ALLOCUTION PRONONCÉE PAR
MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
À L'OCCASION DU DÎNER D'ÉTAT OFFERT EN SON HONNEUR PAR SON EXCELLENCE MONSIEUR LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DE LITUANIE ET MADAME VALDAS ADAMKUS
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VILNIUS - LITUANIE
JEUDI 26 JUILLET 2001
Monsieur le Président, Madame,
De tout coeur, merci pour votre invitation à rencontrer les Lituaniens et pour votre accueil si chaleureux. Je veux vous dire ce soir mon plaisir et mon émotion d'être des vôtres.
Lors de votre visite à Paris, vous m'aviez engagé, Monsieur le Président, à découvrir la vieille ville de Vilnius, la "Ville aux clairières", millénaire et fascinante, témoin du passé brillant mais souvent aussi tragique de votre pays et de son peuple. Dans les lignes architecturales qui courent, de l'Université aux façades des églises, des palais et des maisons, Vilnius raconte son profond ancrage européen et ses aspirations d'aujourd'hui. Votre capitale, fière de son histoire, affiche ses ambitions. J'ai vu une ville souriante, moderne, entreprenante, qui, à l'image du pays tout entier, se prépare pour la grande affaire de tous les Européens : la réunification de leur continent. Et les Lituaniens veulent être au rendez-vous de l'histoire.
En 1989, quand tomba le mur de la honte, j'ai plaidé, parmi les tous premiers, je crois, pour l'entrée des pays d'Europe centrale et orientale dans l'Union européenne. Leur rêve d'Europe les avait fait espérer. Ce rêve les avait fait tenir. L'idéal européen s'adressait tout naturellement à eux.
Ils avaient soif de liberté, cette liberté qui est au coeur de notre projet. Ils aspiraient à la prospérité économique et sociale. Et ils avaient un ardent désir de paix et de sécurité, au lendemain de siècles où toute cette région fut si âprement et si cruellement disputée.
Ce soir, je veux rendre hommage au peuple lituanien, à ce combat qu'il a dû mener si souvent pour défendre son identité, ses traditions, sa langue. Pour garder tout simplement le droit d'être lui-même. Votre histoire, nous en connaissons les époques brillantes. Je pense au Grand-duché de Lituanie, au renom de cette Université où je me trouvais cet après-midi, aux individualités nées ou nourries en Lituanie. Je pense aussi à cette culture juive à laquelle le grand-duc Gédymin avait offert foyer et protection, à son âge d'or, quand on appelait Vilnius la "Jérusalem du Nord". Elle le resta jusqu'aux heures sombres du nazisme.
Dans cette partie de l'Europe, où se sont constamment croisés les peuples de l'est et de l'ouest. Pour le meilleur, et je pense à cette ère de prospérité lorsque la Lituanie rayonnait de la Baltique à la mer Noire. Mais aussi parfois pour le pire : combien de tragédies, d'épisodes douloureux, de dominations étrangères ! On ne peut qu'admirer cette force de caractère, cette fidélité à lui-même du peuple lituanien. Sa volonté, dans les vents contraires de l'Histoire, de préserver sa foi, sa langue, sa culture. Sa longue patience, cet esprit de résistance, cette détermination à faire finalement ployer l'oppression et à recouvrer l'indépendance. Nous, Français, y sommes sensibles.
Et nous comprenons cet ardent désir d'Europe qui est le vôtre. Bientôt, Monsieur le Président, nous partagerons le même destin dans l'Union et poursuivrons côte à côte la grande et belle aventure commune. Ici, ce soir, je veux saluer les remarquables progrès accomplis en si peu de temps par la Lituanie sur le chemin de l'adhésion. Sachez que la France est résolument à vos côtés au moment où vous entreprenez des réformes, souvent difficiles, pour appliquer l'acquis communautaire.
Les discussions entre votre pays et la Commission européenne ont très rapidement progressé, particulièrement au cours des derniers mois. Près des deux tiers des chapitres de la négociation sont aujourd'hui clos provisoirement. À Nice, sous présidence française, les Quinze ont adopté une réforme des institutions qui a ouvert la voie à l'élargissement. À Göteborg, ils ont proclamé le caractère irréversible de l'élargissement et précisé le calendrier pour la fin des négociations. La France souhaite que la Lituanie remplisse les conditions nécessaires pour conclure ses pourparlers avant la fin de l'année prochaine. Elle pourrait ainsi participer aux élections du Parlement européen en 2004.
Monsieur le Président,
Je sais l'importance que vos compatriotes attachent à leur indépendance, si récemment et si durement reconquise. Eh bien, la France partage avec vous cette conviction qu'il faut à la fois aller vers plus d'Europe, vers une Union toujours plus étroite, et vers une Europe où nos peuples garderont la maîtrise de leurs destins, où nos nations s'épanouiront dans le plein respect de leurs identités. Cet équilibre, que reflète l'idée de Fédération d'États-nations, est au coeur de la vision de la France, à l'heure où s'engage dans toute l'Europe un débat décisif sur son avenir, un débat auquel la Lituanie doit prendre toute sa part.
La sécurité et la stabilité de l'Europe sont fondées sur la solidarité et la coopération. Tous les pays du continent européen doivent y participer et la France rejette l'idée d'une nouvelle ligne de fracture en Europe. Le mur de Berlin, symbole de division et d'antagonisme, ne saurait être remplacé par une ligne de partage d'un nouveau genre.
Dans ce continent réunifié, l'Alliance atlantique garde toute sa place. Elle a vocation à garantir la sécurité de ses membres. Elle incarne le lien transatlantique qui nous unit aux États-Unis dans la défense de valeurs communes.
Depuis quelques années l'Alliance atlantique est engagée dans un processus d'élargissement qui correspond à l'évolution de notre continent. Vous le savez, la France estime que chaque État peut souverainement décider du système d'alliance auquel il souhaite appartenir. Ce processus a donc vocation à se poursuivre, et les pays baltes ont vocation à s'y intégrer. Il doit apporter plus de sécurité et plus de paix en Europe. Pour cela il doit être bien compris de tous. La volonté affirmée par la Lituanie de développer de bonnes relations avec ses voisins et de se montrer ouverte au dialogue et à la coopération avec les États qui ne font pas partie de l'OTAN me paraît aller dans ce sens. * Oui, très bientôt, nous serons plus proches que nous ne l'avons jamais été. Et nous nous y préparons, renouant ainsi les liens d'anciennes et belles affinités.
Faut-il rappeler le rôle des idées venues de France dans la lutte des Lituaniens contre l'oppression étrangère ? Que Napoléon est passé par Vilnius ? Qu'il existe ici une Maison Stendhal dont vous avez bien voulu qu'elle accueille désormais notre centre culturel ? Que nombre de nos compatriotes ont laissé leur marque ou reposent en terre lituanienne ? Que des déportés français ont, comme leurs frères lituaniens, achevé ici leur tragique destin ? Que la langue et la culture françaises ont trouvé à s'épanouir en Lituanie, où elles sont toujours l'objet d'une certaine ferveur ?
Faut-il rappeler combien d'artistes lituaniens sont venus enrichir nos écoles, à Montparnasse et ailleurs ? Que la France leur doit, avec Soutine, Krémègne et Kikoïne, cette École de Paris, qui est l'un des fleurons du XXe siècle français ?
Dès le retour à l'indépendance, la France fut parmi les premiers États à renouer avec vous des relations diplomatiques. À quelques mois près, nous pourrions en célébrer le dixième anniversaire. En 1992, mon prédécesseur, le Président François Mitterrand, avait voulu être le premier des chefs d'État occidentaux à témoigner son soutien à la Lituanie renaissante. Et la France avait alors restitué à votre pays l'or qu'il lui avait confié à la veille de la guerre. Depuis, un dialogue confiant et nourri s'est instauré, marqué par des échanges de visites. Vous-même, Monsieur le Président, vous êtes rendu à Paris à deux reprises depuis 1999.
Nos relations culturelles s'étoffent. Ainsi, les Parisiens ont-ils pu découvrir le grand peintre et compositeur lituanien Ciurlionis auquel le Musée d'Orsay a consacré une brillante rétrospective, avec le succès que l'on sait.
Quant à nos échanges commerciaux, ils se sont amplifiés, notamment ces deux dernières années. Mais soyons lucides ! L'état de nos relations économiques et commerciales ne saurait nous satisfaire. J'appelle les entrepreneurs et investisseurs français à se faire une idée neuve de la Lituanie, à voir les promesses de son développement. Je voudrais que ma visite marque le point de départ de nouvelles coopérations. Cet après-midi, nous avons évoqué certains projets, notamment dans les secteurs de l'énergie et des transports. Nous avons également parlé de l'environnement qui est, Monsieur le Président, l'une de vos grandes préoccupations, de la promotion d'une agriculture de qualité et de la transformation de ses productions : autant de domaines où nous pouvons travailler ensemble.
Les entreprises françaises, dont plusieurs représentants m'accompagnent, sont prêtes à participer à vos côtés aux grands chantiers de modernisation ouverts par votre pays. Ils sont prêts à s'engager ici, dans la durée, et, pour cela, à étudier avec vous les formules les mieux adaptées à vos besoins et à vos objectifs.
Voilà, Monsieur le Président, le sens que j'ai voulu donner à ma visite chez vous, l'ambition de mon pays pour notre avenir commun, dans le sillage de l'ancienne et forte amitié lituano-française. C'est en vous exprimant cette amitié aujourd'hui renouvelée de la France pour la Lituanie que je vais maintenant lever mon verre.
Je le lève en votre honneur, Monsieur le Président, et en l'honneur de Madame Alma Adamkiene, que je remercie pour son gracieux accueil et à qui je présente mes respectueux hommages. Je le lève en l'honneur des membres du Gouvernement lituanien et des hautes personnalités de nos deux pays qui nous entourent ce soir. Je le lève au bonheur et à la prospérité du peuple lituanien, ami de longue date du peuple français. Je le lève aux liens nouveaux qui vont unir nos deux nations et à ce destin que, bientôt, elles partageront dans l'Europe. |