Point de presse conjoint de M. Jacques CHIRAC, Président de la République et de Mme Angela MERKEL, Chancelière de la République fédérale d'Allemagne à l'issue de leur rencontre.

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Rheinsberg (Allemagne) le mardi 6 juin 2006.

LA CHANCELIERE - Mesdames, Messieurs, je suis très heureuse d'accueillir le Président de la République et sa délégation à Rheinsberg, le lieu où vécut Frédéric II, dont nous savons qu'il parlait mieux le français que l'allemand. C'est donc un lieu qui constitue un signe propice pour la coopération franco-allemande. Nous avons pu découvrir ce château sous le soleil et nous sommes très heureux de vous recevoir ici, dans le théâtre du château.

Lors de notre premier entretiens que nous allons poursuivre pendant le déjeuner, nous avons examiné deux grands dossiers. D'une part, la politique européenne -dans quelques jours se tient un conseil européen- et des progrès essentiels ont été réalisés ces derniers mois, notamment l'adoption de la directive services où la France et l'Allemagne ont coopéré très étroitement. D'autre part, je mentionne l'adoption des perspectives financières avec le Parlement européen. Pour les nouveaux Etats-membres, c'est extrêmement important parce que cela leur donne de la sécurité pour leurs projets futurs.

Nous sommes d'accord pour dire que le processus engagé à Hampton Court doit être poursuivi :pour réaliser l'Europe des projets, nous avons besoin d'une Europe des citoyens où les hommes et les femmes perçoivent bien la valeur ajoutée de l'Europe. Je songe, en particulier, à la recherche et à l'éducation qui sont très importantes, sans oublier la politique énergétique que je considère comme l'un des grands enjeux stratégiques des prochaines années.

Nous sommes d'accord pour dire que la question du traité constitutionnel reviendra à l'ordre du jour pendant la Présidence allemande, après la pause de réflexion. Nous nous donnons du temps mais, pendant cette phase, nous réfléchissons aux mesures à prendre par la suite. Ensuite, dans les dix-huit mois qui iront de la présidence allemande à la présidence française, il faudra arriver à des décisions. En effet, pour que l'Europe puisse fonctionner, elle a besoin de ce traité constitutionnel, elle a besoin de nouvelles règles de fonctionnement des institutions. Par conséquent, il faut la pause de réflexion mais également une échéance claire en ce qui concerne les décisions. Pour ce qui est de l'élargissement de l'Union européenne et l'avenir de l'Union européenne, la France et l'Allemagne sont tout à fait d'accord pour dire que l'un des critères de Copenhague est bien la capacité d'absorption des pays membres de l'Union européenne. Alors, cela ne veut pas dire que nous ne respecterons pas les engagements pris, mais la capacité d'absorption, d'assimilation, d'intégration restera un sujet important.

Nous avons également parlé de l'Iran et du Proche-Orient et nous sommes sur la même ligne, notamment pour ce qui est de notre politique sur l'Iran. La journée d'aujourd'hui est, à cet égard, importante, parce que le Haut représentant pour la lpolitique étrangère du Conseil européen, M. SOLANA, était à Téhéran avec des représentants du groupe des trois pays européens et a il a présenté des propositions.

La volonté des Etats-Unis de participer à ce processus, si l'Iran suspend l'enrichissement d'uranium, est un élément déterminant, si bien que nous pouvons dire que nous avons tout fait pour manifester une nouvelle fois notre volonté de négociation avec l'Iran. Et nous sommes absolument sérieux et résolus pour ce qui est de trouver une issue diplomatique à la situation avec l'Iran. Alors, il ne s'agit pas de refuser à l'Iran le droit à un usage pacifique de l'énergie nucléaire, il s'agit d'instaurer la transparence, et le respect des règles de l'AEIA. Par conséquent, la proposition a été transmise, remise, expliquée et j'espère que l'Iran y réagira positivement et comprendra que c'est bien aussi son intérêt d'avoir une solution diplomatique à ce conflit.

Comme toujours, nous avons eu des entretiens très approfondis et fructueux et dans quelques jours au Conseil européen, la France et l'Allemagne parleront d'une même voix. Soyez, une fois de plus, chaleureusement bienvenu dans ce bel environnement, j'espère que la pluie cessera pour que nous puissions faire une petite promenade, tout à l'heure.

LE PRESIDENT - Madame la Chancelière, Mesdames et Messieurs, d'abord merci, merci pour votre accueil. Vous me permettrez de commencer en vous exprimant mes vœux les plus chaleureux pour la coupe du monde qui va bientôt se dérouler en Allemagne. Je sais que c'est remarquablement organisé et je souhaite que cela soit un grand succès pour l'Allemagne et pour le sport.

Je veux aussi vous remercier pour cet accueil dans ce château superbement rénové, refait de façon très remarquable et qui est, en quelque sorte, un symbole des liens très profonds, historiques et culturels, entre l'Allemagne et la France. Je me réjouis d'avoir l'occasion d'y être avec vous aujourd'hui.

Nous avons évoqué les problèmes que vient de souligner Madame la Chancelière. Je voudrais tout d'abord souligner qu'il ne faut pas cultiver le pessimisme. J'entends ici ou là des observateurs, par ailleurs compétents mais orientés, qui parlent de la panne de l'Europe, qui disent que "l'Europe est en panne". Nous avons discuté ce point pour dire que, si l'Europe a des problèmes, elle en a toujours eus, toute l'histoire de l'Europe est la gestion d'une succession de problèmes généralement surmontés.

En revanche, l'important se poursuit : c'est, depuis que nous l'accusons d'être en panne, que nous avons voté le budget, permettant ainsi concrètement de faire l'élargissement. C'est, depuis que nous avons parlé de la panne de l'Europe, que nous avons réussi à régler comme nous le souhaitions un problème infiniment délicat qui était celui de la remise à plat de la directive BOLKESTEIN. C'est, depuis que l'on parle de la panne de l'Europe, que, pour la première fois, nous avons réussi ensemble à mettre au point une politique de l'énergie à partir d'un livre vert qui, je le note au passage, a été largement inspiré par des propositions françaises.

Alors, dans ce contexte, nous avons d'abord évoqué l'aspect positif des choses, c'est à dire la poursuite des options que nous avions arrêtées ensemble lors du sommet sous Présidence britannique, à Hampton Court. C'est à dire une meilleure organisation pour promouvoir l'Europe des projets, l'Europe des réalités, l'Europe cherchant des solutions aux problèmes concernant directement les Européens, en terme d'activités, d'emplois, etc. Et nous avons décidé de poursuivre activement dans ce domaine, sur ces différents problèmes allant de la défense à l'immigration, en passant par l'énergie, la sécurité, tous les problèmes qui, concrètement, conditionnent la vie de nos compatriotes européens.

S'agissant ensuite du problème des institutions, nous avons évidemment évoqué le problème de la constitution. Notre première conclusion, c'est qu'il faudra bien améliorer les institutions. Leur fonctionnement actuel n'est pas satisfaisant. Mais il y a eu des positions prises, certains pays ayant voté "oui" à la constitution, d'autres "non", d'autres ayant interrompu leur processus d'approbation du traité constitutionnel. Nous avons pensé que, dans ce contexte, il fallait d'abord prolonger le délai de réflexion dont nous avons besoin. Et, notamment, attendre l'arrivée de la Présidence allemande pour nous permettre de faire la synthèse des propositions possibles et de confier à la Présidence allemande le soin de proposer une synthèse dans ce domaine.

Il y aura là, d'ailleurs, le début d'une séquence qui sera particulièrement importante, qui commencera par la Présidence allemande au premier semestre 2007 et qui se terminera au dernier semestre 2008 avec la Présidence française, le tout devant être naturellement articulé pour permettre de sortir de la difficulté que nous connaissons actuellement.


En attendant, la France propose et l'Allemagne examine les conditions de mise en œuvre de ces propositions d'améliorer le fonctionnement des institutions en fonction des traités existants, c'est à dire sans rien changer aux traités. Dans le cadre des traités existants, un certain nombre de choses pourraient être, selon nous, améliorées et nous allons étudier -ce sera l'une des choses qu'examineront la Présidence finlandaise et surtout la Présidence allemande- comment on peut améliorer le fonctionnement des institutions dans le cadre des traités existants.

Nous avons également évoqué l'élargissement en comprenant que, naturellement, il n'est pas question de remettre en cause nos engagements. Mais pour les futurs élargissements, il faut tenir compte de la capacité d'assimilation, d'absorption de l'Union européenne. Cela pose des problèmes politiques, au regard de nos opinions publiques. Cela pose des problèmes financiers, au regard du financement des politiques communes : comment peut-on les financer, en cas d'élargissement, et en assumer le coût supplémentaire. Cela pose des problèmes institutionnels : comment avoir des institutions qui ne fonctionnent déja pas très bien avec 25 membres, mais qui, naturellement, risquent de se dégrader ensemble s'il y a des élargissements.

Nous sommes, sur tous ces points, tout à fait sur la même longueur d'ondes, en ce qui concerne la réflexion qui doit être conduite et nous attendons la Présidence allemande avec beaucoup d'optimisme.

Nous avons ensuite évoqué -je n'entrerai pas dans le détail, la Chancelière l'a fait- ces quelques problèmes internationaux : l'Iran, comme Mme MERKEL vous l'a dit tout à l'heure, qui est pour nous une source sérieuse d'inquiétude. Nous souhaitons vraiment que le débat qui vient de s'ouvrir avec, autour de la table, pour ce qui nous concerne, non seulement les Européens mais également les Russes, les Américains et les Chinois, permette d'arriver à un accord qui soit respectueux des exigences de l'AIEA envers l'Iran.

Nous avons également évoqué le problème palestinien et les difficultés auxquelles nous sommes aujourd'hui confrontés, notamment en ce qui concerne la nécessité de poursuivre l'aide aux Palestiniens sans pour autant remettre en cause les conditions posées au Hamas par la communauté internationale en ce qui concerne le respect des accords et de l'Etat d'Israël.

Enfin, j'ai évoqué, aussi, pour remercier la Chancelière, l'engagement de l'Allemagne sous mandat de l'ONU en République démocratique du Congo, qui est une garantie et une sécurité pour l'évolution, calme, tranquille, sereine et démocratique de ce pays, et nous sommes très reconnaissants à l'Allemagne de la décision qu'elle a bien voulu prendre.

QUESTION - Ma question s'adresse aussi bien à vous Madame la Chancelière qu'à vous M. le Président : il y a quelques jours, la bourse paneuropéenne Euronext et américaine NYSE ont annoncé leur intention de fusionner. C'en est donc apparemment terminé d'une autre combinaison qui était celle envisagée entre Euronext et la Deutsche Börse, encore ces derniers jours, favorisée par l'opérateur allemand. Est-ce que vous ne regrettez pas que l'on ait ici raté une occasion de faire progresser à grands pas l'Europe des marchés financiers ?

LA CHANCELIERE - Nous continuons de penser qu'en Europe, il est bon d'avoir de fortes entités économiques. Voilà pourquoi j'ai suivi cette affaire avec beaucoup d'intérêt, et je suis bien consciente qu'il s'agit là d'une décision relevant purement de l'entreprise. Les choses se sont passées différemment, je vais suivre cela attentivement. Je le répète, politiquement, je suis convaincue qu'il est important que l'Europe soit forte. Lorsque des décisions purement économiques sont prises, les responsables politiques n'ont pas à intervenir, ce sont donc des processus que nous ne pouvons pas influencer.

LE PRESIDENT - J'ajouterai simplement, tout en confirmant ce qu'a dit Mme la Chancelière, que Euronext n'est pas la France, c'est quatre bourses qui sont ensemble, qui travaillent et qui décident ensemble. Nous avons, si je ne m'abuse, deux administrateurs sur neuf à Euronext.

Pour ma part, je ne vous cacherai pas que je privilégie la solution franco-allemande, pour des raisons de principe, et je regretterais que cette solution ne soit pas définitivement adoptée. La question est encore à l'étude, la décision n'est pas prise et même si nous avons peu de moyens d'intervention, nous n'en avons même pas, je souhaite pour ma part qu'un accord puisse être trouvé entre Francfort et Euronext. Un accord qui soit aussi équilibré que possible et, s'agissant de Paris, un accord qui puisse y maintenir un minimum d'activités et d'emplois.

QUESTION - Ma question concerne l'Iran. M. SOLANA propose pour l'ouest de l'Iran un ensemble d'aides économiques pour essayer de ramener l'Iran à la table des négociations. Quelle serait la forme de ces aides occidentales, sur quelle durée portent ces aides, sur quoi portent-t-elles, s'agit-il uniquement d'aides économiques ou d'aides à la recherche, d'aides scientifiques, est-ce que vous avez parlé de cet aspect des choses ?

LA CHANCELIERE - Il nous a paru très important que ces propositions soient d'abord transmises à l'Iran parce que ce sont les règles de courtoisie, que l'Iran ait la possibilité d'examiner ce type de propositions. Les pays du groupe EU3, en liaison avec les Etats-Unis, la Russie et la Chine, ont pu se mettre d'accord sur cet ensemble de mesures qui bénéficient donc d'un socle international très large.

Nous disons très clairement à l'Iran que, pour les Iraniens, nous souhaitons un développement économique moderne. Nous souhaitons tout de même avoir face à nous un Iran qui est prêt à respecter les règles internationales et ses engagements. Je n'irai pas plus loin dans ma réponse, c'est un ensemble de mesures assez vastes visant à donner une perspective d'avenir à l'Iran. Nous avons pensé aux Iraniens qui veulent avoir un avenir, qui veulent atteindre un niveau de vie acceptable, qui veulent bénéficier de bonnes technologies. Ce sont les idées à la base de cet ensemble de propositions et j'espère que l'Iran examinera attentivement ces propositions et y verra une véritable chance de solution diplomatique du conflit.

QUESTION - A propos du Mondial, du football, c'est une question à la Chancelière, M. le Président en a déjà l'expérience, est-ce que vous pensez, parce que les commentaires sont contradictoires, qu'effectivement cet événement sportif va donner un coup de pouce à l'économie allemande ? Les prévisions parlent d'un demi-point d'augmentation du taux de croissance cette année, est-ce que vous y croyez ?

LA CHANCELIERE - Je ne travaille pas chez ceux qui font des prévisions, je fais partie de ceux qui sont dans l'action. Je suis heureuse que nous puissions accueillir beaucoup de personnes qui vont consommer, qui vont apprécier leur séjour en Allemagne, mais l'effet à long terme, pour la croissance économique, cela c'est l'affaire des réformes, et le gouvernement allemand est en train de mettre en œuvre beaucoup de mesures. C'est là-dessus que je mise, c'est cela que je peux influencer.

Cela dit, je me réjouis de tout demi-point de croissance supplémentaire que nous aurions grâce à la coupe du monde. Ce que je souhaite surtout, c'est que l'Allemagne soit un hôte irréprochable, que les gens viennent chez nous, s'y sentent bien et consomment, bien sûr.

QUESTION - Vous nous avez dit que vous preniez le temps de la réflexion en ce qui concerne les institutions de l'Europe, mais il semble que l'Allemagne et la France ne soient pas tout à fait d'accord sur le sort que l'on doit réserver au traité constitutionnel. Madame Merkel, du point de vue de l'Allemagne, ce traité constitutionnel qui a été adopté par un certain nombre de pays mais rejeté par la France et les Pays-Bas, doit-il être conservé pour être remis sur le métier en 2007/2008 ou doit-on faire tout à fait autre chose comme semble le préférer la France par exemple ?

LA CHANCELIERE - Une phase de réflexion est une phase de réflexion. C'est ce que l'on fait lorsque l'on est face à une situation qu'il n'est pas facile de surmonter, c'est évident, mais la créativité de la politique européenne a toujours été de sortir des situations complexes par une voie conduisant à l'avenir. Sur les intentions de base, nous sommes tout à fait convaincus que nous avons besoin d'aller plus loin dans l'intégration de l'Europe.

Voilà pourquoi, pendant cette phase de réflexion, je ne peux pas déjà vous annoncer son résultat. Mais ce n'est pas de l'attentisme, nous ne sommes pas inactifs, et voilà bien pourquoi nous parlons de l'Europe des projets, de l'Europe des citoyens, du processus de Lisbonne, d'une dynamique du développement. Les questions que les citoyens posent à l'Europe, nous entendons y répondre. Et cette phase de réflexion n'est pas une phase où l'on ne fait rien, nous l'utilisons pour essayer de trouver de nouvelles conclusions communes pour l'Europe.

LE PRESIDENT - Juste un mot à ce sujet. C'est évidemment un problème complexe, ce qui me conduit à une réflexion : on peut être favorable à la construction européenne ou on peut y être défavorable. Cela, c'est la règle de la démocratie, et on peut l'exprimer. Mais ce qui n'est pas convenable, c'est de mentir aux Français.

Et là, je pense à la position purement française : Lorsqu'un certain nombre de responsables, incitant nos compatriotes à voter "non", ce qui est leur droit le plus naturel, leur expliquent : "Ne vous inquiétez pas, il y a, derrière, un plan B", alors que la majorité de ceux-là savaient très bien, parce qu'ils avaient une certaine expérience gouvernementale, que ce n'était pas vrai, c'est donc ce mensonge que je tiens à dénoncer. Il n'y avait naturellement pas de plan B, nous sommes maintenant dans une certaine difficulté, nous en sortirons, il faut une réflexion nécessaire, il faut reprendre l'ensemble des choses avec beaucoup de sagesse. C'est la raison pour laquelle je fais confiance à la présidence allemande pour lancer, à nouveau, le train dans la bonne direction.