Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du dîner État offert en l'honneur du Président de la Fédération de Russie, M. Vladimir Poutine et Mme Ludmila Poutina.
Palais de l'Elysée, le lundi 10 février 2003
Monsieur le Président, Madame,
S'il est deux pays qui, par-delà les distances, se sont regardés avec une fascination réciproque tout au long de l'Histoire, s'il est deux pays qui n'ont jamais cessé de dialoguer par-delà les fractures de l'Europe, ce sont la Russie et la France. La visite d'Etat en France du Président POUTINE et de Mme POUTINA est l'occasion de célébrer cette longue relation empreinte aujourd'hui de confiance, d'admiration et d'amitié.
Cette relation, elle s'incarne dans les brillants esprits qui, des bords de Seine aux rives de la Neva, sont venus nombreux puiser à l'âme de l'autre ; elle s'incarne dans celles et ceux qui, poussés par les fureurs de l'Histoire, se sont installés en France où ils ont fait souche. Cette relation, Monsieur le Président, s'incarne cette année à Paris dans une merveilleuse saison russe qui, presque un siècle après les fameux ballets russes, permet au public français une rencontre privilégiée et chaleureuse avec la puissance et la poésie du répertoire de votre pays.
Ce soir, la France reçoit un homme d'Etat dont elle apprécie la fermeté de convictions et les hautes ambitions qu'il nourrit pour sa patrie. Des ambitions à la mesure de la Russie, de sa grande histoire et de son prestige. Monsieur le Président, Madame, la France vous accueille en amis et en partenaires. Par ma voix, elle vous souhaite la bienvenue.
Monsieur le Président,
Il y a, en vous, la volonté de bâtir une nouvelle Russie. Une Russie qui entre avec confiance dans le XXIème siècle. Quels formidables défis sont les vôtres ! La France souhaite être à vos côtés. Elle souhaite que votre visite soit l'occasion d'affirmer la vitalité de notre partenariat stratégique.
Cette Russie nouvelle, vous la dessinez d'abord sur la scène internationale. Au lendemain de la tragédie du 11 septembre, votre pays s'est immédiatement rangé aux côtés des autres démocraties, dans un mouvement naturel de réunification de la famille européenne autour de ses valeurs. Aujourd'hui, une même conviction nous anime. Rien ne peut justifier le terrorisme. Mais nous savons que ce combat difficile ne peut, sous peine de discrédit, s'affranchir des principes mêmes que nous défendons.
Cette conviction, nous l'avons portée ensemble à New York, au Conseil de sécurité des Nations Unies où, unanimement, nous avons voulu donner une chance au désarmement de l'Iraq dans la paix. Notre conviction est inchangée : la guerre n'est jamais inévitable. Elle est toujours une forme d'échec. Les armes ne peuvent parler qu'en ultime recours, lorsque toutes les autres options ont été explorées.
Russes et Français se rejoignent encore pour demander que les chefs d'Etat et de Gouvernement des Etats membres du Conseil de sécurité donnent une nouvelle impulsion à la politique de lutte contre la prolifération. Dans cet esprit, il est essentiel de mettre en oeuvre rapidement le partenariat mondial lancé au sommet du G8 de Kananaskis et de lancer les premiers projets concrets pour empêcher les réseaux terroristes d'accéder aux sources radiologiques et aux armes nucléaires, chimiques ou bactériologiques.
Côte-à-côte, nous le sommes également au moment où se recomposent les paysages et les équilibres en Europe. La France a voulu que l'élargissement de l'Union européenne respecte la dignité de la Russie. Notre engagement a permis de trouver une solution adaptée à la question de Kaliningrad. C'est un premier pas. Travaillons ensemble pour favoriser la liberté de circulation des personnes.
Dans cet esprit, nous avons pris ensemble l'initiative de rencontres entre les ministres russes de la Justice et de l'Intérieur et leurs homologues des Etats membres de l'Union. Ces réunions, nous devons les tenir plus régulièrement, tous les six mois par exemple. Elles doivent contribuer à préparer activement la nécessaire mise en place d'un véritable « Espace de Sécurité intérieure commun » en Europe.
La France plaide pour l'établissement d'un partenariat stratégique ambitieux entre la Russie et l'Union européenne. La France veut y être en avant-garde. C'est le sens du renforcement de la concertation de nos ministres des Affaires étrangères et de la Défense. Notre relation doit permettre à l'Europe de peser davantage dans les affaires du monde.
La France est à l'origine du rapprochement entre la Russie et l'OTAN, dont l'Acte fondateur fut signé ici même. L'Alliance atlantique d'hier s'est renouvelée. Elle s'est élargie à de nouveaux membres et se tourne vers de nouvelles missions. Avec cette Alliance du XXIème siècle, de nouvelles opportunités de rapprochement se présentent. Puisse la Russie en tirer pleinement parti et contribuer ainsi à définir les contours d'un nouvel espace de sécurité euro-atlantique.
Dans cette perspective, poursuivons notre engagement conjoint pour réduire les zones de tensions. Dans le Sud Caucase, faisons en sorte que les élections prévues en Arménie, puis en Azerbaïdjan, permettent d'avancer vers un règlement du conflit du Haut Karabagh. Ouvrons ensemble la voie de la stabilité et du développement à toute cette région.
D'autres défis sont à relever. Celui du développement durable. Celui de la préservation des ressources naturelles et de l'environnement. Dans ces grands combats, quel renfort que celui de la Russie ! Votre engagement ferme sur la voie de la ratification rapide du Protocole de Kyoto est une bonne nouvelle pour tous ceux qui luttent contre le changement climatique. Puisse la première présidence russe du G8 en 2006 consacrer notre volonté commune d'oeuvrer à un monde, plus responsable, plus équitable, plus solidaire.
Monsieur le Président,
La France souhaite que cette Russie nouvelle, que vous dessinez, joue un rôle éminent parmi les grandes nations, un rôle conforme à son rang, et qu'elle contribue à l'équilibre du monde. Cette Russie du XXIème siècle, les audacieuses réformes, auxquelles vous présidez depuis trois ans, en posent les fondations.
Vous poursuivez le grand chantier de la démocratie. Vous souhaitez libérer les énergies immenses de votre pays. Vous voulez construire un Etat de droit qui puisse concilier l'autorité des pouvoirs publics et le respect des droits des personnes. Nous sommes prêts à accompagner votre démarche. Les peuples veulent la justice dont les Etats sont garants. La liberté, tant dans le domaine politique qu'économique, ne doit pas être la possibilité donnée au plus fort d'écraser le plus faible.
Nous avons évoqué, lors de nos entretiens, et en toute franchise, la question tchétchène. Ce conflit, auquel les populations civiles paient un lourd tribut, ne pourra être résolu par les moyens militaires. La France souhaite que votre projet de référendum constitutionnel soit un premier pas qui permette d'enclencher une dynamique politique vers le retour à la paix.
Vous vous attachez également à moderniser, à un rythme soutenu, l'économie de la Russie. Vous souhaitez intégrer l'Organisation mondiale du commerce. La France et l'Union européenne y sont favorables. Elles voient votre adhésion comme un complément naturel à notre projet « d'espace économique commun ».
Enfin, Monsieur le Président, vous préparez la Russie de demain en consolidant cette forte tradition d'éducation et de formation scientifique de votre jeunesse. Je connais, pour avoir dialogué avec des étudiants à chacun de mes séjours chez vous, l'enthousiasme, l'ouverture d'esprit et la curiosité des jeunes Russes.
La coopération entre les peuples est portée d'abord par les plus jeunes qui ont la soif de découvrir et de connaître. Voilà pourquoi j'ai proposé de multiplier par trois nos échanges d'étudiants d'ici la rentrée de septembre 2005. Nos Universités, nos Régions, sont prêtes à y apporter leur concours. Puisse leur succès engendrer une dynamique qui se diffuse à l'ensemble de nos relations ! Je me réjouis aussi du projet d'une maison des étudiants russes à la Cité universitaire internationale de Paris.
Facilitons également les échanges entre chercheurs. Mettons en place des laboratoires communs de recherche. Expérimentons entre nous cet « espace universitaire et de recherche commun » dont rêve toute l'Europe. Madame, je sais que vous avez l'idée d'un projet de concours pour favoriser les échanges entre étudiants russes et français. Vous-même connaissez bien notre langue. Vous savez combien mon épouse et moi-même sommes depuis longtemps attentifs à cette question, à travers notamment l'Association "Pont-Neuf" qu'elle préside. Vous avez d'avance tout notre soutien.
Monsieur le Président, nos deux Gouvernements se réunissent désormais chaque année en "séminaire". Il y a moins de trois mois, à Toulouse, les Premiers ministres, MM. Mikhaïl KASSIANOV et Jean-Pierre RAFFARIN, en ont présidé la dernière session. Nos ministres prennent l'habitude de se consulter régulièrement. Notre partenariat est global. Il doit s'intensifier pour irriguer tous nos secteurs d'excellence et démultiplier notre volonté de travailler ensemble.
Je pense bien sûr à l'Espace, où le climat exceptionnel dans lequel travaillent nos spécialistes, après plus de 35 ans de collaboration étroite, nous permettra d'élargir et d'approfondir notre coopération, dans le domaine notamment des satellites et des lanceurs. C'est à l'élaboration de ce partenariat stratégique entre l'Agence spatiale européenne et la Russie que le Gouvernement français entend se consacrer. C'est la mission qui a été confiée à Mme Claudie HAIGNERÉ.
Je pense à l'aéronautique et à l'énergie, où nous devons faire progresser des coopérations déjà bien engagées. Je pense aussi à tous ces secteurs où des partenariats innovants sont possibles, tels que l'agroalimentaire, l'automobile, les biotechnologies, les télécommunications.
Vous-mêmes, Monsieur le Président, Madame, allez rencontrer, pour les convaincre de resserrer le lien russo-français, beaucoup de nos compatriotes. Vous irez au devant de nos communes, de nos collectivités locales sur lesquelles repose aussi l'avenir de nos relations. Mercredi, vous serez à Bordeaux ; ville magnifique, dont l'architecture et l'urbanisme témoignent de sa grande histoire ; ville ouverte sur l'océan et le grand large, ville jalouse de ses belles traditions mais lancée dans les grandes aventures modernes.
Monsieur le Président, nous nous retrouverons bientôt, et je m'en réjouis, à Saint-Pétersbourg, pour les 300 ans de cette extraordinaire cité, née du rêve de Pierre le Grand, fruit d'un courage inouï, d'une volonté inébranlable, d'un caractère plus fort que l'adversité qui est celui du peuple russe. La ville, Cher Vladimir Vladimirovitch, où vous êtes né. "Cette ville sortie de la mer à la voix d'un homme" -la formule est d'un Français- ; symbole, voici trois siècles, d'une nouvelle Russie, résolument tournée vers les Lumières de la raison, de la science et du progrès.
En attendant le printemps, Saint-Pétersbourg, ses fêtes et ses « nuits blanches », je souhaite, Chère Ludmila Alexandrovna, Cher Vladimir Vladimirovitch, que la France vous soit, pour reprendre la belle image de Karamzine, ce pays où un étranger se croit "parmi les siens".
Monsieur le Président, je lève mon verre en votre honneur et en l'honneur de votre épouse, à qui je présente mes très respectueux hommages. Je le lève en l'honneur des hautes personnalités russes et françaises qui nous font ce soir l'amitié de leur présence. Je le lève en l'honneur de la grande Russie, grande amie de la France et à laquelle me lient un attachement et une admiration personnels. Je le lève à cette fraternité entre Russes et Français qui ne s'est jamais démentie.
Vive la Russie ! Vive la France ! Vive l'amitié entre nos deux pays!
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