Point de presse conjoint de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, et de M. Lakhdar BRAHIMI représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour l'Afghanistan à l'issue de leur entretien.

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Palais de l'Élysée, le jeudi 8 novembre 2001

LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs, je voudrais d'abord remercier Monsieur Lakhdar BRAHIMI qui, comme vous le savez, est le représentant du Secrétaire général des Nations Unies pour l'Afghanistan et qui est un des meilleurs spécialistes mondiaux dans ce domaine. Et je voudrais d'abord témoigner de la confiance totale de la France dans son action et du soutien sans réserve que nous apportons à son action. J'ai eu l'occasion avant-hier de le dire très clairement au Secrétaire général, M. Kofi ANNAN, et j'ai tenu à le redire aujourd'hui à M. BRAHIMI. Il vous dira ce qu'il pense de la situation.

Je ne parlerai pas des problèmes militaires. Je voudrais simplement souligner que nous sommes d'accord sur la priorité absolue qui doit être donnée, aujourd'hui, d'une part à la mise en place d'une solution politique et, d'autre part, à la prise en compte du drame humanitaire qui risque de se dérouler si l'on ne fait pas tout ce qui est nécessaire pour parer à l'indispensable dans ce domaine.

Et sur le plan de la solution politique, qui est un grand défi pour l'ONU, assumé par M. BRAHIMI, je lui ai dit que nous apportions notre soutien à la réflexion qu'il mène actuellement, qui sert de base à la préparation par l'Angleterre et la France d'un projet de résolution, lequel projet de résolution devrait normalement pouvoir être voté, nous le pensons, le 15 ou le 16 novembre. Ceci est très important. Non pas que cela règlera instantanément tout, naturellement, mais parce que cela confirmera l'autorité des Nations Unies pour la mise en place d'une solution politique au problème afghan.

Ce projet de résolution, qui ne fait que traduire les propositions de M. BRAHIMI, est fondé d'une part sur la réaffirmation de ce rôle central qui est celui de l'ONU, et qui n'est contesté aujourd'hui par personne, notamment dans la coalition, d'autre part sur le principe d'un gouvernement de transition, qui ait bien entendu le soutien de la communauté internationale, qui soit représentatif de l'ensemble de la population afghane dans cette extraordinaire diversité qui la caractérise, qui soit également susceptible d'être accepté sans problème par les pays limitrophes, cela va de soi, car l'aide de ces pays est tout à fait nécessaire, et qui soit enfin de nature à réhabiliter les droits de l'Homme, à cesser cette politique et cette action qui ont conduit les Afghans dans une situation de misère, d'humiliation des femmes, de négation des droits de l'Homme.

Cette résolution doit également affirmer clairement la priorité qui doit être donnée à l'humanitaire et donc aux aides qui doivent être amplifiées de façon importante, et naturellement à la mise en place d'un système permettant de lutter efficacement contre le terrorisme. Elle doit également prévoir l'éradication de la culture du pavot, qui est un vrai problème dans cette région pour toutes les raisons qu'on peut imaginer, internes et externes, et enfin prévoir la reconstruction de ce pays qui a été si frappé depuis bien longtemps et qui doit être réhabilité, et dont les perspectives doivent être celles d'un pays moderne où, petit à petit, chacun retrouve sa place et ses droits à vivre.

Voilà l'ambition qui est celle de la France et qui repose entièrement aujourd'hui entre les mains de l'ONU, c'est-à-dire, dans le cas particulier, de M. BRAHIMI qui va maintenant vous dire un peu ses réflexions. Il arrive de Rome où il a rencontré l'ex-roi, avant il était à Téhéran et au Pakistan et demain il sera aux États-Unis.

M. BRAHIMI - Monsieur le Président, je vous remercie beaucoup. C'était un très grand honneur pour moi d'être reçu à l'Élysée aujourd'hui et j'ai été extrêmement réconforté, encouragé par l'intérêt très grand de M. le Président Jacques CHIRAC pour les souffrances du peuple afghan, pour la recherche d'une solution à ses problèmes que l'ONU entreprend au nom de ses membres et pour le soutien extrêmement encourageant que le Président m'a exprimé, après l'avoir dit avant-hier au Secrétaire général.

J'ai particulièrement apprécié le très grand intérêt et la préoccupation de M. le Président de la République pour la situation humanitaire. La France est un des pays qui contribuent le plus à l'effort des Nations Unies et de la communauté des organisations non gouvernementales en faveur du peuple afghan. Le Président de la République, en particulier, a dit au Secrétaire général, l'autre jour, sa proposition qu'il y ait justement une conférence internationale pour marquer à la fois l'intérêt et la préoccupation de cette communauté internationale pour les dangers que la population afghane court. Cette proposition est sur la table et il n'y a pas de doute que le Secrétaire général va essayer de la faire avancer dans les discussions qui vont avoir lieu à New York à l'occasion du débat général qui commence samedi.

Sur le plan politique, le Président de la République a eu l'amabilité de vous dire que je viens de faire une visite dans deux pays voisins de l'Afghanistan et que je me suis arrêté à Rome pour voir l'ex-roi d'Afghanistan.

La situation est difficile, complexe. Le pays est livré à une crise qui dure depuis extrêmement longtemps, il est soumis maintenant à des bombardements pour des raisons qui n'ont rien à voir avec ce que le peuple afghan a fait ou n'a pas fait. Personne n'a jamais accusé le peuple afghan d'avoir participé en quoi que ce soit à ce qui s'est fait, malheureusement, à partir de son territoire mais le fait est que ceci complique encore davantage une situation déjà complexe dans un pays fragmenté. Néanmoins, ce très grand soutien, sans précédent, de la communauté internationale, cette réalisation, enfin, qu'un petit pays comme l'Afghanistan ne peut pas être abandonné à son sort sans conséquence pour le reste de l'humanité, cette prise de conscience de la communauté internationale nous donnent énormément d'espoir qu'enfin, ce ne sera pas facile, mais qu'enfin, peut-être, on va arriver à engager une solution politique au problème de l'Afghanistan et par conséquent empêcher que ce pays puisse être à l'avenir utilisé pour des actions qui mettent en danger la sécurité de la communauté internationale très loin des frontières de l'Afghanistan et que, aussi, le Président vous l'a dit tout à l'heure, ce pays soit à l'origine de 80 à 90% de la drogue dure qui se vend dans toute l'Europe.

Nous sommes aussi extrêmement reconnaissant aux pays, dont la France, qui ont assuré qu'après le règlement de la crise politique en Afghanistan, la communauté internationale n'abandonnera pas ce pays mais consentira les efforts nécessaires à son développement. Encore une fois, Monsieur le Président, merci beaucoup pour votre hospitalité et l'intérêt que vous portez à ce que nous essayons de faire.

QUESTION - Monsieur le Président, Monsieur BRAHIMI, de hauts responsables internationaux, y compris le Président Pervez MUSHARRAF, ce matin à Paris, et Madame ROBINSON, qui est Haut Commissaire des Nations Unies pour les droits de l'Homme, ont appelé à un arrêt des bombardements en Afghanistan. Est-ce que vous deux, vous vous joignez à ces appels ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez, je suis persuadé que Monsieur BRAHIMI, qui vous le dira lui-même, est très choqué par les conséquences de ces bombardements. Mais il faut bien comprendre une chose : ce que les Américains ont engagé avec l'aval de l'ONU qui, dans sa résolution, a reconnu leur droit d'agir militairement et leur droit de légitime défense, a pour objectif non pas, naturellement, de faire la guerre au peuple afghan ou à l'Afghanistan mais d'éradiquer un système qui, à l'évidence, a nourri et nourrit, par les convictions qu'il véhicule, le terrorisme. Il ne faut pas vous imaginer que les terroristes, eux, avec leur base en Afghanistan, et d'ailleurs on ne voit pas où ils pourraient aller ailleurs, vont s'arrêter. Et, par conséquent, je crois qu'il ne serait pas, aujourd'hui, les choses étant ce qu'elles sont, raisonnable pour les Américains d'arrêter leurs efforts d'éradication des terroristes. Alors, on a parlé notamment du Ramadan. J'ai le plus grand respect, vous le savez, pour les religions en général, pour l'Islam en particulier, l'une des premières réactions de la France après le 11 septembre a été un appel solennel contre toute espèce d'amalgame entre le monde islamique et le terrorisme, naturellement. Mais il ne faut pas vous imaginer que ces terroristes, eux, vont respecter la trêve du Ramadan. C'est la raison pour laquelle je demande que l'on intègre bien tous ces éléments avant de porter des jugements trop rapides. Je ne sais pas si Monsieur BRAHIMI veut ajouter quelque chose.

M. BRAHIMI - Je peux simplement redire ce que le Secrétaire général a dit à plusieurs reprises, à savoir que notre souhait c'est que ces bombardements prennent fin le plus rapidement possible.

LE PRÉSIDENT - Cela, c'est un souhait général.

QUESTION - On croit savoir que certains pays limitrophes d'Afghanistan sont réticents devant le futur gouvernement de coalition qui doit gérer l'Afghanistan, celui de l'après-Taleban, par exemple, la Russie. Certains propos de M. IVANOV font allusion à ce que les Russes souhaitent voir de leur point de vue comme futur gouvernement de l'Afghanistan. Est-ce que vous, Président de la République française, vous êtes prêt à faire un effort pour, par exemple, rendre la position russe plus souple, sachant que les Russes, par rapport à la position pakistanaise, veulent imposer par exemple l'Alliance pour gérer l'après-Taleban ?

LE PRÉSIDENT - Le gouvernement, le pouvoir qui doit être mis en place devra par nécessité être la synthèse de toutes les préoccupations afghanes. Rien ne serait plus mauvais que de favoriser une tendance par rapport à une autre, surtout dans ce pays où on est prompt à se chamailler, hélas ! Par conséquent, toute l'ambition de l'envoyé spécial de l'ONU, de M. BRAHIMI, c'est de mettre en place un pouvoir de transition équilibré. Équilibré, ça veut dire représentatif de toutes les ethnies, de tous les groupes afghans, sans en privilégier un par rapport aux autres, en fonction de ce qu'ils représentent réellement, et, deuxièmement, qui ait l'appui de l'ensemble des pays limitrophes. Voilà l'ambition, voilà la sagesse et voilà, je l'espère, ce qui sera le résultat de l'action de l'envoyé spécial de l'ONU.

Quant à votre appréciation sur la réaction russe, je ne m'associe pas du tout à ce que vous avez dit, qui ne me semble pas fondé. Je suis persuadé que les Russes, et je sais que les Russes, j'ai encore eu un long entretien il y a une heure avec M. POUTINE, je sais que les Russes souhaitent avant tout que, je dirai, l'ordre, la stabilité et le droit reviennent en Afghanistan et qu'ils ne feront aucune difficulté, ils ne créeront aucun problème pour soutenir la solution que M. BRAHIMI mettra au point et soutiendra. Et, d'ailleurs, vous en aurez très prochainement le témoignage et la preuve car je ne doute pas un seul instant que la résolution émanant des propositions de M. BRAHIMI sera votée à l'unanimité par le Conseil de sécurité. Une dernière question ?

QUESTION - Monsieur le Président, d'après les contacts qu'a eus Monsieur BRAHIMI, c'est une question à Monsieur BRAHIMI aussi, est-ce que vous êtes optimiste actuellement après ces contacts en ce qui concerne la formation d'un futur gouvernement afghan provisoire ?

M. BRAHIMI - Eh bien oui, je crois qu'il y a des raisons d'être optimiste. Il ne faut pas se faire d'illusions, ce ne sera pas facile, ce sera très difficile. Il faut faire preuve de patience. Mais il me semble que, d'une part, je l'ai dit, la communauté internationale a reconnu qu'un pays comme l'Afghanistan ne doit pas être abandonné à lui-même, qu'on l'a, en fait, abandonné à lui-même et que cela a coûté très cher à la communauté internationale et que, d'autre part, les Afghans eux-mêmes, la majorité des Afghans, la grande majorité des Afghans, veulent aussi qu'il soit mis fin à la misère dont ils sont les victimes depuis si longtemps.

Alors, ce qu'il faut dire c'est que, lorsqu'on parle de toutes ces factions, que ce soient les Taleban ou leurs adversaires, il ne faut pas oublier qu'il ne s'agit que de 50 000 hommes en armes. J'ai dit souvent que ces 50 000 hommes en armes tiennent en otages 25 millions d'Afghans. Il s'agit de libérer ces 25 millions d'Afghans de ces preneurs d'otages.

LE PRÉSIDENT - Je vous remercie et je voudrais simplement, en terminant, redire publiquement à M. BRAHIMI notre reconnaissance, qui est très grande, notre estime, qui ne l'est pas moins, et surtout tous nos voeux de réussite. Merci.