Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors du dîner officiel offert par Sa Majesté le Roi HASSAN II.
Rabat - (Maroc) - Jeudi 20 juillet 1995.
Sire,
Permettez moi de vous dire mon émotion, ce soir, au terme de ces deux journées où le Maroc, son souverain et son peuple, ont marqué tant d'attentions et d'amitié à mon égard et à l'égard de la France. Cette visite, dans le cadre familial que vous avez souhaité, montre combien l'intimité des rapports entre nos deux peuples est exceptionnelle.
Cet attachement si particulier vient aussi du fait que les Français connaissent bien les Marocains. Le respect que nous éprouvons pour un peuple fier et courageux, pour un peuple qui, au travers de l'Histoire et des épreuves, conserve intacte sa personnalité tout en s'ouvrant sur l'Europe ; ce respect, Sire, s'explique aussi par Votre personne et l'exceptionnelle considération et popularité dont Elle jouit dans notre pays.
Le Général de Gaulle, vous accueillant à Orly le 26 juin 1963, prononçait cette phrase qui reste plus que jamais d'actualité. Je le cite : " Nous voyons en Votre personne un Etat maître de lui-même, fidèle à ses traditions et, en même temps, résolu à s'ouvrir toutes les voies de la civilisation moderne. Comment un pareil effort ne serait-il pas aussi sympathique que possible à la France ? D'autant plus qu'il se développe sans nulle atteinte à notre amitié ".
Mon souhait, Sire, est de développer cette amitié avec le Royaume du Maroc, et je cite de nouveau le Général de Gaulle : " Cet Etat national et populaire, fidèle à ses traditions et ardemment tourné vers le progrès, fondé sur une constitution votée à la majorité immense et enthousiaste de ses citoyens, que nous voyons et honorons en Votre personne. C'est avec cet Etat que la République française traite de nos intérêts communs ".
Ces intérêts sont, aujourd'hui décisifs pour la stabilité de "ce lac de paix" que doit être la Méditerranée.
J'ai toutefois le sentiment que, si nos relations bilatérales sont aujourd'hui étroites et diversifiées, elles manquent un peu de ce supplément d'âme et d'affection qu'elles n'auraient jamais dû cesser d'avoir.
Gardons-nous de tout ce qui peut les faire tomber dans la banalisation ou la routine.
Nourrissons ensemble une grande ambition pour la relation franco- marocaine à l'image de ce qu'ont voulu votre père, sa Majesté Mohammed V, que Dieu l'ait en sa Sainte Garde, et le Général de Gaulle.
Vous savez combien le souvenir du Général et son message sont présents à mon esprit.
Comment ne pas évoquer ses visites de 1943, au moment où, ici même, il préparait la libération du territoire national, où feu votre père l'assurait de son soutien à la France combattante. Ce Maroc qu'il connût si bien pour avoir parcouru Rabat, Casablanca, Meknès, Fès, lfrane, Marrakech. Et puis, ce 18 juin 1945, où Il remit à feu sa Majesté Mohammed V les insignes de compagnon de la Libération. Feu votre père n'écrit-il pas, je le cite : " à chaque 18 juin, notre coeur en étroite communion de pensée et d'idéal, se joint à tous les Français qui raniment avec ferveur et fierté la flamme du souvenir ".
Cette communauté de destins, cette fraternité d'armes, justifiaient la présence de SAR le prince héritier Sidi Mohammed, votre fils, aux cérémonies commémorant la libération de la Provence. Je sais aussi combien vous-même, Sire, êtes attaché au souvenir du sang versé en commun par nos soldats. Vous l'avez rappelé aux Goums réunis récemment en Congrès au Maroc.
Aux descendants de ces héros marocains, mais aussi à ces 700 000 Marocains qui vivent aujourd'hui en France, je souhaite adresser un message d'amitié et de reconnaissance. Participant au développement de notre pays, respectueux des lois de la République, mais en même temps profondément attachés au Maroc, vos compatriotes sont considérés par les responsables de la France comme des hôtes privilégiés. Sachez que la République ne tolérera pas qu'il soit porté atteinte au bien-être, à la sécurité u à l'honneur de vos sujets présents sur notre sol.
En visitant, ce matin, la Mosquée de Casablanca, grandiose incarnation de la foi musulmane qui habite si profondément le Maroc et son souverain, j'ai éprouvé un sentiment de grandeur. Mais en admirant cette œuvre mes pensées sont allées aussi vers les 4 millions de musulmans de France, qui, à l'égal de tous les citoyens, et dans le respect de nos valeurs, enrichissent la communauté nationale. Au-delà, J'ai pensé à ce milliard et demi de musulmans que vous incarnez aujourd'hui, Sire, en présidant l'Organisation de la conférence islamique. A ces centaines de millions de croyants qui vivent leur foi dans un esprit de tolérance, au travers d'un Islam moderne et ouvert sur le monde, la France manifeste son respect. Elle ne confond pas l'Islam, deuxième religion de notre pays, avec l'image déformée et caricaturale qu'en donnent les tenants de l'islamisme extrémiste. Pour autant, nous restons fermes dans notre dénonciation de l'intolérance et du fanatisme religieux, ainsi que dans la lutte contre le terrorisme, dont je tiens à vous assurer à nouveau que notre pays ne deviendra jamais la base arrière.
Face à ce phénomène, nous nous interdisons toute ingérence et nous n'entendons pas donner de conseils. Nous sommes toutefois convaincus que tout ce qui va dans le sens de réformes économiques, sociales et politiques réelles, susceptibles de promouvoir la prospérité, la justice sociale et la démocratie ne peut qu'affaiblir l'extrémisme en en détachant ceux qui y trouvent un exutoire à des frustrations d'une autre nature. Le Maroc, dans ce domaine, nous montre la vole à suivre.
Notre responsabilité devant l'Histoire est de promouvoir une meilleure compréhension entre nos civilisations et nos cultures. De développer, Sire, ce dialogue entre les religions auquel vous-même êtes tant attaché.
Le besoin d'une meilleure compréhension entre nos peuples, la nécessité d'un rapprochement des civilisations qui bordent notre mer commune sont aussi à l'origine de cette Conférence euro-méditerranéenne de Barcelone que la présidence française de l'Union européenne a préparé avec soin.
J'ai obtenu, non sans mal, au Conseil européen de Cannes que l'Union définisse un cadre politique, mais surtout des programmes financiers en forte augmentation pour préparer cet exercice historique qui rassemblera les dirigeants des Etats riverains de la Méditerranée -et eux seuls- afin qu'ils définissent, ensemble, le cadre de ce large partenariat euro-méditerranéen. Et pourquoi ce soir, Sire, alors que le Maroc occupe une place essentielle dans cet espace de coopération, ne marquerions-nous pas solennellement que le partenariat euro-méditerranéen constitue notre priorité commune ?
Pourquoi enfin la France et le Maroc ne prendraient-ils pas l'initiative de proposer, le moment venu, un "pacte de stabilité pour la Méditerranée" destiné à apaiser les tensions et à construire notre avenir commun ?
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Dans cet espace de coopération, le Maroc, par l'ancienneté de ses options européennes, par sa proximité géographique et par sa stabilité remarquable dans un environnement troublé et incertain, occupe une place à part dans le coeur des européens et tout particulièrement dans celui des Français.
Avec l'Union, vous êtes aujourd'hui engagés dans une négociation importante en vue de parvenir à un accord de partenariat. Nous sommes conscients des attentes que suscite au Maroc cette négociation, comme celle, plus conjoncturelle, sur la révision de l'accord de pêche. Les difficultés ne manquent pas, c'est vrai. Mais nous devons progresser. Dès lors qu'il s'agit d'affirmer la stabilité politique, économique et sociale de votre pays par ce choix d'ancrage à l'Europe que vous avez fait, vous pourrez compter sur moi, Sire, pour être votre porte-parole auprès de l'Union et de sa présidence actuelle, et donner à la coopération euro-marocaine la place éminente qui lui revient.
Cette coopération doit accompagner et faciliter les progrès considérables réalisés par le Royaume dans le domaine de l'ajustement et de l'ouverture économique. Ces progrès sont d'autant plus remarquables que les aléas climatiques, si décisifs pour la croissance de votre économie, ne sont guère favorables depuis quelques années. Permettez-moi, Sire, devant vous qui avez mobilisé votre peuple pour cette noble cause nationale, de diriger mes pensées vers le monde rural marocain, victime d'une terrible sécheresse. Naturellement, le peuple Français ne sera pas absent du grand élan de solidarité qu'appelle la situation. Nous avons commencé d'y répondre en participant à l'approvisionnement en eau de la région de Tanger. En visitant, ce matin, l'impressionnante station de traitement des eaux du Bou Regreg, à la fois centre de production mais aussi de formation pour tout le Royaume et pour une grande partie de l'Afrique, je mesurais l'ampleur de notre coopération et sa parfaite adéquation à vos besoins.
Aujourd'hui, c'est bien sous le signe de l'exception que j'entends, au nom de la France, placer nos relations avec le Maroc. J'ai compris au cours de nos conversations que tel était, Sire, également votre vœu. Cette visite que nous avons souhaitée intense et exemplaire, marque l'intimité qui, à travers deux chefs d'Etat et leurs familles, imprègne les relations entre nos peuples.
Cette intimité, je l'ai ressentie à chacun de nos entretiens, mais aussi lors des manifestations d'amitié que m'ont témoignées le peuple du Maroc dans mes déplacements à Rabat et à Casablanca. Elle se manifeste dans tous les aspects de nos relations.
D'abord par cette langue, le français, que nous avons en partage. Nous sommes fiers, Sire, que le français soit utilisé par de si nombreux marocains, aux côtés de votre langue officielle, l'arabe. Notre souhait, afin de contribuer à l'insertion du Maroc dans son environnement international est de participer à la grande œuvre d'adaptation de la formation des jeunes marocains que vous avez appelée de vos vœux. Nous sommes disponibles pour rénover la coopération culturelle et linguistique entre nos deux pays. Nous pourrions mettre en place, si vous le souhaitez, un véritable partenariat pédagogique entre des établissements d'enseignement marocains et ceux de la mission française, et développer des filières internationales dans l'enseignement marocain.
Cette intimité passe aussi par une meilleure connaissance en France du Maroc, de son génie et de ses richesses culturelles. C'est pourquoi, nous avons décidé, Sire, d'organiser, d'ici la fin de ce siècle, une "année du Maroc en France". A cette occasion, manifestations artistiques, technologiques et scientifiques se succéderont à Paris et dans les villes de province, offrant ainsi l'image d'un Maroc ouvert sur le troisième millénaire, mais riche de son passé, de ses traditions, de son extraordinaire patrimoine.
L'intimité se traduit aussi par notre constante disponibilité à consolider et amplifier nos relations économiques et à tout faire pour rester le premier partenaire économique du Maroc et le premier investisseur étranger dans votre pays. J'incite vivement nos investisseurs et nos entreprises à manifester, par le biais de l'investissement direct, du partenariat, de la participation au processus de privatisation marocain, leur intérêt à votre marché et à son considérable potentiel de développement. Je sais que des mesures vont être adoptées pour créer un cadre juridique approprié au développement des investissements : code du travail, code du commerce, code des investissements et loi sur les sociétés.
Cette intimité se manifeste également par la présence de quelques 30 000 Français au Maroc. J'ai pu rencontrer une partie d'entre eux cet après-midi. Mes compatriotes profondément attachés au Maroc et à son peuple, portent, ils me l'ont dit, un immense respect à votre personne car vous n'avez cessé de leur manifester amitié et considération.
Permettez-moi d'ajouter, Sire, que cette intimité s'exprime enfin dans la convergence de nos analyses sur les grandes questions internationales, qu'il s'agisse du règlement des tensions au Proche-Orient, du rôle dévolu aux Nations unies dans le maintien de la paix dans le monde, où les contingents marocains se sont souvent retrouvés - un symbole là encore -aux côtés des contingents français, ou qu'il s'agisse de la nécessaire attention portée à l'avenir de l'Afrique noire.
Je souhaite ainsi rendre hommage à vos initiatives clairvoyantes et courageuses en faveur du processus de paix au Proche-Orient ; par votre action personnelle, notamment en tant que président du Comité AI Qods, vous avez toujours œuvré en faveur du rapprochement entre les adversaires d'hier qui sont devenus les négociateurs d'aujourd'hui et qui seront les partenaires de demain. Mais je souhaite aussi relever les succès de votre politique étrangère dont je ne citerai que quelques étapes récentes : Conférence historique des accords du GATT à Marrakech en avril 1994; Sommet économique de Casablanca en novembre 1994 où vous avez rassemble la communauté internationale des affaires intéressée au développement de cette région; Sommet de l'Organisation de la conférence islamique marqué par votre souci d'un Islam tolérant et ouvert sur le monde.
Cette paix de demain, en faveur de laquelle le Maroc a tant travaillé, ne saurait être complète tant que la question du Sahara occidental n'aura pas trouvé un règlement juste et durable. La France, par un soutien constant au processus conduit par l'ONU, n'a cessé de l'appeler de ses vœux. Le temps désormais presse, mais je tiens à rester confiant dans la volonté des parties de tout faire pour permettre la mise en œuvre, dans les délais prévus, du plan de règlement des Nations unies qu'elles ont accepté.
Vous avez, Sire, en tant que Chef d'une grande nation, vocation à traiter de tout ce qui intéresse la paix, la guerre, le développement, les conflits, la sécurité et notre avenir commun. Nous avons ensemble vocation à peser sur l'équilibre de la région, mais aussi du monde. Vous et nous, et mieux encore vous et nous côte à côte, pourrons jouer ce rôle pour la paix dans le monde.
Sire, c'est ce soir un Français passionné et un Européen convaincu qui s'adresse à vous après avoir été, avec sa famille, durant ces deux jours, votre invité et l'objet de toute votre affection. L'amitié, pour être forte, se doit d'être exigeante. La relation entre la France et le Maroc, nous l'avons dit, ne peut se satisfaire d'être excellente. A l'aube du septennat, j'ai souhaité, ici, au Maroc, vous assurer de mon indéfectible amitié et de ma volonté d'imprimer toute l'énergie nécessaire aux rapports entre nos deux pays et nos deux continents.
En vous recevant au Palais de l'Elysée le 26 juin 1963, le Général de Gaulle levait son verre en votre honneur, en celui du Maroc, aux côtés duquel, disait-il " La France souhaite marcher sur la route de l'avenir ".
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