Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la clôture du 8e Congrès mondial de gestion des ressources humaines.
Palais des Congrès, Paris, le mercredi 31 mai 2000
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Vous avez choisi de tenir votre huitième Congrès à Paris, à la veille de la présidence française de l'Europe. Vous n'avez pas manqué de donner sens à ce choix européen, puisque vous avez inscrit parmi vos thèmes de discussion l'importante question de l'Europe sociale. C'est une question à laquelle la France attache, vous le savez, la plus haute importance.
Vos travaux ont été inspirés par une conviction, celle de la primauté de l'homme. Cette conviction est également au cœur de l'Europe que nous construisons, une Europe dont le projet économique est inséparable d'un modèle social original.
Nous voulons faire de la négociation collective, de la protection sociale et du rôle de l'Etat comme ultime garant de la cohésion sociale des atouts au service du dynamisme de nos économies. Certes, les efforts d'adaptation et de modernisation nécessaires pour y parvenir sont encore loin d'être achevés. Mais le cap européen a été mis dans la bonne direction, et en tous les cas nous le tiendrons.
Il n'est de progrès économique que par l'engagement des hommes. Votre mission est de permettre que tous trouvent un accomplissement dans la réalisation du projet collectif que constitue l'entreprise. C'est une fonction stratégique. De plus en plus, elle sera placée au cœur du processus de décisions.
C'est aussi une fonction difficile. Le cadre dans lequel elle s'exerce se transforme en effet très rapidement :
- du fait de la mondialisation et des nouvelles technologies,
- du fait de l'aspiration à plus d'initiative et de participation,
- et aussi en raison de l'exigence de plus en plus forte d'un nouveau dialogue social.
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Dans les pays développés, au milieu du siècle qui s'achève, près de la moitié des emplois salariés étaient des emplois ouvriers. La plupart de ces emplois reposaient sur l'effort physique et sur des tâches répétitives. Dans l'organisation du travail, sur une même ligne de production, chacun pouvait être remplacé par un camarade. C'est dans ce contexte que le droit du travail a été bâti, pour améliorer les conditions d'emploi et de vie, pour développer les garanties sociales, pour redresser un rapport inégal avec l'employeur.
Mais de même que la civilisation de l'usine, industrielle et urbaine, a pris le pas sur la société paysanne d'autrefois, agricole et rurale, on voit s'opérer aujourd'hui, avec la mondialisation et la diffusion rapide des nouvelles technologies, de très profonds changements. Ils nous introduisent dans un nouvel univers, celui des services.
Les formes d'emplois vont se diversifier. Il faudra inventer des relations du travail différentes, prévoir des garanties nouvelles, ne pas se laisser enfermer dans des solutions uniformes. Il faudra répondre à la diversité des situations et des besoins des entreprises, répondre aussi à la variété des aspirations des salariés : pouvoir choisir, pouvoir changer, pouvoir progresser, avoir son mot à dire, être entendu, maîtriser les différents temps de la vie, en un mot obtenir de nouvelles libertés, de nouvelles responsabilités.
Le niveau des qualifications augmente, le contenu du travail évolue, la part d'initiative, d'autonomie et de responsabilité laissée à chacun s'accroît, les synergies et les complémentarités entre salariés deviennent essentielles. La mesure du travail ne peut plus se réduire au temps. Les métiers changent en profondeur.
Plus de la moitié des salariés utilisent aujourd'hui un micro-ordinateur dans le cadre professionnel. On estime généralement que d'ici 10 ans, 90 % des qualifications nécessaires aux entreprises seront nouvelles, alors que 90 % des salariés auront achevé leurs études depuis au moins 10 ans.
Face à la diversification des contenus et des modalités de l'activité professionnelle, les relations sociales ne pourront plus être régies sur la base du modèle industriel d'autrefois. L'externalisation, l'essor du travail indépendant, la pluriactivité, le travail à temps partiel, le télétravail, le choix de l'intérim comme une profession parfois ··· tout conduit à ce que le droit du travail, autour des garanties communes posées par le législateur, devienne à la fois plus négocié et plus diversifié.
Pour ne pas pénaliser la mobilité, il devra également organiser la continuité d'un certain nombre de droits par delà les changements d'activité professionnelle : je pense par exemple aux droits à la formation, à l'assurance-chômage, à la protection complémentaire pour la santé et la retraite, mais aussi à l'épargne-temps et à l'épargne salariale.
Ces changements techniques, économiques et sociaux induiront de nouveaux équilibres géographiques. Il sera désormais possible de vivre en dehors des grands pôles urbains tout en étant à la pointe des technologies, relié au monde entier par les systèmes de communication les plus puissants. Aussi, la nouvelle économie redonnera leurs chances à tous les terroirs.
Il faut se préparer à ces bouleversements. Appréhender dès maintenant l'ampleur des transformations à venir. Mettre en œuvre les adaptations nécessaires pour en tirer parti. Orienter le changement plutôt que de le subir. Et surtout ne pas prendre de retard.
Il y a là un formidable défi. C'est le défi de la formation. C'est le défi des compétences. C'est le défi de la mobilité professionnelle et géographique. Et c'est d'abord un défi pour les entreprises elles-mêmes. Elles devront évoluer au rythme des nouvelles technologies, s'organiser différemment, faire une place plus grande à l'esprit d'initiative, à la créativité et à l'innovation, reconnaître davantage d'autonomie à leurs salariés, faire évoluer les liens de subordination, mettre en question leurs politiques de recrutement, de rémunérations, de formation et de carrières.
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L'entreprise moderne est celle qui parvient à former équipage, celle qui réussit dans ce que j'appellerai la combinatoire des talents, celle qui parie sur l'initiative et la participation.
Ceux qui regardent encore le monde à travers une opposition entre employeurs et salariés arbitrée par un Etat tutélaire sont enfermés dans le passé. Il faut aujourd'hui stimuler l'initiative, diffuser l'esprit de responsabilité, encourager l'accroissement des qualifications, faire naître et amplifier les synergies entre les hommes, et en un mot libérer des énergies nouvelles.
Dans une économie de responsabilité partagée, les salariés souhaitent être mieux associés à la marche de leur entreprise. C'est un mouvement positif, qui démontre leur implication. Et c'est une condition de la réussite de notre modèle économique.
Dès 1948, le général de Gaulle l'avait compris et je voudrais le citer car la citation est jolie : "la rénovation économique, et en même temps la promotion ouvrière, c'est dans l'association que nous devons les trouver···, l'association digne et féconde de ceux qui mettraient en commun soit leur travail, soit leur technique, soit leurs biens et qui devraient s'en partager à visage découvert et en honnêtes actionnaires, les bénéfices et les risques".
Cinquante ans plus tard, dans un contexte économique qui n'a évidemment plus rien à voir, dans une société qui a profondément évolué, cette conviction est encore d'actualité peut être plus encore qu'hier.
Dans l'entreprise, projet collectif par excellence, l'association des salariés, des dirigeants et des actionnaires autour d'un projet commun est en effet l'un des principaux moyens du succès.
Une économie de responsabilités partagées est en train d'émerger. Une économie qui va renouer avec l'idéal de la participation. Sachons relancer cet idéal en rénovant les instruments de la participation pour les adapter aux exigences de l'économie contemporaine. Dans une économie aujourd'hui tournée vers la création de valeur, il ne suffit plus d'associer les salariés aux résultats de l'entreprise. Il faut les faire participer à son capital.
Le développement de l'actionnariat des salariés est spectaculaire. C'est une ressource supplémentaire pour l'investissement, l'activité et l'emploi. C'est un outil de motivation. C'est une source de gains. C'est la possibilité de faire naître un nouveau regard sur l'entreprise, qui devient plus que jamais le bien commun des salariés. Et comme on l'a vu récemment, c'est aussi la possibilité pour l'entreprise de conserver la maîtrise de ses centres de décisions en cas d'OPA hostiles.
Je pense aussi à la distribution d'options sur actions, qui associent les salariés, et notamment les cadres, à l'augmentation de la valeur de l'entreprise. Dans un contexte qui voit se multiplier les entreprises de croissance, il faut pouvoir donner leur part aux salariés, à tous les salariés, qui acceptent de partager l'aventure de la création d'entreprise.
Ces progrès sont autant de signes d'un renouveau de l'association du capital au travail. D'elle-même, l'idée de la participation s'impose désormais comme l'une des clés de l'avenir. Cela doit devenir un vrai projet de société. L'actionnariat des salariés ne doit pas être réservé aux Français les plus aisés. Il faut donner à tous ceux qui le souhaitent la possibilité d'être co-propriétaire de leur entreprise.
Cette évolution doit aller de pair avec le développement de l'épargne-retraite, mais les deux choses ne sauraient se confondre. L'épargne-retraite est en effet une épargne de très longue durée. Elle doit se développer à l'abri du risque de l'entreprise, avec un niveau très élevé de garantie pour l'épargnant.
Pour ceux qui le souhaiteront, l'épargne-retraite servira de complément volontaire à la retraite de base. Ce sera une liberté de plus pour les Français. Cette liberté ne peut leur être durablement refusée. Ce n'est pas à la répartition qu'elle fera concurrence. C'est aux autres formes d'épargne. Opposer l'épargne-retraite et le régime de répartition, auquel nous sommes tous très attachés, n'est ni équitable, ni juste. Du reste, tant que la sauvegarde de nos régimes de retraite ne sera pas assurée, notamment dans notre fonction publique, les Français épargneront spontanément pour leurs vieux jours. Ils le font déjà, mais sans trouver de supports adaptés. Rendre l'épargne-retraite accessible à tous, l'encourager, l'organiser, l'adapter à son objet, c'est un projet non seulement légitime, mais également moderne, nécessaire et n'en doutons pas, attendu.
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Le désir de participation resterait inaccompli s'il ne s'accompagnait pas d'un renouveau du dialogue social.
Une véritable économie de partage ne peut naître que d'une démarche volontaire et négociée. La convergence des intérêts des salariés et des entreprises doit être organisée en privilégiant la voie du dialogue à tous les niveaux : l'accord national, la convention collective, et le contrat d'entreprise.
Si l'entreprise est depuis toujours le lieu le plus adapté pour discuter des salaires réels, des horaires, des conditions de travail et de l'organisation de l'activité, la branche professionnelle est indispensable pour fixer des garanties communes à tous les salariés d'un même secteur, réguler la concurrence et prévenir les défaillances de la négociation d'entreprise. Le niveau national interprofessionnel doit , pour sa part, déterminer les règles applicables par les organismes paritaires et, surtout, garantir un meilleur équilibre entre loi et accord dans la détermination des règles du jeu social. C'est dans notre pays un point faible.
A chaque fois que les pouvoirs publics voudront engager de nouvelles évolutions des relations du travail, il faudra à l'avenir qu'ils donnent loyalement toutes ses chances à la négociation entre partenaires sociaux avant d'envisager de légiférer. Le temps est venu pour que l'Etat s'impose à lui-même cette discipline, dans l'intérêt général, en prenant acte du rôle qui doit être réservé aux partenaires sociaux dans le mouvement de l'économie et de la société.
L'Etat ne doit pas être sur la défensive. Il doit cesser de regarder tout progrès du dialogue social comme une menace pour son autorité. S'il conservait une attitude hégémonique, c'est lui qui menacerait le dialogue social, et non pas le contraire. L'autonomie des partenaires sociaux, leur responsabilité et leur capacité d'agir doivent être reconnues. A eux de démontrer aussi qu'ils sont prêts à en tirer toutes les conséquences.
Dans d'autres pays, le dialogue social permet depuis longtemps de surmonter les blocages de la société. En Hollande, en Allemagne, en Italie, pour l'emploi, pour les salaires, pour les retraites, il fait avancer les choses. Il rassemble. Il donne plus de force, de dynamisme et de cohésion sociale à la communauté nationale. Il apporte des solutions aux problèmes là où l'Etat ne parvenait pas à le faire.
La société française demande plus de contrat, plus d'initiative, une meilleure acceptation du rôle des acteurs économiques et sociaux. Il importe que l'Etat accompagne ce mouvement, reconnaisse les vertus du dialogue social et lui donne pleinement droit de cité.
L'excès de l'interventionnisme public a aujourd'hui montré ses limites. Peut-être parviendrons-nous enfin à donner au dialogue social un meilleur ancrage dans notre démocratie ? Les organisations syndicales et patronales se sont engagées depuis quelques mois dans cette voie et, pour ma part, je les ai approuvées.
Du résultat des discussions entre partenaires sociaux dépendra notre capacité à nouer les compromis sociaux nécessaires à la modernisation de notre pays. Il s'agit pour les années à venir d'un enjeu essentiel et peut-être même d'un enjeu historique. C'est pourquoi j'appuie sans réserve les efforts engagés par l'ensemble des parties pour aboutir.
L'entente des partenaires sociaux serait en effet un atout majeur pour notre société. Elle lui permettrait d'évoluer en conciliant équilibre et mouvement. Elle nous donnerait les moyens de nous adapter dans la concorde sociale aux exigences de notre époque.
Une communauté d'hommes et de femmes a besoin d'adhésion pour avancer. Sans la négociation, les décisions prises par voie d'autorité et les réglementations s'appliqueraient dans toute leur raideur, ralentiraient l'innovation et freineraient le développement de l'activité et de l'emploi. De bons accords, équilibrés, où chacun trouve son compte, permettraient au contraire de réguler la vie économique par des règles du travail plus innovantes, plus riches, moins dépendantes d'une vision statique et administrative des rapports sociaux.
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Mesdames, Messieurs,
L'approche que nous aurons du travail au XXe siècle engagera profondément l'avenir de nos sociétés. Cet avenir échappe aux modèles anciens. L'enjeu sera de garantir à des travailleurs de plus en plus mobiles un niveau élevé de sécurité qui les suivra à travers leurs changements d'activité.
La première garantie pour l'emploi de chacun, ce sera désormais de pouvoir renouveler en permanence ses qualifications. Le chômage diminue heureusement. C'est le fruit des efforts des Européens. C'est le fruit du travail de leurs gouvernements successifs. C'est le fruit de l'Euro. Et c'est naturellement le fruit de la croissance.
Mais le taux d'activité des Européens est faible. Celui des Français l'est plus encore. On entre de plus en plus tard dans la vie active et l'on en sort de plus en plus tôt. En outre, le nombre de bénéficiaires de minima sociaux continue à augmenter chaque année malgré une forte croissance économique. La société de l'information risque encore d'aggraver l'exclusion par l'illettrisme, qui est déjà un très lourd handicap.
Si nous voulons vraiment créer l'activité pour tous, nous avons donc devant nous un immense effort de formation à accomplir. Il ne se fera pas sans un engagement massif des entreprises. C'est leur intérêt pour pouvoir compter sur une main-d'œuvre performante.
Cet effort devra s'organiser au niveau national. Il appelle la reconnaissance d'un droit personnel à la formation tout au long de la vie. Il s'agit d'une réforme essentielle. Je souhaite que les partenaires sociaux en fixent le plus tôt possible les modalités. Je sais qu'ils sont décidés à en débattre et je m'en réjouis.
C'est indispensable pour que les effets bénéfiques de la croissance soient prolongés par une politique qui permette d'attaquer enfin les causes structurelles de la sous-activité.
Car au total, Mesdames et Messieurs, toutes et tous ici, vous le savez mieux que moi, le devoir des responsables politiques, économiques et sociaux, dans une période comme celle que nous vivons, c'est de saisir les nouvelles chances, les nouvelles possibilités d'action, que nous donnent la croissance retrouvée pour engager maintenant, dans de bonnes conditions, les évolutions qui nous rendront plus sûrs de nous-mêmes, mieux armés et plus confiants pour aborder l'avenir.
Je sais que c'est dans ce sens que vont vos réflexions. Vous êtes des hommes et des femmes près des réalités, compétents et également modernes. Ces réflexions sont importantes et, je suis sûr, que tout le monde aura à cœur, et moi le premier, d'en tirer bénéfice.
Je vous remercie.
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