Point de presse conjoint de M. Jacques CHIRAC Président de la République et de M. Vladimir POUTINE Président de la Fédération de Russie
Palais de l'Élysée, lundi 30 octobre 2000.
LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs, je voudrais saluer les représentants de la presse russe, les journalistes étrangers, plus généralement, et bien entendu les français, et les remercier de leur présence.
Ce sommet, après celui entre l'Union européenne et la Russie, a été une rencontre entre deux vieilles nations qui se connaissent bien, qui s'estiment et entre lesquelles l'Histoire a créé des liens puissants. Mais cela a été également des entretiens tournés essentiellement, vous l'imaginez, vers l'avenir.
Pendant cinquante ans, la sécurité européenne a été fonction de l'équilibre entre deux forces antagonistes, les États-Unis et l'Union soviétique. Aujourd'hui, les choses ont évolué et chacun prend bien conscience en Europe, au sens large du terme, que l'équilibre, la sécurité, le développement, sont fonction d'une situation où, en réalité, les trois forces principales sont, notamment pour la sécurité, les États-Unis, la Russie et l'Europe. C'est-à-dire que nous voyons aujourd'hui un monde multipolaire en train de se mettre en place. Par conséquent, nous devons nous organiser pour tirer tout le bénéfice de cette situation nouvelle.
Nous avons, entre la Russie et la France, des points de convergence importants. Le rôle de l'Organisation des Nations Unies, de son Conseil de sécurité, le respect des équilibres stratégiques, la lutte contre la prolifération. Ce sont des points qui nous sont communs. S'agissant des affaires stratégiques, nous avons la même position en ce qui concerne le respect du Traité ABM qui, à nos yeux, ne doit pas être mis en cause, ce serait dangereux, et nous avons une position commune que nous défendrons à l'Organisation des Nations Unies par une résolution qui, d'ailleurs, rend hommage à la position et salue la décision prise récemment par le Président CLINTON de reporter le projet dit NMD.
Cette convergence s'exprime également pour ce qui concerne les problèmes régionaux. Nous avons une analyse assez commune et une inquiétude commune pour ce qui concerne la situation au Proche-Orient et nous appelons à la modération, au retour à un processus de paix, aux voies du processus de paix. Nous avons une approche commune en ce qui concerne les Balkans et en particulier le soutien que nous apportons à l'action menée par le Président KOSTUNICA. J'ai eu l'occasion, d'ailleurs, de faire le point au Président POUTINE sur le sommet qui se prépare et qui aura lieu prochainement à Zagreb.
Dans le domaine bilatéral, nous avons relancé un large programme de rencontres bilatérales dans tous les domaines, à commencer par la Commission des Premiers ministres, qui se tiendra cette année en France, le 19 décembre, et qui est précédée par toute une série de réunions au niveau ministériel. Nous sommes convenus de donner à notre coopération quelques axes majeurs : les hautes technologies, notamment dans le domaine de l'espace et de l'aéronautique. Nous avons évoqué l'offre globale faite par EADS et nous avons salué la conclusion d'un contrat d'équipement important de trois satellites par ALCATEL. Notre coopération sur les programmes de réformes engagés en Russie concernant l'État de droit, l'organisation de l'administration, les réformes économiques, s'est également renforcée, et j'ai confirmé au Président POUTINE que nous étions tout à fait à la disposition de la Russie dans la mesure où elle le souhaiterait. Le développement des contacts directs n'a pas été pour autant ignoré. Nous avons décidé de multiplier les contacts de la société civile russe et française, notamment au niveau des jeunes.
Enfin, le Président POUTINE me faisait remarquer lors de notre entretien qu'il n'y avait pas de bonnes relations si elles n'étaient pas également culturelles. Nos relations culturelles sont anciennes, elles sont importantes mais elles se développeront de façon spectaculaire avec les grands projets que nous sommes en train de mettre au point pour fêter le tricentenaire de Saint-Petersbourg.
Vous voyez, au fond, une France au coeur de l'Union européenne et qui a sa personnalité traditionnelle, ses liens anciens avec la Russie, une Russie moderne et démocratique, une même vision de l'organisation du monde, un monde multipolaire où chacun conserve son identité et sa capacité à la fois de réflexion et de gestion de ses affaires, voilà les fondements de la relation franco-russe. Et je me réjouis qu'elle ait pu être clairement affirmée à l'occasion de ces entretiens entre le Président POUTINE et moi.
LE PRÉSIDENT POUTINE - C'est pour moi une satisfaction que les entretiens que nous avons eus aujourd'hui avec les dirigeants français, avec le Président de la France, se soient déroulés dans un climat de franchise, d'amitié. Nous nous sommes inspirés du seul objectif qui consistait à donner un nouveau souffle à la coopération franco-russe, à restituer à la coopération franco-russe un caractère privilégié.
En Russie, on a des sentiments particuliers pour la France, au fil des siècles. Nous ne doutons pas que le potentiel particulier entre la Russie et la France est non seulement préservé mais devrait être développé. Ce potentiel devrait être développé puisque nous avons des domaines de coopération où les relations entre la Russie et la France sont irremplaçables.
Le Président vient de le dire. Il a parlé du fait que nous avons des analyses communes, des approches convergentes sur toute une série de problèmes-clefs de la sécurité internationale.
J'ai dit au Président l'intérêt qu'on a en Russie pour les idées énoncées par lui, au cours du sommet du Millénaire, au sujet de la nécessité de réguler le processus de mondialisation qui porte à la fois une charge positive et présente des éléments d'inquiétude. Voilà des idées qui recoupent les nôtres et nous sommes prêts à travailler avec la France afin de surmonter les difficultés qui sont liées au processus de la mondialisation.
Nous avons réaffirmé le fait que nous avons des positions proches en ce qui concerne la nécessité du maintien du traité ABM de 1972. Nous sommes persuadés que, pour lutter contre la prolifération des missiles et des technologies balistiques, on devrait utiliser les moyens politiques. Toutes les conditions sont réunies pour cela, ce sont les propositions russes visant à créer un système global de contrôle de la non-prolifération des missiles et des technologies balistiques, qui offre une alternative tout à fait nécessaire. Notre proposition visant à créer le système de l'ABM non stratégique reste valable.
Nous avons parlé du Proche-Orient et de la nécessité de coordonner nos efforts dans les Balkans. Là aussi nous avons beaucoup de points en commun.
Le haut niveau de la compréhension mutuelle entre la France et la Russie s'est également manifesté dans le domaine des relations bilatérales. D'ici à la fin de l'année, nous aurons beaucoup de contacts d'experts. Il y aura la visite du Président du Conseil des Ministres russe à Paris. Je pense qu'au-delà de la volonté politique, il convient aussi de faire preuve d'imagination, d'esprit novateur dans les relations entre les deux pays, pour faire abstraction des schémas surannés de la coopération. Il est nécessaire de créer les instruments souples de coopération qui permettront à nos hommes d'affaires de coopérer, de développer les investissements. La solution à apporter à ces problèmes devrait être le contenu principal de la future rencontre à Paris en décembre.
D'une manière générale, les pourparlers ont confirmé que les relations franco-russes jouissent de bonnes perspectives et que nous avons en la personne de la France un bon partenaire pour garantir la paix dans le monde. Il n'y a pas de doute, la coopération entre la Russie et la France est conforme aux intérêts nationaux des deux États.
Je vous remercie.
QUESTION - Il y a deux questions que je voudrais poser. Est-ce que votre déclaration nous permet à nous, journalistes, de considérer que la période de refroidissement est révolue dans les relations entre la Russie et la France ? Deuxième question, est-ce que vous avez discuté de la situation d'une citoyenne russe, Zakharova ?
LE PRÉSIDENT POUTINE - Si je dois répondre à votre question, je serai tenté de dire qu'aujourd'hui, qu'à présent, je ne sais pas si cette période de refroidissement a existé.
Nous avons discuté avec le Président de la situation de la famille Zakharov, de la fillette Zakharova. Notre préoccupation a été prise en compte par le Président de la France. Nous avons l'espoir que ces questions très complexes, qui affectent les individus concrets, resteront dans le domaine des normes universellement reconnues du droit international. Nous avons beaucoup d'espoir concernant des choses comme, par exemple, la décision du tribunal d'interdire à l'enfant de parler sa langue maternelle ou bien de pratiquer la religion orthodoxe, autant de décisions qui suscitent des interrogations. Mais nous savons que la position des autorités officielles, du pouvoir exécutif, et puis la position des tribunaux, ce sont deux choses différentes. Cela dit, nous comptons sur le soutien de l'opinion publique de la France et également sur le soutien du Président français pour résoudre ce problème compliqué.
LE PRÉSIDENT - La même question m'est posée. Je vous dirai, sur le premier point, que je n'ai jamais émis aucun espèce de vent froid en direction de la Russie et que je souhaite que les relations traditionnellement amicales entre nos deux pays soient préservées de toute espèce d'incident.
Quant à la question concernant la petite Macha, je voudrais simplement dire, premièrement, que ce n'est pas une citoyenne russe mais une citoyenne française et, deuxièmement, que ce sont les tribunaux qui sont saisis de cette affaire et que même si j'ai entendu le Président, qui a longuement développé sa préoccupation à l'égard de ce cas humanitaire, si je l'ai écouté avec beaucoup d'attention, et si le gouvernement l'a écouté avec beaucoup d'attention, il faut tout de même savoir que nous sommes dans un État de droit où seuls les tribunaux peuvent trancher.
QUESTION - La question est posée au Président russe. Est-ce que vous pensez que la Russie et la France continueront de se rapprocher, la Russie et l'Union européenne, au point que la Russie commencera à s'appuyer dans son économie non pas sur le dollar, sur la monnaie des États-Unis, mais sur l'euro ?
LE PRÉSIDENT POUTINE - Nous sommes un pays qui se trouve sur le continent européen, c'est un fait. Nous avons des programmes de coopération à long terme avec l'Union européenne, c'est un fait aussi. Nous avons des projets d'élargir et d'approfondir cette coopération. Nous en avons parlé, nous avons discuté de ces projets. Ces projets visent le long terme, car nous pensons que l'Europe constitue un partenaire pour la Russie. Nous avons intérêt à ce que tous les éléments du développement de l'économie européenne, y compris le domaine financier, se développent avec beaucoup de succès. Donc, pour sa part, la Russie continuera de faire tout son possible pour la renforcer, y compris la monnaie européenne. Et le gouvernement russe a des projets à cet égard. Nous allons coopérer avec l'Union européenne et nos projets seront également coordonnés.
QUESTION - Est-ce que vous pensez que l'intégrisme islamique est un ennemi commun contre lequel la Russie, la France et le reste de l'Europe peuvent lutter ensemble ?
LE PRÉSIDENT - Lorsque l'intégrisme, dans une certaine acception de ce terme, qu'il soit islamiste ou autre, se traduit par ou provoque des actions de terrorisme, dans un monde civilisé, il est par définition l'ennemi commun, c'est évident. Alors, je ne veux pas mêler l'Islam à cette affaire, il y a toutes sortes d'intégrismes, mais il est évident qu'à partir du moment où cet intégrisme provoque du terrorisme, il doit être combattu avec tous les moyens nécessaires.
LE PRÉSIDENT POUTINE - Je voudrais rappeler ce que j'ai exprimé lors de la conférence de presse précédente. Tout mouvement en direction de la coopération avec l'extrémisme, de quelque bord qu'il soit cet extrémisme, extrémisme musulman aussi, est perçu par ces gens comme une preuve de faiblesse. Et cette tentative serait contreproductive dans ce sens. Tous ceux qui s'en tiennent au principe de la tolérance, tous ceux qui s'en tiennent au principe de l'égalité en ce qui concerne les religions, les confessions, les représentants des différentes nations, tout ceux-là doivent s'aligner, doivent présenter un front commun pour faire face, pour faire pièce à l'extrémisme quel qu'il soit.
QUESTION - Est-ce que vous avez discuté la nécessité de dégeler les avoirs gelés par la partie française après la crise de 1998 ?
LE PRÉSIDENT POUTINE - Nous nous sommes gardés de discuter directement de cette affaire mais nous avons l'intention de poser la question lors de la réunion de décembre prochain, à l'occasion de la visite du Président du Conseil russe. Voilà le problème auquel nous pensons et je suis certain que ce problème trouvera sa solution.
QUESTION - Concernant le Proche-Orient, est-ce que vous avez fait quelque chose dans cette situation détériorée, je crois que vous êtes bien informés, je pense qu'une intervention européenne et russe peut être intéressante...
LE PRÉSIDENT POUTINE - Pour la Russie, il n'y a aucun problème qui se pose. Nous avons une Ambassade palestinienne chez nous, nous reconnaissons le droit du peuple palestinien à l'autodétermination, y compris la création de son propre État. C'est une position ancienne, c'est une position de principe et qui ne change pas. Nous pensons que, pour réaliser des progrès dans ce sens, dans cette direction, et la pratique nous le démontre, il faut agir dans toutes les directions simultanément, suivant les pistes syrienne, libanaise et ceci parce que le règlement en Palestine concerne également les voisins.
Il faudrait élargir la base de la médiation, à la fois sous la forme de la Russie et de l'Union européenne. L'Union européenne et la France ont leur intérêt direct dans cette région, nous les respectons, ces intérêts, et nous pensons que si nous nous assignons comme objectif d'atteindre des résultats tangibles et appréciables, nous devrions agir dans cette direction. Mais, aujourd'hui, la tâche principale est de mettre un terme à la violence.
LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs, je vous remercie.
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