Interview télévisée à propos de l’Irak, le 10 mars 2003
Interview télévisée de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, par M. Patrick POIVRE D’ARVOR pour TF1 et M. David PUJADAS pour France 2
QUESTION – Monsieur le Président, merci de nous recevoir alors que nous vivons les heures les plus brûlantes de l’affrontement diplomatique et que nous sommes peut-être à quelques jours d’une intervention militaire annoncée en Iraq. Alors, chacun, et pas seulement en France, veut savoir ce que fera la France, ce que vous ferez, si vous irez personnellement à New-York, aux Nations-Unies, si la France utilisera son droit de veto et si les relations franco-américaines ne tournent pas au divorce. Mais, d’abord, puisque c’est votre première intervention depuis le début de cette crise, revenons un peu au départ et pouvez-vous nous expliquer pourquoi, depuis le départ, la France s’oppose si fermement à la guerre ? Est-ce pour des raisons stratégiques, parce que cette guerre ne vous semble pas opportune, pour des raisons politiques, parce que l’opinion y est opposée, ou pour des raisons morales, parce que la guerre serait un mal quelle qu’elle soit ?
LE PRÉSIDENT – D’abord, bonsoir et merci d’être ici tous les deux.
Il faut voir dans quel monde nous voulons vivre. Nous voulons vivre dans un monde multipolaire, c’est-à-dire avec quelques grands groupes qui aient entre eux des relations aussi harmonieuses que possible, un monde dans lequel l’Europe, notamment, aura toute sa place, un monde où la démocratie progresse, d’où l’importance à nos yeux capitale de l’Organisation des Nations Unies pour donner un cadre et une impulsion à cette démocratie et à cette harmonie, un monde où les crises inévitables puissent être gérées aussi bien que possible, qu’il s’agisse des crises régionales ou des crises que l’on appelle de prolifération, c’est-à-dire face à des pays qui, tout d’un coup, se mettent à construire ou à fabriquer des armes ou à acheter des armes de destruction massive, et enfin un monde qui privilégie le respect de l’autre, le dialogue des cultures, le dialogue des civilisations, et qui essaie d’éviter les affrontements.