DISCOURS DE M. JACQUES CHIRAC
SUR LE DEVELOPPEMENT DES TERRITOIRES RURAUX
(CAMPAGNE ELECTORALE POUR L'ELECTION PRESIDENTIELLE)
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USSEL, SAMEDI 13 AVRIL 2002
Monsieur le Maire d’Ussel, Cher Laurent CHASTAGNOL, Cher Jean-Pierre DUPONT, Mesdames et Messieurs les Parlementaires et les Elus d’Auvergne et du Limousin, Chers amis et compatriotes Corréziens,
C’est d’abord à vous que je veux exprimer mon amitié cet après-midi. Notre rencontre est avant tout celle de la fidélité et celle du coeur.
J’ai souhaité, ici, à USSEL, vous redire l’attachement indéfectible qui me lie à vous, sur cette terre qui est aussi la mienne.
La présence de ma femme, qui est votre élue au Conseil général depuis plus de vingt ans, exprime aussi aujourd’hui de façon constante, efficace et personnelle, notre attachement à la Corrèze et aux Corréziens.
Cette terre est en effet celle de notre engagement commun. C’est la terre de nos racines.
En cet instant, je veux rendre hommage à tous les élus municipaux, cantonaux, régionaux et parlementaires de Corrèze, auxquels m’attachent tant de liens et de souvenirs. Ils donnent chaque jour l’exemple de l’engagement, de la disponibilité, de l’imagination.
Ecole de civisme, école de la démocratie et du service public, école du devoir, la Corrèze demeure pour Bernadette et pour moi l’objet permanent de notre attention et de notre affection.
Chers compatriotes Corréziens, c’est toujours à l’unisson de votre coeur que bat le mien et c’est dans ce terroir que s’enracinent mes convictions et ma passion pour le service de notre démocratie .
Je suis heureux de vous retrouver à Ussel aujourd’hui. C’est d’ici que je veux évoquer l’avenir de notre France rurale. Une France trop souvent négligée et pourtant si dynamique et innovante.
Notre espace rural mérite une véritable ambition. Il est de plus en plus perçu par les Français comme une richesse, comme un facteur d’équilibre social et comme un lieu d’épanouissement. Mais, malgré cette image positive, la vérité du monde rural reste mal connue et mal comprise : on ignore souvent ses besoins en infrastructures et en services publics. On ignore plus encore les mutations que l’agriculture a connues depuis quarante ans, le dynamisme et la faculté d’adaptation extraordinaires qui sont demandés aux paysans.
Le monde rural est aujourd’hui victime de la politique d’aménagement du territoire conduite ces dernières années. Une politique qui ignore la ruralité faute d’en comprendre la réalité.
Il faut inverser cette logique. Mettre un terme à la dégradation de l’espace. Respecter les modes de vie des ruraux. Développer la prodigieuse richesse que représente pour notre pays l’étendue de son territoire, l’équilibre de ses paysages, la richesse de ses traditions et la variété de son espace, qu’il soit montagnard, littoral ou façonné de plaines et de vallons.
La France rurale est un creuset où peuvent se renouer les liens sociaux et se développer de nouvelles dynamiques économiques.
Sur le plan démographique, un renouveau est engagé. Des ménages jeunes, aux besoins différents, rejoignent le monde rural. Pour un nombre croissant de nos concitoyens, jeunes ou moins jeunes, la ruralité est une manière de revendiquer un autre mode de vie, de manifester leur attachement au respect des valeurs humaines, notamment les valeurs d’intégration. Ces aspirations doivent être mieux prises en compte.
Sur le plan économique, les activités traditionnelles demeurent fortes. L’agriculture française est devenue, au cours des quarante dernières années, la première d’Europe. Elle rivalise avec les agricultures les plus compétitives sur les marchés mondiaux. Elle propose l’offre la plus étendue de produits de qualité liés à des terroirs et à des savoir-faire réputés.
La forêt française elle-même, dont la superficie ne cesse de croître, est la deuxième forêt européenne. En majorité détenue par de nombreux propriétaires privés, elle souffre encore des tempêtes de fin 1999 et attend, à juste titre, que ses difficultés soient mieux prises en compte.
Enfin, l’industrie, l’artisanat et le commerce restent très présents en milieu rural en dépit des restructurations industrielles, de l’évolution des modes de vie et du développement de la grande distribution. Des activités nouvelles se sont développées. Elles ne compensent pas encore les pertes d’emplois dans des secteurs traditionnels comme le textile, la chaussure ou le petit électroménager. Mais les nouvelles technologies de l’information et de la communication peuvent jouer un rôle déterminant à l’avenir.
Sur le plan de l’organisation de l’espace enfin, les enjeux sont importants. Il s’agit de mieux gérer les conflits d’usage du sol, dans le respect de la propriété privée. Une réelle maîtrise de l’urbanisation doit aussi s’imposer, notamment en zone périurbaine.
La politique de développement des territoires ruraux que je souhaite mettre en oeuvre est fondée sur la solidarité, sur la modernité, sur le respect et l’initiative. Ce sont ces valeurs qu’il faut promouvoir pour rendre au monde rural toute sa place dans notre société. Pour que son dynamisme ne soit pas asphyxié, pour que les identités soient respectées.
Au centralisme et aux complications bureaucratiques, inhérents à la pensée et à la pratique socialiste, j’oppose le projet d’un Etat plus moderne, plus souple, plus réactif dans ses interventions et plus respectueux des initiatives locales.
C’est dans ce sens que je propose, pour les prochaines années, un plan de développement des territoires ruraux, reposant sur trois priorités :
- Tout d’abord, construire une ruralité plus attractive et plus accueillante pour les familles.
- Ensuite, dynamiser les économies locales en défendant le revenu des agriculteurs et en développant des infrastructures adaptées aux besoins des ruraux.
- Enfin, porter davantage de considération et de respect à l’espace rural et aux modes de vie.
Construire une ruralité attractive et accueillante pour les familles, suppose d’abord d’apporter une réponse aux questions de la vie quotidienne : la santé, le logement, les services publics, l’éducation, la culture, la sécurité.
Une enquête réalisée par l’association des familles rurales montre que 2,5 millions de Français vivent éloignés de tout commerce ou service de proximité. Les ruraux et leurs élus ont ainsi de plus en plus le sentiment qu’ils sont condamnés à payer pour pouvoir disposer de services alors que partout ailleurs c'est un droit.
Actuellement, un tiers des agences postales ne restent ouvertes que grâce au financement des communes. C’est contraire au principe républicain d’égal accès de tous au service public.
Au-delà des arguments de rationalité financière, qui ignorent trop souvent les réalités humaines, il convient d’assurer pour tous les Français le respect de ce principe. Un principe qui doit être appliqué avec pragmatisme, en tenant compte le plus possible des réalités locales.
C’est pourquoi je souhaite que soient établis des contrats d’objectif des services publics en milieu rural, conclus pour 5 ans entre les collectivités locales, les représentants des usagers et les services concernés. C’est cette approche locale et globale qui permettra de trouver les meilleures solutions. Et c’est ensuite sur cette base que pourront être négociées les conventions d’objectif des entreprises gestionnaires de ces services. Dans l’attente de la mise en oeuvre de ce dispositif, un nouveau moratoire sur la fermeture des services publics en milieu rural sera décidé.
La sécurité mérite quant à elle un traitement particulier tant la situation s’est dégradée rapidement ces dernières années en milieu rural, comme ailleurs. L’insécurité a progressé de 15% en 2001 en zone gendarmerie. Elle continue de progresser sur le même rythme. Jamais nous n’avions connu une telle évolution.
A la campagne comme en ville, tout acte délictueux doit faire l’objet d’une sanction appropriée. La gendarmerie est évidemment la première concernée s’agissant des zones rurales. Les conditions matérielles dans lesquelles les gendarmes exercent leur mission contribuent à la grave crise morale actuelle. Les réponses à cette crise, je veux les apporter dans le cadre d’une loi de programmation qui sera votée dès les premiers mois de la prochaine législature.
La mobilisation nécessaire des forces de sécurité concerne aussi les zones rurales. Elle permettra notamment de démanteler les réseaux qui agissent dans le milieu rural parce que celui-ci devient de plus en plus la base arrière de trafics en tous genres.
En même temps que le renforcement de l’action des forces de sécurité, une justice plus efficace sera aussi un élément indispensable dans cette lutte contre l’insécurité. C’est pourquoi je propose la création de " tribunaux de proximité " qui permettront de sanctionner rapidement toutes les infractions.
Mais cela ne sera pas suffisant si l’action des élus locaux, et en particulier des maires, n’est pas mieux prise en compte. En première ligne sur le terrain de l’insécurité, les maires doivent se voir reconnaître une véritable capacité d’impulsion et de coordination, en rapport avec l’engagement et avec la volonté politique qu’ils manifestent déjà. Face à ces responsabilités et à ces sollicitations croissantes, les conditions d’exercice du mandat des élus, notamment leurs indemnités, devront être revues. Notre société ne peut pas exiger toujours plus de disponibilité de la part des maires sans réévaluer les contreparties de cet engagement.
Dans le domaine de la santé, nous devrons aussi agir rapidement pour inverser le mouvement de désertification médicale qui devient préoccupant dans de nombreuses régions. L’offre thérapeutique doit y être remise à niveau en facilitant l’installation de nouveaux médecins, en organisant et en développant des réseaux de soins, en créant des " points santé " itinérants pour la médecine du travail, la médecine scolaire et la protection maternelle et infantile.
Pour faire face à l’éloignement des structures hospitalières, il faut aussi développer les structures d’hospitalisation à domicile. Celles-ci n’existent aujourd’hui que dans moins d’un département sur deux.
Mieux accueillir les familles, c’est aussi innover pour accroître l’offre de logements locatifs, ce qui pourrait être fait en aidant mieux les communes à réhabiliter leur patrimoine.
Nous devrons également augmenter sensiblement les capacités de garde des jeunes enfants en milieu rural et d’accueil péri-scolaire pour ceux dont les parents travaillent. Pour faire cela, nous pourrons tirer parti des nombreuses expériences déjà conduites localement.
De même, il faut pouvoir garantir un égal accès à l’éducation pour tous les enfants, ruraux ou citadins, en reconnaissant une plus grande capacité d’initiative aux acteurs locaux, quitte à déroger plus souvent aux critères actuels, notamment en matière de fermeture de classes primaires et de petits collèges.
Dans tous les domaines, nous devons accroître la souplesse du système éducatif pour mieux l’adapter à la vie rurale. Cela peut passer, parfois, par la mise en place de réseaux d’éducation fondés sur la mobilité des professeurs plutôt que sur celle des élèves. Ou par la création d’internats à temps partiel où les élèves résideraient deux à trois jours par semaine, ce qui limite la coupure avec les familles et facilite aussi bien les activités socioculturelles que l’aide aux devoirs.
Indépendamment des initiatives prises pour renforcer la présence des services publics, il ne peut y avoir de ruralité accueillante et vivante que si l’activité économique y tient une juste place. C’est pourquoi le plan que je vous propose se fixe pour deuxième objectif une ruralité économiquement et démographiquement forte, gage d’un développement durable.
En matière de transport, nous devons rechercher un nouvel équilibre entre les réseaux locaux et les grandes infrastructures nationales ou internationales : selon la politique qui sera choisie, celles-ci peuvent en effet irriguer le monde rural ou aggraver son isolement. Là encore, nous pouvons nous appuyer sur les expériences locales et sur une meilleure prise en compte des projets élaborés par les régions et les départements.
Mais aujourd’hui, au-delà des infrastructures traditionnelles, la question de l’accès au téléphone mobile et à l’internet rapide se trouve au coeur des enjeux de développement des territoires ruraux. Pour réduire les inégalités d’accès aux technologies de l’information, je propose un plan de rattrapage qui portera à la fois sur l’équipement des foyers et des écoles en ordinateurs, sur la formation à l’usage de l’internet et sur le déploiement de l’internet rapide pour tous.
L’Etat s’engagera, aux côtés des collectivités locales, pour garantir l’accès de chaque commune au haut débit d’ici cinq ans. Il accompagnera techniquement et financièrement les initiatives qui seront prises dans le cadre des contrats de plan Etat-Région.
Enfin, d’ici trois ans, l’ensemble du territoire français devra être couvert par la téléphonie mobile. Il y a aujourd’hui trop de zones d’ombre, ici même, en Limousin.
Ces investissements ne sont pas seulement nécessaires pour garantir l’égalité devant le service public et la participation de tous à la communauté nationale. Ils contribueront aussi à la création et au développement des entreprises, et appuieront des nouveaux dispositifs de soutien à l’artisanat et au commerce de proximité.
Dans le même souci de renforcer l’activité en milieu rural, nous devons encourager, avec les organismes consulaires, l’installation dans chaque département de " facultés de l’entreprise et des métiers ", afin de valoriser les métiers de l’artisanat et du commerce. Nous devons aussi simplifier les règles de création des groupements d’employeurs et envisager la création d’un nouveau " contrat mixte de travail public-privé " pour faciliter l’embauche à temps plein.
Dans ces propositions pour développer l’activité en milieu rural, je veux de nouveau insister sur la nécessité d’une politique agricole ambitieuse.
Notre ami, Raymond Lacombe, ancien Président de la FNSEA, qui nous a quittés récemment, avait réuni il y a dix ans plus de 200 000 ruraux à Paris sous la bannière " Pas de pays sans paysans !". Je fais mienne cette devise, qu’il faut tout de suite compléter par une autre : " Pas de paysan sans revenu !" Car aujourd’hui, c’est bien cela le problème.
La politique conduite en France ces dernières années a accru les difficultés de notre agriculture.
- le revenu de la " ferme France " a baissé de plus de 10% au cours des trois dernières années,
- le nombre d’installations de jeunes agriculteurs a chuté de 40% depuis 1997,
- et sur la même période, le solde traditionnellement excédentaire de notre balance commerciale a baissé de 25%.
Voilà le bilan de la politique agricole conduite depuis cinq ans. Mais au-delà des chiffres, je condamne surtout un manque de considération pour les agriculteurs qui se traduit par un profond désarroi dans les campagnes, une crise morale sans précédent. C’est une question de dignité.
La crise de l’élevage n’est pas réglée. Les prix bas et les trésoreries exsangues demeurent. Ici, dans le bassin allaitant, la survie de nombreuses exploitations est en jeu. Ce ne sont pas les aides chichement calculées et en cours de versement qui vont améliorer la situation. Les effets d’annonce sans suite ont profondément atteint le moral des agriculteurs.
Pour repartir sur de nouvelles bases, nous devrons apurer ce passé en apportant aux éleveurs le soutien financier et la considération qu’ils méritent ; et, avec la profession, nous devrons définir un plan d’adaptation de la filière sur cinq ans.
Les socialistes nous avaient annoncé une révolution agricole, ils ont provoqué la désolation agricole !
Aujourd’hui, nous ne pouvons que constater leur incapacité à comprendre un secteur dont ils se méfient. Un secteur que, par idéologie, ils ont tendance à regarder comme résiduel, sans mesurer son importance pour l’avenir, pour la qualité de la vie, pour l’identité européenne, pour la capacité de la France et de l’Europe à affirmer leur force et leur indépendance sur la scène internationale.
Passés les discours caricaturaux dans l’air du temps et les gesticulations médiatiques, il restera de la politique socialiste l’échec des " contrats territoriaux d’exploitation " et, plus que l’échec lui-même, une régression dans l’implication des agriculteurs en faveur de l’environnement : deux fois moins d’agriculteurs se sont engagés dans les mesures agri-environnementales au cours des cinq dernières années, et l’on s’achemine vers la suppression de la " prime à l’herbe " en 2003 qui devra être compensée d’une manière ou d’une autre.
Autre échec douloureux pour notre pays : le gaspillage des crédits communautaires de développement rural ces deux dernières années. Avec les pénalités appliquées à la France et la modulation indûment prélevée, ce sont presque 3 points de revenu qui ont été perdus pour la " ferme France " en 2000 et 2001 par dogmatisme et par inefficacité !
C’est en partant de ce triste bilan que nous allons devoir reconstruire une politique agricole ambitieuse au niveau national et communautaire.
Heureusement, cette dégradation n’est pas une fatalité. Nous pouvons bâtir l’agriculture de confiance que souhaitent tous les Français et, parmi eux, les agriculteurs eux-mêmes. Mon projet pour l’agriculture française est volontariste. Il est aussi équilibré. C’est le projet d’une agriculture écologiquement responsable et économiquement forte.
Notre agriculture doit mieux prendre en compte les risques de pollution. Elle doit aussi garantir la mise en marché de produits sans risque pour la santé. De nombreux efforts ont déjà été réalisés ces dernières années. Ils doivent être poursuivis et renforcés. Personne ne le conteste. Ce défi, nous le relèverons collectivement avec les agriculteurs et certainement pas contre eux.
Ces progrès nécessaires doivent être accompagnés par une simplification administrative de grande ampleur. Dans le seul secteur de la viande bovine, il existe aujourd’hui dix-sept formes différentes d’aides dont le coût de gestion est impressionnant. L’inflation de réglementations asphyxie les entreprises agricoles et n’incite pas les jeunes à rejoindre le métier.
Pourtant, l’installation des jeunes doit retrouver une place de premier ordre dans le dialogue social. Un dialogue dont nous devrons renouer les fils, dans le secteur agricole comme ailleurs. Abandonnée depuis cinq ans, avec pour résultat la perte de 20 à 25.000 emplois directs et indirects, la politique d’installation doit retrouver une nouvelle vigueur, alliant souplesse des procédures et reconnaissance de l’esprit d’entreprise. La revalorisation des retraites agricoles doit aussi mieux accompagner cette politique.
Mais cette reprise des installations, comme d’ailleurs la mobilisation de l’ensemble de la profession sur un nouveau projet agricole, ne pourra réellement se faire que si les perspectives de revenu sont satisfaisantes.
Il faut pour cela replacer la question du revenu des agriculteurs au coeur de notre politique agricole. Je l’avais dit à Rennes en septembre dernier. Il faut accepter que notre indépendance alimentaire et que la qualité sanitaire des aliments soient payés à leur juste coût. Il n’y a pas de meilleure garantie, sur le plan environnemental et sanitaire, que cette acceptation d’un prix juste pour les produits agricoles ; c’est-à-dire un prix qui prenne en compte le coût de revient et qui rémunère le travail de l’agriculteur.
Il n’y a aucune fatalité au démantèlement de la PAC. Il serait pour le moins étonnant que l’Europe de demain ne puisse se construire que sur les cendres de la principale politique commune qui existe aujourd’hui. Et il serait tout aussi paradoxal de penser que les prix agricoles doivent être de plus en plus bas alors que nous demandons aux agriculteurs toujours plus de progrès en matière sanitaire et environnementale ce qui, bien sûr, a un coût pour les agriculteurs.
Les dépenses de la Politique agricole commune représentent moins de 1% des dépenses publiques de tous les Etats membres. Est-ce trop cher payé pour notre indépendance alimentaire et notre capacité d’exportation ? Est-ce trop cher payé pour une agriculture respectueuse du consommateur et du cadre de vie ? Evidemment non. Il faut cesser de traiter notre agriculture comme une charge alors qu’elle est avant tout une richesse pour notre nation.
Si nous devons rechercher tous les moyens de dépenser mieux parce que nos contraintes budgétaires demeurent fortes, nous devons considérer aussi qu’il est irréaliste de croire que l’on peut arrêter de soutenir notre agriculture.
Fondamentalement, c’est le " mythe du prix mondial " qui doit être rediscuté car c’est de ce choix que découle aujourd’hui la mise en cause de la PAC. Le débat sur les aides à l’agriculture sera alors pris dans le bon sens sans nous laisser enfermer dans la prétendue nécessité de transférer le financement du " 1er pilier ", celui des " organisations de marché ", au profit du " développement rural ", que l’on appelle aussi le " 2ème pilier " depuis les accords de Berlin.
Je suis d’ailleurs surpris que ceux qui plaident le plus bruyamment pour une maîtrise de la mondialisation et une régulation des marchés mondiaux soient favorables, dans le même temps, à un démantèlement des organisations de marchés au sein de l’Union européenne. Il y a là une contradiction difficilement explicable. J’observe aussi que la réforme en cours de la politique agricole américaine remet en cause tout le discours sur la libéralisation des marchés agricoles qui prévaut depuis dix ans.
Je suis pour le " développement rural " mais pas pour le " tout développement rural " si nous voulons que notre agriculture demeure forte économiquement. Par construction, du fait du cofinancement qui lui est lié, l’option du " tout développement rural " nous conduirait droit à la renationalisation de la PAC. Et par expérience, à l’image de ce qui s’est fait en France ces dernières années, cette option est aussi celle de la " fonctionnarisation " de l’agriculture qui paralyse les initiatives et nivelle les ambitions et les perspectives de revenu, quels que soient les efforts et les mérites des agriculteurs. Cette évolution n’est pas acceptable.
Notre objectif doit être de consolider durablement le revenu des agriculteurs. Il faut pour cela que les prix mondiaux ne soient plus des prix maintenus artificiellement bas et sans aucune relation avec les coûts de production. Il faut donc débattre à l’OMC d’un commerce plus équitable des produits agricoles. L’Union européenne n’est pas dépourvue d’arguments dans ces débats. Elle a déjà fait d’importants efforts en maîtrisant mieux ses volumes de production.
Cette voie suppose une volonté politique forte et la réaffirmation des principes de la PAC qui restent inscrits dans les traités. Ne pas essayer de faire prévaloir cette voie serait une faute.
Mon choix, c’est un discours de vérité et de confiance qui refuse le déclin programmé de notre agriculture. Mon choix, c’est celui d’une PAC ambitieuse, solidaire avec les pays en développement et fondée sur une organisation équitable du commerce mondial. C’est le choix de marchés agricoles régulés en Europe et au-delà, afin que les agriculteurs tirent d’abord leurs revenus de la vente de leurs produits.
Auprès des agriculteurs, et avec l’expérience qui est la mienne dans ce domaine, je m’engage à redonner confiance aux hommes et aux femmes qui ont choisi ce beau métier. C’est avec cette confiance retrouvée qu’ensemble nous pourrons nous mobiliser sur un objectif commun.
Confiance, considération, respect ; ce que l’on doit aux agriculteurs, on le doit à tous les ruraux. Le respect de l’espace et des modes de vies ruraux, trop souvent perdus de vue, doivent être le troisième axe de notre politique.
Le monde rural est porteur de traditions et de cultures qui correspondent à une réelle proximité avec la nature. Il faut comprendre ces traditions, il faut s’imprégner de cette culture si l’on souhaite mettre un terme aux conflits qui se nouent autour de loisirs comme la chasse ou de pratiques traditionnelles comme le pastoralisme et la lutte contre les grands prédateurs.
La propriété privée, elle-même, est de plus en plus contestée sans qu’aucune contrepartie ne soit proposée aux propriétaires. L’espace rural, en devenant espace social perd ses repères traditionnels.
La liberté d’usage des espaces ruraux doit être conciliée avec les droits des propriétaires agricoles ou forestiers. De véritables partenariats doivent s’établir. Je regrette que le dialogue nécessaire n’ait pas pu s’instaurer au cours de ces dernières années tant les logiques de conflit ont été privilégiées.
Les emprises urbaines sur l’espace rural sont une autre cause fréquente de conflits. Elles doivent être mieux maîtrisées grâce à une politique globale d’aménagement qui privilégie une consommation économe de l’espace, une " reconstruction de la ville sur la ville ". Pour concrétiser cette orientation, les régions doivent être rendues pleinement responsables de l’aménagement du territoire. Elles pourront d’autant mieux remplir ce rôle qu’elles disposeront d’agences foncières et de conservatoires régionaux des espaces naturels associant tous les acteurs de l’espace rural.
Ces nouveaux partenariats supposent aussi des actions très volontaristes de conciliation autour des sujets qui n’ont pas été réglés où qui demeurent mal réglés tels la chasse, la protection du pastoralisme et l’implication des propriétaires ruraux dans la valorisation de l’espace.
S’agissant de la chasse, nous devons faire collectivement un effort de compréhension et de tolérance réciproque. La chasse reste une activité mal connue. Contrairement à de nombreuses idées reçues, elle joue un rôle essentiel dans la régulation des espèces sauvages, la gestion des espaces naturels et la pérennité de traditions qui fondent notre culture nationale.
La chasse est organisée, dans notre pays, sur la base d’un réseau, sans équivalent dans le monde, de 70.000 associations locales et d’une organisation fédérale à laquelle sont dévolues, par la loi, des missions de service public. Juridiquement, intrinsèquement ce dispositif doit fonctionner sur la confiance. Il ne doit pas en être autrement.
Nous devons faciliter la réconciliation des Français avec la chasse. Seul l’apaisement des conflits déclenchés par la révision de la loi chasse de juillet 2000 permettra de rétablir un consensus social sur cette question. Comme dans les pays voisins où les directives communautaires sont appliquées avec davantage de pragmatisme, nous devons rechercher ce consensus. Je m’engage, en concertation avec la Commission européenne, à trouver les voies d’une application raisonnable de la réglementation communautaire, comme cela a pu se faire dans d’autres Etats membres. C’est possible, alors faisons-le. Je suis convaincu que cette démarche pourrait être considérablement renforcée par l’existence d’un véritable pôle scientifique de recherche et de vulgarisation sur la faune sauvage. Les débats y gagneraient en tout cas de pouvoir s’appuyer sur des données plus fiables.
Toutes ces propositions s’inscrivent dans le plan de développement des territoires ruraux que je propose pour notre pays.
Dans le même temps, nous devons adapter les instances et les procédures administratives pour les mettre réellement au service du développement rural. Cela passe par le respect du pouvoir communal et de la démocratie locale. Cela nécessite aussi de clarifier l’action des différentes collectivités dans une logique de subsidiarité. Les " pays " ne sauraient devenir un échelon administratif supplémentaire. L’intercommunalité doit de son côté préserver l’identité des communes rurales sans compliquer davantage le fonctionnement de la démocratie locale.
Notre administration, elle-même, devra se mettre en situation de pouvoir mieux accompagner ces évolutions où les collectivités locales doivent retrouver davantage d’initiative et de responsabilités.
Promouvoir une agriculture écologiquement responsable et économiquement forte, favoriser l’accueil des familles et la présence des services publics, encourager le développement économique des territoires ruraux, respecter les particularités et les modes de vie du monde rural : ce sont ces objectifs que doit se fixer une nouvelle politique en faveur de la France rurale.
C’est un enjeu majeur pour notre pays. Pour une France unie, une France forte, une France plus juste et plus solidaire.
Je vous remercie. |