Introduction de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de la réunion de travail consacrée a la promotion des initiatives locales dans le département du Pas-de-Calais.
Préfecture d'Arras, le lundi 30 Septembre 1996
E PRESIDENT - Le 14 Juillet dernier, au cours de la traditionnelle intervention à l'Elysée, j'avais dit que la croissance c'est chacune et chacun d'entre nous, qui l'assume, et que c'est de nos comportements individuels que ressort l'essentiel de la croissance.
L'essentiel , pas tout naturellement, car la croissance c'est aussi un contexte général et de ce contexte, le gouvernement est bien entendu responsable. C'est à lui de créer un environnement favorable à la croissance. C'est ce qui est engagé aujourd'hui, d'abord par l'assainissement des finances publiques, tant il est vrai que l'on ne peut pas vivre longtemps à crédit et que si l'on se laisse aller, si l'on conserve des habitudes anciennes et mauvaises qui consistent à dépenser plus qu'on ne gagne, à accumuler des déficits, des dettes, on est bien entendu acculé ensuite à trouver l'argent nécessaire pour les rembourser. Bien sûr, cet argent on le prend sur ceux qui travaillent, -au sens le plus large du terme- sur ceux qui produisent, et par là même, on paralyse leurs initiatives. Il y a donc une espèce de cercle vicieux qu'il est indispensable d'interrompre. C'est un des éléments de l'environnement qu'il appartient au gouvernement de promouvoir, d'où la politique actuelle qui naturellement comporte des conséquences qui ne sont pas toujours agréables, mais qui sont inévitables de réduction des dépenses, de remise en cause d'un certain nombre d'actions, d'une amélioration du rapport coût-efficacité de la dépense publique.
C'est aussi le sens de la réforme fiscale. Personne ne conteste le fait qu'en France, les prélèvements obligatoires et notamment ceux qui sont exercés sur le travail, ou sur l'argent qui travaille, sont excessifs et que le coup d'arrêt donné à la dérive doit naturellement être poursuivi par une volonté déterminée de diminuer les charges excessives qui, à titre social ou fiscal, pèsent sur l'initiative des entreprises et des travailleurs.
C'est aussi le sens du plan PME qui a été élaboré par Monsieur Raffarin, adopté par le gouvernement, et qui est un élément d'amélioration de l'environnement, surtout, naturellement, lorsqu'il aura donné ses effets, c'est-à-dire dans les mois qui viennent.
Donc, il y a une forte responsabilité des pouvoirs publics, qui concerne l'environnement du travail et de la production, donc de la croissance.
Il y a aussi naturellement, tout ce qui touche l'exportation. Il faut chercher la croissance là où elle se trouve et aujourd'hui la croissance se trouve dans les grands pays émergeants, d'Asie, d'Amérique du Sud, d'Europe de l'Est et nous devons y prendre notre part. C'est déterminant pour la France qui est un pays où un travailleur sur quatre travaille pour l'exportation et où donc l'exportation est un élément capital de notre propre croissance. Nous sommes le deuxième pays exportateur du monde par tête d'habitant, le quatrième exportateur du monde en valeur absolue. Nous sommes le deuxième exportateur du monde de services. Bref, l'exportation est un élément essentiel de notre croissance, et doit donc être systématiquement favorisée à tous les échelons, pas seulement naturellement à celui des grandes entreprises. C'est important, mais là encore, ce n'est pas suffisant.
La croissance, je crois que c'est aujourd'hui surtout de l'initiative locale qu'il faut l'attendre. La croissance il faut la faire sur le terrain, en mobilisant chacune des énergies en vertu du vieux principe : "les petits ruisseaux font les grandes rivières".
L'emploi réparti sur l'ensemble du territoire dépend de plus en plus des projets de taille humaine, des initiatives locales. La croissance, au fond, je crois qu'on peut dire que c'est une espèce de pyramide dont la base est constituée par les initiatives locales et si cette base, naturellement, se rétrécit c'est l'ensemble de l'édifice qui est fragilisé. Ce sont les initiatives locales qui constituent la base de la pyramide croissance pour un pays. Seules ces initiatives permettent de créer de l'activité, de l'emploi et des richesses, là où les gens vivent et souhaitent pouvoir vivre.
Ce qui veut dire, qu'il faut bien se mettre dans la tête, que nul projet innovant si modeste soit-il apparemment, ne doit être ignoré ou négligé par l'ensemble des responsables, qu'ils appartiennent aux pouvoirs publics ou au pouvoir économique, social de la nation. Que nulle entreprise en difficulté ne doit être abandonnée, sauf si véritablement il n'y a plus rien à faire. Mais que toutes les énergies doivent se focaliser sur un objectif qui est de faciliter les choses soit pour une entreprise passant un moment difficile, soit pour une initiative qui demande à se développer.
Je disais hier soir, à la mairie d'Arras, que les différents sondages dont on peut disposer montrent, -et c'est un très bon signe, c'est un signe de vitalité dont je ne doute pas en ce qui concerne la jeunesse de notre pays- qu'une très grande majorité de jeune souhaite créer leur propre activité, soit dans le domaine de l'entreprise, soit dans le domaine associatif, mais qu'ils veulent se mettre en quelque sorte à leur compte. Mais ils sont profondément convaincus, et honnêtement à juste titre, que pour atteindre cet objectif il faut faire un véritable parcours du combattant. Donc, dans la meilleure hypothèse on sort exsangue, et plus généralement on ne sort pas du tout, et cela décourage. Quand on leur explique l'importance des formalités, le nombre des structures qu'il faut contacter, essayer de mobiliser, cela décourage complètement. C'est là un frein très fort pour la croissance. Autrement dit, il y a une sorte d'inadaptation de nos structures en général, à un monde où l'initiative doit être beaucoup plus encouragée, beaucoup plus facilitée. Il faut donc pouvoir entreprendre, de façon plus simple, de façon plus proche.
J'ajoute que c'est cela aussi la démocratie ouverte, vivante et moderne. On parle beaucoup des droits de l'homme, à juste titre naturellement, parce que c'est une notion à la fois essentielle et fragile qui est toujours menacée, par le droit à ne pas être exclu, c'est bien évident, sur le plan des droits de manger, de se loger, de se soigner, de parler etc...
Mais il y a aussi un droit dont aujourd'hui on ne peut plus ignorer l'existence, c'est le droit d'entreprendre. Ce droit existe, et on ne peut pas dire aujourd'hui qu'il soit vraiment respecté. Il faut que chacun puisse exercer le droit, et donc il faut que les pouvoirs publics, l'Etat, facilitent les choses. Et cela, c'est un grand changement qui ne se fera pas d'un jour à l'autre, qui demandera du temps, c'est un changement de mentalité, mais c'est un changement essentiel.
L'Etat, -quand je dis l'Etat je parle de l'ensemble de l'appareil d'Etat, c'est-à-dire l'administration régionale, centrale- doit être accessible, trop souvent il ne l'est pas, notamment pour celui qui veut se lancer. L'Etat, par conséquent, doit admettre aujourd'hui qu'il faut se déconcentrer. C'est l'objectif de l'actuel gouvernement qui engage une réforme difficile dans ce domaine, car se heurtant à toutes les routines, à tous les conservatismes de l'administration, il faut qu'il se déconcentre, au niveau du département, au niveau du Préfet, au niveau des Directeurs départementaux, en liaison avec les services, en liaison avec les élus, en liaison avec les organisations professionnelles et syndicales. La plupart des décisions doivent être prises, non pas par des bureaux parisiens quelles que soient leurs qualités, -bien entendu je ne fais pas là une critique- mais ils se trouvent à une distance qui a pour conséquence l'incompréhension et les délais.
Autrement dit, l'Etat aujourd'hui, dans le domaine économique, doit être un partenaire, il ne doit plus être ce qu'il est encore trop, c'est-à-dire un tuteur, c'est-à-dire un empêcheur, pétrit de bonnes intentions naturellement, mais le résultat est là. L'esprit de création existe, notamment dans la jeunesse aujourd'hui. Nous sommes un pays qui a des qualités extraordinaires, et nous avons aujourd'hui une jeunesse traumatisée par les difficultés qu'elle a à s'insérer dans la société, à s'épanouir, et à trouver un emploi. Nous avons une jeunesse formidable qui, lorsqu'on parle avec elle, garde le sourire, garde l'oeil fixé sur l'avenir, qui a du courage. Il ne faut pas que nos structures, nos routines conduisent à la décourager. L'esprit de création doit être, je le répète, encouragé. Beaucoup de problèmes, notamment en matière d'emplois, mais aussi en matière de progrès social (réellement financé) seront résolus par une solution, à la fois moderne et humaine de notre problème des structures de notre société.
Aujourd'hui, je crois qu'il y a une vertu qu'il faut redécouvrir. Cette vertu, dans tous les domaines c'est l'audace. Si j'avais un conseil à donner à ceux qui veulent entreprendre, et notamment aux jeunes, ce serait d'apprendre à oser, mais bien entendu il ne faut pas qu'ils soient empêtrés dans un système qui les tire vers le bas. Il faut au contraire qu'ils soient soutenus par un système qui les pousse vers le haut.
J'ai souhaité et j'ai demandé à Monsieur le Préfet, de voir comment on pourrait essayer de créer un esprit plus fédérateur, plus synergique et pour cela faire appel à la compétence, à la bonne volonté de chacun. Ces compétences et cette bonne volonté existent chez tous les représentants qui sont ici réunis et qui en réalité sont les acteurs de la vie économique et sociale. Des acteurs qui doivent jouer, naturellement, le mieux possible et de façon cohérente, c'est-à-dire en étroite liaison les uns avec les autres, ce que les traditions ne font pas toujours aujourd'hui.
Alors, j'ai pensé qu'on pourrait faire une expérience qui consisterait à faire donner une sorte d'impulsion amicale et attentive à tout ce que ce département du Pas-de-Calais comporte de capacités, d'initiatives et il est loin d'en être dépourvu, en raison de sa jeunesse et de sa capacité de création. J'ai demandé, à Monsieur le Préfet, (qui a été nommé ici dans le Pas-de-Calais, en raison de l'excellence des résultats dans le domaine économique et social et notamment celui de l'emploi, qu'il a enregistrés dans ses postes précédents) de réunir autour de lui trois personnes d'origines différentes qui permettraient de donner, -je répète à titre purement volontaire, sans aucune structure supplémentaire- une espèce d'impulsion amicale à toutes les initiatives.
Monsieur le Préfet, Christian Frémont, a une grande expérience de l'administration, à la fois locale et aussi nationale, -puisqu'il a travaillé longtemps dans les administrations parisiennes, y compris les Finances-. Il s'est beaucoup occupé des jeunes, en particulier en s'occupant de tous les stages des jeunes élèves de l'école d'administration dans les entreprises. Il est donc familier à la fois des problèmes de l'entreprise et des problèmes de l'administration, et il a dans le Finistère un bilan de son action extrêmement positif que j'avais pu observer sur place. C'est donc à lui que je me suis adressé pour donner une impulsion nouvelle dans le département du Pas-de-Calais à la fois plein d'espoir et plein de difficultés.
J'ai souhaité qu'il ait avec lui, dans cette tâche, un représentant des collectivités locales, des élus, du terrain et c'est pourquoi j'ai demandé à Jean-Paul Delevoye d'être présent. Je répète, non pas du tout en raison de ses fonctions politiques, mais en raison de son expérience d'élu local et de Président des Maires de France, parce que depuis des années, il recueille de la part de tous les Maires, les expériences positives, les échecs, les réflexions, les ambitions, les idées et qu'à ce titre il peut avoir un rôle important.
J'ai également demandé à Monsieur Dominique Roquette de bien vouloir s'y associer en sa qualité d'homme d'entreprise et de représentant d'une des entreprises les plus performantes de ce département, de cette région et même de notre pays qui a su trouver son créneau, qui a su développer un secteur de recherches important, ce qui est le meilleur gage de la réussite. Monsieur Roquette a un secteur de recherches qui emploie aujourd'hui 350 personnes, où l'on voit l'adaptation d'une préoccupation de croissance normale, mais aussi de croissance dans l'avenir évidemment. Monsieur Roquette a également une grande expérience, et une grande volonté d'améliorer la formation, la capacité de progression des hommes. C'est un homme qui est ouvert aux problèmes sociaux et dont l'expérience peut être naturellement tout à fait utile.
Enfin, Monsieur René Barras, que tout le monde connaît ici, qui a une expérience de chef d'entreprise et une expérience de leader du mouvement associatif tout à fait incomparable.
Je pense qu'il n'y a pas de solutions aux problèmes à la fois politiques, économiques et sociaux dans une démocratie moderne comme celle qui doit être la notre, sans une participation très active du domaine associatif. Tout simplement parce que l'entreprise c'est forcément l'intérêt, l'administration c'est forcément une espèce de conception de l'Etat. Mais l'association introduit le coeur, le bénévolat, dans l'ensemble de notre système complexe et nous avons besoin de gens qui savent tendre la main, écouter, et prendre l'initiative nécessaire sans regarder leur montre. C'est donc un élément essentiel de la démocratie moderne, il y a longtemps que c'est un élément important de la vie en société, mais c'est chaque jour davantage un élément essentiel.
Son expérience, notamment au sein de l'URIOPS est à cet égard incomparable, de même que son expérience dans le cadre de l'association pour la solidarité active qu'il a créé il y a de cela une trentaine d'années, je crois, qui a été tout à fait remarquable, notamment pour ce qui concerne le logement des personnes sans abri. (Un système également original par une sorte de cogestion avec les pouvoirs publics, notamment la préfecture, pour les familles en difficulté). Bref, Monsieur Barras est quelqu'un qui a l'expérience de l'entreprise, mais aussi l'expérience de la vie sociale, de la lutte contre l'exclusion, de la main tendue à ceux qui en ont besoin.
Voilà ce que je souhaitais dire en introduction. Je crois que ces trois hommes sans aucune organisation, structure et obligation pourraient être en quelle que sorte les conseils, les moteurs d'une amélioration des conditions d'épanouissement, de l'initiative locale dans ce département.
Voilà simplement ce que je voulais dire pour commencer. Peut-être Monsieur le Préfet pouvez-vous maintenant donner la parole à ce qui est le plus important parce que le plus exemplaire, c'est-à-dire ceux qui ont conçu ou réalisé des projets et qui peuvent nous dire quelles sont les difficultés, les problèmes qu'il faut résoudre, que leurs expériences a déterminé, en ce qui concerne notamment les difficultés ou les empêchements.
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