Déclarations à la presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, de M. Gerhard SCHROEDER, Chancelier de la République fédérale d'Allemagne, et de M. Lionel JOSPIN, Premier ministre, à l'issue de leur rencontre.
Paris, le vendredi 11 mai 2001
LE PRÉSIDENT - Nous avons eu un nouveau dîner de travail et, comme d'habitude, il s'est avéré à la fois sérieux et agréable.
Nous avons d'abord évoqué les problèmes de l'élargissement qui sont à l'ordre du jour, comme vous le savez, du sommet de Göteborg, pour constater que la position de l'Allemagne et celle de la France étaient identiques.
Nous avons ensuite évoqué les problèmes du débat national qui est engagé dans chaque pays et sur l'ensemble de l'Union européenne pour la préparation des échéances de 2004. Nous avons parlé, naturellement, de la proposition faite par le Parti Social Démocrate allemand. Nous avons évoqué l'engagement par la France, nous sommes un peu en avance dans ce domaine, du grand débat national sur ce sujet et nous avons conclu qu'après que chacun se sera exprimé, conformément à la règle du jeu, alors, il y aurait sans aucun doute une position franco-allemande commune pour définir ce que doit être l'Europe à partir de 2004.
Enfin, nous avons évoqué les problèmes liés aux propositions américaines concernant la stratégie de demain et nous avons également une position commune. À savoir que nous sommes tout à fait d'accord pour engager la discussion et le dialogue que nos alliés américains nous ont proposé dans ce domaine, même si nous avons pour le moment quelques réserves. Mais tout ceci doit être discuté en commun.
Voilà pour l'essentiel. J'en tirerais simplement une conclusion, car nous avons évoqué d'autres problèmes, naturellement. C'est que ces réunions de travail régulières sont tout à fait nécessaires, dans la mesure où chacun comprend bien que l'accord ou le dialogue franco-allemand est un élément essentiel de la construction de l'Europe de demain.
M. SCHROËDER - Je peux souligner bien des propos qu'a évoqués le Président et approuver tout ce qu'il a dit, en particulier sur le fait que ce repas, en cette soirée de mai à Paris, n'aurait pas pu se dérouler dans une meilleure ambiance. Et je tiens à remercier, en particulier, les restaurateurs qui nous ont accueillis et qui nous ont fourni un fabuleux repas.
À Göteborg, il y aura une position commune de la France et de l'Allemagne, nous l'avons constaté. Et cette position commune vaudra pour tous les débats.
Nous avons eu un échange très intense sur la nécessité de renforcer les traditions industrielles de l'Europe et de renforcer les industries qui ont fait l'Europe d'une manière traditionnelle, en développant toutes les nouvelles technologies de l'information et de la communication qui peuvent enrichir ces industries traditionnelles. Nous sommes convenus qu'il était nécessaire de bien faire comprendre à la Commission que la France et l'Allemagne ont dans le domaine de ces industries traditionnelles des intérêts à défendre en matière d'emploi et en matière de compétitivité et que nous allons ensemble, toujours, nous efforcer de dégager des positions communes pour défendre ces intérêts.
Troisièmement, nous savons qu'en Europe rien d'important ne peut se faire s'il n'y a pas d'accord entre la France et l'Allemagne. Et nous sommes donc convenus que, sur les négociations en vue de l'élargissement de l'Union européenne, nous allons nous en tenir strictement à une position commune et aborder ensemble ces questions. Nous sommes tout à fait d'accord pour dire que, tant que toutes les questions ne sont pas réglées, rien n'est réglé. Et on ne réussira pas à nous monter les uns contre les autres.
Enfin, quatrième point, et je tiens à vous rassurer, je ne serais pas très long, je ne vais pas vous imposer un très long discours, nous avons aussi, comme l'a dit le Président, évoqué le projet américain de bouclier anti-missiles. Je voudrais dire que le discours prononcé par le Président BUSH sur cette question a été un très grand discours, un discours très important. Et, dans ce discours, le Président BUSH propose un dialogue avec tous ses alliés sur cette question de la défense anti-missiles. Eh bien, ce dialogue, nous y sommes prêts. Le dialogue, cela veut dire procéder à un échange d'opinions. Et un dialogue ne peut fonctionner qu'à partir du moment où les différentes personnes qui s'entretiennent sont prêtes à entendre et à écouter sérieusement l'avis de l'autre, à en tenir compte et à revoir éventuellement leurs positions à la lumière des avis exprimés par les autres. Donc, sur ce point d'un dialogue franc et ouvert avec les États-Unis, nous sommes prêts également à l'aborder. Nous souhaitons ce dialogue et nous l'aborderons, là aussi, ensemble.
LE PREMIER MINISTRE - D'abord, je voudrais remercier le Président de la République d'avoir invité le Chancelier allemand et moi-même en terre de Corrèze. Cela a été un moment très agréable et dans ce contexte, nous le constatons de mois en mois, nous pouvons vraiment approfondir un certain nombre de questions, soit sur lesquelles nos points de vue ne sont pas exactement les mêmes, soit au contraire sur lesquelles nous pouvons être vraiment moteur pour le développement de l'Europe.
De même qu'en Allemagne, nous avions bien préparé le Conseil européen de Stockholm, de la même manière, ici à Paris, ainsi que par les rencontres des ministres des Affaires étrangères, ou d'autres ministres des deux gouvernements, je crois que nous sommes en train de bien préparer le Conseil européen de Göteborg.
C'est tout particulièrement le cas pour les problèmes de l'élargissement de l'Union européenne où nos approches seront communes, même si chaque pays peut avoir un problème particulier qui doit être pris en compte par le partenaire.
Nous avons abordé aussi, quelques grands dossiers industriels européens, qu'ils concernent des activités traditionnelles ou qu'ils concernent, au contraire, des activités beaucoup plus modernes et motrices, comme le secteur de l'aéronautique, par exemple.
Enfin, en ce qui concerne le débat sur le futur de l'Europe, en perspective de 2004, nous avons constaté qu'il était en train de commencer. Sauf à vouloir le confisquer à deux pays, ce qui n'est pas notre approche ou à prétendre, avant même que nos intellectuels, nos syndicalistes, nos partis politiques, nos chefs d'entreprise, nos mouvements associatifs se soient exprimés, avant même que ce débat ait eu lieu, le préempter, en quelque sorte, pour le conclure. Eh bien, il est normal que des positions s'expriment, et cela donne, je crois, à celui-ci un caractère vivant qui sera très utile à l'avenir de l'Europe.
Donc, je conclus pour mon propre compte, nous nous entendons, je crois, sur le court terme, nous allons librement débattre du long terme, et c'est une forme tout à fait vivante et libre d'un bon partenariat.
QUESTION - Une question sur le futur de l'Europe. J'aimerais bien connaître un peu mieux la position française par rapport aux propositions du Chancelier SCHROËDER ?
LE PRÉSIDENT - Permettez-moi de vous dire qu'il n'y a pas de position du Chancelier SCHROËDER. Il y a une position du SPD, ce qui est tout de même quelque chose de légitime, et nous sommes naturellement tout à fait prêts à discuter de cette position même si nous ne sommes pas d'accord sur le détail des propositions qu'elle met en exergue. Tout de même, il y a des propositions qui sont faites en France, ou qui le seront, par les partis politiques, qui ne recueilleront pas forcément l'agrément du Chancelier, ni d'ailleurs obligatoirement le nôtre. Donc, tout cela, c'est le grand débat qui est engagé. L'intérêt du grand débat prévu à Nice, c'est que tout le monde puisse s'exprimer, qu'aucune idée ne reste dans l'ombre. Ce que je peux vous dire, c'est que, quand le moment sera venu d'une proposition franco-allemande pour ce qui concerne l'avenir de l'Europe et ce que nous ferons en 2004, alors, il y aura une position commune.
M. SCHROËDER - Deux remarques, après ce qui a été dit. Tout d'abord, on en est arrivé au stade où tout ce qui se décide au sein du SPD a recueilli l'assentiment du Président du Parti. Enfin presque tout, parce que cela reste quand même un congrès d'un parti politique. Mais, en gros, tout ce qui a été dit était avec mon accord.
Deuxième point, cela a été évoqué également par le Président, c'est qu'il est nécessaire de prendre en compte les éléments qui nous rapprochent à court et moyen terme. Et nous pouvons évidemment discuter à plus long terme de ce que serait, selon nous, la vision d'une Europe parfaite. Mais, à plus brève échéance, nous devons discuter entre gouvernements de ce que nous pouvons faire pour avancer dans l'Europe, et c'est ce que nous nous efforçons de faire actuellement et dans la période plus proche.
Cela étant dit, il est évident que sur toute cette période du court et du moyen terme, les points communs entre les approches françaises et allemandes dominent largement sur les divergences que nous pouvons peut-être avoir sur la finalité à plus long terme de l'Europe. Et c'est en tout cas sur cette base que nous travaillons la main dans la main, en nous efforçant de faire avancer l'Europe sur ce qui nous rapproche et en continuant de mener une discussion de fond, peut-être plus intellectuelle, sur la finalité de l'Europe. C'est un débat que nous menons et sur lequel nous sommes prêts à discuter, le Président, comme le Premier ministre, comme moi-même.
LE PRÉSIDENT - Merci beaucoup
|