain-en-Laye, l'héritière des traditions de la prestigieuse 2e D.B., puis celui des écoles de Coëtquidan, ou encore celui de la 7e Division mécanisée de Mulhouse. Le général de BOISSIEU sera nommé, en 1971, Chef d'Etat-major de l'Armée de Terre, avant d'être tout naturellement désigné en 1975 pour exercer les prestigieuses fonctions de Grand Chancelier de la Légion d'Honneur, puis, en 2002, celles de Chancelier de l'Ordre de la Libération.
Le général de BOISSIEU a toujours mis son audace, son courage et son intelligence, sa fidélité au service de sa patrie. Au service du chef qu'il a choisi aux heures les plus sombres de la guerre. Au service de l'homme qui devient son beau-père et auquel il donnera, tout au long de sa vie, tant de témoignages de son indéfectible loyauté. Au service de ses camarades, les Compagnons de la Libération, et de leur Ordre, qu'il servira avec dignité et efficacité jusqu'à son dernier souffle.
Des Français Libres, André MALRAUX a écrit : "Ces combattants étaient le "non" du 18 juin devenu vivant. Nullement une sorte de Légion Française aux côtés des Alliés, mais l'éternelle poignée de ceux par lesquels tout ce qui transfigure les individus commence ou recommence : la légion des témoins···".
Le général de BOISSIEU a été l'un des plus braves, l'un des plus audacieux, l'un des plus grands soldats de la France Libre. Il restera de ce petit nombre d'hommes dont le souvenir marque l'histoire d'un pays.
Je veux saluer sa mémoire et lui rendre l'hommage que la nation lui doit. Et je tiens à vous exprimer, Madame, ainsi qu'à toute votre famille, ma très profonde sympathie et mes très sincères et respectueuses condoléances.
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