Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, et de M. CONSTANTINESCU, Président de la Roumanie.

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Bucarest (Roumanie), le samedi 22 février 1997


M. CONSTANTINESCU - Monsieur le Président Chirac, chers invités de la délégation française, messieurs les représentants de la délégation roumaine, mesdames et messieurs,

C'est pour moi une très grande joie de nous trouver ici, ensemble, devant la presse roumaine et les représentants de la presse internationale. Cette joie découle aussi des résultats excellents de cette visite, courte, il est vrai.

Monsieur le Président Chirac me disait qu'il était, en quelque sorte, surpris devant la réaction positive de la presse française qui d'habitude ne se manifeste pas ainsi. Je lui ai dit que, pour moi aussi, ce fut une joie de voir la façon dont la presse roumaine a reflété cette visite.

Bien que le temps soit trop court pour pouvoir procéder à une analyse, nous pouvons d'ores et déjà vous dire que cette visite a non seulement une signification politique, diplomatique, mais je voudrais ajouter qu'elle a aussi une signification historique. Celle-ci est normale pour nous, si nous pensons que la France a toujours lancé de grands projets européens, de grands projets d'ouverture mondiale. C'est là d'ailleurs une vocation de la France de savoir lancer des initiatives généreuses. Ce projet majeur que le Président Chirac vient de lancer à Bucarest s'appelle le partenariat franco-roumain et il concerne un développement dans les nouvelles conditions créées en Roumanie, développement des relations avec la France.

Je voudrais vous dire que, de mon côté, la Roumanie assumera dans cette zone de l'Europe centrale et du sud-est, cette mission de développer, de diffuser les grandes idées de la démocratie que la France a toujours généreusement soutenues tout au long de son histoire. Nous avons essayé de conférer un caractère historique à cette visite, non seulement par les quelques mots que le Président Chirac a écrits dans le livre d'or du Palais présidentiel, mais aussi par le fait que je suis persuadé que cette visite changera le caractère habituel des visites qui passent et des problèmes qui persistent. Des entretiens très sérieux ont déjà été menés au plan économique qui ont permis d'identifier des possibilités réelles de développement extrêmement rapide de nos relations. Dans de telles conditions, la Roumanie peut offrir aux investisseurs et aux investissements étrangers, outre des atouts bien connus, tant géographiques que politiques, ses ressources naturelles et ses ressources humaines, un nouveau type de management aussi, un nouveau type de législation, un nouveau type de décentralisation. D'ores et déjà, on a vu se dessiner dans quelques domaines clés, tels que la sidérurgie, le ciment, l'industrie du sucre, la possibilité même de contrats qui viendront s'ajouter à la participation active de la France dans les télécommunications, par exemple, ou bien dans l'industrie française. Pour demain, on voit se dessiner une participation massive de la France dans les développements d'autres branches de l'infrastructure : constructions d'autoroutes, modernisation des chemins fers.

Aujourd'hui, la Roumanie est ouverte à de tels projets majeurs. Et je tiens à rassurer la presse française, tout particulièrement, que les changements qui ont eu lieu en Roumanie, si rapidement, dans le domaine de la démocratisation, dans le domaine des relations interethniques, interconfessionelles, dans le domaine de la garantie d'un cadre de stabilité régionale, seront complétés rapidement par des transformations économiques et ceci en raison du programme radical de réformes que le gouvernement de la Roumanie a assumé.

Ces mesures concernent la libéralisation des prix, à commencer par le prix de l'énergie, la décentralisation et la démocratisation économique, un système législatif permettant de s'adapter à la législation européenne, tout ceci amènera un souffle entièrement nouveau. Quant au droit de propriété, géré par l'Etat, des mesures ont été prises - depuis que la direction de ce fond a été changée il y a une semaine - en vue d'une nouvelle réglementation qui pourrait favoriser les investissements étrangers. Le Sénat a d'ores et déjà voté un amendement qui autorise le droit de propriété sur les terrains où s'installent les investisseurs étrangers.

Ce sont autant de signes bancaires sains de soutien accordé aux filiales des grandes banques européennes, à la privatisation des banques et, en général, un processus actif de privatisation où tant les investisseurs directs, que les investisseurs de portefeuilles seront accueillis avec sérieux dans une compétition qui puisse être favorable tant aux intérêts de la Roumanie que nous défendons qu'aux intérêts de ceux qui investissent.

Ceci, ne l'oublions pas, intervient à un moment où la Roumanie est sortie du cordon où elle s'est trouvée, et c'est un grand mérite de la part du Président Chirac qui par l'intérêt accordé à la Roumanie et à la suite de cette visite, a réussi à nous faire brûler les étapes. Vous avez pu tous constater, je pense, le sentiment des Bucarestois, le sentiment de tous les Roumains. On sait très bien que les réceptions ne sont plus organisées maintenant, et qu'elles représentent des gestes spontanés de sympathie et d'affection. Nous avons fait savoir à la presse que Monsieur le Président Chirac est considéré comme un grand ami de la Roumanie, comme un avocat des intérêts roumains, les Roumains sont très sensibles à ceci et je tiens ici, devant vous, avec mes collègues du Gouvernement de la Roumanie, du Parlement de la Roumanie, à remercier très chaleureusement une fois de plus, Monsieur le Président Chirac et la France, amie de la Roumanie autrefois, aujourd'hui et pour toujours. Je vous remercie.


LE PRESIDENT - Mesdames et messieurs, je voudrais saluer la presse française et étrangère, remercier chaleureusement pour son accueil le Président, les autorités de la Roumanie et le peuple roumain qui a reçu la délégation française avec la gentillesse, l'hospitalité qui le caractérise.

Je voudrais remercier le Président, de m'avoir fait l'honneur d'être le premier à signer le nouveau livre d'or présidentiel, j'y étais sensible et j'y vois comme une image de cette relation particulière qui existe depuis toujours mais que nous entendons renforcer entre la Roumanie et la France. Je n'aurais pas beaucoup de choses à ajouter si on ne m'avait pas indiqué que deux télévisions retransmettent en direct cette conférence de presse. Je voudrais donc dire un mot aux Roumains qui regardent leur écran ou le regarderont ce soir pour les saluer, pour les remercier et pour leur dire mon amitié et résumer en très peu de mots ce que je considère comme le bilan des entretiens qui ont eu lieu pendant cette agréable, mais trop courte visite.

Au fond, les messages que j'ai voulu adresser au peuple roumain et à ses dirigeants, c'est d'abord un témoignage de solidarité de la France à la Roumanie. Deux pays qui sont profondément unis par l'histoire, la culture, la langue et qui doivent renforcer cette unité pour prendre leur place équilibrée dans l'Europe de demain. C'est aussi un soutien à un effort extraordinaire de réformes qui a été engagé dès 1989 mais qui, depuis les dernières élections législatives, a connu un nouvel élan. Effort pour adapter, moderniser la Roumanie, effort également pour y enraciner la démocratie.

C'est également un message de soutien, d'appui aux légitimes prétentions de la Roumanie à rejoindre le plus vite possible sa famille, c'est-à-dire l'Europe. Et c'est dans cet esprit que j'ai indiqué au Président Constantinescu que la France appuiera la candidature de la Roumanie dans la première série de pays qui seront concernés par l'élargissement de l'OTAN, qu'elle appuiera la Roumanie pour son adhésion à l'Union européenne où elle a naturellement sa place, toute sa place.

Et, enfin, un message de volonté forte de tirer les leçons du passé en forgeant un avenir plus uni entre nos deux pays. C'est dans cet esprit que nous avons, le Président Constantinescu et moi-même, décidé de faire un partenariat roumano-français qui, dans le domaine politique, culturel, social, mais aussi naturellement économique, financier, permettra de resserrer les liens entre la Roumanie et la France et de donner un nouvel élan à notre coopération . Et je dois dire que les décisions que nous avons pu prendre ensemble confirment tout à fait cette orientation, je m'en réjouis.

QUESTION - Je voudrais vous poser deux brèves questions. La première, jusqu'où ira la France dans son action de soutien à la Roumanie, surtout lorsque le problème de l'attirer du même côté de la barricade sera posé, s'agissant d'intégrer la Roumanie dans l'OTAN, c'est-à-dire par l'Allemagne ? La deuxième question qui dérive d'un dialogue que j'ai eu avec Monsieur Philippe Séguin, "ex-leader" du Parlement français à Paris, question qui se rattache non pas aux raisons du Président mais à celles de l'homme Jacques Chirac de soutenir et d'appuyer la Roumanie ? Merci, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT - Si j'ai bien compris la traduction, ce qui n'est pas certain, j'ai cru déceler dans votre question le fait que Monsieur Séguin était devenu tout d'un coup "l'ex-leader" du Parlement. Alors, je tiens à préciser à moins qu'il s'agisse d'une erreur de traduction, que Monsieur Séguin est toujours le président de l'Assemblée nationale française et je souhaite qu'il le reste le plus longtemps possible.

Pourquoi, d'abord, la France (je prendrai la deuxième question) s'est engagée sans réserve dans la politique d'amitié, d'appui et de soutien à la Roumanie ? Je l'ai dit ce matin aux étudiants de l'université, il y a beaucoup de raisons. Il y a des raisons qui tiennent à une amitié ancienne, ce sont celles du coeur. Il y a des raisons qui tiennent à une culture commune, au fait que la Roumanie est le deuxième pays en Europe pour ce qui concerne l'usage de la langue française.

Celles sont les raisons de l'esprit et puis il y a tout simplement les raisons de l'intérêt d'aujourd'hui et de demain. C'est l'intérêt de la France de pouvoir s'appuyer sur une grande nation avec laquelle elle a des liens forts dans l'Europe centrale et orientale, comme c'est l'intérêt de la Roumanie de pouvoir s'appuyer sur une grande nation de l'Europe occidentale avec laquelle elle a des liens de confiance et de solidarité. Voilà pourquoi, nous apportons un soutien à la Roumanie et voilà pourquoi nous demandons à la Roumanie de nous apporter son soutien.

Cette orientation est naturellement celle que nous adoptons. S'agissant de l'élargissement de l'OTAN, j'espère que cet élargissement aura lieu au mois de juillet prochain lors du Sommet de Madrid et qu'il se fera dans de bonnes conditions, c'est-à-dire après un accord entre l'OTAN et la Russie. Cet élargissement suppose qu'au-delà des trois pays, Pologne, Hongrie et République Tchèque qui sont aujourd'hui considérés comme devant entrer à l'OTAN, un quatrième et un cinquième pays éventuellement puissent également être l'objet du même traitement et la France fera tout ce qui sera en son pouvoir pour convaincre nos partenaires de l'Alliance atlantique de proposer à la Roumanie son entrée immédiate dès la réunion de Madrid.

Vous avez évoqué l'Allemagne. Ce n'est pas là que réside la difficulté la plus grande, ce qu'il faut, c'est surtout convaincre les Etats-Unis d'accepter. Nous ferons tout ce que nous pouvons pour essayer de faciliter cette entrée.

QUESTION - Monsieur le Président de la Roumanie, j'ai deux brèves questions à vous poser. A propos de l'OTAN, est-ce que vous comprenez les réticences, pour ne pas dire l'hostilité de la Russie, puisque vous risquez, peut-être, d'être dans le premier train des nouveaux adhérents de l'OTAN ? Vous savez que la Russie est relativement hostile à l'élargissement. Est-ce que vous comprenez son point de vue ? Deuxièmement, concernant l'Union européenne, est-ce vous avez une date à nous proposer où il serait possible, selon vous, que la Roumanie puisse adhérer à l'Union européenne après les réformes de structures qu'elle entreprend ?

M. CONSTANTINESCU - Les relations entre la Roumanie et la Russie peuvent être, s'il s'agit de les exprimer d'une façon très concise, les suivantes : la Roumanie ne menace nullement la Russie et ses intérêts aujourd'hui, même si elle n'est pas dans l'OTAN. En plus, en ce moment la Roumanie ne se considère pas menacée par la Russie, d'aucune manière. C'est la première fois dans notre histoire depuis 1989 que nous n'avons plus de frontière commune avec la Russie, nous n'avons pas de problème particulier avec eux.

Dans cette situation nous ne considérons pas qu'il puisse y avoir une opposition de la Russie pour ce qui est de l'entrée de la Roumanie en une première étape dans l'OTAN parce qu'elle serait dépourvue de sens. A partir de votre question, je voudrais dire en plus que l'un des arguments forts de la Roumanie pour l'intégration, son intégration dans l'OTAN, c'est qu'elle ne crée pas une nouvelle ligne d'hostilité dans la zone Est, puisque la Roumanie a des relations sûres avec la République de Moldavie, des rapports très corrects et très clairs. Cette République a fait savoir, par son Président, qu'elle allait adopter une politique de neutralité mais qu'elle accepte l'entrée de la Roumanie dans l'OTAN.

De la même manière se déroulent les choses pour ce qui est de la conclusion du traité avec l'Ukraine pour établir des frontières précises. Evidemment, il s'ensuit certains sacrifices historiques que la Roumanie est prête à faire en vue d'assurer une sécurité globale. L'Ukraine, comme les choses se dessinent, aura la même position, donc elle maintiendra pour l'instant sa neutralité, mais elle acceptera, de même qu'elle l'a fait pour la Pologne, l'entrée de la Roumanie dans l'OTAN. C'est une chose très importante, parce que cela dessine en plus des rapports très stables qui se sont établis avec la Hongrie, avec la Serbie, avec la Bulgarie et auxquels viennent s'ajouter nos rapports excellents avec la Grèce et la Turquie.

Tout cela peut consolider cette idée de pilier de sécurité, de stabilité régionale, ce rôle que la Roumanie peut jouer ici. Dans ces conditions, comme je viens de le dire, la Roumanie peut apporter plus de sécurité dans cette région. Elle désire s'intégrer dans l'OTAN en tout premier lieu parce que c'est là une structure démocratique, une structure de stabilité et une structure d'architecture de sécurité.

Pour ce qui est de votre deuxième question, il s'agit de préciser ici une date. La situation concernant l'intégration dans l'Union européenne est différente par rapport à celle concernant l'intégration dans l'OTAN, puisque, pour ce qui est de l'intégration dans l'OTAN, on va départager les pays aspirants. Pour ce qui est de l'Union européenne, grâce aussi à l'intervention explicitement exprimée par la France, les discussions vont s'entamer avec tous les pays sollicitants et l'intégration va se produire au moment où les critères économiques et sociaux seront réalisés. Il est beaucoup plus facile d'apprécier la réalisation de ces standards dans le domaine économique. La Roumanie se trouve dans un processus de réformes économiques très rapide, très résolu, très dur à la fois et dont les résultats positifs devraient se manifester d'ici douze ou dix-huit mois. A ce moment-là, on pourra apprécier le rythme de croissance du produit intérieur brut et la stabilité de la monnaie nationale, la capacité de l'économie roumaine à faire face à un régime concurrentiel global. Ce n'est dans l'intérêt de personne, du nôtre en tout premier lieu, de mettre l'économie roumaine dans une compétition qu'elle ne saurait maintenant supporter.

J'ai été cet homme politique qui a dit d'une façon très claire aux Roumains que l'Union européenne n'est pas une société de charité, c'est une association qui protège les intérêts de ses membres et nous y serons au moment où notre économie, où nos critères sociaux nous le permettront et, pour cela, il faut payer un prix, je l'ai dit bien clairement. Et ce prix n'est pas facilement payable. Mais ce prix, les Roumains vont le payer pour eux-mêmes parce qu'ils sont les premiers à être intéressés par une économie saine et à vivre dans des critères économiques élevés comparables à ceux de l'Union européenne. Je vous remercie.

QUESTION - Une réforme, un projet de loi est très attendu, concernant le statut législatif et juridique des terrains qui peuvent intéresser les investisseurs étrangers. Or, à Paris, les milieux d'affaires décortiquent la presse roumaine. Et, il y a dix jours encore, on avait lu dans les journaux roumains qu'il y avait au Sénat un certain retard dû à une séance de nuit, comme cela se passe aussi chez nous d'ailleurs (on n'avait pas atteint le quorum). Or, tout à l'heure vous nous annonciez la parution de ces textes de loi pour très bientôt. Je voulais me permettre de vous demander quand cette loi pourra-t-elle être votée et dans quels délais sera-t-elle promulguée et comment va-t-on assurer sa communication sur le plan international ? En effet, cette loi tout entière va probablement stimuler les investisseurs étrangers ! Je vous remercie.

M. CONSTANTINESCU - Je ne sais pas qu'elle est la façon exacte dont ceci a été "décortiqué". Mais ce que je peux vous dire, c'est que le Sénat a voté la loi à une majorité écrasante en présence du quorum requis. Le processus à partir de là se fera par les travaux de la Chambre des députés puis la promulgation par le Président. Etant donné la majorité stable dont dispose le gouvernement actuel, il n'y a pas de problème pour résoudre dans un bref délai les choses, et la communication se fera par la Présidence au moment même où je promulguerai la loi en question. Et nous le ferons directement par l'Agence France-Presse, mais je suis sûr que la presse roumaine, qui n'est jamais en retard, la communiquera elle aussi en temps voulu.

QUESTION - Comment pensez-vous pouvoir aider la Roumanie du point de vue culturel ? Je vous remercie.

LE PRÉSIDENT - Nous avons depuis très longtemps une symbiose culturelle forte. La culture française a influencé la Roumanie comme la culture roumaine a influencé fortement la France et donc nous avons des échanges permanents. Alors, comment peut-on développer encore cela ? C'est une bonne question.

L'intérêt de la Roumanie c'est naturellement d'avoir le maximum d'ouvertures culturelles. L'intérêt de la France c'est que les échanges avec la Roumanie se développent et renforcent la langue française dans cette partie de l'Europe.

Comment permettre ce développement ? Par des échanges entre nos universités, nos étudiants, nos chercheurs. Et ce matin, en parlant aux étudiants, l'un d'entre eux m'a dit : "Mais, Monsieur Chirac, il faudrait qu'il y ait plus de bourses. Il avait raison d'ailleurs. Et, je souhaite que l'on puisse développer les bourses permettant aux étudiants roumains de venir en France et aux étudiants français de venir en Roumanie.

Donc, au coeur de votre question, il y a notre volonté commune de développer les échanges entre nos universités, nos étudiants, nos professeurs et nos chercheurs. Et puis la Roumanie est un élément très actif de la francophonie et des instances de la francophonie.

QUESTION - Il y a un professeur qui a parlé du problème pour les échanges culturels ou économiques, pour l'attribution des visas qui est un problème qui existe aussi en France. Alors, vous avez répondu : par l'Europe. Qu'en est-il pendant la période transitoire avant l'adhésion de la Roumanie à l'Europe ? Est-ce que cela ne risque pas de limiter, d'entraver le développement des relations économiques du partenariat que vous appelez de vos voeux ?

LE PRÉSIDENT - Non, je ne crois pas. Nous sommes naturellement obligés par la réglementation européenne et l'harmonisation de la réglementation européenne mais, s'agissant de la Roumanie, nous n'avons pas vraiment de problème de visas, c'est-à-dire qu'ils sont accordés d'une façon très libérale.

M. CONSTANTINESCU - Je veux préciser un peu ici les choses. Parce que c'est un problème qui touche beaucoup les Roumains, il s'agit d'un régime discriminatoire concernant le régime des visas. Nous avons la République tchèque, la Pologne, d'un côté et la Roumanie de l'autre. Tel était le sens de la question qu'on vient de poser et nous tâcherons probablement de trouver certaines voies intermédiaires, parce que bien souvent les professeurs, les étudiants, les intellectuels sont placés dans des situations vraiment gênantes et ils ne peuvent remplir leurs obligations universitaires. Mais la Roumanie est bien décidée à rapatrier rapidement ceux qui suscitent des difficultés. Aujourd'hui, il n'y a plus le problème de l'asile, donc les choses se sont simplifiées et probablement nous allons trouver une solution.

QUESTION - En ce qui concerne le soutien de la France pour les accords de la Roumanie de s'intégrer au sein de la Communauté européenne, euro-atlantique, quels seront les arguments les plus forts de votre plaidoirie en qualité d'avocat de la Roumanie pour convaincre vos alliés en ce qui concerne l'intégration de la Roumanie à l'OTAN ? Merci.

LE PRÉSIDENT - Elle n'a pas parlé de l'Allemagne... Les arguments sont nombreux. Pour prendre seulement l'essentiel. La Communauté atlantique est évidemment très attentive aux critères de démocratie.

Or, la Roumanie - et je ne veux pas, je l'ai dit plusieurs fois, porter de jugement sur les affaires intérieures et politiques de la Roumanie -, mais ce qui est sûr c'est que la Roumanie vient d'apporter la preuve qu'elle avait totalement intégré les règles de la démocratie avec la récente alternance qui a eu lieu tout à fait normalement.

Cela est un argument très important, dans l'esprit de la Communauté atlantique. Il y a un deuxième argument, c'est que dans la Communauté atlantique, nous avons toujours peur d'importer des problèmes potentiels, et notamment ceux qui sont liés aux minorités, aux conflits de minorités ou de frontières.

Et là encore, la Roumanie vient de donner, avec l'accord historique passé avec la Hongrie, la preuve qu'elle était capable de régler ses problèmes et de ne pas être une cause de danger pour les autres. Cela a fait une très forte impression dans la Communauté atlantique. Et les négociations qui sont en cours actuellement avec l'Ukraine, et le Président Koutchma m'en a encore parlé récemment quand il est venu à Paris, il y a quelques jours, ont conduit la Communauté atlantique à être convaincue que ce problème entre l'Ukraine et la Roumanie serait également réglé. C'est une deuxième évolution très forte et qui inspire confiance.

Et puis il y a une troisième raison, il y en a beaucoup d'autres en réalité, bien sûr, mais je ne vais pas parler indéfiniment. Mais, il y a une troisième raison très importante, c'est que la Roumanie étant située là où elle est, elle représente à la fois, face aux difficultés que connaissent les Balkans et dans le cadre du renforcement du flanc sud de l'Alliance, une position très importante. Il est donc légitime et naturel que, pour ces deux raisons tenant aux Balkans et tenant au flanc sud, la Roumanie soit membre de l'OTAN à partir du moment où celui-ci est élargi. Il y a bien d'autres raisons.

Ce que je peux vous dire, c'est que nous avons décidé d'avoir une stratégie commune, diplomatique, pour essayer de convaincre nos partenaires et d'obtenir satisfaction. Bien sûr, je ne peux prendre aucun engagement, mais nous ferons le maximum, la main dans la main, avec la Roumanie.

J'ajoute un autre point qui n'a pas de rapport. Mais l'Union européenne a arrêté les principes d'un grand plan qu'on appelle les grands réseaux, c'est-à-dire les réseaux d'autoroutes, en particulier sur l'ensemble de l'Europe, et ce plan devrait être normalement accepté lors d'une prochaine réunion des ministres de l'Equipement des quinze pays de l'Union européenne à Helsinki, je crois.

Et nous avons pu, à l'occasion de nos entretiens, observer que le plan, tel qu'il est aujourd'jui proposé par la Commission, ne tient pas compte suffisamment des intérêts de la Roumanie. Eh bien, j'ai pris l'engagement, là aussi, d'être l'avocat de la Roumanie pendant les discussions d'élaboration de ce plan sur les grands réseaux européens.

M. CONSTANTINESCU - Le temps imparti est achevé. J'ai devant moi une tâche très difficile : donner la parole au dernier intervenant.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez évoqué dans vos différents discours le sort des enfants abandonnés en Roumanie. Est-ce que vous ne craignez pas qu'avec la thérapie de choc économique que va proposer à ce pays le gouvernement de M. Constantinescu, cette situation risque d'aggraver encore les situations sociales dans toutes ces familles qui éprouvent bien des difficultés à garder leurs enfants en Roumanie?

LE PRÉSIDENT - Vous savez, la thérapie de choc, comme vous dites, n'a qu'un objectif : c'est d'améliorer le sort des familles. Vous êtes simplement le porte-parole d'une certaine appréciation superficielle des choses qui consiste à penser que le redressement d'une situation économique se fait forcément au détriment des citoyens. Ce n'est pas le cas. Je veux dire par là qu'il n'y a pas d'autres moyens d'améliorer la vie des citoyens que d'être sérieux.

Le problème pour la plupart de nos pays, ici comme ailleurs, c'est de rejoindre le clan des gens sérieux que nous avions - je dis nous parce que c'était aussi le cas de la France - quitté depuis un certain temps le clan du "laisser-aller", qui ne dure jamais longtemps et qui se termine toujours par le pire.

Une autre chose, c'est naturellement la situation des jeunes orphelins roumains. C'est un problème qui préoccupe beaucoup les Français, à juste titre, d'autres aussi, beaucoup. Je dois dire que nous avons été très impressionnés par les premières décisions prises par le gouvernement de M. Constantinescu, qui a non seulement abordé le problème clairement, mais engagé aussi les premières mesures pour permettre de l'améliorer et de le régler.

Je m'entretenais ce matin avec les organisations non gouvernementales françaises, qui travaillent admirablement ici, c'est M. le Président lui-même qui le soulignait, et qui m'ont dit combien elles avaient aujourd'hui un plus grand optimisme en raison des positions et des initiatives prises par le gouvernement roumain.

Nous sommes associés à cet effort, et nous voulons l'être, j'ai indiqué au Président que naturellement nous ferions tout ce que le gouvernement roumain estimerait souhaitable pour impliquer davantage et associer davantage la France, et notamment les organisations non gouvernementales françaises, (Handicap, Médecins, etc.) pour le règlement de ce douloureux problème. Je pense, par conséquent, que celui-ci devrait connaître dans les mois qui viennent une évolution positive, mais probablement le Président pourrait le dire mieux que moi.

M. CONSTANTINESCU - Je voudrais, si vous me le permettiez, pour la fin, rendre hommage aux représentants de la presse française. En tant que leader politique qui vient de la société civile des intellectuels, je peux vous dire que si la mentalité roumaine n'est pas devenue collectiviste, n'a pu être abattue par la nuit du communisme, ceci a été dû au fait que les informations venant de l'Occident, en premier lieu par le canal de la presse française, ont été présentes en Roumanie et cela même aux moments les plus durs du rideau de fer.

Je me suis moi-même formé, du point de vue politique, en suivant en permanence la vie politique française et cela depuis les années 50. J'espère qu'aujourd'hui aussi la presse française sera à nos côtés au moment où de grands travaux nous attendent.

Nous avons par exemple à résoudre des problèmes énormes découlant de ce programme courageux de réformes, découlant de notre lutte contre la corruption et le crime organisé, et du programme très ambitieux concernant les enfants de la Roumanie. Nous sommes persuadés que vous nous aiderez à sortir du tourbillon dans lequel nous nous trouvons.

Nous avons cessé toute campagne d'images de la Roumanie, parce que le slogan maintenant c'est de changer la réalité de la Roumanie et nous sommes certains que, lorsque la réalité sera changée, des journalistes honnêtes, comme ce fut le cas ces derniers temps dans la presse française, l'observeront. Et, je tiens à vous remercier de tout coeur pour la façon dont ces derniers mois la situation de la Roumanie a été racontée dans la presse française. Les Roumains ont été très concernés et sont très reconnaissants pour la façon dont vous avez pu faire connaître nos réalisations.

J'ai refusé de contribuer à des campagnes publicitaires en Occident. Nous estimons que si nous menons une action résolue, ceci finalement se trouve reflété comme il se doit.

Pour finir, je tiens à vous rappeler une histoire : le Président Chirac m'a raconté qu'à l'époque où il était Premier ministre, un membre de la communauté roumaine lui a dit qu'en Roumanie on dit que la France a deux Premiers ministres : Jacques (Chi) et Rac, car en roumain "et" se dit "chi" ! Je veux dire que maintenant, à Bucarest, à en juger d'après la force et l'énergie avec lesquelles il défend nos intérêts, nous estimons que la France a deux Présidents, Jacques et Rac, nous les remercions tous les deux réunis en 1 seule personne.

Je vous remercie.