Conférence de presse de M. Jacques CHIRAC Président de la République à l'issue du sommet de l'Alliance atlantique .
Madrid -Espagne, Mercredi 9 juillet 1997
Mesdames, Messieurs,
Je n'ai pas voulu partir sans vous saluer, sans vous remercier et sans répondre, le cas échéant, à quelques questions que vous souhaiteriez me poser.
Ce matin nous avons eu cette réunion du Conseil du partenariat et cela m'a fait plaisir. Même si l'on peut penser que c'est une réunion un peu formelle, il y a quelques années, elle n'aurait même pas été imaginable, ce qui prouve tout de même que les choses progressent et progressent très, très vite, notamment la paix. C'était le 29 août dernier qu'à l'Elysée j'avais proposé une réunion de l'OTAN avec l'ensemble de nos partenaires et je me souviens très bien qu'à l'époque il y avait eu, un peu partout, beaucoup de scepticisme et peu d'intérêt, mais cela c'est fait.
L'Europe est la première puissance économique du monde et n'a pas encore, dans un monde qui évolue vers un système multipolaire, la place politique qui doit être la sienne. Elle doit donc en permanence s'affirmer petit à petit, ce n'est pas toujours commode, eh bien, elle s'affirme. Elle devrait aller c'est vrai, plus vite et plus loin, en matière de défense.
Elle va progresser en matière monétaire et instituer, nous pouvons l'espérer, une monnaie aussi puissante que le dollar parce qu'assise sur une puissance économique au moins aussi importante. Sa relation avec l'ensemble du continent au sens très large du terme, y compris toute la partie asiatique, si j'ose dire de l'Europe, s'aménage, s'améliore, renforçant ainsi les chances de paix. L'Europe doit être le moteur de tout cela, l'Union européenne, et la France au sein de l'Union européenne, doit en être le moteur parce que c'est son intérêt.
Notre vocation économique, politique, est d'avoir l'initiative d'un renforcement à la fois de la puissance européenne dans le monde et de la paix sur notre continent. Je le répète, il y a dix ans, on n'aurait pas imaginé un accord entre l'OTAN et la Russie, entre l'OTAN et l'Ukraine. On n'aurait pas imaginé quarante-quatre pays se réunissant ensemble de façon parfaitement conviviale. On n'aurait pas imaginé ce que l'on a vu le 27 mai dernier à Paris, c'est-à-dire un déjeuner réunissant les Présidents américain et russe avec les chefs d'Etat et de Gouvernement des seize pays de l'OTAN et le tout dans une atmosphère totalement conviviale.
On peut toujours dire ce n'est pas assez, cela ne va pas assez vite, etc. La vérité, c'est que lorsqu'on regarde l'histoire de l'Europe, on ne peut pas ignorer les progrès très rapides qui ont été accomplis au cours de ces dernières années et qui se poursuivront parce que tout le monde sent que c'est l'intérêt général et parce que la France est déterminée à poursuivre dans cette voie qui est celle de son intérêt et de l'intérêt général.
Voilà quelques réflexions, je suis tout prêt maintenant à répondre à vos questions.
QUESTION: - - Monsieur le Président, deux questions si vous le permettez. A votre avis le lien transatlantique a-t-il été renforcé ou bien affaibli au cours de ce Sommet ? Deuxièmement, comment va-t-on gérer cette architecture européenne à plusieurs vitesses, cette OTAN à cercles concentriques qui semble se dessiner à l'issue de ce Sommet, une partie avec les candidats acceptés, une partie avec les candidatures reportées en 1999, une autre partie avec la Russie, l'Ukraine, comment gérer cela ?
LE PRÉSIDENT: - On fait de la politique internationale, pas de la géométrie. Il faut être pragmatique. Les liens transatlantiques sont nécessaires, personne ne les conteste et ils ne seront, naturellement, absolument pas affaiblis. Quant à la nouvelle architecture, eh bien, petit à petit elle se met en place, cela ne se fait pas du jour au lendemain. Je le répète, ce qui est intéressant, c'est de voir qu'aujourd'hui quarante-quatre pays peuvent se réunir autour d'une même table, parler de façon conviviale sans que personne ne s'agresse. Cela est un vrai progrès, alors il faut continuer.
QUESTION: - Justement, Monsieur le Président, le progrès enregistré aujourd'hui sur l'élargissement au niveau de l'OTAN peut-il avoir des conséquences, ou bien favoriser un autre élargissement qui lui a moins bien marché à Amsterdam. Autrement dit, quel lien faites-vous entre cette identité européenne de défense et l'union politique européenne ?
LE PRÉSIDENT: - Je ne crois pas que l'on puisse faire de lien. L'élargissement de l'OTAN est un processus qui s'inscrit dans la construction d'un système de sécurité qui, petit à petit, est en train d'englober la totalité de l'hémisphère nord de notre planète. A l'occasion du déjeuner, le Premier ministre canadien répondant à une intervention du ministre anglais - qui représentait son Premier ministre qui avait dû rentrer à Londres ce matin - et qui proposait des ensembles régionaux pour essayer, là encore, d'avoir des relations plus cohérentes et plus faciles disait : " eh bien oui, vous avez raison , moi je propose un ensemble régional, qui comprendrait la Russie, le Canada et les Etats-Unis, parce que le Canada a deux frontières, l'une avec les Etats-Unis, l'autre avec la Russie ! ".
Ceci pour indiquer que l'on peut toujours spéculer, ce qui est important c'est d'avancer, ce qui est important, c'est la paix. L'élargissement se fait tranquillement, il fallait qu'il se fasse sans humilier ni agresser la Russie. Cela était l'essentiel, et cela a été l'une des volontés très fermes, exprimées par la France, et qui a conduit au partenariat auquel je faisais allusion, l'Accord OTAN/Russie.
Quant à l'élargissement de l'Union européenne, c'est un autre problème. Nous avons terminé notre Conférence intergouvernementale, elle est ce qu'elle est. Naturellement, elle n'est peut-être pas idéale, vous me dites que cela n'a pas été bien à Amsterdam, c'est votre point de vue. En tous les cas, l'ensemble des Quinze a considéré que le résultat était suffisant pour que l'on ait pu conclure, signer un nouveau traité et là encore, avec pragmatisme, l'idéal n'est pas de ce monde. A partir de là, on pouvait ouvrir l'élargissement aux pays qui veulent entrer, c'est-à-dire aux onze pays qui sont candidats. Ce sera chose faite le 1er janvier de l'année prochaine. La France a fait admettre, contrairement à ce que souhaitaient certains de ses partenaires, que tous les pays candidats soient sur la même ligne de départ, et qu'ensuite, après les études et les propositions faites par la Commission, le Conseil européen prenne ses décisions en ce qui concerne l'élargissement.
Je pense que très rapidement, c'est-à-dire en 2000 ou 2001, au moins trois ou quatre pays pourront rejoindre l'Union européenne et, petit à petit, tous les autres. Lorsque l'ensemble de l'Europe sera à la fois organisé sur le plan de sa sécurité et, si j'ose dire, relativement intégré sur le plan de sa vie économique et sociale, alors là on aura vraiment fait un progrès décisif pour la paix.
QUESTION: - Monsieur le Président, la presse roumaine dans son immense majorité et notre journal en particulier, salue la France, vous-même, et M. Védrine pour avoir réussi à imposer que la Roumanie et la Slovénie fassent partie de la deuxième vague d'intégration. Vous avez dit que la Roumanie a accompli les quatre demandes que l'OTAN a formulées pour pouvoir entrer dans l'OTAN. Comment pensez-vous que, dans les deux prochaines années, ce processus permettra à la Roumanie d'y entrer ?
LE PRÉSIDENT: - Personne ne peut contester que la Roumanie ait fait des efforts considérables pour remplir toutes les conditions que l'on est en droit d'exiger pour l'entrée dans l'OTAN. Un certain nombre de raisons faisaient que cet élargissement à plus de trois pays était contesté par certains. Je voudrais quand même noter au passage que la plupart des Européens ont été solidaires dans cette affaire, ce n'était pas si facile, c'est un progrès. Ils l'ont été plus qu'ils ne l'auraient été, il y a un an ou deux ans, ce qui a permis aux ministres des Affaires étrangères, après une discussion qui a duré plus de deux heures, d'arriver à un accord convenable. Ensuite, est-ce que cela va se faire en 1999 ? Ma réponse est oui. J'en ai encore parlé, ce matin, avec le Président Clinton.
Et cela pour une raison simple, parce qu'en 1999, c'est le cinquantième anniversaire de l'OTAN, et que cela va être une grande fête pour l'OTAN qui a engagé son processus d'élargissement. Je ne peux pas imaginer qu'à l'occasion de cet anniversaire, on conteste l'élargissement à la Roumanie et à la Slovénie, pays qui ont été inscrits dans un voeu pour ce qui concerne cet objectif. Je suis donc persuadé que cela se fera.
QUESTION: - Ne redoutez-vous pas que les pays qui n'ont pas été reçus pour le premier passage vers l'OTAN ne se retournent maintenant vers l'Union européenne, demandent une compensation, demandent à être admis plus rapidement, et que cela ne crée des pressions sur l'Union européenne, pour laquelle l'entrée est d'une plus grande complexité, économique et réglementaire ? Cela ne posera-t-il pas des problèmes pour l'approfondissement de l'Europe, que la France souhaite ?
LE PRÉSIDENT: - Non, je ne crois pas qu'on puisse craindre la moindre pression pour rentrer dans l'Union européenne. C'est l'intérêt de l'Union européenne, mais aussi celui des candidats. Il faut remplir un certain nombre de conditions économiques ; ceux qui les remplissent ont vocation à entrer et n'auront pas besoin de faire des pressions pour cela, puisque nous souhaitons l'élargissement le plus rapidement possible ; ceux qui ne les remplissent pas n'auront pas intérêt eux-mêmes à y entrer, parce qu'ils en souffriraient, ils devront attendre de remplir ces conditions économiques. Je crois que ce sont deux processus tout à fait différents.
QUESTION: - L'élargissement de l'OTAN a un coût financier, on en parle beaucoup au Congrès américain, on en parle moins côté européen, alors que les budgets sont très serrés pour tous les pays européens, que pensez-vous de ce coût financier de l'élargissement ?
LE PRÉSIDENT: - Je suis content que vous ayez posé cette question, car j'ai été étonné qu'on ne la pose pas. Ma première observation, c'est que je suis incapable de vous dire ce que cela coûte. Il y a une appréciation des experts de l'OTAN qui chiffrent, sur une période de dix ans, le coût entre un milliard trois cents millions de dollars répartis sur dix ans -ce n'est pas très important pour un élargissement à trois - et un milliard six cents millions pour un élargissement à cinq. C'est un document officiel de l'OTAN qui a été publié il y a peu de temps.
Là-dessus, un organisme américain, la Rand Corporation, a fait état de chiffres beaucoup plus élevés. Sur quelle base, je n'en ai aucune idée. Puis, il y a encore des chiffres qui ont couru dans les couloirs du Congrès américain, qui sont encore plus élevés. Moi, je n'y crois pas.
Nous, nous avons pris une position toute simple, c'est que l'élargissement devait se faire à coût nul, et nous sommes convaincus que c'est possible. Il y a probablement un certain nombre de gens qui ont intérêt, notamment ceux qui vendent des équipements ou de l'armement, à ce que l'on développe considérablement les moyens, qu'on les modernise, et cela coûte excessivement cher. Mais nous ne sommes plus dans le contexte de l'ancienne mission de l'OTAN - avoir le cas échéant, à contenir une offensive extrêmement importante venue de l'Est -, ce qui justifiait des infrastructures, des moyens considérables, aujourd'hui, ce n'est plus le cas.
L'OTAN est, en réalité, un organisme de maintien de la paix, c'est un système qui est fait pour gérer des crises et qui, par conséquent, peut avoir des moyens beaucoup plus légers, aussi bien en équipement qu'en infrastructures. Je ne vois pas pourquoi cela coûterait plus cher, ce n'est pas simplement une réflexion en l'air.
Nous sommes nous aussi interrogés ou consultés, mais aussi les experts civils, militaires, français et étrangers, et nous avons conclu que nous considérions que cet élargissement à trois ou même à cinq, compte tenu de la contribution qu'apportent les pays entrant, pouvait se faire à coût nul et par redéploiement de la dépense, voilà, ce que nous pensons. Pour ce qui concerne la France, elle n'a pas l'intention d'augmenter sa contribution à l'OTAN du fait de l'élargissement.
QUESTION: - Concernant les rapports de la France avec l'OTAN, M. Cohen, le secrétaire américain à la Défense, a laissé entendre que la France avait, en quelque sorte, jusqu'au mois de décembre pour décider de sa position concernant la structure militaire intégrée. Partagez-vous cette vision, et ce calendrier, qui sous-entend que la France après le mois de décembre aurait beaucoup plus de mal à revenir dans la structure militaire intégrée, si elle ne le décidait avant ?
LE PRÉSIDENT: - Je vous signale que la France n'a pas l'intention, les choses étant ce qu'elles sont, de rentrer ni avant ni après le mois de décembre dans la structure intégrée. De plus, je ne vois pas ce que le mois de décembre aura de déterminant pour la France, qui soit de nature à modifier son jugement. Je crois que c'est une affirmation qui est dépourvue de fondement.
QUESTION: - Estimez-vous que ce sommet de l'OTAN a été une bonne étape pour la coopération européenne, vous avez cité l'Italie comme un pays qui a soutenu les positions de la France sur l'élargissement, d'autres pays n'ont-ils pas rempli les attentes que vous vouliez mettre en oeuvre ?
LE PRÉSIDENT: - On ne peut pas dire cela, je constate, depuis quelque temps, depuis que j'occupe ces fonctions, que la solidarité européenne se renforce. Il n'y a pas que l'Italie qui a soutenu la position de la France, il y a neuf pays sur les seize, sans compter deux qui se sont abstenus - pour des raisons différentes - de se prononcer et qui ont gardé une liberté de manoeuvre, leur permettant de jouer un rôle sur le plan de la recherche d'un compromis acceptable. Il y a une cohésion européenne, dont j'observe qu'elle se renforce au fil des ans, ce qui est normal.
QUESTION: - Ce mois magique de décembre est aussi mentionné par M. Solana, dans une interview à l'Express, j'ai aussi entendu les Anglais en parler, c'est-à-dire qu'à la fin de l'année il y aura des décisions sur la restructuration de l'OTAN, et qu'il vaudrait mieux que la France prenne une décision, si elle veut réintégrer ou pas. A partir de cela, y aura-t-il des contacts aussitôt que possible, la France sent-elle une urgence à le faire ?
LE PRÉSIDENT: - Je vous rassure tout de suite, la France ne se sent sous aucune pression, ni sous aucune urgence, la France est prête à discuter avec l'OTAN de toutes sortes de choses. Elle ne voit dans le mois de décembre aucune espèce d'étape qui imposerait quoi que ce soit. Elle a dit clairement quelles étaient ses positions, elle n'a fait jusqu'ici aucune espèce de concession, et n'a pas l'intention d'en faire. Si les choses évoluent, on en tiendra compte, si elles n'évoluent pas, on en tiendra compte aussi.
QUESTION: - Donc, les choses resteront comme elles sont.
LE PRÉSIDENT: - Tout à fait.
QUESTION: - Est-ce que la cohabitation pourrait compliquer les choses ?
LE PRÉSIDENT: - Je n'ai pas du tout ce sentiment. D'ailleurs ce n'est pas dans la tradition républicaine française que la cohabitation complique les choses dans le domaine des affaires étrangères.
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