Discours prononcé par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la réception des participants au "Sommet mondial du cancer" .
Palais de l'Elysée, vendredi 4 fevrier 2000
Monsieur le Directeur général de l'UNESCO,
Altesse Royale,
Monsieur le Maire de Paris,
Monsieur le Professeur,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Je suis naturellement très heureux de vous accueillir, aujourd'hui, à l'Elysée. Vous avez voulu donner l'exemple d'une forte mobilisation internationale contre le cancer. J'ai souhaité, bien entendu, y prendre toute ma part. Vous pouvez être assurés de mon soutien personnel pour la mise en oeuvre de votre charte comme du soutien de bien d'autres. L'appui de la France, qui vient d'ailleurs, vous le savez, d'adopter un nouveau plan de lutte contre le cancer -un plan ambitieux- vous est également tout acquis.
Votre engagement vous porte au coeur des souffrances et aussi des espérances -comme le Professeur KHAYAT vient de l'évoquer-, de centaines de millions d'hommes et de femmes, d'enfants aussi, sur tous les continents. Ce combat doit être celui de chacun d'entre nous. Bien sûr, Monsieur le Professeur, il est le mien.
Aujourd'hui encore, le cancer est entouré d'un certain silence. Il faut au contraire en parler. Et c'est ce que vous avez voulu faire.
Je vais, moi aussi, tenter de le faire. Oh, non pas comme un chercheur, un médecin ou un témoin, bien sûr. Mais comme le responsable d'un pays dont la communauté médicale et scientifique s'efforce, avec de nombreux succès, d'apporter sa pierre aux progrès de la lutte contre le cancer. Un pays cependant où beaucoup, beaucoup reste encore à faire pour mieux organiser la recherche, développer la prévention, diffuser partout les meilleures pratiques médicales et, c'est important, améliorer la vie des personnes atteintes par cette terrible maladie.
Nous devons apprendre à mieux répondre à la souffrance des malades, à leur angoisse, à l'angoisse de leurs proches. Répéter inlassablement qu'il est possible aujourd'hui de guérir le cancer. Ce n'est pas seulement l'affaire des savants et des professionnels de santé, dont le rôle est de toute évidence essentiel. C'est aussi celle des pouvoirs publics, des grands média d'information, des patients eux-mêmes.
Dans de nombreux pays, ces derniers s'organisent et participent directement, à travers leurs associations, à des actions de soutien et de solidarité. Ils aident les malades à conserver toute leur place dans la société. Ils deviennent des interlocuteurs à part entière des autorités de santé publique. Je souhaite que le développement de ces associations soit de plus en plus encouragé.
700 000 Français sont aujourd'hui atteints d'un cancer.
Il frappe à tous les âges. Alors que la mortalité périnatale a régressé, dans les pays développés en tous les cas, alors que dans l'hémisphère nord les maladies infectieuses de l'enfant ont pour la plupart été dominées, le cancer demeure l'une des plus graves maladies de l'enfant. Mais il touche plus fortement encore les adultes, dans la force de l'âge, et les jeunes retraités, à l'heure où beaucoup espèrent cueillir les fruits d'une vie de travail et de responsabilités.
A tous les malades, à travers vous, je voudrais d'abord dire la solidarité et l'espoir, cet espoir dont médecins et chercheurs me font part à chaque fois que j'ai l'occasion de les rencontrer.
La recherche contre le cancer progresse partout dans le monde. Elle passe de plus en plus par une combinaison d'expertises médicales, biologiques et génétiques. Rien n'est plus fort que l'intelligence humaine quand elle repose sur l'engagement personnel au service d'une grande cause. Quand elle repose sur l'alliance des savoirs, sur la mise en réseau des équipes.
Au cours de la dernière décennie, les processus complexes qui transforment des cellules saines en cellules cancéreuses ont été mis à jour grâce au développement des sciences du génome. Ces découvertes permettent de comprendre les étapes initiales du cancer, avant même l'apparition de la maladie. Elles autorisent aussi de nouveaux espoirs pour le traitement de maladies rares actuellement encore sans remède. Je pense en particulier aux myopathies. Enfin, elles ouvrent la voie à une médecine d'anticipation qui permettra de proposer à des personnes bien portantes une règle de vie et des dépistages réguliers pour prévenir la maladie et donc pour l'arrêter à temps.
Sans doute cette médecine prédictive ne manquera-t-elle pas de soulever aussi d'importantes questions éthiques, surtout quand elle permettra de prévoir l'apparition de maladies pour lesquelles aucun traitement n'existe encore, ou quand elle reposera sur des recherches qui, par leur principe même, peuvent mettre en cause le respect de la vie. Le progrès scientifique ne doit jamais cesser d'être encouragé, mais nous devons être universellement vigilants pour qu'il soit toujours ordonné autour du bien de l'homme. A l'aube de nouvelles conquêtes scientifiques qui permettront de mieux connaître les mécanismes les plus secrets de la vie, nos sociétés doivent être conscientes de la nécessité impérieuse de la démarche éthique. Je m'attache, en ce qui me concerne, à la soutenir et à la faire progresser, en France, où nous devons d'ailleurs réexaminer très bientôt notre législation dans ce domaine, comme aussi au niveau international.
La recherche contre le cancer, si riche de promesses pour l'avenir, a mis en évidence une forte conjonction entre certains gènes et l'action de facteurs externes.
Plusieurs de ces facteurs sont connus depuis longtemps, comme le tabac, qui tue, paraît-il, chaque année 70 000 personnes en France, l'exposition excessive au soleil, pour le cancer de la peau, ou encore, s'agissant d'autres cancers, le régime alimentaire. Mais, plus récemment, on a également démontré le rôle joué par certaines infections.
Nous devons tirer toutes les conséquences du progrès des connaissances dans l'organisation de la lutte contre la maladie. La prévention du cancer passe par une meilleure éducation à la santé, par l'évolution des comportements et par des dépistages systématiques. C'est aujourd'hui devenu une priorité pour les politiques de santé publique.
Nous devons aussi élargir notre regard à l'ensemble du monde.
Alors que la communauté internationale commence seulement à se mobiliser pour étendre le traitement du sida aux pays en développement, on ne doit pas oublier que des centaines de milliers d'enfants sont également contaminés à la naissance par le virus de l'hépatite, à l'origine d'affections qui dégénèrent souvent en cancer à l'adolescence. Pourtant des vaccins existent. Ils sont peu coûteux. C'est dire qu'un effort conjoint de la communauté internationale, des gouvernements concernés et des laboratoires pharmaceutiques pourrait prévenir efficacement de très nombreux cancers dans les pays pauvres. Ces cancers s'abattent aujourd'hui avec une force nouvelle sur de jeunes êtres qui seront privés de leur vie avant même d'avoir atteint l'âge d'homme. A cela, nous ne pouvons pas nous résigner, alors que des moyens existent pour l'empêcher.
Au moment où vous lancez, avec la Charte contre le cancer, une initiative d'ambition mondiale, je crois juste et nécessaire que vous engagiez aussi ce combat de solidarité planétaire. Je sais que telle est bien votre volonté. Vous pouvez compter sur mon appui et sur celui de la France dans cette action qui est une action de fraternité.
Aujourd'hui, il faut aussi accélérer la diffusion des traitements les plus modernes, à l'intérieur même de nos pays. Le cancer ne peut plus être traité comme il y a 20 ans. Il doit être attaqué de toutes parts. C'est en mobilisant tous les savoirs qu'il peut être encerclé, contenu, maîtrisé, réduit et vaincu. Pour donner leur plein effet aux progrès des connaissances, les pratiques oncologiques de pointe doivent se généraliser et remplacer les approches anciennes, trop cloisonnées. Beaucoup de cancérologues m'ont dit que, de nos jours, l'accès rapide aux meilleurs dépistages et aux meilleurs soins passe d'abord par la pluridisciplinarité. C'est de la confrontation des compétences, des expériences et des savoir-faire que naissent le plus souvent les idées et les innovations médicales d'où vont jaillir de nouveaux progrès, de nouvelles guérisons. Aujourd'hui, nul ne peut prétendre détenir à lui seul tous les savoirs utiles au combat contre le cancer. En unissant vos énergies et vos intelligences, vous réussissez à sauver toujours plus de vies humaines. C'est pourquoi il est indispensable de développer les réseaux de soins dont la réforme hospitalière encourage la création, en France, depuis 1996.
Mais la qualité des choix médicaux n'est pas seule en cause. Il ne faut jamais oublier que les traitements s'adressent à des personnes. Leur implication dans la guerre intérieure qu'elles livrent, non pas au cancer en général, mais à leur cancer, la force de leur espérance, leur volonté de vivre, font partie des conditions de la réussite, surtout quand il s'agit de thérapeutiques lourdes.
Pour avoir été touché lui-même ou à travers des proches, chacun sait combien le fardeau des chimiothérapies peut être lourd à porter, pour un résultat qui n'est jamais gagné d'avance. Le cancer est un combat sans merci. Pour mener ce combat, aucun malade ne doit être laissé seul. Face aux exigences, aux épreuves, aux angoisses qui jalonnent le chemin d'une guérison attendue, tous ont besoin d'être informés, entourés et soutenus.
De plus en plus, les équipes de soins passent du temps à expliquer les traitements et à accompagner les malades. Elles sont particulièrement présentes quand le poids de thérapeutiques agressives s'ajoute à celui de la maladie. L'amélioration continue des traitements diminue progressivement les effets secondaires. Mais la réalité du combat contre le cancer demeure, vécue d'abord à l'intérieur des familles, dont on ne soulignera jamais assez le rôle essentiel aux côtés des malades.
Il faut prévenir le cancer. Il faut soigner le cancer. Il faut aussi pouvoir vivre avec le cancer. Les conditions de vie des malades ont longtemps été reléguées au dernier rang des préoccupations. Pourtant, vivre avec le cancer, continuer à assumer normalement, quand son état de santé le permet, une activité professionnelle, des responsabilités familiales, une vie sociale, ce ne devrait plus être un défi. Il est clair qu'il serait moins difficile de traverser l'épreuve du cancer et d'en guérir si la vie de chaque jour pouvait être facilitée.
De plus en plus, il faudra adapter l'organisation des soins à la vie des gens et non pas imposer aux gens de se plier à l'organisation des services médicaux. Le développement de la médecine ambulatoire est prometteur, de même que celui de l'hospitalisation à domicile. Mais il est également essentiel
d'encourager les nouveaux services susceptibles d'être mis à la disposition des personnes qui suivent une chimiothérapie, que ce soit pour faciliter la poursuite de l'activité professionnelle ou pour aider à la prise en charge des enfants, notamment pendant les moments difficiles.
Nous devons aussi encourager les initiatives prises par tant de bénévoles pour faciliter la scolarisation et les loisirs des enfants à l'hôpital. C'est un domaine où la générosité de tous s'exprime aujourd'hui avec une grande efficacité.
Dans nos sociétés modernes, la solidarité et la fraternité, l'engagement personnel d'hommes et de femmes qui acceptent de consacrer une part de leur temps à l'accompagnement des malades, prennent heureusement une importance croissante. C'est dans l'épreuve un soutien essentiel pour garder intactes la confiance, l'espérance et la volonté nécessaires à la reconquête de la vie.
Et puis, il faut que nos sociétés apprennent qu'un cancéreux guéri est une personne bien portante comme les autres, sans plus de risques, sans handicap, sans vulnérabilité particulière. Face à l'emploi, face aux assurances, face à la pratique de certains sports, aucune discrimination fondée sur une épreuve de santé surmontée ne doit être acceptée. On le sait aujourd'hui, on peut gagner le Tour de France quand on est guéri d'un cancer.
La vie doit pouvoir continuer comme avant, même si le souvenir des épreuves rencontrées reste, le plus souvent, à jamais gravé dans la mémoire.
Mesdames, Messieurs,
La lutte contre le cancer est un des grands défis de notre siècle. Un défi qui dépasse les frontières. Un défi qui va au-delà de la médecine et de la science. Un défi qui appelle l'implication de tous. Soyez certains que la France tiendra toute sa place dans ce combat ! En signant aujourd'hui votre charte, je veux exprimer mon adhésion à ses principes et mon appui à l'action de mobilisation internationale que vous avez généreusement engagée. Je forme des voeux pour qu'elle rencontre le plus large soutien de la part de la communauté médicale et scientifique et de la part de tous les peuples du monde et pour qu'elle contribue ainsi à ce que le cancer recule plus vite.
Je vous remercie
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