Sommet Union européenne- Amérique latine - Caraïbes.
Intervention de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de la table ronde consacrée à l'avenir du multilatéralisme.
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Guadalajara - (Mexique) - Vendredi 28 mai 2004.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Chefs d'État et de Gouvernement,
Le multilatéralisme est une exigence de notre temps. Au sortir de la guerre, nos pays ont compris que l'accélération des échanges engendrait un monde nouveau où l'action internationale devait être fondée sur le droit et la coopération. Ce fut la création du système de l'ONU, dont les nations d'Europe et d'Amérique Latine furent membres fondateurs.
Soixante ans de croissance mondiale, de progrès des technologies de l'information et de la communication, la fin de la période coloniale, la disparition des blocs ont accentué le phénomène. La vie moderne est faite d'échanges humains, financiers et commerciaux toujours plus intenses. Il en résulte des interdépendances croissantes, mais aussi des fléaux, que seules des mesures générales permettent de maîtriser.
Il en résulte que les problèmes de sécurité, qui posent la question du recours à la force, sont désormais globaux et doivent être abordés dans un cadre multilatéral pour recevoir un traitement légitime. Il suffit pour s'en convaincre de constater la menace que les états faillis font peser sur l'équilibre du monde, ou bien les impasses dans lesquelles conduit l'action unilatérale.
Les États ne peuvent se satisfaire d'alliances ou de coalitions ad hoc. Ils doivent organiser la cité planétaire comme une nouvelle société politique.
Cela suppose que des règles fondamentales et des solidarités essentielles soient affirmées et mises en oeuvre au niveau mondial. C'est le rôle de l'ONU et des organisations à composition universelle qui expriment l'unité du monde.
Mais nos pays ne supporteraient pas d'être passés à une toise uniforme, au mépris de leurs identités. L'échelle mondiale n'est pas toujours la plus pertinente. C'est pourquoi la France attache tant de prix à l'intégration régionale, dans laquelle l'Amérique Latine et l'Europe se sont engagées. C'est dans le cadre de grands ensembles, qui constituent autant de pôles émergents, que s'expriment les solidarités au quotidien. L'intégration régionale constitue un bouclier contre les tempêtes du monde. L'Union européenne en apporte le témoignage, avec par exemple l'expérience réussie de l'euro.
Pour éviter que le monde multipolaire de demain ne se ruine en affrontements, il nous faut cependant multiplier les instances de dialogue. Celui que nous entretenons est à cet égard emblématique. Je pense aussi aux organisations qui transcendent les limites géographiques, Francophonie, solidarité ibéro-américaine ou Commonwealth, creusets de dialogue des cultures.
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Pour assurer le développement du multilatéralisme, quatre orientations s'imposent :
- La première est la consolidation des normes fondamentales, des principes essentiels à la vie internationale de notre temps. Cela passe par la ratification universelle des grands textes protecteurs des droits de l'homme comme les pactes de 1966 ou le traité instituant la Cour Pénale Internationale qui doit tant à la coopération entre l'Amérique Latine et l'Europe.
Cela passe par la négociation de nouveaux instruments, tels qu'une convention sur la diversité culturelle, ou sur la bioéthique, de textes plus efficaces contre des menaces comme la prolifération des armes de destruction massive. Car, dans tous ces domaines, la règle consentie et instituée en loi est la seule légitime et la meilleure garantie contre la tentation permanente de l'unilatéralisme.
- La deuxième orientation consiste en une meilleure application des grandes conventions. Il est clair que la Commission des droits de l'homme ne remplit pas tout son mandat ; que les mécanismes de lutte contre le terrorisme ou contre la prolifération, les mécanismes de protection de l'environnement doivent être renforcés. Il nous faut construire des systèmes de surveillance et d'évaluation plus efficaces ; améliorer les programmes d'appui aux pays en développement ; établir, le cas échéant, des régimes de coercition et de sanctions.
- Troisième orientation : la démocratisation du système multilatéral, condition de sa légitimité. S'agissant du Conseil de sécurité, l'élargissement s'impose, dans les deux catégories de membres. Pour les affaires économiques et sociales, il nous faut une enceinte intergouvernementale capable de donner des impulsions politiques à l'ensemble du système multilatéral et d'en améliorer la cohérence.
Nous devons également compléter ce système, notamment en créant une Organisation des Nations Unies pour l'environnement, réponse à la crise écologique mondiale.
Enfin, tirant les leçons de Gênes, de Cancun ou de Porto Alegre, il faut ouvrir davantage les instances internationales de décision aux pays du Sud et systématiser le dialogue avec la société civile.
- La dernière orientation est la solidarité internationale, dont nous parlerons cet après-midi.
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Monsieur le Président,
Les défis de notre temps naissent de la collision entre les forces unificatrices de la mondialisation et la diversité des peuples et des niveaux de développement. La maîtriser suppose de contrôler ces forces, d'organiser la polyphonie des cultures et de faire vivre la solidarité internationale. Tel est le multilatéralisme.
De même que la paix civile règne dans nos pays grâce à la soumission de tous à une loi unique, mais respectueuse des libertés de chacun, de même devons-nous désormais construire un état de droit international dans lequel nos souverainetés seront limitées par un choix librement consenti. Nos deux continents sont, par leurs histoires et leurs valeurs partagées, bien placés pour s'instaurer en moteur de cette action.
Je vous remercie.
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