Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la remise de la Médaille de la famille française.

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Palais de l'Elysée, le mercredi 31 mai 2000

Madame la Ministre de la Famille et de l'Enfance,
sans aucun doute le plus joli titre d'un Gouvernement,
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,

Je voudrais tout d'abord remercier le Président Brin de ce qu'il a dit, car il donne de la famille une image moderne et juste, et il exprime, une fois de plus, une exigence élevée pour la politique familiale, une exigence que je partage.

Avec lui, nous veillons chaque année à organiser cette cérémonie amicale à une date aussi proche que possible de la fête des mères.

Les familles de notre pays sont encore, un peu, dans l'atmosphère affectueuse de cette journée et il m'est agréable de vous accueillir aujourd'hui, si bien entourées de ceux que vous aimez.

Je suis heureux de donner à la famille, en cette occasion, un nouveau témoignage de la reconnaissance de la République. Cette reconnaissance s'adresse aujourd'hui à vous, Mesdames, qui allez recevoir la médaille de la famille française. Parmi toutes les distinctions, celle-ci a, sans aucun doute, une place particulière parce qu'elle est la distinction du cœur, de la générosité, du don de soi.

Au milieu de toutes les transformations que connaît notre société, s'il est une institution qui tient bon, tout en s'adaptant, c'est la famille. Elle est plus vivante que jamais, telle qu'en elle-même, sous la forme où elle nous a été transmise de génération en génération, mais aussi sous des modalités nouvelles, familles monoparentales, familles recomposées. Face aux bouleversements du monde, elle demeure dans toutes les cultures ce qu'elle a toujours été, la cellule de base de la vie sociale. A travers l'espace et le temps, l'humanité ne se conçoit pas sans elle. Contre vents et marées, elle reste le bien le plus précieux de l'homme. Elle constitue le creuset des apprentissages fondamentaux, le lieu où chacun forge son identité et sa personnalité, un lieu de paix et de chaleur, de confiance et d'intimité, une source inépuisable d'ardeur, de renouveau et d'épanouissement.

Dans le contexte de la vie contemporaine, l'idéal familial se heurte à des obstacles, mais contrairement à certaines idées reçues, le socle de la famille demeure très solide. Plus de 80 % des enfants vivent sous le même toit que leurs deux parents.

Le désir de famille est une réalité moderne. Il est, je crois, plus fort que jamais. Il n'a pas à être stimulé.

La famille a cependant besoin d'être aidée et soutenue car elle ne trouve pas les conditions les plus favorables à son épanouissement dans l'organisation actuelle de la société et de l'économie.

Elle se forme de plus en plus tard. Les conditions de son installation et les exigences de la vie professionnelle retardent souvent la première naissance. Avoir de jeunes enfants entraîne aujourd'hui des difficultés de logement, de garde et de conciliation entre activité professionnelle et vie familiale qui n'existaient pas, en tous les cas, au même degré pour les générations précédentes. Cela impose des arbitrages difficiles, et souvent coûteux. Et ces problèmes sont bien sûr amplifiés quand il s'agit de familles nombreuses, vous le vivez ou vous l'avez vécu journellement.

Les familles sont aussi confrontées à la multiplication des risques, la violence dans la rue, à l'école, la maltraitance, la pédophilie, le racket. Et dans un contexte de plus en plus marqué par une volonté inacceptable de banalisation de l'usage des drogues, les pressions que les dealers exercent sur les jeunes créent encore de nouveaux dangers, vous les avez évoqués, Monsieur le Président.

A ces risques du monde moderne s'ajoutent les conséquences cumulées de vingt années de chômage et d'exclusion, avec leur cortège d'effets déstructurants. Sans la famille, sans l'aide apportée par les parents aux foyers de leurs enfants, sans cette solidarité plus forte que toutes les autres parce qu'elle repose sur un lien d'amour, nous savons bien que notre société n'aurait pas résisté. Les mécanismes de solidarité collective sont indispensables, naturellement, mais ils montrent vite leurs limites quand ils ne s'accompagnent pas d'une entraide de personne à personne qui donne à la solidarité un visage.

Malgré le soutien qui pouvait leur être apporté, bien des parents aux prises avec des difficultés aiguës d'emploi, de revenu, de logement et même de santé, se sont cependant trouvés hors d'état d'assumer leurs responsabilités affectives et éducatives. Cela n'a pas été sans conséquence sur nos sociétés modernes.

L'incivisme, la violence et l'insécurité, plus particulièrement dans les quartiers sensibles, plongent leurs racines les plus profondes dans ce terreau.

Là où la famille a cessé de jouer son rôle auprès des enfants, l'enseignement, la police, l'éducation surveillée et les services sociaux se trouvent soumis aux tensions les plus rudes. Ces grands services publics doivent aujourd'hui affronter des situations auxquelles ils n'avaient pas été préparés. Parce qu'il tarde à se réformer lui-même, dans tous les pays, l'Etat peine à dégager les ressources nécessaires au renforcement de ses moyens d'action.

La première demande des familles, Monsieur le Président, vous l'avez évoqué aussi, est aujourd'hui de vivre en paix et en sécurité, dans un environnement stable où les enfants puissent grandir, s'épanouir et construire leur avenir à l'abri des dangers. Pour mieux répondre à cette attente, forte attente, la mobilisation doit être renforcée autour des maires et des préfets.

La politique en faveur de la famille commence, je crois, par-là.

Comme l'UNAF le rappelle souvent, elle ne peut se limiter aux prestations familiales. Elle doit porter attention à tous les paramètres de la vie des familles. Elle doit être globale.

C'est dans cet esprit que la réforme de la sécurité sociale a entendu donner à la politique familiale une meilleure assise. J'ai voulu, quant à moi, la création d'une conférence annuelle de la famille, d'une délégation interministérielle chargée d'en préparer et d'en suivre les travaux. La conférence de la famille ponctue désormais et utilement l'action des pouvoirs publics. Elle crée pour eux, en quelque sorte, l'obligation, de faire vivre la politique familiale, quelles que soient les autres priorités du moment. C'est pour les familles un rendez-vous essentiel qui leur garantit d'être mieux écoutées et plus souvent entendues.

Mais il faut bien sûr que les engagements pris chaque année à cette occasion soient effectivement tenus, c'est toujours le problème de tous les Gouvernements. Je sais que le mouvement familial est préoccupé du fait de la non-reconduction de la garantie de ressources de la branche famille, prévue pour cinq ans par la loi de 1994. Vous avez dit aussi, Monsieur le Président, l'inquiétude que vous avez en ce qui concerne les conditions de mise en œuvre des décisions prises sur le financement de l'allocation de rentrée scolaire. Vous demandez enfin une plus grande transparence des comptes, notamment sur les restrictions fiscales qui ont été imposées aux familles et dont vous souhaitez à tout le moins que le produit soit entièrement rendu à la politique familiale, comme annoncé.

Plus généralement, il importe que l'ensemble des ressources de la politique familiale reste à la famille, et n'aille pas compenser les déficits persistants de l'assurance-maladie ou contribuer au financement des retraites. Il ne faut pas confondre en un seul compte des politiques qui doivent rester distinctes, c'est un souci permanent pour les pouvoirs publics.

La politique familiale devra désormais être plus attentive aux conditions de la vie moderne, cela aussi c'est un défi permanent à relever. Pour toutes les mères, elle doit ouvrir le champ du possible en les rendant plus libres de leurs choix.

Travailler, bien sûr, mais alors disposer des moyens de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle, notamment par l'amélioration des modes de garde, la création de crèches et le rétablissement d'un niveau élevé d'aide fiscale pour la garde des enfants à domicile.

Un "chèque-famille" pourrait être créé avec l'aide des caisses d'allocations familiales pour permettre aux entreprises de soutenir non seulement la garde des enfants mais aussi leurs activités éducatives, culturelles ou sportives.

Je souhaite que l'organisation du travail prenne mieux en compte les impératifs familiaux. La négociation collective n'est pas assez active dans ce domaine, je l'ai souvent dit aux organisations syndicales et professionnelles, et je sais que c'est aussi le souci du Gouvernement. Pour recruter des collaboratrices et des collaborateurs qualifiés, les entreprises devront savoir répondre à leurs nouvelles exigences, à leurs nouveaux besoins. Les partenaires sociaux ne peuvent pas s'en désintéresser.

Autre choix : s'arrêter de travailler et bénéficier pendant plusieurs années d'une aide financière qui compense en partie au moins l'abandon du salaire. C'est tout le rôle de l'allocation parentale d'éducation, plébiscitée par 500.000 familles. Elle constitue aujourd'hui un acquis de la politique familiale et qui ne doit pas être remis en cause. Il faut aussi pouvoir s'occuper de grands enfants ou de parents âgés. C'est pourquoi, au-delà du congé parental, on peut imaginer la création d'un congé de solidarité familiale correspondant à une attente assez forte, aujourd'hui, que vous avez vous-même évoqué, Monsieur le Président.

Reprendre une activité professionnelle, enfin, et pouvoir disposer alors de tous les atouts nécessaires. Je suis pour ma part attaché à l'idée d'un nouveau contrat au bénéfice des femmes qui ont consacré plusieurs années de vie à leurs enfants. Il leur donnerait accès aux formations dont elles ont besoin et allégerait les charges de l'employeur pour encourager leur embauche. Ce contrat de libre choix permettrait aux mères qui s'arrêtent de travailler de ne pas renoncer pour autant à leur avenir professionnel. Il correspond à une profonde aspiration. Je croix également indispensable d'étaler dans le temps le surcroît d'impôt provoqué par l'arrivée d'un deuxième salaire. Mais je sais que tous ces problèmes sont actuellement étudiés par la ministre chargée de la Famille et de l'Enfance

Au-delà de l'activité professionnelle, je pense que la politique familiale doit aborder de manière nouvelle les problèmes de logement des familles. Notre système d'aide est à la fois complexe et injuste. A revenu égal, il pénalise les actifs par rapport aux titulaires des minimas sociaux. Il est également souhaitable, et vous l'avez demandé, de prolonger jusqu'à l'âge de 22 ans la prise en compte des jeunes adultes logés au foyer de leurs parents.

Voilà bien des idées qui doivent être étudiées. Ce sera notamment l'objet de la prochaine conférence de la famille.

Je sais, Mesdames, que les choix familiaux de chacune d'entre vous n'ont dépendu que de vos projets personnels. Cependant, la politique familiale, en créant un contexte plus ou moins favorable à l'accueil de l'enfant, contribue à permettre à ces choix personnels de se réaliser. Beaucoup de couples n'ont pas autant d'enfants qu'ils le souhaitent. C'est une déception, silencieuse mais parfois profonde. L'ambition de la politique familiale doit être d'élargir l'horizon pour que chacun puisse accomplir son rêve familial. Il suffirait de peu de choses pour que la France assure au moins le renouvellement de ses générations. Elle serait alors plus forte pour affronter l'avenir. Elle aborderait dans de meilleures, en particulier, la réforme des régimes de retraite.

La politique familiale relève d'un devoir de solidarité en faveur des familles, de toutes les familles. Mais elle constitue aussi un impératif d'intérêt national. Un impératif ne saurait être nié.

Je vais maintenant, Monsieur le Président, Madame la Ministre, remettre cette distinction méritée à chacune d'entre vous, qui venez de toute la France métropolitaine, y compris, et je m'en réjouis, de la Corrèze. Vous avez donné l'exemple du don de soi, et vous continuez à le faire, même quand la maison est vide, car on ne cesse jamais d'être mère. A l'affection et à la reconnaissance de vos enfants, qui sont pour vous la seule vraie récompense, je voudrais ajouter aujourd'hui celle de la République.

En son nom, je vous félicite et je vous remercie.